Pas facile d'être l'émissaire d'un Dieu aussi exigeant qu'Apollon.

Kahr avait pris ses quartiers dans la Tour de l'Ouest et y officiait en tant que Gardien depuis peu. Il n'ignorait pas que le monde était en pleine révolution et que si le royaume des hommes connaissait une importante mutation c'était encore plus le cas des affaires divines. Les prémisses des différents éveils n'avait pas échappé à celui qui demeurait le Chevalier connu le plus ancien à être en activité.
Voilà une dizaine d'années que le jeune Kahran Ramsus avait été jusqu'à abandonner son identité pour endosser la Chlamyde et devenir l'Oracle du Dieu solaire. A l'époque, ses fonctions se limitaient à quelques actions d'éclats lors de grande campagne romaine mais jusqu'à présent il n'avait pratiquement jamais rencontré d'autre chevalier. C'était donc soulagé et curieux qu'il s'était réveillé ce matin...

Flavia était venu le voir la veille en lui apportant un message d'Apollon. Cela faisait plusieurs mois qu'il n'avait pas eu de nouvelles, plusieurs mois d'incertitudes... Il faut dire que l'Augure avait été jusqu'à remettre en cause les choix de son dieu tutélaire en lui mettant le nez sur l'évidence : ils devaient réagir sous peine de disparaître. Les choses commençaient donc enfin à bouger.
Kahr n'ignorait pas qu'Apollon avait débuté voilà plusieurs années l'éveil des autres Oracles. Kahr n'était que le premier, celui que l'on forme rapidement afin qu'il puisse encadrer au mieux ses congénères. Mais cela serait-il suffisant ? Il avait débuté son entraînement à l'âge de 13 ans ce qui était vieux pour un Chevalier. Il n'ignorait pas que, contrairement à lui, certains hommes et femmes s'étaient entraînés depuis des dizaines d'années pour obtenir une armure.
C'était le cas de celui qu'il attendait aujourd'hui...

Vêtu de sa Chlamyde aux couleurs noirs et cuivrés il patientait sur l'un des nombreux pallier de la Traversée des Astres. Son casque tenu dans le creux de son bras, le vent soufflait ses cheveux et sa cape. Un vent d'Est, un vent annonciateur de changement qui accompagnait l'aube d'une nouvelle ère. Les feuilles séchées de menthe avait un goût acre aujourd'hui. Il avait su défier un Dieu pour imposer ses vues, saurait-il se faire entendre des autres Oracles ? Qui étaient-ils ? Des guerriers sanguinaires venus pour éliminer froidement les adversaires de son maître ? Des gardiens dévoués et loyaux jusqu'à la mort qui ne tolérerait pas la façon dont l'Augure estimait son Dieu ?
Tant de questions à se poser et aujourd'hui se profilait enfin un début de réponse.

Le murmure qui accompagnait le vent d'Est débuta... Une silhouette se dessinait dans l'ombre des grands arbres qui agrémentait le Palatin. Kahr ressenti la cosmo-énergie de celui qu'il attendait. La chaleur qui s'en dégageait lui fit froncer les sourcils. Il tira une profonde bouffée de la feuille de menthe séché et expira la fumée qui fut emporté dans le vent de plus en plus fort. Sans encore distinguer l'homme, il se décida à prendre la parole.

- Il est temps que le Soleil se lève, baigne les peuples de sa lumière, éblouisse les infidèles et consume nos adversaires. Viens à moi Oracle !

Revêtu de sa Chlamyde du Faucon d'Aphélion, Magnus devait maintenant venir prendre sa place dans le sanctuaire d'Apollon et rencontrer enfin l'Augure. Il était temps d'accomplir son devoir, sa raison d'être dans ce monde depuis sa naissance. Bercé par les rayons du soleil levant, Magnus sentait la puissance l'envahir, un peu comme si Apollon lui-même le renforçait grâce au soleil. Il s'était entraîné depuis ses huit ans et cela sans arrêt jusqu'à ses seize ans, moment où il intégra l'armée romaine. Malgré les nombreuses victoires sur les champs de bataille, il continua à s'entraîner en marge de cela durant encore huit ans pour finalement obtenir sa Chlamyde. Evidemment, la différence entre un combat contre un serviteur divin et de simples hommes était énorme, voir même incommensurable. Il savait qu'en revêtant cette Chlamyde, les choses se compliqueraient énormément pour lui et que les virer dans les tavernes le soir risquaient de devenir bien plus rares malheureusement. Quoiqu'il en soit, il ferait son possible pour protéger la volonté d'Apollon et ceux qu'il bénit de sa lumière. Les dieux s'éveillaient un peu partout et même si le Dieu Soleil n'était pas du genre à se lancer dans des guerres inutiles, il était important de ne pas gâcher les bienfaits qu'il avait accordé au peuple romain et aux hommes.

Le retour vers Rome fut assez silencieuse, Marcus essayant à plusieurs reprises d'aborder l'importance de ne pas garder les habitudes festives que Magnus avait pris dernièrement, surtout lorsque les gens sauraient qu'il était maintenant un Oracle d'Apollon. L'Empire romain se détournait doucement des anciens dieux pour commencer à croire en la présence d'un dieu unique mais bon, c'était sans doute une façon de renier la dette qu'ils avaient envers les dieux bienfaisants qui les avaient aidé à des moments cruciaux de leurs vies. Si les informations de son maître étaient exactes, les guerres saintes n'allaient pas tarder à revenir sur terre et à ce moment-là, les hommes seraient bien obligés de reconnaître l'importance d'honorer leur dieu protecteur comme sa mère lui avait toujours appris à le faire. L'arrivée à Rome se passa sans grande effervescence, les deux hommes prenant un passage peu fréquenté pour rejoindre le Palatin. Il faut dire que Marcus connaissait la cité comme sa poche et qu'il pouvait apparaître devant vous sans que vous ne vous en rendiez compte, un peu comme un fantôme. Il avait d'ailleurs plusieurs fois surpris Magnus dans des positions embarrassantes avec la gente féminine.

Lorsqu'ils arrivèrent au Palatin, Marcus se retira en lui rappelant de bien se comporter en présence de l'Augure, ce dernier étant tout de même le représentant terrestre d'Apollon. Afin de garder l'aspect solennel comme lorsqu'on se présente devant un supérieur dans l'armée, Magnus retira son casque en parcourant le Palatin, le soleil levant éclairant son chemin en direction de celui qui allait lui transmettre la parole de son dieu. Les rayons du soleil se reflétaient sur son armure étincelante, un peu comme si il était un prolongement du soleil lui-même. Il pouvait maintenant voir celui qui était venu l'accueillir, ce dernier portant tout comme lui sa Chlamyde sauf que contrairement à la sienne, elle était de couleur noir et très sombre, un peu comme si leurs deux Chlamydes étaient en parfaite opposition, un peu comme le levé et le couché du soleil. L'homme lui lança quelques mots pour l'inviter à le rejoindre et qu'ils se rencontrent enfin face à face, ce à quoi Magnus répondit en approchant. Il put finalement distinguer clairement son interlocuteur et posa le genoux devant lui en s'inclinant. C'était donc lui l'Augure d'Apollon, celui qui lui transmettrait les paroles de son dieu. A le voir comme ça, il n'avait pas l'air très impressionnant mais bon, il était bien placé pour savoir que la force d'un homme ne se mesurait pas à son physique ou même à sa taille car après tout, il n'avait jamais perdu le moindre combat sur les champs de bataille durant les années où il avait servi Rome.

« Le Soleil m'a guidé jusqu'ici pour exhausser la volonté d'Apollon. Je suis Magnus, Oracle du Faucon d'Aphélion et gardien de la Tour de l'Est. Je suis à votre service. »

Il baissa humblement la tête comme il l'avait toujours fait en pareil circonstance durant quelques secondes afin de marquer son allégeance. Il releva ensuite la tête pour voir un peu mieux l'allure générale de l'Augure qui semblait être tout comme lui un Oracle d'Apollon. Le vieux Marcus ne lui avait pas précisé ce détail mais bon, cela semblait assez logique vu qu'il était toujours difficile pour quelqu'un de se faire obéir si il n'avait pas la force de faire appliquer ses commandements. C'était sans doute pour cela que l'incompréhension entre les armées romaines et les politiques du Senat devenait aussi grande et que l'Empire romain touchait doucement à sa fin. En tout cas, Magnus comptait bien faire son possible pour que les bienfaits du Dieu du Soleil, de l'art et de la musique ne soient pas perdus au profit de peuples barbares. Il lui restait toutefois une interrogation à laquelle il voulait une réponse car après tout, il était essentiellement venu pour cela.

« Augure, quelles sont les instructions de notre Dieu dans la crise touchant ses terres ? »

Kahr garda un visage stoïque, totalement fermé à l'encontre de l'Oracle qui se présentait à lui. Gardien de la Tour de l'Est il était en toute logique son exact opposé et ce n'était pas peu dire. Magnus semblait être quelqu'un d'agréable et même un homme peu concerné comme Kahr ne pouvait que remarquer la beauté de ses traits, de plus quelque chose en lui le rendait agréable, amical comme la caresse du soleil du matin...
A l'inverse Kahr était froid, fermé, même s'il n'était pas non plus laid à se faire jeter des pierres son attitude, plus que son physique, le rendait repoussant pour la gent féminine à l'exception de Flavia qui ne voyait en lui que l'homme choisit par son frère pour les guider.

Il se présenta en s'inclinant et en expliquant qu'il était à ses ordres. Pas franchement enclin à se voir comme un meneur charismatique, Kahr se contenta de hausser un sourcil en tirant une bouffée de la feuille de menthe séchée qu'il avait en bouche. Il expira la fumée sans en dire davantage, l'armure étincelante du Faucon était à elle aussi l'exact opposé de la sienne. Il ne put s'empêcher de porter un regard sur son casque noir rehaussé de cuivre. Il était l'Oracle du Crépuscule avant d'être Augure mais jamais il n'avait été autant frappé de cette évidence. Toujours aussi solennelle.

- Je suis Kahr, Oracle de l’Épervier du Zéphyr et Gardien de la Tour Est avant d'être l'Augure. Sois le bienvenue au domaine d'Apollon...

Kahr tira une longue bouffée avant d'écraser la menthe sous son pied. Quelque chose changea en lui et il sembla s'affaisser sous le poids de son armure.

- Inutile de se faire des ronds de jambes plus longtemps. Relèves toi, t'as l'air d'un con ainsi agenouiller. A partir de maintenant tu ne plieras plus que devant ton Dieu, pas même devant moi.

Pas un sourire pour son congénères, il se contenta de mettre son casque tout en balayant du bras le point de vue sur la Traversée.

- Les instructions... Bien sûr... Pour le moment il est essentiel de nous rassembler, j'espère que tu n'es pas pressé. Ca fait huit ans que je glande au Palatin en cherchant à m'occuper, les rares missions que donne le Dieu Solaire ne concerne que des conneries comme "va aider une troupe de théâtre en difficulté" ou "un malheureux peintre a des problèmes avec ses usuriers". A un moment je me suis même demandé s'il n'allait pas m'envoyer chercher trois pinceaux pour le premier connard qui voulait poser sa merde sur une toile. Aller, suis-moi.

Chassez le naturel... Kahr se conforta dans l'idée qu'il n'avait pas à faire d'effort, même avec les autres Oracles. Si Apollon souhaitait qu'il soit son Augure alors il le serait, mais le caractère entier de l’Épervier le rendait mal à l'aise dès lors qu'il s'efforçait de se coller au protocole et à l'étiquette... Il commença à monter les marches de la Traversée.

- Mais les choses changent... Apollon m'a demandé de prendre en charge nos futures missions, il est incapable de voir que son Empire se casse la gueule et il ne se méfie de rien ni de personne. Ce n'est pas mon cas. Je pense qu'une visite en Grèce s'impose. Athéna reste silencieuse et ne nous vient plus en aide depuis trop longtemps pour que l'on continue à la qualifier d'allié. La Grande Ourse n'a jamais autant brillé dans le ciel ce qui signifie qu'Odin c'est éveillé lui aussi. Je ne te parle même pas des autres Dieux grecs... Le travail ne manque pas, mais pour l'heure tu dois avoir des questions. J'ignore comment c'est passé ta formation et je ne sais pas encore si Apollon t'as demandé de venir à lui pour le rencontrer. Cela fait plusieurs mois que je ne l'ai pas vu, mais.... Tu peux toujours tenter ta chance.

La présentation fut assez expéditive et l’homme en face de Magnus ne semblait pas très porté sur le protocole militaire. En soi, ce n’était pas un réel problème mais bon, il semblait être très éloigné de la description qu’en avait fait Marcus. Une relation d’égal à égal entre eux n’était pas pour lui déplaire même si en apparence peut-être seulement, Kahr ne semblait pas très détendu comme personne, bien au contraire. Il donnait l’impression d’avoir le poids du monde sur ses épaules et des soucis insurmontables. En tout cas, il savait maintenant qu’il était le gardien de la Tour de l’Ouest, c’est à dire celle à l’opposé de la sienne. Au final, il était les plus éloignés l’un de l’autre au niveau des demeures mais bon, rien ne les empêchait de se retrouver pour faire un peu la fête si bien sûr, il lui arrivait de se décrisper un peu, chose pour le moins incertaine. Selon son désir, Magnus se redressa, le visage souriant comme toujours lorsqu’il ne combattait pas et vu que le jeune homme remettait son casque, il fit de même. Il n’y avait pas à dire, il avait la classe dans sa Chlamyde et il préférait de loin la sienne, claire et lumineuse, à celle de Kahr qui était sombre et parsemé de couleurs comme la fin d’un coucher de soleil. Il allait tout de même être difficile de le convaincre de venir s'amuser avec lui, même si Apollon n'avait pas besoin d'eux vu son air si sérieux.

Finalement, il répondit à la question de Magnus sur les intentions de leur Dieu et le Faucon dut admettre qu'il ne s'attendait absolument pas à cette réponse, Kahr semblant avoir quelques doutes sur l'importance des préoccupations d'Apollon et l'utilité de leurs interventions auprès de la population de l'Empire romain. C'est vrai que ce n'était pas des plus gratifiant d'aider une troupe de théâtre mais bon, cela devait être très amusant. L'homme aux cheveux argentés avait d'ailleurs déjà songé à jouer dans une pièce mais bon, son père n'était pas vraiment du genre à le laisser faire aussi facilement, malgré la volonté de sa mère de lui faire étudier l'art et la musique. Au final, la seule chose qu'elle n'avait su réfuter était l'aspect non-artistique d'une pièce centrée sur un cochon et une chèvre qui se disputent. Sans doute que si il avait voulu jouer dans une pièce de théâtre un peu plus sérieuse, son père n'aurait pas trouvé de prétexte pour s'y opposer. Quoiqu'il en soit, tout cela était du passé et d'un côté, il était un peu content de voir que le Dieu qui avait offert la culture aux hommes s'en préoccupait encore sans que ceux-ci ne s'en rendent compte. Evidemment, pour un Oracle à qui on répète tous les jours qu'il devra combattre pour Apollon, cela doit faire un choc au début ce genre de missions ridicules. D'ailleurs en y repensant, Magnus ne put s'empêcher de sourire en imaginant la tête de Kahr lorsque leur Dieu le lui a demandé, cela devait vraiment valoir le détour. En tout cas, huit ans d'attente devait certainement paraître bien long, surtout si on ne sait pas profiter des plaisirs simples de la vie et qu'on prend tout au sérieux. Cela avait du être dur pour l'Augure.

« Je compte bien m'offrir quelques soirées dans la Cité, c'est que j'ai des besoins moi. »

Même si cela ne faisait pas des plus sérieux, il valait mieux mettre directement les choses au clair car si lui avait su rester autant d'années à croupir dans sa tour, cela n'allait certainement pas être le cas de Magnus. Son devoir lui tenait à coeur mais ce n'était pas une raison pour rester cloîtrer en attendant un signe, après tout, un Dieu doit pouvoir transmettre un signe aussi bien dans une tour que dans une taverne sinon, il aurait légèrement usurpé son titre de divinité. En tout cas, il continua à suivre le blond qui était devant lui, gravissant les marches de la Traversée. Ce dernier parla de choses un peu plus préoccupante et surtout importante, précisant qu'Apollon avait décidé de lui laisser le soin d'être sa méfiance incarnée et de faire ce qu'il ne voulait visiblement pas faire. D'un côté, il lui déléguait un peu les tâches ingrates car être la voix de la suspicion n'était pas un travail facile à porter. Dans cette optique, Kahr parla de rendre visite à Athéna et cela ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd. De nombreuses rumeurs couraient sur la réincarnation de la Déesse de la sagesse et Magnus était très intéressé de savoir si sa beauté n'était pas exagérée. C'était sans doute une occasion unique de se faire une idée de la différence entre une déesse et une femme normale. Rien qu'à cette idée, il ne put s'empêcher d'imaginer tout un tas de choses pas très morale mais bon, il restait un homme avant d'être un Oracle. Perdu dans ses pensées perverses sur Athéna, il n'écouta que d'une oreille la suite de la discussion sur Odin et les autres dieux. Le Faucon ne revint sur terre que lorsque Kahr s'adressa directement à lui, demandant si il avait des questions ou même si il voulait tenter de voir Apollon, sous-entendant sans détour que même lui ne l'avais plus vu depuis longtemps.

« Ca promet des journées amusantes tout ça. J'ai hâte de voir cette Athéna en personne. Pour les questions, j'en ai effectivement quelques unes mais bon, je ne suis pas pressé d'avoir mes réponses. Ca nous fera des sujets de conversation si on doit attendre encore huit ans. Ahahahahahahah ! Pour ma formation, je suppose que c'est pareil pour tout le monde, un vieux barbu m'a torturé pendant des années mais bon, en fin de compte, même si il est un peu bizarre, il est gentil. Je ne pense pas qu'il soit utile que je rencontre Apollon pour le moment, je peux attendre qu'il veuille me voir lui-même, cela n'ébranlera nullement ma conviction. Au fait, je me posais une question, on peut toujours quitter le domaine d'Apollon pour se détendre un peu ou on doit faire venir la distraction à nous ? D'ailleurs, c'est pas étrange qu'il n'y ait que nous ici ? J'imaginais assez Apollon avec plusieurs femmes personnellement vu ses servantes dans ses temples. Enfin bon, je parle, je parle mais j'aimerais te poser une dernière question. Il ressemble à quoi, toi qui l'a vu ? »

Cela ressemblait plus à une question rhétorique qui aurait très certainement une réponse évasive, voir même totalement floue comme « grand, cheveux blonds, yeux verts », le genre de description qu'on fait et qui finalement, ne renseigne absolument pas sur ce que l'on veut savoir. Evidemment, c'était plus le niveau de beauté d'un dieu qui l'intéressait car cela lui permettrait d'extrapoler un peu pour Athéna mais bon, il valait mieux taire ce genre de fantasme pour le moment, surtout que vu la hargne de Kahr envers celle-ci, on risquait fort bien de ne plus la voir comme une amie très longtemps. En tout cas, tout cela l'amusait beaucoup et même si il se doutait que les choses difficiles et douloureuses allaient venir tôt ou tard, il n'était pas du genre à se préoccuper de cela pour le moment. Lorsqu'une bataille s'annoncerait à l'horizon, il serait toujours temps de se montrer sérieux.

Kahr se contenta d'un soupir et d'un bref coup d’œil à travers son casque intégrale. Il demandait des guerriers et voilà qu'on lui envoyait un bourreau des cœurs. Lui et l'Oracle du Faucon était définitivement diamétralement opposé et pas uniquement sur la couleur de leurs armures. Car s'il y a bien une chose avec laquelle l’Épervier ne plaisantait pas c'était les femmes. L'éducation de Demetra lui avait fait apprécier les femmes fortes qui avaient du caractère et qui n'irait pas se vendre au premier venu. Une denrée relativement rare à une époque aussi troublée.
Il préféra ne pas relever la remarque et machinalement il alluma à nouveau l'une de ses tiges en herbe séché dont il inspira une profonde bouffée. Il grimaça quand la fumée lui arriva au niveau des yeux mais habitué, il se contenta de répondre aux questions du nouvel arrivé.

- On ignore encore si Athéna c'est réincarné en fait. Mes sources m'ont expliqués que de plus en plus d'armures trouvent porteurs rien de plus, à nous de faire le nécessaire pour en savoir plus.

Son regard se perdait dans le vague à mesure de leur ascension. Les marches blanches de la traversée devenaient de plus en plus nettes et l'usure des premières marches avait à présent disparu. La végétation se faisait davantage luxuriante et si la chaleur était étouffante sur le Palatin, un léger vent commençait à se lever.

- A quoi ressemble Apollon... A un rouquin, imberbe un peu chochotte sur les bords. Tout du moins physiquement. La vérité c'est que lorsqu'il est face à toi et qu'il te fixe de son regard orange tu ignores si tu parviendras à échapper à l'étouffante pression de sa cosmo-énergie. Sa voix semble résonner tout autour dans la pièce et il lui arrive fréquemment de te parler sans même remuer les lèvres.
C'est un Dieu, il veut être sûr qu'on le sache et ne fait pas beaucoup d'effort pour le dissimuler. La seule retenue qu'il s'impose vient de son pouvoir. Si il libérait sa puissance, son Excellence serait capable de nous pulvériser rien qu'en se trouvant dans la même pièce que nous.

Il se rappela sa première rencontre avec Apollon alors qu'il n'avait que 13 ans. A l'époque il s'était senti défaillir tandis que l'éphèbe lui parlait. Il n'avait compris que tardivement, lors de son entraînement dans les Pyrénées que ce trouble était venu de la cosmo-énergie du Dieu solaire qui à l'époque c'était efforcé de ne pas annihiler le jeune homme.

Petite pensée pour Flavia... Ca expliquerait beaucoup de choses...

- Et pour répondre à ta question. Les distractions sont bien présentes. Son Excellence raffole des soirées de l'Empire mais toujours au Palatin. La Tour des Quatre Vents est un domaine sacré accessible uniquement aux Oracles et servants d'Apollon.

Il se stoppa net se tourna vers Magnus qu'il contempla de toute sa stature. Son air devint plus mauvais...

- Tes nuits t'appartiennent et tu es libre de trousser toutes les morues que tu parviendras à attraper. Cependant, ramènes en une à ta Tour et je m'arrangerai personnellement pour te faire bouffer tes attributs et faire de toi l'Oracle du Chapon. J'espère avoir été clair.

A première vue, son nouvel ami ne semblait pas être du genre à s’amuser très souvent et son soupir lorsque Magnus parla de ses besoins en disait long sur les huit années qu’il avait passé dans le domaine d’Apollon. Dans un sens, il ne pouvait qu’avoir pitié du pauvre homme mais bon, chacun menait sa vie comme il l’entendait et ce n’était certainement pas à lui de juger de cela. Par contre, le fait qu’il ignorait si Athéna s’était réincarnée ou non, était quelque chose d’assez dérangeant, lui qui avait toujours voulu voir la beauté d’une déesse, cela risquait d’être compromis. Tout d’un coup, l’idée de se rendre au sanctuaire d’Athéna perdait de son intérêt. Cependant, vu que tout comme les Oracles d’Apollon qui s’éveillaient peu à peu, les chevaliers d’Athéna commençaient à se réunir, il y avait de grandes chances que quelque chose se passe dans les prochaines années et ce n’était pas pour déplaire au Faucon qui souriait comme si il venait d’apprendre une excellente nouvelle. Il se demanda toutefois comment ils allaient bien pouvoir gérer tout cela à deux seulement car pour le moment, il ne semblait y avoir personne d’autre dans le domaine d’Apollon.

Continuant leur ascension des marches, Kahr commença à décrire leur Dieu de façon assez surprenante. A l’entendre, on aurait plutôt dit qu’il décrivait Cupidon, le bébé porteur d’amour. D’un seul coup, ses rêves concernant Athéna se fanèrent légèrement, comprenant que finalement, la réincarnation d’un dieu ne voulait pas dire qu’il serait aussi beau que cela. L’espace d’une seconde, une affreuse image d’Athéna lui vint à l’esprit, un espèce de parallèle avec la description succincte qu’il venait d’entendre sur le frère de celle-ci, une gamine rousse sans forme et aussi alléchante que les prisons du Colisée. Bien qu’il chassa vite cette idée de sa tête, le mal était fait et l’intérêt qu’il avait pour la beauté de la Déesse de la Sagesse s’estompa petit à petit. Apparemment, le plus oppressant chez Apollon n’était pas son allure mais plus sa puissance, il faut dire qu’il s’agissait tout de même d’un dieu et par conséquent, il devait être capable d’éliminer tout chevalier se mettant sur sa route. Tout cela s’annonçait très intéressant et même si l’idée de le voir ne l’emballait pas plus que cela, ressentir cette puissance écrasante devait être une chose unique. Il avait toujours combattu en survolant les combats, ne risquant jamais sa vie vu la différence de force et de technique. Rencontrer un être capable de lui faire ressentir la fin sans même le toucher était quelque chose d’impensable et de terriblement excitant à la fois.

« Pulvériser ? Espérons que cela n’arrive pas. Le sang fait des tâches très difficiles à enlever. En tout cas, tu as éveillé ma curiosité. »

A le voir sourire tout le temps et à l’entendre prendre tout à la légère, on pouvait croire que Magnus était quelqu’un de laxiste ou même de pas concerné mais bon, chacun avait sa façon de gérer les choses et il n’était pas le genre d’homme à prévoir trente-six coups à l’avance alors que la partie n’a pas encore commencé. En attendant ce moment, il comptait bien agir comme d’habitude et se faire plaisir avant tout. Kahr lui expliqua qu'il y avait moyen de se distraire et que d'ailleurs, Apollon était assez friand de ce genre de soirées également, mais ne quittait pas pour autant le Palatin. Cela le rassura un peu car il y aurait donc des occasions de faire la fête comme des dieux et cela s'annonçait très amusant. Il savait très bien que les servantes d'Apollon étaient des créatures magnifiques et leur tenir compagnie ne pouvait être qu'agréable. Cependant, son nouvel ami lui précisa tout de même que malgré cette grande liberté qui lui était offerte, il était hors de question de ramener une femme dans sa Tour, au risque de le voir perdre un morceau important de son anatomie. Visiblement, il ne plaisantait pas le bougre et son regard traduisait l'entière vérité de ses propos. Gardant son sourire innocent, Magnus essaya de le rassurer un peu, histoire qu'il ne se fasse pas trop de fausses idées.

« Ne t'inquiète pas, je ne laisserai personne entrer dans la Tour que je garde. Il faut apprendre à te détendre un peu, c'est mauvais pour la santé de trop s'en faire. En plus, si Apollon lui-même aime ce genre de soirées, c'est que ce n'est pas si mauvais non ? J'ai hâte de rencontrer les demoiselles magnifiques qui viendront à la prochaine. Et tu devrais être plus poli, les femmes sont toutes belles, mais chacune à sa façon. Tu ne trouves pas ? Etre Oracle ne doit pas nous priver des plaisirs humains sinon, nous oublierons même pourquoi on se bat. En tout cas, je sens que je vais me plaire ici. »

C'est le sourire aux lèvres qu'il s'approcha d'un parterre de fleurs, cueillant la plus belle d'entre elles avant de se relever pour la porter à son visage et en sentir le délicieux parfum. Après tout, comme les femmes, toutes les fleurs sont belles et chacune à ses qualités. L'important une fois qu'on a compris cela, c'est de choisir celle qui rassemblent les qualités qu'on apprécie plus que les autres. Même Kahr devait avoir un style de fleur et tôt ou tard, il laisserait échapper des indices permettant à Magnus de lui trouver celle qui ferait vibrer son petit coeur actuellement bien sec. Quoiqu'il en soit, il devait très certainement être temps pour lui de prendre place dans sa Tour et d'y amener quelques objets indispensables comme son orgue, histoire de jouer un petit morceau de musique dans ce lieu magnifique. Peut-être que cela rendrait le gardien de la Tour de l'Ouest un peu plus enclin à sourire qui sait. Le Faucon se retourna en direction de son congénère, la fleur à la main, pour les poser les dernières questions qui lui venaient à l'esprit.

« Au fait, je suppose qu'un peu de musique dans ce paradis ne dérangera personne ? C'est que ça me détend énormément. Si ça va, j'amènerai mon orgue tout à l'heure, histoire de jouer une petite mélodie qui te redonnera le sourire. »

Kahr se contenta de faire claquer sa langue en écoutant les paroles de Magnus. Avait-il déjà pris les choses avec autant de légèreté ? Pour autant qu'il s'en souvienne, il avait toujours été quelqu'un de sérieux. Solitaire par nature et par destin, il avait mal vécu lors de ses jeunes années son isolement. Puis, finalement, au contact de Demetra il avait compris qu'il s'agissait là d'une force dont il pouvait se prévaloir. Ne jamais compter sur les autres pour être sûr que jamais ils ne lui feraient défauts. La liste des raisons pour lesquels "il ne fallait pas le mettre Augure" était longue, mais Apollon avait fini par le convaincre de certaines choses.

- Effectivement, Apollon aime ses soirées. Il aime aussi la musique et les arts. Comme toi il aimerait se balader ici en cueillant les fleurs et en pensant à la beauté de ses servantes. Je ne doute absolument pas que tu sois à l'image d'Apollon.
Cependant, gardes en tête que tu nous avons chacun en nous une facette de son Excellence. Si tu en as son goût pour la vie, demande toi laquelle j'ai. Alors peut-être tu comprendras pourquoi j'aimerai bien que l'on se grouille de monter à ta Tour, pourquoi je te menace au cas où tu considères ta Tour comme lupanar et non comme le dernier rempart entre notre Dieu et ses adversaires.
Poses-toi juste cette question Magnus...

Ils arrivaient en haut de la Traversée des Astres, la croisée des chemins pour les deux individus qui allaient à présents rejoindre leurs tours respectives dans un seul et même but : protéger Apollon.

- Tu es libre d'aménager ta Tour selon ta convenance. A mes yeux tu es libre d'en faire ce que tu souhaites tant que tu empêches nos adversaires de la traverser. Ne te repose pas sur l'honneur et autres conneries. Il n'y a que la victoire qui compte et peu importe les moyens que nous utiliserons : nous l'atteindrons.

Kahr tendit le bras vers Magnus afin de sceller ses dernières paroles dans un acte solennel. Ces yeux indigo affichaient toujours la même lassitude mais quelque chose en lui le faisait paraître plus grand, plus avenant... Comme si le reflet du Soleil dans ses cheveux d'or lui permettait de finalement prendre la place qui était réellement la sienne.

Le jeune homme n'avait pas pour habitude de se prendre la tête à longueur de journée et visiblement, selon les dires de Kahr, Apollon était dans le même genre que lui. Il est vrai que profiter des bonheurs simples de la vie peut être parfois mal perçu mais au final, la vie reste ce que l'on en fait et si on profite pas du moment présent, à quoi bon se battre pour prolonger son existence quelques jours de plus. Son attitude pouvait facilement se retrouver dans un des poèmes d'Horace, « Carpe diem quam minimum credula postero ». Cette simple phrase certainement inspirée par Apollon lui-même, pouvait résumer toute l'existence de Magnus et il ne comptait certainement pas changer après être devenu Oracle. Certes il avait maintenant beaucoup plus de responsabilités, mais il n'était pas du genre à oublier pourquoi il fallait se battre et surtout, ce qu'il avait à protéger. L'Oracle de l'Epervier semblait assez crispé et alla même jusqu'à le mettre en garde en lui rappelant l'importance de son poste et le rempart qu'il était maintenant pour la sauvegarde de leur Dieu. En tout cas, il ne semblait pas avoir hérité de la facette la plus joyeuse d'Apollon et continuant à gravir les marches, ils arrivèrent finalement en haut de la Traversée des Astres.

Ses paroles sur l'honneur n'étaient pas vraiment quelque chose qui concernait Magnus vu que lors d'une bataille, il faisait tout ce qu'il devait faire pour gagner, n'hésitant pas à massacrer femmes et enfants si cela était nécessaire à la victoire. Pour cela, on pouvait dire que son sens du devoir était sans la moindre faille et qu'il savait parfaitement détacher le plaisir du devoir. C'est principalement pour cette raison que le jeune homme avait finalement refusé toute action offensive dans l'armée romaine et qu'il se contentait des batailles défensives. Il se connaissait trop bien pour ne pas se rendre compte qu'une fois sur le champ de bataille, voyant l'ennemi se cacher parmi la population ou même se servir d'elle pour s'approvisionner, il n'hésiterait pas à réduire à néant cet avantage stratégique pour gagner à coup sûr. Il l'avait déjà fait par le passé et même si il n'y prenait aucun plaisir, lors d'un combat, le gagnant vit et le perdant meurt, c'est la règle des soldats. Les paroles de Kahr semblaient aller dans le même sens que cela, la même vision qui transcende et transperce ce qu'il y a sur le chemin qui empêche de voir plus loin. Magnus empoigna l'avant-bras tendu de son nouvel ami, son regard se faisant d'un coup bien plus sérieux.

« Il n'y a aucune raison pour que nous connaissions la défaite. La victoire est la seule voie à suivre qui ne mène pas à une impasse. Ma Tour sera un rempart infranchissable. »

Le jeune homme aux cheveux argentés regarda une dernière fois Kahr, relâchant son bras en souriant. Son regard s'était fait presque sanguinaire l'espace d'un instant, un peu comme si la moindre personne qui essayerait de franchir sa Tour, se retrouverait en lambeaux. Il retrouva toutefois rapidement son attitude désinvolte et se dirigea vers sa Tour en tournant le dos à l'Oracle de l'Epervier, faisant un petit geste de la main sans se retourner pour lui souhaiter une bonne journée. Les choses allaient être passionnantes à partir d'aujourd'hui et il avait hâte que les autres gardiens se montrent pour connaître ceux aux côtés desquels il se battra pour Apollon.