Parfois, il arrive que la logique elle-même soit mise en déroute...

Que l'impossible devienne possible et que la réalité dépasse la fiction. Tout le monde a déjà entendu parler au moins une fois de ces mythes et légendes, de ces histoires d'un autre temps. Celles qui font frémir les enfants et sourires les adultes car eux savent que ce ne sont que des inventions faites pour captiver les foules. Du moins ils croient le savoir car la vérité est ailleurs, et qu'à l'abri de leur confort ils ignorent que ces récits n'ont rien d'irréel. Et pour devoir s'attendre tous les jours à croiser le fer avec ces monstres mythologiques les chevaliers étaient bien placés pour savoir qu'il ne faut pas prendre ces contes à la légère. Car toutes autant qu'elles sont ces chimères leur ont donné du fil à retordre par le passé avant d'être vaincues. Mais par malheur ces abomination ne meurent jamais vraiment... Il leur suffit de s'abreuver d'une aura néfaste pour revenir à la vie et hanter à nouveau le royaume des vivants de leur terrible présence. Contre ces erreurs de la nature l'homme est impuissant, à la fois parce qu'il a trop douté de leur existence que pour savoir comment les combattre mais aussi parce que l'unique moyen de les vaincre lui échappe.

Cette arme ultime porte le nom de cosmo-énergie, et rares sont les élus à pouvoir en revendiquer la maîtrise. Quand ces dangers intemporels refont surface, c'est à eux que l'on fait appel pour faire régner l'ordre. Il n'était pas rare de découvrir les envoyés du Sanctuaire en première ligne dans ce genre de cas d'urgence. Seulement, la déesse n'était toujours pas réincarnée et l'ère de paix se faisait toujours cruellement sentir. La prochaine Guerre Sainte était encore loin et il n'y avait que peu de chevaliers à s'être manifestés. Cela voulait aussi signifier qu'il pouvait arriver de manquer d'effectifs pour gérer efficacement ces situations de crise. Fort heureusement à cette époque l'alliance entre les dieux du Soleil et de la Guerre était toujours en vigueur et ne souffrait d'aucune fissure, si bien que l'invoquer pour obtenir de l'aide était somme toute une démarche ordinaire. Si en temps normal un Gold Saint était plus qu'il n'en faut pour régler le problème, il n'était cette fois pas question de lésiner sur les moyens. Car si bien souvent les créatures ramenées à la vie n'étaient que du menu fretin ce n'était pas toujours le cas. Et si aujourd'hui on avait fait appel à Arsiesys du Sagittaire c'était pour se débarrasser une fois de plus de cette monstruosité connue sous le nom d'Hydre de Lerne. Et à voir quelle vigueur elle mettait à vouloir récupérer ses terres force était d'avouer qu'il y avait toutes les raisons de croire qu'Héraclès avait mal fait son travail. Une négligence qu'on lui sommait aujourd'hui de corriger mais il était lucide : il n'y arriverait pas seul.

Impressionné par l'animal, il avait pris de l'altitude pour l'observer tout en maintenant une distance de sécurité, attendant les renforts pour entreprendre quoi que ce soit. Les dimensions de la créature étaient telles que rester à l'abri sans la perdre de vue n'était pas un problème. Cela ne faisait que quelques années qu'il était officiellement entré dans la chevalerie et qu'on lui confie une tâche de cette ampleur était certes un grand honneur mais aussi une pression qu'il peinait à gérer. Si il avait toute confiance en ses capacités il restait toutefois très modeste et doutait de faire le poids contre cette chose. Le Sanctuaire avait pensé à tout en appelant les Oracles à la rescousse mais ce n'en était pas assez pour le rassurer pleinement. Sans doute parce qu'il n'avait jamais entretenu de contact avec eux ; c'était la première fois qu'il allait en voir un en face et il devait admettre appréhender cette rencontre. Néanmoins, cela ne devait pas être un frein à sa mission et il en avait fait abstraction. Plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol, il ne s'apprêta à quitter son observatoire que quand enfin le cosmos de son allié providentiel se fit sentir. Le paysage désolé de Lerne n'était pas le lieu idéal pour lier connaissance mais il allait falloir s'en contenter.

- J'ignorais que les Oracles avaient eux aussi des ailes... Je suis Arsiesys du Sagittaire, clama-t-il, détachant pour la première fois son regard de la bête. Et toi, quel est ton nom ?

Aussi érudit soit-il Arsiesys n'en savait pourtant que peu sur ses alliés. Les Oracles étaient une énigme complète à ses yeux car nul n'en avait vu l'utilité. Beaucoup au sein du Sanctuaire en étaient encore à penser que le froid entre Athéna et Apollon mènerait ce dernier à sa perte. Ils n'étaient pas si loin de la vérité il fallait l'admettre, mais fallait-il pour autant couper les ponts à ce point ? Il en connaissait au final plus sur son ennemi que sur son allié, et si cela pouvait être tout aussi bénéfique il aurait aimé savoir d'avance quels étaient les points forts de son camarade. L'improvisation n'était définitivement pas son point fort mais il n'en dit mot, de crainte que ce soit mal pris.
Ils n'avaient de toute façon pas le temps d'apprendre à se connaître et le feraient sur le tas. Car pendant qu'ils faisaient les présentations, la bête continuait son œuvre de destruction et il était impératif d'y mettre un terme rapidement. À quoi servirait de la terrasser si c'était pour n'y arriver qu'une fois toute la région à feu et à sang. Car l'axe majeur de leur mission n'était pas de s'en débarrasser mais de l'empêcher de nuire à qui que ce soit. Ce qui était hors de portée de l'homme c'était à eux de l'accomplir, de leurs mains porteuses d'espoirs...

...Même s'il doutait sérieusement que Kahr l'entende de cette oreille. Désabusé, l'homme ne manquait pas de cynisme et en cela le Sagittaire appréciait sa compagnie. Tout un chacun chez les Saints tendait à être d'un optimisme outrancier qui parfois le rendait profondément las. Fataliste, il savait qu'il n'y avait rien à faire pour y remédier et qu'il était mal placé pour juger, l'étant parfois lui-même. Aussi, voir un individu marqué par des années d'une culture sans commune mesure avec la sienne tenait de la bouffée d'oxygène. Posant le pied à terre il replia ses ailes, qui souffraient de n'avoir pas connu de repos depuis qu'il avait reçu l'ordre de se rendre sur place.

- Nos sources ont déterminé que ses ossements auraient été sous l'influence d'un cosmos primitif d'une grande force. On peut imaginer sans peine que d'autres dieux soient sur le point de refaire surface et que des créatures dans son genre en profitent pour revenir à la vie. Je n'en sais pas plus pour le moment mais on peut s'attendre à ce que ce ne soit que le début d'une longue série.

Et quel début, ajouta-t-il intérieurement. S'il n'éprouvait que de la haine pour ce monstre et ses exactions il devait lui reconnaître une force considérable. Ils n'avaient pas droit à l'erreur sans quoi ils connaîtraient le même sort que la masure qui venait de voler en éclats à deux pas de là. Ses sourcils se froncèrent mais il ne cilla pas plus ; on lui avait appris que garder son sang-froid était la clé de tout. Se laisser mener par ses émotions était dangereux et avait plus de chances de mener à une mort inutile qu'à un franc succès et c'était bien la dernière chose dont ils avaient besoin.
Afin de réprimer sa colère il eut une pensée pour son acolyte et se demanda par quel type de formation il avait bien pu passer afin d'en arriver là. Reprenant son calme, Arsiesys fit appel à son arc dont le contours se dessina entre ses doigts en l'espace d'une fraction de seconde, naissant au milieu d'une gerbe d'étincelles cosmiques. Leste, sa main droite s'éleva à hauteur de son épaule pour n'y rencontrer que le vide. C'est alors que la forme d'une flèche elle aussi de l'or le plus pur sortit de nulle part pour se caler entre ses doigts avant qu'il ne s'en empare.

- Comme tu t'en doutes, j'ai une préférence pour le combat à distance. Et toi, quelle est ta spécialité ?

Si sa voix ne tremblait pas sous le coup de l'émotion on ne pouvait en dire autant de son cosmos. Semblable à un ouragan celui-ci traça autour de lui un halo doré qui gagna en envergure à mesure que les bourrasques cinglantes accompagnaient son envol. Il reprenait de la hauteur mais cette fois ce ne serait pas pour y rester passif. Encochant sa flèche avec une adresse notable il plaça l'une des têtes du monstre dans sa ligne de mire. Pour s'être documenté sur les mythes et légendes étant enfant il savait très bien qu'on ne pouvait en avoir raison sans toutes les détruire en même temps mais le but n'était pas de l'entamer, plutôt d'attirer son attention pour qu'elle s'intéresse à eux et cesse de tout détruire sur son passage. La corde se débanda et le tir fondit en un instant vers sa cible, une déflagration brutale résonnant vers le lointain dès qu'il toucha au but. Méthodique, le Chevalier d'Or préparait déjà une seconde salve au cas où celle-ci n'aurait pas suffi.

Cela ne faisait que commencer...

- Je suppose que tu connais son point faible ? fit-il, donnant de la voix pour couvrir le bruit des explosions.

Ils étaient diamétralement opposés, cela ne faisait plus aucun doute. Si Kahr n'y avait pas la même facilité, Arsiesys avait rapidement déduit qu'ils étaient à peu près du même âge. Une bonne chose se disait-il, car cela favoriserait la communication. Ils partaient sur un pied d'égalité en quelque sorte, une différence à ce niveau ne pouvant que les diviser pour diverses raisons. À l'affût de tout geste suspect, il ne quitta pas des yeux la masse titanesque de la créature. Viser en pleine tête n'était pas le meilleur choix qu'il pouvait faire mais s'il n'utilisait pas les grands moyens il craignait fort que ce ne soit insuffisant pour la détourner de son objectif. Néanmoins, tout un chacun sait qu'avoir une tête tranchée en confère deux nouvelles à l'hydre et c'était ainsi le début d'une complication qu'il n'avait pu qu'anticiper. Il était évident qu'ils ne l'auraient pas du premier coup et que cela arriverait de toute façon. Aussi était-ce un mal pour un bien que de déclencher ce phénomène si cela pouvait la contraindre à s'occuper d'eux en priorité.

- C'est un peu plus compliqué que ça. Qu'elle soit de retour signifie qu'elle a été réveillée par une force suffisante pour la ramener dans notre monde. Je ne t'apprendrai rien en te disant qu'il faut les pouvoirs d'un Dieu pour jouer avec l'espace entre la vie et la mort même s'il ne s'agit que d'une bête. On peut donc supposer que d'autres divinités sont sur le point de revenir à la vie très prochainement et que par conséquent ce n'est pas la dernière que nous aurons à affronter, j'en ai bien peur.

À l'évidence, Kahr n'était pas très au fait de cette anomalie. Il n'avait donc pas fallu longtemps pour que le Sagittaire se résolve à lui donner de plus amples détails à ce sujet. On ne pouvait lui en vouloir de n'en rien savoir puisque le Gold Saint aurait été dans le même cas s'il n'avait pas passé tant de temps à parcourir les écrits mis à sa disposition par le Sanctuaire. Le titre de monstre n'était pas usurpé et même l'action menée avec maestria par l'Oracle n'avait eu que peu d'effet sur sa stature gigantesque. Il faudrait faire mieux que cela s'ils voulaient espérer s'en débarrasser. Si les attaques consécutives l'avaient affaiblie la colère qu'elle nourrissait à présent à leur égard compensait sa perte de puissance. Et il ne ferait pas bon se trouver dans les parages quand cette rage atteindrait son paroxysme...

Si Arsiesys avait été impressionné par le tour de force de son acolyte il ne pouvait toutefois pas se permettre de souffler. Il avait bien failli l'oublier et cela faillit amputer leur tandem de son second membre. Par chance, sur terre comme dans les airs l'archer était doté d'une célérité que peu pouvaient se vanter d'égaler. Fusant à la vitesse de la lumière en concentrant une quantité de cosmos invraisemblable dans son propre corps il se changea en une sorte de météore doré qui percuta de plein fouet l'animal, l'envoyant valser sur le côté en plus de lui infliger une confusion de courte durée. Circuler entre les éclairs avait demandé une précision affolante et il n'en revenait pas lui-même de n'avoir pas une seule fois été touché en cours de route. Mais plus important... Le choc avait été si violent que le sol trembla sous les pattes de la créature, assez pour la déséquilibrer. Voyant là une ouverture parfaite, le Saint arma un tir et propulsa une salve de flèches qui fit reculer l'abomination, sous peine de la faire s'étaler de tout son long.

Aussi brute de décoffrage que soit la bestiole elle possédait un semblant d'intelligence, plus qu'il n'en faut pour savoir que plus on est gros et plus dure et la chute. Assez pour en venir à la conclusion que si elle devait tomber elle ne s'en relèverait pas et battre en retraite pour mieux revenir à la charge une fois stabilisée. S'éloignant à tires d'ailes le Sagittaire retourna auprès de son binôme pour vérifier que celui-ci s'en était tiré sain et sauf. Lui-même y avait laissé des plumes – aussi ironique que ce soit - : son aile gauche s'était tordue au contact de l'hydre et son bras gauche ruisselait d'un flot de sang qui pourtant n'avait pas l'air de l'inquiéter. Néanmoins son attention fut aussitôt attirée par le crâne qui gisait non loin, duquel il s'approcha pour l'examiner de plus près. L'os était d'une blancheur éclatante, comme s'il venait d'être nettoyé pour être le plus présentable possible – ou que cela faisait des millénaires que personne n'y avait touché, si bien que toutes sortes d'insectes et autres charognards s'étaient fait un festin du moindre lambeau de chair. Interdit, le Sagittaire passa la main à sa surface pour s'assurer que ce n'était pas un effet d'optique, même s'il savait d'avance que les apparences n'étaient cette fois pas trompeuses.

- C'est bien ce que je pensais... Ce cosmos que tu as pris. Ressens-le, souviens-t'en. Car le nom de cosmos est bien trop réducteur pour une force aussi prodigieuse. Cette essence est celle d'une aura vieille de plusieurs millénaires. La puissance que les dieux nous ont accordé à nous les hommes n'en est qu'une pâle copie, nous pouvons l'imiter mais jamais l'égaler. C'est ce que l'on appelle le dunamis.

Le cosmos des Dieux, né de leur ichôr... Il n'en savait que ce qu'il avait pu en lire dans les livres mais c'était assez pour avoir froid dans le dos rien qu'à y penser. C'était somme toute un condensé d'essence divine, un don qu'ils n'étaient pas dignes de recevoir. Allumer leur cosmos jusqu'à ce qu'il brûle et explose ne serait pas même suffisant pour l'effleurer ne serait-ce que du bout des doigts. Entrer en contact avec cette énergie débarrassée de toutes les impuretés humaines était comme boire l'eau directement à la source, là où elle est la plus naturelle. Leur énergie n'était qu'une contrefaçon, une réplique artificielle à côté de ce pouvoir ancestral. S'il n'avait pu que le ressentir, Kahr avait eu l'insigne honneur de l'assimiler directement. Ce n'était bien sûr pas suffisant pour s'emparer de ses propriétés mais y avoir droit était déjà un privilège en soi. Combien d'hommes avides de percer les secrets les mieux gardés de la cosmo-énergie ne se seraient-ils pas damnés pour être à sa place ?

Absorbé par ses réflexions Arsiesys ne vit pas venir le coup de dent qui manqua de le faucher – et l'aurait fait s'il ne s'était pas décalé à la dernière minute pour laisser le crâne de la chimère s'encastrer dans le falaise. Si son esquive ne manquait pas de panache il aurait en revanche mieux fait d'en profiter pour dévier la trajectoire de l'attaque, les blocs de terre se détachant à présent pour leur tomber dessus n'étant pas des plus rassurants. S'écartant d'un bond et prenant son envol une fois de plus il s'éleva dans les airs, manquant plus d'une fois d'être frappé par la foudre toujours en activité. Un coup de patte s'abattit sur son dos et menaça de le clouer au sol mais il réussit à s'échapper avant d'être coincé entre le marteau et l'enclume. Une fois la confusion passées ses idées devinrent plus claires que jamais et une idée se mit à germer. Cependant pour sa réalisation il aurait besoin du concours de son camarade et cela incluait qu'il s'en soit tiré. Or le vaste nuage de poussière qui avait envahi le proche périmètre n'aidait pas à se faire une idée de son état de santé... Mais la confiance était de mise, il le fallait. Sans cela, pas de victoire possible.

- Je vais avoir besoin de ton aide. Je vais faire le nécessaire pour la mettre en pièces mais ce ne sera pas suffisant pour la tuer. En revanche ça va l'empêcher de se régénérer pendant quelques minutes et il faudra que tu en profites pour l'attaquer à ton tour. Je ne pense pas qu'on puisse l'éliminer aussi facilement mais cela devrait au moins détruire ses facultés de régénération. Je ne pourrai pas le faire une seconde fois donc tu n'as pas intérêt à manquer ton coup à moins de vouloir savoir si tu croques sous la dent. Je peux compter sur toi ?

Il avait continué de s'élever et se tenait maintenant haut dans les airs – trop pour être atteint facilement. Et même l'importance distance qui les séparait désormais n'était pas un obstacle quand il s'agissait de ressentir l'intense vague de chaleur dont il était l'épicentre, allant même jusqu'à faire croire aux rayons du soleil alors que ce dernier était voilà par les nuages auxquels l'Épervier avait fait appel. Tout allait dépendre de leur coordination à présent...

Allumer son cosmos jusqu'à ce qu'il brûle et explose... C'est ce qu'on lui avait appris voilà des années. Pourtant, ces paroles résonnaient toujours aussi clairement dans son esprit et dans son coeur. Cette fois, déployer sa cosmo-énergie ne serait pas suffisant. Le combat devait le transcender de manière à atteindre le Septième Sens où il pourrait dévoiler toute l'étendue de ses capacités. Se sentir en possession d'un tel pouvoir le déconcertait et sa première crainte fut de blesser Kahr quand sa cosmo-énergie serait à son point culminant et qu'il la relâcherait. Il aurait voulu lui dire de s'éloigner pour ne pas être happé par l'explosion mais rien n'y fit, il était trop enivré par son aura pour réussir à articuler le moindre son. Il avait le sentiment que son corps ne lui appartenait plus mais curieusement cela ne le dérangea pas outre-mesure, car il savait que même s'il n'en avait plus le contrôle Athéna continuerait de soutenir son bras pour qu'il n'emprunte jamais au grand jamais la mauvaise voie. Se rappelant de cette bienveillance, il se rasséréna, certain que quoi qu'il arrive l'Oracle n'aurait pas à être victime de l'attaque qu'il s'apprêtait à exécuter. Une gigantesque sphère s'était mise à croître dangereusement autour de lui, née de toute la lumière qu'il s'était mis à relâcher dès qu'il avait estimé avoir pris assez d'altitude.

Et si la violence que réservait cette arcane ne faisait aucun doute il n'en était pas moins serein, et son visage ne faisait qu'exprimer une intense plénitude. Tout à la création de son attaque, ses pupilles d'azur se posèrent sur Kahr. Avait-il ressenti cette ivresse ? Ou lui était-elle exclusive ? Il ne saurait le dire.Il se sentait faire corps avec l'univers et n'était plus immergé que dans cette sensation de suprématie sur laquelle il n'aurait su mettre de nom si on ne le lui avait pas déjà confié autrefois. Septième Sens. Le plus haut niveau que puisse ambitionner un chevalier, dit-on. Ce n'était pas tout à fait vrai mais il n'avait à l'époque aucun besoin de le savoir... Captivée par le phénomène, l'hydre n'avait pourtant rien perdu de son agressivité et tenté à maintes reprises de le dévorer avant qu'il n'en ait fini avec sa préparation. Seulement, à chaque fois que l'une des têtes rentrait en contact avec la sphère lumineuse, elle était aussitôt désintégrée dans une gerbe de flammes dont l'origine ne faisait pas l'ombre d'un doute. Il avait pris assez d'écart pour que le blond ne ressente qu'avec parcimonie la chaleur accablante dont il était la source mais la créature mythologique en revanche s'obstinait à en faire les frais avant l'heure. Puis, enfin, il sentit qu'un équilibre s'était installé dans le processus. Un déclic lui intima qu'il était temps d'en finir et enfin il put cesser de contenir toute l'énergie qui transcendait son être pour qu'elle déploie toute son envergure.

- Repose en ces terres qui t'ont vue naître et mourir. Infinity... BREAK !

Ce fut comme si le monde prenait fin dans un torrent de passion, une lumière aveuglante, semblable à celle d'un soleil habitant chacune des flèches qui quittèrent son corps pour fuser en tous sens. Les projectiles étaient légions, sans doute plusieurs centaines, et ne fendaient l'air que dans un seul but : celui de réduire à néant l'invraisemblable animal qui avait eu l'idée folle de s'en prendre à leur maître. Chacun de leurs impacts était comme recevoir la brûlure du soleil lui-même et Arsiesys semblait en être devenu un, invisible au milieu de cette déferlante acérée dont il était oeil du cyclone. Lui-même n'aurait su dire ce qui se passait, subjugué par cette force prodigieuse qu'il ne pouvait définir comme étant la sienne. Pourtant, c'était bien le cas. C'était le fruit de son entraînement, ce qu'il avait développé en versant sa sueur et son sang. Tous ces efforts n'avaient pas été vains, et s'il n'avait pas été acculé par ce monstre peut-être n'aurait-il jamais su qu'il était capable de telles prouesses. Perforées de parts en parts, ce ne furent pas les blessures plus mortelles les unes que les autres qui eurent raison de la bête reptilienne mais le surplus de cosmos qu'apportèrent tour à tour chacun des traits qui la perforèrent. Le Dunamis qui l'avait ramenée à la vie se mit à bouillonner et, ne pouvant en supporter davantage, anéantit son enveloppe charnelle restaurée pour n'en plus laisser que des cendres bientôt emportées par le vent.

Puis, le silence retomba comme une chape de plombs. Si l'on parle souvent du calme avant la tempête, on parle rarement de celui après, qui est pourtant bien plus appréciable. Vidé de ses forces, Arsiesys tomba comme une massage depuis les hauteurs où il s'était réfugié le temps d'en finir et s'écrasa de tout son poids, n'étant freiné que par l'unique battement d'ailes qu'il eut la force de produire avant de toucher terre. Pourtant, même si son corps avait creusé un cratère de petite envergure en s'écrasant au sol, il se sentait empli d'un bien-être rarement égalé. Ses réserves d'énergie ayant été vidées intégralement par ce tour de force, il était momentanément on ne peut plus humain. Cela le délestait, même provisoirement, du poids de ses responsabilités et il voyait là une expérience agréable. Il avisa l'oracle du coin de l’œil en dépit du fait que sa vision soit en train de se brouiller sous l'effet d'une fatigue grandissante. Le combat était-il vraiment fini ? Il n'en savait rien, mais faisait confiance à Kahr et lui laissait le reste sans être inquiété de ce qu'il en ferait. Il n'aurait plus qu'à finir le travail. Confiant, il cessa de lutter contre l'épuisement et sombra dans l'inconscience...