A mesure qu'il montait les marches, Elias tentait de contenir sa colère. Lorsqu'il avait appris la nouvelle, il s'était retrouvé dans une colère comme rarement il en avait ressenti par le passé. Non pas qu'il remettait en doute le jugement d'Athéna et de son grand Pope mais cette nouvelle avait perturbé les fondations de ses croyances. Ainsi Sokaris, anciennement chevalier de Céphée, était devenu le gardien de la Maison de la Balance. Ce qui, à ses yeux, était une insulte envers la déesse qu'il chérissait tant. L'homme qui revêtait désormais la Gold Cloth n'était en réalité qu'un usurpateur aux yeux du Phénix. Quel chevalier d'Or laisserait mourir un de ses semblables lors d'un simple entraînement après tout ?

Et si la valeur n'avait désormais plus lieu d'exister dans la sphère des douze Gardiens, Elias n'était pas disposé à oublier son propre code. Surtout maintenant que Japheth du Cancer avait disparu. Le temple se dessinait déjà dans son horizon et peu à peu, le blond laissait son cosmos s'échapper de son corps. Agressif, plus puissant qu'il ne l'avait été à l'époque où il était simple bronze. Et il le savait, plus puissant encore que ne pouvait l’être la plupart des Silver Saint. Lui qui avait atteint le septième sens depuis quelque temps, il était même parvenu à élever sa maîtrise des âmes à son plus haut niveau, devenant ainsi l'égal de Japheth dans ce domaine, ou peu s'en fallait.

Un instant, le jeune homme avait hésité à se rendre dans ce lieu. Mais les principes qui étaient les siens ne pouvaient être reniés. Sans quoi, il ne pourrait plus prétendre à être le Juge de sa déesse, héraut des chevaliers dont la seule mission consistait à purifier les âmes souillées et de rendre à cette terre la grandeur qui était la sienne. Et si les brebis galeuses étaient légion au sein des chevaliers, alors son rôle était d'y remédier. Arsiesys le jugerait sans doute. Et il était prêt à subir son courroux. Mais pas à renier ses principes. S'arrêtant avant de franchir les portes, la voix du Bronze Saint s'élevait déjà. Sokaris l'avait très certainement déjà senti arriver. Ils ne se connaissaient pas vraiment, juste s'étaient-ils croisés au retour du Temple du Cancer. Mais il n'avait pas été difficile pour le jeune homme de connaître l'identité de ce tueur de Gold.

- Je demande à voir le chevalier Sokaris. Moi, Elias du Phénix, exige qu'il se présente devant moi !

Une bravade qui ne serait sans doute jamais accepté par ses supérieurs mais Elias s'en moquait. Un chevalier devait assumer ses choix, ses récentes discussions avec Mercurio l'avaient confortés dans son idéologie. Mais plus que tout, en absorbant complètement sa personnalité noire, il en avait prit certains défauts. Qu'il assumait. Usant de sa cosmos-énergie comme d'un sonar, il projeta sa conscience contre les murs de ce temple. Pas une attaque, non. Mais grâce à ce subterfuge, il venait de capter l'âme de la Balance. Et alors qu'il rouvrait les yeux, il discernait sans la moindre difficulté le fil des Parques qui unissait l'esprit à son corps. Rares étaient les chevaliers capables d'agir ainsi et Sokaris n'en faisait évidemment pas parti. Car le monde des Morts n'était pas ouvert à tous, que l'on soit simple Bronze ou même Gold. Un don d'Athéna... Ou une malédiction selon les termes de Japheth.

Il ne restait plus qu'à attendre ce lâche. Qu'il réponde enfin de ses actes, même si ce ne serait jamais devant les hautes autorités de sa faction.

Revoir ce visage eut pour effet de rappeler à Elias ce fameux jour. Celui où l'armure du Cancer, momentanément, s'était emparée de lui pour l'aider à retourner dans le monde des morts. Celui où, d'une certaine manière, il avait sauvé celui qui avait aujourd'hui disparu. Et le constat premier qu'il se faisait, bien qu'il ne s'agisse en réalité que d'une critique, était que la Balance se fichait bien de l'âme de son porteur. Si pour survivre, elle décidait de s'emparer du premier venu, alors le niveau des Douze risquait d'en pâtir. Mais juger sans connaître la vérité n'était pas une chose que le Phénix faisait. En instrument d'Athéna qu'il se voulait être, il devait savoir se montrer patient avant de rendre un verdict définitif. Et son combat intérieur lui avait enseigné cela. C'était récent et cela se ressentait dans son tempérament encore trop fougueux mais Elias avait de bonnes chances de dépasser cela.

Quoi qu'il en soit, la nonchalance de cet homme était presque insupportable. Et que dire de ce sentiment de supériorité qui émanait de son être. La fierté était une chose que Elias comprenait. Lui même en était constamment habillé et il était lui aussi souvent jugé sur cette apparence parfois trompeuse. Une chose était sûre : la puissance de Sokaris n'était pas feinte. La rumeur voulait qu'il ait vaincu plusieurs Gold... Tous aujourd'hui disparu, ce qui restait une coïncidence assez étrange quand même. Faeris du Lion et Japheth du Cancer. Aquillas, c'était autre chose encore. Le Phénix se souvenait de ce visage et de ce cœur impropre. Cœur qu'il avait alors jaugé et jugé.

- Ne pas comprendre le but de ma visite prouve l'aveuglement qui est le tien, Sokaris de la Balance. Nous nous sommes effectivement croisé... Ce jour où tu as abandonné Japheth du Cancer dans le monde des Morts et que tu as quitté son temple sans même avertir les hautes autorités de ce qui se passait en ce lieu. Ce jour où j'ai moi-même failli perdre la vie pour ramener l'âme troublée du Cancer. Vois-tu désormais le but de ma visite ?

Ce ton courroucé n'était pas particulièrement familier à Elias. Il ne l'employait d'ordinaire que lorsqu'il s'adressait à Mercurio, qui avait tendance à le faire sortir de ses gonds assez régulièrement. Et là, face à un des Gold Saint de sa déesse, il savait qu'il dépassait quelque peu les bornes. Mais à l'instar de son avatar, Elias était capable de s'enflammer rapidement. Il se doutait qu'il y avait une explication derrière l'événement qui l'avait conduit ici. Mais pour le moment, il ne pouvait qu'exiger des réponses. Réponses que cet homme était en droit de lui refuser étant donné son nouveau statut. Le Loup de Germanie... Manipulateur de la glace. Parallèle assez intéressant. Car face à lui se dressait l'oiseau immortel, manipulateur de flammes.

- Ton nouveau rang te protège du jugement du Phénix, Sokaris. Loue donc Athéna de sa bonté car en un sens, elle a sauvé ton âme. Mais je suis ici pour respecter la mémoire de celui que je considérais comme un Maître. Et je veux savoir ce qui pousse un chevalier à abandonner un de ses frères d'armes au beau milieu du monde des Morts. Qu'il t'ait renvoyé de force ici, je le sais. Il me l'a avoué. Mais que tu n'aies même pas essayé d'en avertir le Grand Pope reste une chose aberrante. Explique toi sur ton comportement !

Dans ses prunelles dansait cette étrange flamme purificatrice. Désormais, le Phénix était capable de canaliser sa colère et de calmer ses pulsions. Il était même préférable de garder le contrôle s'il ne voulait pas être mit aux arrêts ou même pire... Les Protecteurs de Maisons représentaient al dernière ligne de défense. Une force de frappe inimaginable, capable de faire des ravages d'un simple mouvement. Mais au dessus de ça, Elias plaçait cette autre mission que les Gold avaient. Faire régner la justice et la paix. Et comment un de ces êtres pourrait se targuer de faire respecter les principes d'Athéna s'il ne faisait déjà rien pour sauver un des leurs ?

Les premières paroles n'étaient que du vent. Se dire homme avant d'être un Gold Saint était une chose honteuse à ses yeux. On naissait chevalier, on mourrait chevalier. Seule la déesse Athéna comptait, le reste n'était que superflu. Les petits états d'âme pour se donner bonne conscience n'étaient rien d'autre que de la poudre au yeux. Et Sokaris semblait se complaire dans cet état d'esprit. Cela le regardait et n'avait aucun rapport avec le thème de cette discussion. Son rang en faisait un homme intouchable pour un simple bronze, en dehors d'un combat évidemment. Et c'était cela que le Phénix avait souhaité mettre en avant.

Pour l'invitation à boire, Elias déclina l'offre d'un signe de tête. Il n'était pas ici pour boire une coupe ou manger quelque chose. Il était venu pour obtenir des explications et rien d'autre importait. Quant à s'assoir, il en était aussi hors de question. Il entrerait donc dans la catégorie des menteurs mais cela ne le gênait pas. Car en cette pièce, celui qui déblatérait des inepties, c'était bel et bien la Balance. De toute évidence, la stupidité de cet homme lui venait de son village natale. Ainsi donc pour parler vrai il fallait s'assoir à même le sol ?

Le regard dédaigneux, Elias ne prononçait pour le moment aucune parole. Il écoutait. Mettant de côté les éléments qu'il jugeait important, ignorant la masse d'informations qui lui paraissait complétement hors propos. Et ce qu'il voyait aujourd'hui le désespérait plus encore. Comme cet accès de rage inutile qui ne faisait que renforcer celle du Phénix. Ah ! Que n'aurait-il pas donné pour voir l'âme de cet homme bruler ! Tout comme Japheth avait tenté de le faire. Qu'il n'y soit pas parvenu le surprenait mais il se savait meilleur dans ce domaine que le Cancer. Nul autre que lui en était capable, il le savait.

- C'est un crime lorsque ce dit homme est aussi un protecteur d'Athéna. C'est un crime quand ce chevalier est aussi le Gardien du monde des Morts. Enfin, c'est un crime car ne pas avertir le Grand Pope de la mort imminente d'un de ses chevaliers peut être considéré comme une trahison. A mes yeux, tu es donc coupable, Sokaris. Mais je ne suis pas homme à remettre en doute le jugement de ma déesse. Je sais que sa plus grande faiblesse est l'excès de confiance qu'elle accorde à ses protecteurs ainsi que l'amour qu'elle leur porte. Tu n'es pas le seul à décrédibiliser l'honneur de notre déesse. D'autres parmi tes semblables ont fait de même.

Parler de ses semblables voulait tout simplement dire parler des autres Gold. Combien encore entachaient-ils l'honneur d'Athéna ? Beaucoup, malheureusement. Mais aujourd'hui, seule la force prévalait sur le reste. Pas les convictions. Et c'était bien dommage. Sa voix s'était radoucie alors qu'il invectivait Sokaris. Comme s'il se sentait en position de force. Les aveux de la Balance lui prouvaient une fois encore que son propre jugement n'était pas erroné. Comme il venait de le dire, sa déesse avait toujours eu foi en ses hommes. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle était tant apprécié par le peuple et par ses chevaliers. La grâce de cette déité était telle qu'il se sentait redevable d'être lui aussi un chevalier. Il ne jugeait d'ailleurs pas ce fait. Lui même avait été pardonné pour une faute aussi grande que celle de Sokaris. A la différence près qu'il n'était pas chevalier à l'époque où ces faits s'étaient déroulés. A la différence qu'il avait payé chèrement la mort de ces innocents. Alors que lui...

- Connais-tu l'importance que revêt le puits des Âmes pour nous autres chevaliers ? Cet endroit n'était pas un lieu de paix pour Japhteh et croire le contraire prouve une fois encore que tu ne sais pas regarder. Troublé, il l'était. Et je sais qu'il ne t'aurait sans doute pas laissé la chance de le sauver. Cela n'excuse en rien ton inactivité. D'autres pouvaient agir comme je l'ai fait. Il s'était laissé emporté par le chant des morts, bercé par la voix des disparus. En le ramenant à notre réalité, en préservant son esprit, j'ai aussi rétabli l'équilibre instable de son âme. Il ne désirait pas mourir... Les mots ne sont pas toujours le miroir de ce que pense un homme.

Là, c'était l'exacte vérité. Sans doute que la force de Sokaris avait ravivé à l'époque la culpabilité du Cancer. Et une fois prit dans cet engrenage, on ne pouvait en sortir seul. Elias parlait en connaissance de cause puisque lui aussi avait été sauvé in extremis par Antares du Scorpion. On ne pouvait combattre éternellement ses démons. Pas seul en tout cas.

- Comme je te l'ai dit, ton statut de chevalier sauve ton âme. Et si je respecte l'armure qui est la tienne, si je respecte le choix d'Athéna, je ne peux porter aucun crédit à l'homme que tu es. Vois-tu ses flammes ?

Le Phénix tendait déjà sa paume ouverte vers Sokaris, laissant apparaître à sa vue une sphère enflammée. Une sphère étrange à la vérité car à bien y regarder, on pouvait avoir l'impression de voir une sorte de spectre, d'âme errante graviter dans cette boule de lumière. Une illusion sans le moindre doute. Domaine que Elias maîtrisait à la perfection.

- Elles purgeront ton âme souillée lorsque le moment sera venu.

- Coupable, tu l'es assurément. Et tenter de justifier tes actes en te cachant derrière le destin, c'est me prouver une fois encore que tu ne dois ta position qu'à ta seule force. Sois assuré d'une chose, Sokaris de la Balance : le moment venu, tu danseras dans ma main comme cette flamme le fait actuellement. Tu ne possèdes à mes yeux aucune des qualités qui font d'un homme un chevalier d'or. Tu représentes une justice révolue et viciée. Une justice aléatoire, qui justifie ses actions par les effets d'un destin que tu ne peux même pas entrevoir, aveugle que tu es !

Cette fois, l'animosité montait en flèche. Ce que ne pouvait pas comprendre cet homme, c'est que le Phénix s'était déjà jugé lui-même avant de pouvoir se permettre de juger les autres. Lui qui menaçait ouvertement de bruler l'âme de la Balance était aussi passé par ce feu purificateur. Et s'il en était ressorti vivant, c'était dans le but unique de faire justice en ce bas monde. Une véritable justice, qui ne s'embarrassait pas de valeurs inutiles. Si Sokaris parvenait à mieux dormir la nuit en se disant que seul le destin dictait ses actes, alors qu'il en soit ainsi. On faisait avec ce qu'on avait après tout. Mais il était loin du compte.

Très loin même. Et c'est même un rire sarcastique qui accueillit les propos de Sokaris. On ne pouvait chasser quelque chose avec efficacité qu'à la condition unique de pouvoir le reconnaître. Les âmes ne pouvaient mentir. Et le fil des Parques était la seule chose commune à chaque être humain, qu'il soit chevalier ou simple mortel. Elias savait ce qu'il cherchait car lui-même n'était pas exempt de tout reproches. Et il savait voir le lien qui unissait le corps à une âme car ainsi était la nature de son cosmos.

- Qui a dit que ma propre âme était pure, chevalier ? Tu ne sais rien de la dualité qui est mienne. Mes propres flammes ont purgées mon âme mais je n'ai pas encore payé la dette que j'ai contracté. Un jour, ce feu me consumera complétement, je ne suis pas naïf au point de croire que j'échapperai à ma propre condamnation. Et j'attends ce jour où enfin justice sera faite. Mais pour le moment, tant que ma déesse me prête vie, tant que ma Cloth me prête sa puissance, je pourchasserai sans relâche ceux qui méritent le châtiment de l'oiseau immortel. Je sais reconnaître une âme qui a besoin d'être purifié car ils sont comme moi...

Une révélation en quelque sorte. Mais Sokaris venait, sans même le savoir, de répondre à une question que s'était toujours posé le chevalier aux plumes enflammées. Avec son passé, pouvait-il prétendre un jour à revêtir l'une de ces Gold Cloth ? La réponse lui apparaissait aujourd'hui comme évidente. Et c'était cet échange qui lui avait finalement ouvert les yeux. Rasséréné par sa nouvelle résolution, il poursuivit...

- C'est justement parce que j'ai les mains couvertes de sang et de honte que jamais je n'oserai prétendre porter une des douze armures. Pas même pour reprendre le flambeau de Japheth du Cancer, alors même que son armure s'était posé sur moi pour m'aider. Contrairement à toi, je sais quelles sont les vraies valeurs de ma déesse et je n'oserai abuser de sa clémence. L'armure de bronze du Phénix est l’image parfaite de ce que je suis. Et bien que je ne veuille pas être considéré comme un des douze protecteurs, cela ne m'empêchera pas d'évoluer au dessus de chacun de vous. Te voilà averti, Sokaris. Car le jour où le Phénix pourra enfin prétendre à la puissance qui est véritablement la sienne, je reviendrais te voir et je te montrerais un pouvoir que même Japheth n'a pas su utiliser. Prie notre déesse que ce jour n'arrive pas trop vite... Et essaye de ne pas entacher plus encore la réputation des Gardiens des douze temples.

De toute évidence, cet homme n'oserait rien faire de plus. Son attitude démontrait clairement qu'il n'irait pas plus loin aujourd'hui et seuls les avertissements d'Elias seraient donc à prendre en compte. Sokaris le prendrait-il au sérieux ? Elias s'en moquait. Il verrait le moment venu pourquoi il fallait se méfier de lui. Il lui ferait alors comprendre quel était le véritable rôle du Gardien du puits des âmes.

Se détournant de lui, le Phénix quitta alors le temple. Le coeur allégé d'avoir pu exprimer ses pensées. Et avec l'envie de revoir rapidement cette Balance !