« Tu n'en as parlé à personne ? chuchota l'un.
– A personne, n'aie aucune crainte , le rassura l'autre.
– Aucune crainte ? Tu veux dire que personne n'en saura rien, c'est ça ? Dans ce cas, comment se fait-il que tout le monde sache que tu es... Le jeune homme était mal à l'aise.
– Il existe un mot pour ça, répondit avec froideur Octavius, qui ne portait pas encore le nom qui le liait à son Armure.
– Si je ne fais que le murmurer, tu peux être sûr que je serai passé à tabac d'ici ce soir !
– Et alors ? Les moments privilégiés entre hommes, ca n'avait pas l'air de te déplaire hier soir. »

Comme prévu, la plaisanterie malicieuse mit fin à la discussion échangée à voix basse. Leon, dernière conquête en date d'Octavius, lui lança un regard haineux. Ce même regard qu'avaient ceux qu'il craignait désormais. Visiblement, passer de l'autre côté de cette barrière – érigée par les détracteurs mêmes de l'amour entre hommes – n'avait pas suffi. Octavius répondit de ses yeux sombres remplis de dédain, accéléra la marche et passa devant lui. Repoussant un buisson bas, il le fit claquer contre les cuisses de son successeur et amant d'un soir, petite vengeance puérile mais qui le soulagea un peu. Il songea avec un mélange de dégoût et d'ironie que si leur escapade de la veille avait eu lieu hors du territoire sacré où se déroulait leur apprentissage, il aurait eu droit à cent coups de fouet, sur toute la surface du dos et d'une violence toute autre que cette médiocre punition. Était-ce un sort qu'Octavius souhait à Leon ? Évidemment que non. Mais un petit rappel ne lui ferait pas de mal.
Pas trop.

La marche durait depuis plusieurs heures déjà et le groupe s'était beaucoup éparpillé. Octavius suivait bonnant malant la tête de l'expédition, commençait à trouver son souffle, la fatigue se faisait moins pénible alors qu'il prenait son rythme. Le plus difficile, c'était les cent premiers kilomètres, disait son Maître, Leporis. Heureusement, leur voyage ne serait pas aussi long.
L'entraînement du jour aurait lieu dans un espace sauvage, loin de Rome et des villes alentour. Le but ? Pousser les apprentis à leurs limites. Combattre les uns après les autres dans l'arène qui l'avait vu grandir devenait répétitif et, à la longue, improductif, Octavius l'avait bien remarqué. Cette cassure dans la routine était bienvenue. D'autant plus qu'il se languissait de voir un autre paysage que le camp où il passait ses journées et ses nuits.
Outre le lieu et la marche qui le précédait, cet entraînement avait ceci d'original que le combattant chargé de surveiller et d'encadrer le groupe était inconnu d'Octavius. Curieux mais non irrespectueux, ce dernier ne s'était pas imposé à lui sur le trajet. Il avait aussi compris rapidement qu'en terme de forme physique, ils n'avaient même besoin de rivaliser : celui qui serait plus tard connu sous le nom de Corvus lui laissait lucidement la première place.

Les kilomètres qui s'enchaînaient, les terres à perte de vue et l'absence de compagnie agréable rendait le périple pénible. C'est pourquoi, lorsqu'il vit les plus sportifs du groupe en tête stopper et s'installer dans une vaste plaine, il poussa un soupir de soulagement et accéléra pour, à son tour, mettre fin à cette marche éreintante.

Le cortège mit quelques temps à se rassembler. Les retardataires furent grassement moqués lorsqu'ils arrivèrent enfin. Haletants et suants à grosses gouttes, ils n'étaient pas, on pouvait le dire, l'élite des apprentis guerriers. Octavius aurait pu à son tour les noyer sous les quolibets, mais il n'y tenait pas. Tout d'abord parce que, quelques mois plus tôt, il se serait sans doute trouvé parmi eux. Ensuite parce qu'il souffrait suffisamment de moqueries pour en accabler les autres. Il avait toujours eu le sentiment que ce sont les parias qui sont les plus tolérants et agréables envers les autres. Au moins était-il du bon côté de la balance.

Octavius dévisagea pendant une seconde leur instructeur. Un homme pas si éloigné de son Maître, Leporis, tout en muscle et en sévérité. Las ! Il n'y avait donc aucun Chevalier qui présente un faciès plus avenant, qui ne semble pas tout droit sorti des Jeux de Grèce ? Le Romain se demanda, une fois de plus parmi mille autres, s'il devait forcément ressembler à un gladiateur pour accomplir sa destinée. Sokaris était son nom. Pas un Romain, fallait-il croire, car cela ne ressemblait à aucune gens dont il avait entendu parler. Et ses instructions lâchèrent un soupir de la bouche d'Octavius. Si combattre était leur lot quotidien, se battre avec férocité était plus rare ; et cela ne plaisait pas vraiment à l'apprenti. De combattants, ses camarades n'en avaient pour la plupart que le nom. Plus enclins à agiter leurs bras et jambes sans harmonie, en ruant dans le tas, ils espéraient ainsi obtenir la victoire en faisant passer leur mascarade pour de l'art du combat. Octavius tâchait de témoigner un peu de plus de grâce et de maîtrise de soi, avec plus ou moins de succès. Bien souvent, il gagnait parce que l'adversaire s'était épuisé, tout simplement. Sauf que là, il faudrait faire couler le sang, et en abondance. Si l'idée d'être blessé ne le rebutait pas – il voulait devenir Chevalier après tout, il recevrait sans doute bien des coups – il s'inquiétait du peu de maîtrise de ses adversaires, capables de lui rompre le coup dans un excès de zèle.

Les duos se formèrent et Octavius eut la surprise de voir Leon se présenter face à lui, le regard furieux. Que croyait-il, pouvoir effacer ce qu'il s'était passé à grands coups de poing ? Octavius songea qu'il l'avait mal jugé : il était décidément plus bête que ses pieds. Il l'avait cru au dessus du lot. Et bien non, fallait-il croire, et le jeune homme était décidé à le redescendre encore plus bas dans l'échelle de son estime. Une correction, voilà ce qu'il méritait.

« Tu souhaites te battre avec moi ? Tu sais que je suis ton aîné. Que j'ai plus de pratique. Et plus de talent, à n'en pas douter. » Comme Leon restait muet, il se mit en garde. « Tu veux attaquer le premier ? Ou dois-je venir pour te montrer combien tu présumes de tes forces ? »

Leon chargea, à la manière des autres combattants, sans vraiment savoir ce qu'il allait faire une fois au contact. Octavius l'attendit et, au dernier instant, se fendit, lui balayant les jambes pour l'envoyer au sol. Il sourit.

« N'embrasse pas trop le sol, tu vas le faire rougir.
– Ferme ta grande gueule !
– Me taire ? C'est cette même bouche que tu encensais hier soir. »

Leon rougit de colère et jeta des regards alentour. Personne n'avait entendu Octavius, fort heureusement. Si leur échange, plus tôt, s'était fait sous le couvert de chuchotements, Octavius n'avait plus à se montrer si complaisant. Lui n'avait aucune crainte à avoir : tout le monde le savait attiré par les hommes. Leon avait plus à y perdre. Ce dernier d'ailleurs réagit comme on pouvait s'y attendre : il fonça à nouveau sur celui qui avait partagé son lit la veille.

Plus les seconds passaient, plus Leon faisait montre de son manque de maîtrise, aussi bien des arts du combat que de son ressentiment. La colère avait pris le pas, son souffle de buffle et son visage brûlant de fureur en témoignaient et ainsi, il venait d'accorder la victoire à Octavius sans le savoir. Ce dernier se savait capable de le battre, avec difficulté, si son amant avait été complètement calme mais maintenant qu'il laissait l'émotion le submerger, la conclusion de l'affrontement n'était même plus sujette au hasard. C'était comme ça que combattait Octavius : pousser l'adversaire à occulter ses enseignements militaires, remplacer ce savoir par des sentiments aussi divers que la colère, l'inquiétude ou le dégoût. C'était ainsi qu'il affaiblissait l'adversaire : le mental avant le corps.
Maintenant venait le corps.

Il lui suffisait de se dérober pour échapper à la plupart des coups rageurs de Leon. Certains portaient, mais leur puissance démesurée par la rage était atténuée par la capacité de l'apprenti venu de Rome à minimiser l'impact. Si Octavius comptait quelques ecchymoses, il était encore loin de la notion d'abandon. Et son ennemi était déjà épuisé. Leon reculait à chaque enchaînement de coups, désormais, pour reprendre son souffle. Octavius décida qu'il était temps de répliquer.
Leon plongea à nouveau, mais son coup était moins décidé que les précédents ; Octavius se fendit, plongea dans la garde abaissée et son poing frappa la partie supérieure du nez de son adversaire ; aveuglé par la douleur et les larmes qui lui montèrent aux yeux, Leon ne réagit pas quand le Romain lui saisit le bras et lui tordit le poignet en une clé douloureuse, pour l'amener tournoyer autour de lui ; Leon perdit l'équilibre et tomba sur le genou relevé d'Octavius, qui frappa douloureusement ses côtes et lui coupa le souffle, qu'il avait déjà du mal à reprendre ; nouvelle torsion, Leon fut contraint de repartir dans l'autre sens et, d'un barrage de sa jambe, Octavius le fit tomber au sol.

Octavius se rendit alors compte que leur affrontement faisait le spectacle des autres combattants, qui avaient résolu plus vite leurs propres combats. Mince. Ce n'était pas vraiment ce qu'il voulait. Il savait que s'il mettait une déculottée – chose fort probable – à son ancien partenaire de jeu, ce dernier serait brimé pendant... longtemps. Problème moral. Devait-il rendre à Leon la monnaie de son hypocrisie ou le préserver de moqueries ? Le temps que celui-ci se relève, meurtri de tous côtés, il réfléchit. Puis énuméra : Leon était épuisé et clairement en désavantage, Leon apprendrait un peu d'humilité après cette leçon, Octavius lui-même avait besoin d'imposer un peu de respect parmi ses camarades – toujours enclin à généreusement le moquer – et Octavius saurait ne pas se gausser de cette victoire. L'altruisme avait aussi ses limites.

Sous les encouragements des autres, Leon essaya de se refaire. Plaquant sa garde près de son nez douloureux, il approcha, plus précautionneux. Ragaillardi par la foule, il semblait plus calme mais tout aussi décidé. Octavius voulu épargner ce moment pénible à celui qu'il avait eu, pendant un temps, en affection.

« Abandonne.
– Non !
– Tu es sûr ? Je ne vais pas me retenir.
– Te retiens pas. Je vais te botter le cul.
– Ah, ne me parle pas de culs, ca me rappelle de décevants souvenirs... »

Nouvelle provocation, toujours aussi efficace. Disparues, les précautions de Leon qui repartit à l'attaque. Quelques secondes plus tard, il tombait à genoux et Octavius lui enserrait la gorge de son bras. Encore quelques secondes et Leon tombait, inanimé. Le romain se releva, loin d'être fier de ce combat. Il jeta un regard où se mêlait amertume et regret vers le corps tout en sueur et en sang du garçon et s'éloigna, pour rejoindre le groupe des gagnants. Nulle acclamation pour lui et bientôt, des murmures de haine se faufilèrent dans la foule.

Octavius s'était attendu à un silence de plomb pour accueillir sa victoire et pourtant, il entendit des applaudissements. Le cœur encore serré par le combat qui l'avait opposé à l'hypocrite Leon, il leva les yeux vers leur entraîneur, pour qui il n'avait encore accordé qu'une attention somme toute respectueuse. Il savait que l'homme qui les encadrait n'était que de passage et à le voir, il était évident que ce n'était pas les récits de rois et les chansons qui le passionnaient. Une brute tout en muscle, à n'en pas douter, et Octavius avait déjà fort à faire sans pour autant avoir le souhait de s'acoquiner avec la version gradé de ses camarades de jeu. Seulement, l'entendre prononcer son nom sans pour autant s'être présenté à lui intriguait le jeune romain. Il le connaissait, mais d'où ? Ou plutôt, par qui ? Car Octavius doutait de pouvoir oublier une telle silhouette et était certain de n'avoir jamais entendu ce timbre de voix.

L'exercice qu'il leur imposa était... inattendu. Un autre mot qui conviendrait, plus approprié à la réaction des autres personnes présentes bien que moins distingué, serait : gonflant. La plupart des hommes poussèrent des protestations, bientôt étouffées quand le maître plongea vers eux son regard autoritaire. Cette autorité-là, Octavius ne la respectait guère. Régir par la peur était une méthode barbare et ce n'était pas ainsi que s'était épanouie Rome ; ce n'était pas ainsi qu'il entendait obéir. Fort heureusement, il n'était pas du genre à se rebeller pour si peu : l'effort ne vaudrait pas la récompense. Et il n'était pas assez bête pour tenir tête à un homme qui avait bien plus de puissance et d'expérience que lui. Tout au plus espérait-il un échec cuisant – et probable, rares étaient ceux à encore savoir maîtriser leur cosmos – pour décontenancer le maître de leur session d'entraînement.

Octavius n'avait pas souffert de trop sérieuses blessures. Leon s'était épuisé à frapper, mais ses poings avaient fait plus de mal à Eole qu'à lui-même et le jeune homme modela une petite sphère de glace, son élément également, pour apaiser ses blessures. Seulement, ses camarades n'étaient pas aussi habiles...

[HJ : J'arrête là le RP et par la même la rela. Désolé, mais y a aucune alchimie. J'ai aucune poussée d'inspiration en te lisant et le RP est, excuse-moi de le dire comme je le pense, chiant à crever. Navré de mettre fin aussi brutalement, mais je préfère encore ça que poursuivre dans une voie sans issue.
Pour ma part, je garde cette rencontre dans le BG de mon perso et si Sokaris et Corvus se croisent à nouveau en temps T, je considèrerais qu'ils se connaissent.
Encore désolé et bon jeu. /HJ]


Peu à peu, l'entraînement tomba dans les banalités d'usage. Après avoir exigé de ses élèves qu'ils utilisent leur cosmos pour se soigner, Sokaris, comme un désaveu, les enjoignit à utiliser tout un nécessaire prévu à cet effet. Où était le but de cette manoeuvre, alors ? Octavius se figurait un précipice, qu'ils auraient dû franchir, mais comme personne ne veut tomber au fond on tend une corde pour traverser. A quoi bon alors ? Si ses camarades n'étaient pas assez mentalement développés pour élaborer une métaphore aussi simpliste, ils l'étaient en revanche pour comprendre que leur maître leur faisait faire tout et son inverse. Sur le chemin vers la rivière, Sokaris avait dû avoir les oreilles qui sifflaient et Octavius était content de ne pas être le sujet de tant de quolibets.

Après avoir chassé pour leur pitance et dormit dans un camp rudimentaire, toujours séparés par leur succès ou leur échec lors de l'épreuve d'introduction, ils finirent ce second jour d'entraînement sans à proprement parler peiner. Certes, leurs corps étaient endoloris et leurs muscles sans doute plus forts que la veille, mais le sentiment général, qui était murmuré sans retenu, était qu'on aurait pu faire de même au camp. Où était l'intérêt ? La seule originalité dans cette excursion était la nécessité de chasser pour se nourrir ; encore que, ce n'était pas la première fois qu'on leur imposait tel exercice et une fois les vieux réflexes revenus, ils avaient plus à se plaindre du manque de gibier dans une plaine aussi morne et de l'absence d'outils pour capturer leur repas que de leurs aptitudes à débusquer tout ce qui pouvait remplir un estomac. A part ça, c'était un entraînement on ne peut plus classique. Jusqu'à ce que...

Jusqu'à ce qu'on pousse le bouchon un peu trop loin, à vrai dire. Diviser les troupes, déjà très individualistes, c'était un geste dont Octavius avait du mal à saisir le but sinon accentuer le fossé entre les faibles et les forts pour ne faire progresser au final personne. Mais maintenant, pousser le vice à liguer la masse contre deux d'entre eux, c'était le moyen le plus efficace de faire éclater en mille morceaux le peu de cohésion dans le groupe. Octavius se savait évidemment sur la sellette et sans doute que Sokaris aussi ; il ne lui ferait pas ce cadeau et ne comptait pas se faire humilier bien sagement.

« C'est donc ainsi que vous formez vos futurs Chevaliers ? En leur apprenant le mépris des plus faibles, la haine des plus forts et le rejet de ceux qui leur sont différent, en puissance ou en d'autres points ? Vous pensez bien faire en liguant les hommes les uns contre les autres ? J'ai appris auprès de mon Maître Leporis que les Saints sont solidaires, qu'ils essaient de se rendre meilleurs les uns pour les autres pour devenir plus forts tous ensemble. Ces valeurs, je ne les ai pas retrouvées durant ces deux jours d'entraînement et je doute de voir un changement par la suite. Veuillez m'excuser, mais je préfère apprendre à devenir un Saint d'Athéna ailleurs que sous vos ordres. »

La déclaration claqua comme un coup de fouet et après les efforts fournis durant cette journée de labeur, les habituels murmures qui accompagnaient tout coup d'éclat se firent attendre. Mais alors qu'Octavius s'éloignait vers le soleil couchant en direction du camp, il finit par entendre des chuchotements, parfois méprisants, parfois impressionnés, mais il ne leur accorda pas son attention. Ce genre de geste, il n'en était pas fier et aurait espéré qu'il ne se produise pas. Mais il avait marqué ses convictions et il ne regrettait pas son choix. Il préférait cela à l'hypocrisie.