Revenons plusieurs années en arrière. Reculons de dix ans en arrière, soit exactement en l'an quatre cent quarante après Jésus-Christ. A cette époque, notre protagoniste était un jeune garçon de six ans, et dont le physique était approximativement celui de ses seize ans actuels. Fragile, svelte, et une petite taille qui le séparait nettement du monde des adultes. Il n'était pas encore Noxius, car n'avait encore connaissance de la cosmo-énergie et de la grande armée des chevaliers d'Athéna. Il était Démosthène, innocente créature adorable et dont la souffrance n'avait pas encore atteint son paroxysme. C'était un gamin parmi tant d'autres, qui s'amusait dehors lorsque l'occasion se présentait, riant et souriant en courant en plein air. A ce moment-là, la vie du frêle personnage allait prendre un tournant plutôt tragique. Son père, ancien soldat de la fameuse armée de l'Empire Romain, avait placé de nombreux espoirs en sa progéniture. Il voyait en lui un successeur des précédentes générations de guerriers dans la branche paternelle de la famille. Une addition d'hommes valeureux, forts et connus pour leur aisance et leur prestation sur le champ de bataille. Des guerriers au sang-froid exceptionnel, que pas même le froid, la peur, ou bien les grandes armées adverses ne faisaient reculer. Mais Démosthène n'était pas de la trempe de ses ancêtres. Son corps n'était pas fait pour porter le glaive, pour faire couler le sang avec bravoure. Son esprit était trop frêle pour trouver la volonté et le courage nécessaire au titre de soldat. Son père, durant le début de cette période, tenta tout d'abord de faire abstraction de ces quelques "fioritures" et suggéra de laisser le temps répondre à ses attentes.

Pour faire, le père décida d'emmener son fils et sa femme en voyage. Le séjour serait certes plus court que le trajet, mais qu'importe, il désirait avant tout que sa petite famille puisse voir du pays. L'Empire Romain était encore vaste, et profiter de sa grandeur serait une erreur. Leur destination: une contrée à l'extrême Sud de l'actuelle Italie. Là-bas, le chef de la famille avait plusieurs cousins et surtout une tante qui vivait encore aisément malgré son âge. Une femme de caractère, peut-être sénile, mais qui savait s'affirmer. Son époux, un ancien militaire, s'était installé ainsi dans le Sud de l'Italie, dans une ville agréable, avec ses nombreux fils, qui grandirent dans la région, trouvèrent la femme de leur vie et à leur tour, eurent des enfants. La plupart des cousins du père de Noxius étaient des gardes qui protégeaient la ville et ses environs. Une vie agréable en somme.

Se mettant tout d'abord en route vers un port au Nord de la région, situé sur le littoral, la petite famille, suivie de ses esclaves avança tranquillement, les moyens de transport de l'ère antique leur assurant de pouvoir profiter pleinement du paysage qui se dessinait devant leurs yeux. La nature et les villes et autres bourgades se succédèrent, tandis qu'un temps convenable les assurait d'un voyage sans soucis. Une fois arrivé au port en question, le petit groupe de Romains empruntèrent un bateau, solide transport de bois et dont l'assurance sur les eaux effacèrent tout doute des parents de Démosthène quant à la vitesse de croisière de la chose. Pour le fils du couple en question, ce fut la première fois que l'enfant pouvait admirer l'étendue maritime. Émoustillé, ses yeux plein de rêves contemplaient la beauté de la mer dont les teintes foncées se mélangeaient à merveille avec celles du ciel. Le bleu était connu pour ce calme et cette volupté qu'il inspire rien qu'en le voyant. C'est ainsi que perdus dans l'immensité et la beauté de l'onde, Démosthène et sa famille mirent le cap vers la région de Reggio de Calabre.

Le temps passa et finalement, le bateau amena à bon port le groupuscule. Les cieux et la mer étaient favorables pour l'embarcation, qui permit à Démosthène et ses géniteurs de se retrouver ni trop en avance ni en retard à leur destination. Reggio de Calabre était une ville splendide, et l'air marin vivifiait ses habitants. Le bambin était tout à fait ravi de découvrir cette cité qui auparavant ne lui évoquait rien de particulier. A présent, l'architecture locale, les paysages, la faune et la flore du coin lui faisait penser que sa terre d'accueil au cours des sept prochains jours était une incarnation terrestre de ce que les Chrétiens appellent Paradis. A force de errer dans les ruelles, la famille trouva finalement le domicile de la fameuse tante. Sa localisation dans la ville était tout à fait approprié au caractère de la bonne femme: situé en périphérie, à l'extérieur de l'agitation des quartiers opulents du centre-ville, l'habitation paraissait imposante et solide. A peine eurent-ils le temps de poser le pied que des esclaves les accueillirent du plus chaleureux accueil qu'ils puissent connaître. On les guida dans une grande salle, dédié à l'accueil des invités, pièce majestueuse où les hôtes les attendaient justement.
Démosthène fit connaissance avec ses cousins, durant le repas célébrant l'arrivée de la petite famille. Le banquet correspondait nettement au proverbe: La faim justifie les moyens. Les tables qui furent dressés étaient pleines de vivres divers et variés, et l'on ne manquait pas de boisson pour combler toute cette boustifaille. Le vin de la région fut apprécié maintes fois par le père de Démosthène, dont le fils en question repoussa le breuvage dès que ses lèvres furent trempés dans le récipient. La mixture alcoolisée a un goût trop fort pour le petit être. L'expression de son visage après la dégustation du liquide témoignait bien de son aversion pour la vinasse. De l'aversion... voilà justement le sentiment qui était en train de naître dans le cœur de son paternel. Les discussions penchaient à virer à la critique de l'enfant en question, qui semblait presque suivre un interrogatoire comme on pouvait en trouver des siècles plus tard dans les commissariats. Au final, toute la famille, et surtout la grande tante savait de quoi il en retournait pour le petit Démosthène: l'incapacité de pouvoir vraiment faire honneur à la famille en s'illustrant en tant que soldat. Un regard noir de la vieille femme se posa sur le chérubin, qui finissant de manger, ne prit pas en compte ce fait.

Après s'être rassasié, le futur Noxius se leva et partit rejoindre ses grands cousins. Il fut difficile pour le petit être de faire ami-ami avec eux, puisque ces derniers se voyaient déjà succéder à leur père. Tous avaient espoir d'appartenir à l'Armée de l'Empire Romain, et pour s'y faire, ils s'amusaient à jouer aux soldats avec des bâtons pour se donner les sensations recherchés quelques années plus tard. Ils étaient persuadés qu'un jour leur nom résonnerait dans leur ville natale, que leur future silhouette adulte et emplie de puissance incarnerait l'homme fort et plein d'honneur. Certains se vantaient d'avoir déjà des capacités qui les aideraient à se faire remarquer dans l'armée: l'un prétendaient manier l'arc, l'autre savoir chasser en ayant appris avec son père, et un autre encore affirmait savoir maîtriser un cheval. Ils n'avaient que sept, huit, neuf ans, et pourtant, ils étaient déjà attirés par la guerre et la gloire que des années auparavant, leur ancêtres avaient convoité. Toujours dans leur optique, ils semblaient être à fond dans leur récréation. En jouant aux petits soldats, ils allaient bien plus loin: ils voyaient un entraînement, un conditionnement pour l'avenir, un avenir dicté par leurs géniteurs. Ce jeu enfantin d'apparence ne plut néanmoins pas au garçon originaire de Mediolanum, qui préféra s'isoler ailleurs. Le domaine de la maison de sa grande tante étant grand, il vagabonda dans les jardins et s'occupa à humer les fleurs et à rêvasser dans les alentours.

Même si un cousin le rejoignit, Démosthène se sentait toujours à l'écart des autres; de toute manière, il ne savait pas se battre, et perdre lamentablement contre un membre de sa famille n'aurait fait que le ridiculiser. L'aîné, apparemment plus ouvert culturellement que ses frères et autres cousins, tenta d'établir le dialogue avec le natif de Mediolanum et lui proposa de visiter la ville. Enthousiaste à l'idée de visiter Reggio de Calabre, Démosthène sourit en guise de réponse et suivit donc le dénommé Aaron jusqu'à l'entrée du domaine famillial. Avec ironie et malice, Aaron salua les esclaves qui travaillaient dehors; son père lui avait enseigné que les esclaves n'étaient que des hommes sans âmes, destinés à obéir aux citoyens pour les punir de leurs pêchés. Une fois devant l'entrée de la villa, les autres garçons avaient rattrapé Démosthène et Aaron, et sous les appels, le guide du futur Saint fut forcé d'écourter la visite d'un simple:

— Désolé mais ils m'ont promis que je jouerai le général ! On remettra ça la prochaine fois, tant pis, à plus tard !

Il s'enfuit, et promit faussement de mener le petit bambin dans les beaux quartiers de la cité. Déçu, l'enfant au regard innocent cacha sa peine et préféra rester dehors. Il fit quelques pas, observa les bâtisses environnante et soudain, vit une petite silhouette. D'ordinaire, il aurait trouvé forcément plus grande le moindre personnage qu'il identifiait. Ici, l'enfant qu'il regarda était de sa taille. Le premier élément qui frappa Démosthène, ce fut bien évidemment la pâleur de son homologue. Ses cheveux semblaient avoir battu de peu en blancheur le visage du garçon, qui inspirait la candeur et la pureté. Rapidement le regard des deux semblables se croisa et en bons procédés, notre protagoniste tenta une approche amicale.
Il s'approcha de l'individu juvénile, lui lança un petit sourire enfantin et lui déclara:

— Salut ! Ça te dit de jouer avec moi ?

Il espérait faire connaissance avec quelqu'un de sa trempe, qui ne soit pas intéressé par l'ivresse du combat implanté par ses géniteurs. Il cherchait un ami, mais surtout, à passer le temps avec un enfant qui le comprenne...

L'enfant qui se présentait avait l'air à première vue gêné de la proposition de Démosthène. Peut-être était-ce sa manière de l'aborder qui avait rendue inattendue cette situation pour laquelle sa famille ne l'avait pas préparé au cours de son éducation. Ou tout simplement sa personnalité. Le natif de Mediolanum n'en savait rien, et ne pourrait le comprendre au vu de son jeune âge. Pour l'heure, il cherchait simplement à se lier d'amitié avec lui en jouant avec. Mais la tâche semblait rude, étant donné l'attitude hésitante du bonhomme. Néanmoins, après une mûre réflexion, l'enfant aux cheveux purs prit sa décision, bien que son air nerveux dissipait toute forme d'enthousiasme.

Il fallait donc pour Démosthène trouver maintenant à quel jeu les deux enfants allaient participer. Une tâche aussi simple en apparence que complexe pour le garçon aux yeux de jade, puisqu'au cours des dernières années, le contact humain avec des gens de son âge s'était réduit à quelques rares rencontres comme celle avec ses cousins en cette journée. Chez lui, un maître venait lui apprendre l'art de la lecture et de l'écriture, se laissant conter des anciens mythes fascinants aux yeux du bambin. C'était peut-être ces histoires fabuleuses qui avaient donné goût à la littérature pour Démosthène. Après avoir appris à lire, lorsque vint le temps du chagrin et de la solitude, il prit l'initiative d'étudier les anciens textes mythologiques que son professeur ne lui avait pas fait lire, séparé de sa famille. Cloitré dans sa petite chambre, il était là, installé dans un coin, à lire chaque bribe d'aventures, de voyages et de combats épiques, trouvant un refuge à son malheur.

Mais pour l'heure, notre protagoniste n'avait toujours pas pris une décision. Afin de gagner du temps, et surtout, de cacher à son futur partenaire de jeu qu'il n'avait rien trouvé encore, il dévisagea l'individu en question de haut en bas et porta sa petite main fragile à son menton. Il prit un air légèrement sérieux et fit mine de réfléchir, feignant une intense réflexion singeant l'attitude d'un architecte forcé de faire usage de mathématiques pour résoudre le problème de la construction qui s'imposait à lui. La scène avait de quoi faire sourire les passants, néanmoins, les citoyens du coin n'étaient pas légions dans ce quartier périphérique de la ville. Les deux enfants étaient dans une grande ruelle, où la route dallée était accessoirement large, utile pour jouer à de nombreux jeux. Ces paramètres ne pouvaient par conséquent qu'aider Démosthène à son choix.

Lorsque vint le moment de se décider, la main du garçon à la crinière brune se retira du bas du visage de ce dernier. Derrière, un sourire niais prit place, ponctuant la fin de cette attente de courte durée certes, mais pénible pour un enfant où à son âge la vertu qu'est la patience est souvent peu présente. Après quoi, Démosthène s'approcha mollement de son camarade et déclara:

— Hum... ne bouge pas, j'ai une idée ! Attend moi ici, je reviens vite promis !

Le sourire enfantin de Démosthène s'élargit et tandis qu'il se retourna, il fit un clin d’œil en gage d'assurance avant de partir en direction de la villa de sa grande tante. Tout les dix mètres environ, le jeune garçon se retournait, afin de vérifier si son camarade de jeu était toujours là. Il espérait sincèrement se lier d'amitié avec lui, avec une conviction renforcée par sa naïveté enfantine et sa solitude naissante.
Et effectivement, quelques instants plus tard, Démosthène revint en courant, tenant à respecter sa promesse, un objet sphérique entre ses deux mains frêles. Il avançait d'un pas déterminé et pressé, ses sandales foulant le sol avec fracas et sa respiration haletante marquant cette cadence d'un tempo irrégulier. Le jouet qu'il tenait sur lui n'était autre qu'un ballon; le volume de ce dernier cachait la tête du bonhomme, qui était forcé de se courber sur le côté pour regarder son chemin.

— Voilà ! Je l'ai emprunté à mes cousins, ils diront rien je pense, sinon tu sais jouer j'espère ?

Il le regarda d'un œil interrogateur, souhaitant qu'il avait en face de lui un amateur de jeu de balle. Sans quoi, il aurait affiché un air déçu et contrarié, ayant amené jusqu'ici cet objet ne lui appartenant pas. Mais pour l'heure, tout semblait aller pour le mieux. Sans plus tarder, le futur Noxius se déplaça de plusieurs mètres et la mine joviale, il lança le ballon sur celui qu'il considérait déjà comme son copain. La force manquant au bonhomme, le ballon de tissu tomba au sol, et rebondit une fois avant d'arriver sur le receveur. Les échanges s'en suivirent, qu'ils soient à la main, voire au pied pour les plus agiles, et l'idée d'entreprendre une conversation au cours du jeu qui semblait ravir Démosthène vint à la tête de ce dernier. Au milieu de la partie de lancers aussi puéril qu'amusant pour les deux bambins, l’infantile vacancier s'exclama:

— Dit au fait, c'est comment que tu t'appelles ? Moi c'est Démosthène ! Tu habites dans le coin dit ?

Et ainsi débuta la valse de questions naïves...