Le spectacle aurait du apaisé n'importe qui, mettre en silence toute émotion pour ne laisser place qu'à l'ébahissement devant une telle contemplation. Un cétacé nageait prêt de la surface, inconscient de la barrière de corail qui se trouvait en dessous de lui. Des milliers de poissons aux formes et couleurs diverses s'agitaient dans un ballet des plus cohérents. Les écailles brillantes de l'un d'entre eux reflétèrent la lueur d'un soleil pâle dans les yeux de l'Augure qui scrutait le spectacle depuis le dôme.
Torse nu, le corps meurtri par les blessures, il s'était réveillé dans le lit d'une somptueuse chambre qui tranchait avec ses goûts habituellement sobre. Les draps de soie blanche rehaussaient les dorures qui le bordaient. Divers bibelots, essentiellement des armes, trônaient dans la pièce. Mais tout cela n'était rien par rapport au réel spectacle... Immergé dans les fonds marins, l'eau semblait se stopper comme par magie autour de la pièce. Un coup d'œil alentours indiquait clairement que la chambre n'était qu'un appendice à un domaine beaucoup plus vaste. Kahr, n'ignorait pas où il se trouvait...

Du comment il était arrivé ici il ne se souvenait de rien. Il se souvenait à peine de paroles prononcées par celle qui l'avait trouvé sur la plage : Kyara. Elle lui avait demandé de lui faire confiance, de ne pas s'inquiéter du périple qui l'attendait. Malgré toute la détermination dont il aurait pu faire preuve il n'avait de toute façon pas assez de forces pour résister à l'appel de l'abysse.
Voilà dix bonnes minutes qu'il s'était éveillé dans le domaine de Poséidon. Pourquoi ? Il n'en savait rien, lui-même aurait jadis demandé aux Oracles d'éliminer la menace et non de lui offrir le gîte. Il sentit son cœur se serrer... Les Oracles appartenaient désormais au passé et le souvenir de la trahison d'Apollon à son égard se fit plus vivace. Le spectacle sous-marin ne l'apaisait pas...
Il n'y avait dans la pièce aucune porte, le seul endroit ou l'eau n'était pas présente était une impressionnante arche de corail bordé d'anémones orange et violettes qui bloquaient le passage. Rapidement, l'Augure retrouva ses réflexes de survivants et parcouru la pièce. Fouillant les moindres recoins il eut la surprise de trouver sur une table basse plusieurs tubes de feuilles séchés contenant des herbes. Kahr attrapa l'une d'elle et l'huma. Ce n'était pas des herbes d'Orient comme il en avait l'habitude mais cela ferait l'affaire pour le moment.
Avec difficulté il concentra sa cosmo-énergie et fit apparaître une flamme grâce à laquelle il alluma l'antique cigarette. Il prit une profonde inspiration de la fumée et ne put contenir un toussotement qui lui rappela, à son bon souvenir, la façon dont son corps avait été meurtri.

Un bruit au loin attira son attention. La barrière de corail sembla se revigorer et les anémones s'écartèrent rapidement dévoilant un homme grand aux cheveux blancs. Kahr ne put s'empêcher de sonder la cosmo-énergie de celui qui lui faisait à présent face.

- Je suppose que vous êtes celui à qui je dois la vie ?

Il accueillit les propos de l'inconnu avec un petit sourire. Observateur, l'homme ne cessait de le dévisager, comme s'il tentait de lire en lui. Pour quelqu'un qui se trouvait dans l'incapacité de quitter les lieux, il affichait une confiance en lui plutôt étonnante. Quoi qu'il en soit, il allait désormais pouvoir questionner celui qu'il avait fait conduire ici alors qu'il n'était encore qu'inconscient. On n'arrivait pas à proximité du Sanctuaire de Poseidon sans que le Légat de celui-ci ne puisse repérer la source d'énergie. Et la décharge de cosmos qu'il avait repéré avait été suffisamment puissante pour éveiller sa curiosité. Alors certes, il aurait été plus facile et moins dangereux de tuer l'animal avant que celui-ci ne se réveille. Mais Orpheus préférait savoir à qui il avait à faire. C'est pourquoi il avait dépêché sur place le Marina de Charybde. Et une fois n'était pas coutume, Kyara avait joué son rôle à merveilles.

- Effectivement. J'ai senti ton arrivée sur le territoire de mon Maître et j'aie dépêché un de mes Marinas pour t'amener à moi. Une telle décharge d'énergie ne pouvait qu'attirer mon attention. Nous t'avons retrouvé à demi conscient... Mais ce qui t'as réellement sauvé, c'est ton pouvoir. Tu portes en toi le symbole des dieux...

Pour Orpheus, ce qu'il appelait "symbole des dieux" était plus communément appelé "cosmos". La marque de ceux qui possédaient un pouvoir et qui devaient ce dit pouvoir à la déité qui l'avait recueillit. Pour le moment, Orpheus ne pouvait dire à quel dieu cet homme prenait ses ordres. Mais vu l'état dans lequel il avait été retrouvé, nul doute qu'il en avait bavé. S'il avait une nouvelle fois face à lui un homme ennemi, alors il serait exécuté. Pour le moment, le doute subsistait. Surtout que le Légat sentait que quelque chose clochait.

- Mais je manque à mes devoirs. Je suis Orpheus, Général de la Sirène Maléfique et Légat de Poseidon. Tu l'auras remarqué : tu n'as aucune possibilité de quitter cette pièce. Tu n'es pas un prisonnier à proprement parler, plutôt un invité. Ta liberté dépendra essentiellement de toi et de ce que tu diras. Tu a l'air de t'être bien remis de tes blessures, c'est pour le mieux. Je vais donc considéré que tu es capable de répondre aux questions qui sont les miennes.

Car des réponses qu'il aurait, le statut d'invité pouvait très bien se transformer en celui de prisonnier. Les événements récents avaient laissés des marques sur le territoire de Poseidon et son Légat ne pouvait tolérer d'autres menaces. Abattre cet homme aurait été si facile alors qu'il était encore agonisant. Mais cela n'était pas la volonté du général. Son regard ne quittait pas un seul instant le visage de cet homme. Il semblait fier, c'était une certitude, et pourtant non dénué d'intelligence. Pour le moment, Orpheus préférait ne pas déployer son pouvoir pour obtenir les réponses qu'il recherchait. Mais si cet individu le contraignait, alors le son enchanteur de sa flute ferait son apparition dans cette pièce.

- Aucune armure n'a été retrouvé à tes côtés et tes blessures étaient plutôt sévères. Quel est le dieu que tu sers, qui es-tu donc et plus important encore, qu'est-ce qui t'as mit dans cet état ?

Il n'y avait aucune trace d'animosité dans les propos du Légat, même si la chaleur humaine y était absente. La compassion n'existait pas en son cœur, sentiment qui affaiblissait les âmes. Le borgne se bornait pour le moment à question l'homme qu'il avait face à lui. Il était possible qu'il se soit retrouvé en face à face avec un de ces titans qui avait attaqué la nation de l’Empereur des Mers. Néanmoins il était encore trop tôt pour parler de cet état de fait. Savoir qui il servait était la priorité. Habitué à évaluer la puissance des hommes qui le servaient, Orpheus sentait chez son vis-à-vis une énergie peu commune. C'était aussi pour cela que l'interrogatoire lui revenait. On ne bernait pas la Sirène Maléfique.

Son pouvoir, Kahran baissa le regard et ne put contenir un rire ironique. Ironique car son pouvoir avait été forgé par un Dieu qui l'avait à présent abandonné, ironique car son pouvoir avait été insignifiant face à celui des Titans mais aussi face à Apollon. Il se tourna vers son hôte, Orpheus le légat de Poséidon. Il était donc son égal parmi les fidèles du Dieu des Océans et pourtant une nette rupture apparaissait entre les deux hommes.
L'Augure ne se serait jamais encombré d'un prisonnier, encore moins d'un invité dont les capacités étaient similaires aux siennes. Non, Kahr aurait su se montrer impitoyable en éliminant la menace avant même qu'elle n'ait eu l'occasion de se déclencher. Une seule fois il avait fait preuve de compassion, une seule fois il avait accordé sa confiance à une entité au pouvoir supérieure à lui. Avec le recul, Kahr comprit qu'à de nombreuses reprises il aurait pu tuer Apollon. Par lâcheté, par traîtrise, il aurait trouvé une solution pour peu que sa foi le lui ai permis. Cela n'avait pas été le cas et aujourd'hui il se retrouvait plus bas que terre. Loin de sa splendeur passée, il n'était plus qu'un homme parmi les autres et jamais la perspective d'accéder à la déification ne fut si éloigné.

- Je suppose que la moindre des choses est donc de répondre à tes questions, Légat.

L€s deux hommes se scrutèrent un long moment, leurs attitudes passives laissait présager le pire si l'un d'entre eux faisait preuve d'hostilité envers l'autre. Un compromis tacite naissait dans cette pièce, un combat entre eux aurait tout simplement ébranlé jusqu'au fondement du domaine de Poséidon.

- Tu peux m'appeler Augure...

Kahr se déplaça à travers la pièce afin d'aller s'assoir sur le bord du lit. Son nom n'avait plus aucune signification, Apollon lui-même l'avait renommé lors de son intronisation en tant que Chevalier et l'époque où il était un nobliau exilé en Egypte était définitivement derrière lui. Pendant des années on l'avait connu comme l'Augure d'Apollon, ce serait donc son dernier patronyme, celui qu'il utiliserait pour parvenir à ses fins, celui qu'il utiliserait symboliquement lors de son prochain combat.

- Je pense ne plus avoir droit de porter une armure, en tout cas pas celle que j'ai utilisé pendant des années. Elle n'est aujourd'hui qu'une coquille vide. Et ça, je le dois à la personne qui m'a infligé mes blessures. Je n'irais pas par quatre chemins Orpheus, je te demanderai de me libérer, j'ai une vengeance à accomplir. J'ai été trahi et personne, pas même les Dieux, ne peuvent se complaire de me faire défaut. Tu n'es pas mon ennemi alors je te prierais donc de me relâcher.

Toujours vivace, la colère de l'Augure refit surface. Il posa un regard déterminé, et sans aucun sous-entendu, sur Orpheus. Il voulait la tête de celui qui l'avait mis dans ce pitoyable état et par les Dieux, il l'aurait. Peu lui importait les moyens à mettre en œuvre, il libérerait sa fureur et parviendrait à éradiquer Apollon !

Mais au plus profond de l'âme de Kahr, quelque chose s'éveillait. Comme si sa colère trouvait une résonnance à l'égard de quelque chose, ou quelqu'un. Une certitude émergea en lui, il n'avait pas été le seul à être trahis par Apollon. Le Dieu Solaire n'était pas à son premier retournement de veste, il n'était pas la première personne à être jeté à la première occasion. Non, quelqu'un d'autre partageait son objectif...
Quelqu'un capable de faire de l'Augure un outil de destruction et de vengeance inarrêtable...

Pas son ennemi, peut-être. Mais prendre un tel risque sur la simple parole d'un homme, c'était tout de même trop peu pour celui qui se voulait le protecteur du Sanctuaire de Poseidon. La détermination qui se lisait sur son visage montrait que son ennemi avait du soucis à se faire. Tout dépendait après de ce qu'on pouvait appeler ennemi. Car s'il interprétait convenablement ce qu'il avait entendu, il cherchait à se venger de l’affront qu'il avait subi. Un affront de sa divinité ?

Bien qu'il ne se soit pas exprimé clairement, le prisonnier avait donné des indices sur celui qu'il avait servi. Il se disait être Augure. Très certainement un nom d'emprunt et cela ne regardait que lui. Pour le moment, le Légat restait surtout bloqué sur la nature de ce nom. Romain, sans le moindre doute, les Augures étaient réputés pour être les messagers des dieux. Or qui était celui qui avait la charge de l'empire Romain ? Personne d'autre que Apollon, allié de sa sœur Athéna. Ennemi de Poseidon. Et traître à bien des égards. Car si cela se vérifiait, alors cet homme avait été au service du dieu solaire et avait été trahi par lui. Comment celui-ci avait-il trahi son homme de main, là était le mystère. Mais si cela se vérifiait alors ils auraient une cause commune. Apollon avait aussi trahi Poseidon à une époque. Et le dieu des Océans avait la rancune tenace.

- Augure ? Soit, c'est ainsi que je t’appellerai. Si ton ennemi est celui auquel je crois, tu n'as aucune chance seul. Mais cela te regarde. Je ne vois pas d’inconvénients à te relâcher, mes hommes t’emmèneront à la frontière de notre territoire pour que tu puisses rejoindre la surface en vie. Je te demanderai seulement de ne pas oublier qu'un Marina t'a sauvé la vie, Augure. Car peut-être qu'un jour, je te demanderai de payer ta dette.

Orpheus ne plaisantait nullement. Il avait face à lui un guerrier divin, un homme qui possédait une puissance suffisante pour être utile un jour ou l'autre. Le Légat n'était pas homme à sauver la vie à un tiers sans demander compensation. L'avenir était flou et l'apparition des titans était une bien mauvaise nouvelle. Garder dans son sac des hommes comme Augure, qui avaient donc des dettes envers le Légat et Poseidon, cela pouvait s'avérer extrêmement important à terme. Qui sait, leur route pouvait encore se croiser un jour...

Il se détournais déjà de lui, trouvant que le plus important avait déjà été dit. Perdre plus de temps était inutile, surtout avec les évènements récents. Mais quelque chose troubla le Légat et il s'arrêta net. Un frisson parcourut son corps alors qu'il sentait le cosmos de Augure réagir à quelque chose. C'était infime, presque imperceptible. Le Légat se tourna vers Augure pour le détailler une nouvelle fois. Quelque chose avait vraiment changé, cet homme avait désormais en lui quelque chose de familier au regard de Orpheus. Et là, du fin fond du Sanctuaire sous-marin, l'énergie d'une scale se fit sentir.

Plus loin dans le domaine sous-marin, la Scale s'éveillait... L'orichalque luisait à travers les fonds marins et ses consoeurs accompagnèrent sa résonnance. Un imperceptible mouvement la faisait osciller, quelque chose arrivait...

Kahr observa Orpheus un moment, lui aussi senti la puissance s'éveillé. Les deux hommes s'observèrent, le Légat sans doute plus au fait de ce qui était en train d'arriver. Kahr esquissa un pas dans sa direction en mettant son bras en avant comme pour lui demander de lui expliquer ce qui arrivait. Mais l'Augure se figea alors, une puissant cosmo-énergie se mit à l'envelopper. Familière pour le Légat elle était totalement étrangère à Kahr qui n'avait jamais ressenti une telle puissance.
Lui qui était un maître du Cosmos, qui avait fait face à Apollon mais aussi aux Titans, se trouvait totalement désemparé.
Figé comme une statue, la voix résonna à travers son corps...

- Apollon n'a jamais su tenir ses engagements Chevalier... Je l'ai appris à mes dépends il y a des millénaires. Tu vois ce qu'il en coûte de s'asservir à une faible entité.
- Il est pourtant celui qui a érigé un Empire millénaire.
- Au prix de négociations et de soumission à Athéna. Et comment peux-tu comparer un Empire terrestre au Royaume des 7 mers. Comment peux-tu envisager que la puissance vienne des seules hommes alors que l'Océan a toujours été immuable...
- Ce ne sont pas mes affaires. Je sais qui vous êtes Seigneur Poséidon. Je connais votre histoire et je connais votre cause. Elle n'est pas mienne !
- Comme les Océans j'ai de nombreuses facettes Augure. Conquérir la Terre et reprendre ce qui me revient de droit n'est pas ma seule préoccupation. Toi et moi avons été trahis. Les Olympiens m'ont toujours fait défaut et je n'aurai de repos que lorsque ma vengeance sera accomplie. Cela, mon Légat ne peut pas le comprendre, il est le chef de mes armées, il est celui doit conquérir et diriger... Et toi qui es-tu ?

Kahr posa un genou à terre tandis que les visions assaillaient son esprit.
Les visions d'un déchaînement de rage surhumain, les visions d'une créature libérer pour détruire le monde avant sa reconstruction. La colère à l'état brute, l'œil de la créature se posa sur Kahr comme si elle pouvait le voir à travers sa vision. Les deux entités partageaient cette étincelle de haine...

- Met ta rage à mon service, deviens l'émissaire de ma haine et je t'offrirai Apollon. Tu as ma parole !
- Je ne sers plus les Dieux...
- Alors fait allégeance à la colère et à la haine. Deviens le destructeur de mon Légat et devient si puissant personne, pas même Apollon, ne pourra t'arrêter...

La voix s'estompa en même temps que la cosmo-énergie disparaissait. Le genou à terre, Augure avait le souffle haletant. Il tenta de reprendre contrôle de lui-même et observa Orpheus. Il ignorait si le représentant de Poséidon avait pris part à cette conversation mais un sourire se dessinait sur le visage de la Sirène Maléfique en écho à l'impassibilité de l'ancien Oracle.

- J'accepte...

L'explosion retentit au bout du territoire. La trainée de lumière laissé par la Scale qui se matérialisa comme si de rien n'était dans la pièce fut observable par tout à chacun.
Une à une les pièces de l'armure se déposèrent sur le corps encore meurtri de l'Augure...

Le Kraken, instrument de la vengeance de Poséidon, émissaire de la colère du Dieu marin, venait de renaître...