Ainsi j’avais été assigné à l’Armée des Flammes, sans vraiment comprendre ce que cela signifiait. J’avais bien saisi qu’il y avait quatre Cardinaux, les quatre plus puissants et zélés serviteurs d’Arès, et que chacun était à la tête d’une Armée, ayant sous ses ordres quelques porteurs de Cuirasse. Et comme le Prophète, Cardinal de la Mort, me l’avait affirmé, je servirais sous les ordres de Guerre, celui qui dirigeait l’armée des Flammes.

Aujourd’hui, je m’étais mis en tête de le retrouver. Mais comment faire dans un tel dédale, sans rien pour m’orienter ni me guider ? Il me semblait que cela faisait des heures que j’errais, et je commençais à être lassé – je sentais même une pointe de colère monter en moi, en vérité. Trouver mon référent était certes important, mais j’étais en train de perdre des heures entières, heures que j’aurais pu passer à peaufiner ma maîtrise de cette énergie… comment le Prophète l’avait-il nommée ? Le cosmos ? Oui, ça devait être cela.

L’homme n’avait pas hésité à me mettre sous le nez le fait que malgré ce que je me figurais, je ne maîtrisais absolument pas cette énergie. L’usage que j’avais pu en faire avait jusqu’ici été très grossier. J’utilisais mon pouvoir à l’état brut, sans lui donner de forme, et en gâchant extrêmement rapidement toute mon énergie. Mais si je voulais devenir un guerrier d’Arès digne de ce nom, il fallait que j’apprenne à dompter cette énergie cosmique.

Et si j’avais au début pu être réticent face au fait de devoir consacrer ma vie à un dieu dont je ne connaissais rien, je m’étais bien vite fait à cette idée. Et pour cause : si le but de ce Dieu n’était que de porter la guerre et la destruction partout à travers le monde, alors je me ferais une joie de le suivre… surtout si cela me permettait de développer mes dons et de devenir un nécromancien sans cesse plus puissant.

Mais pour l’heure, je devais trouver le Cardinal de la Guerre, et je n’étais vraisemblablement pas prêt d’y arriver. N’étais-je pas déjà passé par ici ? L’agencement de ce mur, cette pierre mal enfoncée me rappelaient quelque chose.

N’y tenant plus, je passai à autre chose. Renforçant soudain l’aura sombre et délétère qui m’entourait naturellement et qui s’était déjà renforcée depuis que j’avais revêtu la Cuirasse du Sarcophile, je l’étendis pour lui permettre de progresser dans les couloirs qui m’entouraient, en avant et en arrière, de façon à essayer de débusquer quelqu’un qui pourrait éventuellement – bien que cela paraisse impossible, au cœur d’un tel dédale – m’indiquer le chemin de l’Antichambre des Flammes.

J’ignorais alors que j’en étais plus près que je ne l’imaginais…

La piste était aussi fraîche que les traces d’un cerf dans de la boue fraiche, aussi distinguable qu’une torche au milieu d’une plaine par une nuit noire. Le cosmos du candide qui se promenait non loin de son couloir était imprégné de cette fraicheur, de cette jeunesse, de cette fébrilité que l’on pouvait attribuer à chaque nouvelle recrue. Et par fébrilité, Guerre entendait bien évidemment ce parfum d’énergie brute, de non-contrôle qui pouvait rappeler le fumet qu’avait un gibier sauvage par rapport à un animal d’élevage domestique.

Le Cardinal suivait de l’esprit les tribulations d’une telle curiosité autour de son antre, assis en tailleur au centre de son antichambre, les reflets bleus des flammes – qui pourléchaient les murs – dansant sur son visage. Le nouveau cherchait à l’atteindre, c’était quasiment une certitude : il tournait en rond, hésitant. Mort n’était pas du genre à informer chaque général des recrues qui lui étaient affectées, ces dernières venaient en principe se présenter d’elles-mêmes à leur supérieur. Celui-ci semblait avoir plus de difficultés que les autres, ce dont on ne pouvait pas tant le blâmer que cela. Personne n’était égal face à la maitrise innée qu’il était possible d’avoir concernant sa propre énergie, mais l’histoire avait montré à maintes reprises que ce n’étaient pas toujours les plus précoces qui finissaient parmi les plus puissants. Aussi Guerre ne tint compte d’une telle maladresse.

Le bleu avait pourtant compris la clé pour bien se déplacer au sein de la Citadelle, du moins au début : il ne fallait pas se fier uniquement à ses propres yeux, ses oreilles ou encore son nez, il fallait utiliser sa propre énergie pour s’y déplacer. C’est pourquoi l’individu avait tenté d’étendre sa propre énergie afin d’effleurer celle des autres. Habile, mais légèrement indélicat, de sa propre expérience, Guerre avait pris le problème à contresens et c’était bien là une des premières leçons qu’il comptait donner à son nouveau disciple.

Divisant son Cosmos en tentacule d’éther, il arqua l’une d’entre elles pour la projeter à grande vitesse à travers les couloirs de la Citadelle d’Arès, laquelle s’engouffrait à chaque carrefour comme une flèche qui aurait su instantanément où se trouvait sa cible. Se déplaçant à une vitesse ïnouie, celle d’un Cardinal, le bras mystique vint frapper le nouveau venu, s’enroulant autour de lui comme un fouet. Là, au contact glacé et belliqueux que Guerre transportait toujours avec lui, il était à présent possible de communiquer quelques bribes par le biais de la pensée, le Cosmos s’avérant être un parfait conducteur.

- J’imagine que c’est moi que tu cherches, je suis le Cardinal de la Guerre, Général de l’Armée des Flammes. C’était plutôt bien vu de chercher à t’orienter par le Cosmos, mais plutôt que de tenter de les atteindre, laisse les parvenir à toi, l’effort est moindre mais surtout, beaucoup plus naturel … Je t’attends.

La voix métallique s’interrompit, de même que l’éther du Cardinal repartit de là où il était venu, laissant l’image de Guerre lui-même assis en tailleur au milieu de son antichambre. Ce dernier avait laissé de nombreuses pistes, telles la marque cosmique grossière laissée par la tentacule là où elle était passée, ou bien le Cosmos émanant du Berserker, auquel le nouveau venu était à présent sensibilisé, aussi puissant qu’un phare dans la nuit.

C’était au mouton de rejoindre son berger.

Cela faisait à présent quelques minutes que mon aura se déployait lentement dans les sombres corridors de la Citadelle, dans le but avoué de capter l’intention de quelqu’un. Et pourtant, au fur et à mesure que les minutes passaient, je commençais à me dire que cette entreprise était inutile et qu’il me serait impossible de trouver par moi-même l’antichambre des Flammes…

Résigné, je m’apprêtais à me mettre en quête lorsque, sortie de nulle part, un tentacule éthérée se saisit de moi, s’enroulant méticuleusement autour de mon corps et restreignant mes mouvements. La sensation du contact avec ce corps était des plus étranges : c’était comme si j’étais en contact direct avec un esprit, et d’une puissance peu commune. A côté de cette présence, quelle qu’elle soit, je n’étais rien, même en ayant revêtu la Cuirasse du Sarcophile. Et pourtant, j’avais l’impression d’être si puissant !

Et d’ailleurs, en parlant de contact direct… cette présence cosmique s’imposa à moi en esprit, faisant voler en éclats en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire l’ensemble de mes « défenses mentales », s’immisçant contre mon gré dans mon esprit. Et alors, je pus découvrir que l’origine de ce tentacule cosmique n’était rien d’autre que mon nouveau maître, le Cardinal des Flammes, Guerre ! A ce moment, j’interrompis immédiatement la faible – et tout à fait inutile – résistance mentale que j’avais tenté de mettre en place suite à cette agression, pour me présenter à lui en esprit dans une position de soumission la plus totale.

Je n’eus même pas le temps d’essayer de lui envoyer une réponse mentale : aussi vite qu’il était venu, le tentacule éthéré se rétracta, disparaissant dans les ténèbres. Mais je le savais, maintenant : Guerre m’attendait. Et il m’avait donné des conseils pour me permettre de le rejoindre. Je comptais bien les exploiter comme il se devait…

Laisser le cosmos me parvenir, m’avait-il dit ? Et comment faire ? Tâtonnant, je rappelai à moi mon aura tandis que je tentais de m’ouvrir, cosmiquement parlant, à tout ce qui se trouvait autour de moi. Et à vrai dire, le premier résulta dépassa mes espérances ! Je me sentis soudain agressé par des dizaines de cosmos, qui accablèrent mon esprit et me jetèrent à genoux tant la somme de leurs intensités était grande. Aussitôt, je refermai mon esprit, le rendant à nouveau hermétique aux présences cosmiques qui m’entouraient. Je venais d’en faire les frais, mais j’avais compris comment procéder… à moi maintenant d’ouvrir mon esprit avec davantage de modération pour éviter un nouvel incident.

Alors que je me redressais avec prudence, m’appuyant sur le mur de pierre froide du dédale, un sourire satisfait apparut sur mon visage. Je l’avais trouvé, finalement. Ou plutôt, il m’avait trouvé. Mais le résultat serait le même : j’allais avoir l’honneur de rencontrer Guerre !

Ouvrant à nouveau mon esprit avec davantage de réserves par rapport à ce que j’avais pu faire précédemment, je perçus bientôt une nette trace qui semblait s’enfoncer dans les profondeurs du labyrinthe, avec à sa clé, une puissante présence. Etait-ce là un fil d’Ariane laissé par le Cardinal ? Très probablement. Comme un insecte attiré par les flammes, je me déplaçai donc, guidé, cette fois-ci, jusqu’à l’Antichambre des Flammes.

Une fois arrivé, je pus apercevoir, impassible et assis au milieu de la pièce, le Cardinal qui serait désormais mon référent.

- Seigneur Guerre…

Prononçant ces mots, je m’agenouillai devant lui, et, inclinant le buste, lui présentai ma nuque tandis que mon front touchait pratiquement la dalle froide du sol.

- Merci infiniment de m’accueillir en votre domaine. Je porte la Cuirasse du Sarcophile, et serai désormais votre serviteur… avec votre accord.

Ma tête restait clouée au sol tandis que j’attendais l’injonction de mon nouveau maître, qui me permettrait de me relever. Déjà, mon esprit carburait : quel genre d’individu pouvait être le Cardinal ? D’apparence, il semblait être un soldat adepte de la force brute, et pourtant l’intensité de son aura, la façon dont il m’avait contacté ainsi que sa position, peu usuelle pour un guerrier, me faisait douter. Assurément, il était bien plus qu’un simple guerrier, mais de quelle façon ?

Citation :

Repos 1/3

Guerre put enfin voir de ses propres yeux celui qui cherchait tant à le rencontrer. Il l'observa un moment, avec ce regard particulier, où l'on détaille une personne de haut en bas sans sourciller pour autant. Au final, l'impression que l'on pouvait ressentir était la bonne : il l'analysait. Son aspect physique pouvait susciter un quelconque doute quant à ses capacités : d'apparence chétive, le jeune homme frêle ne brillait pas une quelconque silhouette imposante qui était plus la norme au sein des corridors de la Citadelle. Squelettique, oui, c'était bien le mot qui lui venait à l'esprit. Mais ... Il y'avait ce sentiment ... Une sorte d'intuition qu'encourageait l'aura du nouveau venu, à l'image de la perception du Cosmos qu'il avait reçu. Guerre savait. Et c'était bien là tout ce qui importait, l'obscurité de ce curieux regard aux yeux vairons, cette détermination froide qui pouvait accomplir tant de prodiges. En son for intérieur, oui ... le Cardinal savait.

L'attitude de son nouveau soldat, puisque c'était ainsi qu'il fallait nommer les membres de son armée était déjà quasiment parfaite, bien que légèrement trop zélée. Ce n'était pas le plus préjudiciable dans un tel lien de subordination, et c'était surtout plus aisé de calmer quelqu'un qui en faisait trop plutôt que de secouer comme un prunier celui qui n'en faisait pas assez. De plus, outre l'attitude, il avait également l'intelligence. En effet, il avait su du premier abord suivre la piste grossière que Guerre avait laissé pour le guider jusqu'à lui, ce qui laissait présager de bons espoirs et l'assurance de ne pas avoir affaire avec un imbécile fini. C'était là quelque chose que le Cardinal n'aurait pas accepté, au sein de l'armée des flammes plus qu'ailleurs, le Général entendait former des meneurs au delà de simples soldats et ainsi donc des stratèges. Avoir de l'esprit s'avérait donc être un pré-requis.

Mais l'heure était venue à présent d'agir et non plus de s'éterniser dans de simples pensées, Guerre se leva pour toiser de plusieurs têtes son interlocuteur. Non vêtu de son armure, c'était un colosse drapé de noir qui lui faisait face, plongeant ses yeux délavés et presque immaculés dans les siens, tandis que sa longue et interminable crinière platine reprenait sa place dans son dos et derrière ses jambes.

- Et tu es le bienvenue, Sarcophile.

Il leva lentement les mains comme pour l'inciter à faire de même :

- Mais relève toi, sois assuré que tu ne seras pas un serviteur, mais un soldat, un meneur et un stratège. Je n'ai pas pour intention de t'utiliser à mes desseins mais justement de les partager avec toi, non pas pour t'y faire adhérer mais pour que tu puisses comprendre toi-même et ainsi les rejoindre de ta propre volonté. Je t'apprendrais à apprendre.

Curieuse preuve d'empathie et de philanthropie pour une entité telle que la Guerre, mais c'était là un acte bien plus obscur qu'il n'y paraissait si l'on considérait un instant les desseins en question. Le Sarcophile rejoindrait il Guerre dans son curieux univers où la paix était maléfique, où la guerre permanente une harmonie, cet étrange monde où le noir est blanc ... et ou le blanc est noir ? Où bien serait il comme tous ces fous et ces hérétiques qui n'ont pas entendu ce chant, cette manière même dont l'univers se compose et qui livre elle même de telles vérités ? Peut être serait il un de ses inconscients qui persistent à se mentir à eux-mêmes et à vivre dans une sorte de péché exécrable.

De telles considérations viendraient plus tard, avant tout, il se devait de former une telle recrue, de l'initier à tout ce qui lui tendait les bras à présent. Avant d'en faire un digne émissaire de l'Armée des Flammes, il allait en faire un véritable Berserker avant tout : conscient de son statut, fier et surtout maître de son propre Cosmos, ce flux divin qui était la clé de bien des prodiges, pour peu que l'on sache le manier.


- Cet antichambre est la tienne à présent, tu pourras t'y rendre et y demeurer autant que tu le désireras, tant que tu respecteras un tel lieu. Cela sous entends d'y entretenir le silence et la méditation quand cela sera de rigueur, de ne pas endommager quoi que ce soit et notamment ceci ...

Il balaya du pied une fine couche de neige et de glace afin d'y dévoiler une série de chiffres mystérieux gravés à même le sol.

- Enfin bien sûr, il va de soi que mes quartiers me sont réservés ... Il désigna de la tête un léger début de couloir qui s'illustrait comme la troisième ouverture dans le carré parfait que représentait la pièce, après l'entrée et la sortie de cette dernière.

- Mais parle moi de toi, Sarcophile, je ne te connais pas ! Dis moi d'où tu viens, qui es tu, ce que tu recherches ici et pourquoi pas comment tu t'y es retrouvé. Tu seras ensuite libre de me poser toutes les questions que tu désires, j'y répondrais avec la même franchise et la même transparence que se doit d'avoir un général avec ses hommes. Quand nous en aurons terminé, je commencerais à t'instruire, il est grand temps que tu apprennes à maitriser ces nouveaux pouvoirs qui ne te sont pour l'instant que latents ...

Lorsque Guerre, m’invita à me relever, je restai dans l’indécision quelques instants. Et pour cause : en me relevant, je prendrais une position qui me donnerait, d’une certaine façon, l’ascendant sur mon vis-à-vis. Et c’était le genre de choses que je ne pouvais pas me permettre, même si Guerre, d’après ses propos, semblait vouloir faire de moi non pas un serviteur, mais bien un égal.

Trouvant finalement une solution dans le mimétisme, je choisis d’adopter une posture similaire à celle de mon Cardinal référent : je m’assis en tailleur, face à lui. Profitant d’une brève interruption dans ses paroles, je glissai :

- C’est trop d’honneur que vous me faites, Seigneur… Je tâcherai d’être un élève digne de votre savoir et de vos enseignements.

Ainsi le Cardinal de la Guerre m’acceptait volontiers dans les rangs de son armée. Tant mieux ! D’une manière étrange, et quelque peu incompréhensible, cet homme m’inspirait, et je savais que je pourrais réaliser de « grandes » choses sous ses ordres, et grâce à ce qu’il m’apprendrait. Car même si, en apparence, il pouvait ressembler à une brute, sa façon de s’exprimer, ainsi que son aura si particulière, m’informaient que j’avais affaire à un homme bien plus complexe que ce qu’il semblait être…et comment pouvait-il en être autrement, après tout ? Il était le Cardinal de la Guerre. A rôle nimbé de mystère, homme mystérieux. Cela n’était pas si surprenant, tout compte fait. Mais ces chiffres, gravés au sol, qu’il avait dévoilés un bref instant ne manquèrent pas de m’intriguer au plus haut point.

- Naturellement, je saurai respecter ce lieu et les obligations qui y sont associées. Avoir la permission d’y venir est déjà un honneur parmi les plus grands…

A présent, il souhaitait que je lui parle de moi, afin d’en apprendre plus à mon sujet. C’était, après tout, une demande naturelle pour un leader, mais pourtant je rechignais quelque peu à y répondre. Ma vie avant d’intégrer, bon gré, mal gré, les rangs de l’armée d’Arès, n’avait pas vraiment été trépidante, et s’était surtout soldée par un terrible échec… mais je n’avais pas vraiment le choix.

- J’ai vécu toute ma vie – jusqu’à maintenant – dans un village qui n’a eu de cesse de croître depuis sa formation… A l’origine, il avait été formé par des nomades qui souhaitaient mener une vie sédentaire. Mon père en était le seigneur.

Je marquai une pause. Il y avait des choses qui m’étaient arrivés, une en particulier, que j’étais tout bonnement incapable de lui révéler. Tant pis, je ne le ferais pas. De toute façon, cela ne changerait pas grand-chose.

- Mais je n’étais qu’un bâtard, non pas un descendant de lignée pure. Je fus donc d’abord une épine dans le pied de mon père, mais celui-ci jugea un jour bon de faire de moi son empoisonneur. Je fus formé et pus accomplir ma tâche avec brio, permettant, sans que personne à part le Seigneur, moi-même et quelques individus hauts placés, de permettre au village de continuer à se développer en toute quiétude.

A ce point de mon récit, il me fallait introduire un point d’une importance capitale. J’espérais simplement que le Cardinal ne poserait pas davantage de questions à ce sujet.

- Cependant, je vouais à mon père une haine sans nom, et même si j’obéissais à ses ordres, je préparais autre chose… il m’avait offert une instruction, qui me permit de découvrir et de déchiffrer de mystérieux traités de nécromancie. Je découvris la prétendue existence d’un pouvoir latent en chaque homme, ne demandant qu’à être réveillé… et dès lors, je m’attachai à le maîtriser. Cela me prit de longues années, mais finalement, je réussis à obtenir des résultats satisfaisants. Alors je tentai de briser tout ce que cet homme avait créé. Son village, son petit empire… Je pris la vie de ses fils – légitimes – et, faisant d’eux mes serviteurs dans la mort, je voulus prendre sa vie.

La colère m’emplit alors à l’évocation de ce souvenir, et mes poings se serrèrent.

- Mais mon pouvoir me trahit, et mon échec fut cuisant… je fus condamné à mort, mais la Mort choisit de faire de moi un serviteur d’Arès. Et me voilà…

Il m’avait permis de l’interroger, si je le souhaitais. Mais je devais faire bien attention à mes questions : le fait que j’aie son autorisation ne signifiait pas, malgré les apparences, que je pouvais lui demander tout et n’importe quoi. Finalement, je pris le parti de ne pas trop me mouiller.

- Je me demande : quel genre d’homme pouviez-vous être avant de devenir Cardinal d’Arès ?

J’attendis sa réponse, mais surtout ses enseignements qui viendraient. JE brûlais d’apprendre à me servir correctement de l’immense pouvoir qui était mien…

Guerre avait écouté chacun des mots prononcés par son soldat, lequel ne lui avait pas fait l’affront de se vouloir pudique ou de chercher délibérement à cacher certaines choses à son supérieur. Chacun avait toutefois ses secrets, mais pour être honnête, le Cardinal ne s’était pas attendu à de telles confidences et à une telle quantité d’informations. Il fallait croire qu’Arès l’avait gâté tant le profil l’intéressait. La mentalité et le vécu de celui qui lui faisait face s’inscrivait pleinement dans la lignée de conduite du Général et même dans la manière dont il voyait la vie. Il avait vécu dans la haine, dans l’optique de l’affrontement même si la vengeance n’est pas le meilleur des desseins. C’était là quelque chose de trop émotionnel et qui donc court-circuitait toute pensée rationnelle même si, comme le disait l’adage, elle pouvait être froide.

- Hmmm … Un empoisonneur dis tu ? Voila des talents fort utiles, si beaucoup voient tes semblables d’un mauvais œil, c’est qu’il oublients que la fin justifie les moyens, absolument tous. Quand à la nécromancie, j’avoue ne pas m’y connaitre.

C’était vrai en étant toutefois faux, à la même manière dont il jugeait les empoisonneurs ou les assassins, sans être un véritable expert en la matière, il en reconnaissait toutefois leurs vertus, tel le stratège qu’il était. Les Nécromanciens les plus redoutables étaient capables de lever des armées entières à leurs ordres, tout comme de pouvoir siphonner la vie de ceux qui s’en prennent à eux grâce à leurs dons considérables. Par-dessus tout, un tel adepte était une ressource précieuse, quelle que soit son niveau si l’on considérait un seul instant le poids qu’il pouvait accorder dans toute notion d’avantage numérique. Avoir potentiellement chaque ennemi tué devenant un allié était là un des atouts les plus redoutables qu’un général pouvait se targuer d’avoir. Le nombre ne devenait alors plus un problème, tant que ses hommes étaient capables de mettre quelques uns de leurs adversaires à mort, ce dont il ne doutait pas.

Les mots du Sarcophile lui avaient mis la puce à l’oreille, la précocité de son don et surtout son éveil naturel à ce dernier avaient sans aucun doute étaient décisifs dans la chaine d’évènements qui l’avaient conduit à ce moment précis, dans ce lieu et dans une telle condition. Mais, tout cela avait suscité la curiosité de Guerre : la nécromancie consistait elle à influer sur le Cosmos de chacun par delà la Mort, à les capturer pour s’en servir de combustible ou bien à insufler sa propre énergie dans un cadavre sans vie ? Voila ce qui allait occuper ses prochaines méditations où son esprit allait voyager au rythme de l’Univers en tentant d’aller voir par delà les barrières de la physique, zone qui ne l’avait jamais intéressé plus que de raison, pour s’enquérir de la manière avec laquelle il est possible d’accomplir de tels prodiges.

- Merci de tes confessions, même si je connais à présent plus ta vie que ton propre nom.

Guerre s’autorisa un sourire, pour simplement démontrer qu’il n’en tenait pas plus rigueur que cela, il avait pour habitude de nommer ses congénères par le nom de leur cuirasse, peut être simplement car lui-même n’en avait plus et que seul ce dernier pouvait servir à le désigner.

- Tu viens de mettre le doigt sur quelque chose d’intéressant, « l’homme que j’étais ». Tu es certainement le premier ici bas à en apprendre autant sur moi mis à part Mort, mais je ne suis plus un homme à la même manière que je suis « né », il y’a seulement quelques années.

Il fit une pause pour démontrer que devant l’originalité de ces propos, ils n’en étaient que plus sérieux.

- « L’homme que j’étais » comme tu dis a disparu, son esprit s’en est allé, fusionnant avec celui de la Cuirasse de la Guerre pour former une entité totalement nouvelle : moi. Si je devais le désigner encore aujourd’hui, je dirais qu’il ne s’agit là d’un Vaisseau à la même manière que la Cuirasse n’est qu’un Outil. Comburant et Combustible, Chair et Métal, libre à toi de définir comme tu l’entends chacun des éléments à l’origine de mon existence tant que tu en comprends le principe.

Le silence retomba alors que sa voix grave et rauque finissait de résonner contre les parois de pierre de son antichambre.

- Ainsi, à la même manière qu’il est difficile de se souvenir de certains de nos rêves mais aussi qu’on n’hérite pas de la mémoire de nos géniteurs, il est délicat pour moi de raconter « l’avant-moi ». Tout ce que je sais, c’est que Mort m’a découvert sous une épaisse couche de glace non loin d’ici, au milieu d’un véritable carnage, un charnier issu d’un quelconque campement et n’étant devenu qu’une gigantesque mare de sang sans une trace d’un agresseur extérieur.

Aucune émotion ne transparaissait du visage du Cardinal.

- Tout porte à croire que mon Vaisseau était porteur malgré lui des effets de l’imposant Cosmos qu’il avait acquis de naissance et dont je dispose encore aujourd’hui. Cette faculté de susciter la rage, la colère, de créer cette envie insubmersible de combattre, la rendre si forte pour qu’un homme s’en prenne à son ami le plus fidèle ou bien qu’un père de famille abatte les siens. J’imagine que c’est pour cela que j’existe, que ce Cosmos et la Cuirasse de la Guerre étaient fait pour se retrouver.

Le crépitement des étranges flammes bleutées se reflétaient contre son visage.

- J’ai bien sûr quelques flashs, de mon vaisseau je n’ai que des visions de combat et de bataille, que les siens soient des enfants ou des adultes, ou bien de certains érudits le versant dans les arcanes de la connaissance sous des tentes de fortunes. De mon outil … et bien c’est plus compliqué, j’ai des flashs de combat de tout ordre et de tout type, mais je pense également de tout temps, si j’en crois certaines images tellement fantaisistes que je ne peux croire qu’elles proviennent ailleurs que du futur. Au final, il ne me reste que cette connaissance et cet esprit que j’ai eu depuis ma naissance, tous deux orientés vers la Guerre, tel mon nom et tel ce que j’incarne.

Le Cardinal ne parvenait pas à ressentir s’il était soulagé ou plutôt mal à l’aise d’en avoir autant appris à quelqu’un sur sa personne. Seul Mort se doutait ou savait autant de choses, mais il fallait croire que la solitude et le fait de vivre reclus étaient à l’origine du sentiment curieux qui envahissait Guerre, plus proche du malaise qu’autre chose. Il s’empressa de couper court à de tels songes en posant sa dernière question, qui allait faire basculer la teneur de leur échange vers des aspects on ne peut plus pratique.

- Tu dis que ton pouvoir t’as trompé. C’est parce que tu n’étais qu’un homme parmi les hommes, un tel don te rend exceptionnel. A présent tu es un surhomme parmi les surhommes, mais tu auras mille et unes occasions de montrer ta superiorité sur ces derniers, quant à de simples hommes, ils ne sont désormais rien de plus que de la poussière. Parle moi de ce pouvoir que tu as ressenti, comment le percois tu, comment le comprends tu, comment le manipules tu ?

- Parle moi de ton Cosmos.

Le nom avait été prononcé, tout changeait à présent.

Je ne pus m’empêcher de me sentir flatté lorsque le porteur de la Cuirasse de la Guerre sut reconnaître que les talents d’un empoisonneur étaient des plus utiles. Enfin quelqu’un qui n’était pas étouffé par son hypocrisie, quelqu’un qui reconnaissait mon talent à sa juste valeur. De toute évidence, s’il y avait un homme, au sein de cette Citadelle, que je servirais avec diligence, c’était bien lui. Et il avait tout à fait raison.

Après tout, sans moi, comment notre ville aurait pu résister aux hordes de barbares qui déferlaient régulièrement sur elle ? Qui savait trouver les décoctions adéquates pour briser les chefs de ces animaux, les faisant alors redevenir ce qu’ils avaient longtemps été, des troupes de sauvages faibles et à la piètre unité ? En vérité, j’avais été l’outil qui avait permis au petit royaume de mon misérable père de fleurir sans jamais avoir à ne redouter aucun danger. Et qu’avais-je reçu comme reconnaissance ? Rien ! Pis, si ces pauvres bougres de la populace avaient appris mon rôle, j’aurais éveillé en eux le mépris, quand ç’aurait dû être l’admiration…

- Je crache sur ceux qui se flattent avec leur honneur ! Face à la mort, nous sommes tous égaux, que l’on ait choisi de laisser notre ennemi vivre et qu’on lui ait stupidement offert notre dos, qu’on l’ait égorgé comme un porc ou qu’on l’ait détruit de l’intérieur sans même qu’il en ait conscience.

Puis la remarque de mon seigneur, acide, quoique teintée d’un certain humour, fit mouche. Prestement, je m’inclinai à nouveau devant lui – autant que ma position assise me le permettait – tout en déclarant précipitamment :

- Pardonnez-moi cet oubli, mon seigneur. Mon nom est Alekseï.

Quel besoin de préciser le nom que j’avais hérité de mon immonde père ? L’occasion m’était donner de mettre cette vie passée aux oubliettes, et je ne comptais pas la laisser passer.

Puis vint l’histoire de mon maître. Tortueuse, elle requérait toute mon attention et la plus grande concentration pour ne pas que j’en perde le fil. Et, fort heureusement, j’en compris l’essentiel. C’était comme si cet homme était la Guerre elle-même –assez logique, finalement, au vu de la Cuirasse qui était sienne. La subtilité résidait dans le fait qu’il semblait être un tel individu avant même qu’Arès ne le choisisse, preuve qu’il était un être à part. Preuve qu’il était un être d’une puissance dépassant largement celle du commun des mortels, y compris parmi les élus. Je le savais, entendre un tel récit n’étais pas donné à tout le monde. C’est d’une grande chance que j’avais bénéficié aujourd’hui.

- Merci à vous, Seigneur, de m’avoir honoré par cette évocation de votre… naissance. Par cette explication sur votre nature. Je tâcherai de ne pas l’oublier. Je tâcherai de me montrer digne de servir dans votre armée, maintenant plus que jamais.

Cela semblait excitant, en vérité. Œuvrer de façon à voir les hommes et les dieux s’entre-déchirer, en profitant de mes immenses pouvoirs. Répandre ma corruption sur eux et faire naître la peur en leurs cœurs, les pousser à prendre les armes… Oh, oui je serais un parfait serviteur de la Guerre. A cet instant, un nouveau but naquit en mon esprit, auquel je saurais me cramponner tant qu’Arès me laisserait en vie. Je deviendrais le serviteur le plus zélé de la Guerre. L’instigateur latent des conflits, le danger rampant, négligé, qui finit par vous prendre à la gorge. Je saurais devenir la Discorde, grâce aux enseignements du Cardinal.

Et ceux-ci allaient commencer incessamment. Mais auparavant, il me fallait l’éclairer sur la nature de mon pouvoir. Naturellement. Après tout, je me figurais qu’il y avait autant de natures de cosmos différentes qu’il y avait d’individus en possédant à un niveau suffisamment élevé pour qu’il soit détectable.

- Ce pouvoir, il était si intense, si dévorant… et pourtant, je n’ai rien vu venir. M’imaginant que je pouvais en disposer en toute impunité, je l’utilisai tout d’abord pour mener quelques expériences… ce furent elles qui me révélèrent sa véritable nature. A moins qu’elles l’eussent forgée ? Difficile à dire, après tout. Est-ce parce que j’ai utilisé mon pouvoir à de sombres desseins qu’il est devenu ce qu’il est aujourd’hui, ou bien était-ce lui qui devait faire de moi un être de ténèbres ?

La réponse à cette question, je ne la détenais pas, et doutais que la Cardinal la détint. Mais peu m’importait la réponse, après tout ? Les choses étaient ce qu’elles étaient, et cela n’était pas pour me déplaire.

- Mon pouvoir, Seigneur, est un manteau de ténèbres qui m’entoure perpétuellement. Une véritable extension de mon être. Je suis ces ténèbres, tout comme elles font partie intégrante de moi-même…

A ces mots, j’intensifiai mon aura qui, comme écrasée par le cosmos du Cardinal, était en quelque sorte plaquée contre moi. Alors le manteau de ténèbres fut révélé, nous entourant lentement et faisant progressivement et insidieusement disparaître la salle derrière ses sombres volutes.

- J’avais pour coutume de l’appeler mon aura, mais je suppose que, malgré le terme que vous avez employé, cela vaut toujours. Aura. C’est bien cela qu’est mon pouvoir, après tout. Une sombre aura délétère, se repaissant inlassablement de la vie des êtres qui l’environnent…

Peut-être le Cardinal en ressentait-il même les effets, maintenant. C’était loin d’être impossible. Ne me restait qu’à espérer qu’il ne s’en offusque pas, car ce n’était assurément pas le but.

- Instinctivement, j’ai appris à le maîtriser, le commander. Mais tout ceci, je le fais de manière gauche, et je suis persuadé que je me vautre dans un intense gâchis énergétique à chaque fois eu j’ai recours à mon aura…

Mon regard vairon se vrilla un bref instant dans l’étrange éclat bleu de ses pupilles :

- Je vous en prie, Seigneur, apprenez-moi à m’en servir efficacement.