Depuis son retour du monde des Morts, Elias se sentait particulièrement faible. Pas physiquement, cela s’entend, mais plutôt psychologiquement. S'il était toujours éprouvant de se rendre dans ce monde étrange, morbide, c'était surtout cette rencontre qui l'avait perturbé. Ou plutôt, son retour. Cet être si sombre qui vivait en lui, celui qu'il avait déjà vaincu pour porter l'armure du Phénix. Croire que l'on se débarrassait de quelque chose et s'apercevoir que ça n'avait jamais été le cas, voilà une situation qui n'était pas agréable. Surtout qu'avec son retour, c'était un flot d'images et de sensations qui lui était revenu. Il devait se sortir de ça. Et une seule personne pouvait réellement l'aider. Celui qui l'avait envoyé par delà les frontières du monde physique, celui qui lui avait crée ce passage vers le Styx. Antares.

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de voir son mentor. Antares était un des douze chevaliers d'or mais pas des moindres. Porté en haute estime par Elias qui voyait en lui l'exemple à suivre, il était loin d'être un chevalier de seconde zone. Sa sagesse et sa puissance faisaient de lui un des soldat d'Athéna des plus redoutables. Et c'était justement pour lui demander son avis qu'il venait à lui ce jour. Car la résurrection de cette entité n'avait pas amené que du malheur. Plus fort qu'avant, Elias était parvenu à repousser cet être dans les tréfonds de son âme. Les flammes du Phénix ne demandaient qu'à se répandre sur le monde mais pour cela, le jeune homme se devait d'être irréprochable. cette nouvelle puissance qu'il avait ressenti, il se devait de la canaliser pour s'en servir à sa guise.

Déjà apparaissait la Maison du Scorpion. Son armure sur lui, la queue du Phénix claquant son armure dans son dos, il s'approcha plus déterminé que jamais. Il n'avait guère mit de temps à arriver jusqu'au sanctuaire de son maître et il sentait d'ici la présence rassurante du chevalier d'or. Comment réagirait-il après tant de temps sans s'être vu ? Les événements récents s'étaient accélérés pour le Phénix et peut-être que son mentor en avait entendu parler. Quoi qu'il en soit, il pénétra dans le temple, son regard cherchant son maître. Une fois repéré, il s'approcha de lui puis, inclinant la tête vers le sol en signe de salutation et de respect, le jeune phénix prit la parole.

- Maître Antares, j'espère ne pas vous déranger. Je désirais vous rendre visite et avoir votre opinion sur un problème qui me tracasse. Si vous avez du temps à me consacrer, bien entendu.

Le fier Phénix, l'oiseau éternel, celui qui avait pendant un temps fait jeu égal contre le Grand Pope, voilà qu'il redevenait ce jeune apprenti face à celui qui l'avait tant aidé. Antares, le Scorpion d'Athéna. Un petit sourire apparut sur le visage juvénile d'Elias. Revoir son maître lui faisait plaisir et pendant une courte seconde, son cœur chassa ses appréhensions. Mais maintenant, il attendait que son maître lui donne ce qu'il recherchait... Du temps et des conseils. Peut-être que certains guerriers se gausseraient de lui s'ils apprenaient cet entretien - la fierté des uns avait tendance à les rendre un peu idiots - mais le Phénix avait une mission plus importante que la plupart. Purifier les âmes pour ramener à cette terre le visage qui lui convenait réellement. Il ne pouvait se permettre d'agir à la légère.

Je l'avais senti venir, petit brasero gravissant les marches jusqu'à ma demeure. Petit Brasero? Non, la flamme s'était changée en feu ronflant, à ma grande surprise, et pour ma plus grande joie. Je connaissais sa présence comme si elle était mienne, et pourtant il était différent du jour de son départ. Un sourire apparu sur mon visage: au moins aurions nous une foule d'histoires à nous raconter. Et je devais avouer que la prise d'autonomie de mes élèves m'avait quelque peu affecté. Non pas comme un père pour ses fils, mais comme le membre d'une fratrie, s'apercevant que le temps a fait son œuvre, et que son cœur se retrouve amputé d'une partie. Retrouver l'un de mes disciple était donc comme une pluie d'été, une brise fraiche dans le désert.

Étudiant un peu plus profondément le cosmos dégagé par Elias, alors qu'il continuait son ascension, je constatais qu'au delà de la puissance manifeste qu'il avait gagné, il y avait autre chose, une dissonance dans la symphonie complexe de sa structure énergétique qui faisait se mouvoir son feu de manière saccadée. Était-ce la raison de sa venue? J'aurais été ravi une fois de plus de pouvoir être à ses côté pour l'aider dans la maitrise des différents niveaux de contrôle de notre énergie profonde. Enfin, je n'en étais qu'aux suppositions, il était déjà bon de le revoir, je ne devais pas céder à ma fibre enseignante, qui pourrait passer pour un certain paternalisme de ma part auprès de mon élève.

Alors que je traversais les pièces drapées de tapisseries et de voiles composant mon propre sanctuaire, j'avisais le Chevalier du Phénix, qui déjà progressai dans le hall à ma rencontre. S'inclinant bien bas en signe de respect, il me salua. Je lui rendis son salut, la tête penchée, une main posée sur le cœur, et un sourire aux lèvres.

Te voir empli mon cœur de joie, Elias du Phénix. Sache que tu es et seras toujours le bienvenu en ces lieux, et que je reste disponible à n'importe quel instant, si tu requiers mes conseils. Après tout, tu es le digne symbole de l'avenir du Sanctuaire! Ne serais trahirais je pas mon serment si je te refusais une oreille attentive, ralentissant par la ta formation?

D'une ouverture du bras, je l'invitais à prendre place dans une alcôve rembourrée de coussins et de tapis. Prenant place, assis en tailleur, j'allumais des bâtonnets d'encens, avant de focaliser toute mon attention sur lui. il est vrai que le jeune homme paraissait tiraillé par quelque chose. J'avais réussi, au fil du temps, à lui faire canaliser ses pulsions destructrices, et même si le résultats était satisfaisant, il restait tout de même assez instable. Ce qui manquait encore au Phénix pour parfaire son apprentissage, c'était du discernement, un meilleur jugement, peut être. Il lui fallait prendre conscience que les défauts d'autrui n'étaient pas tous à la même échelle de gravité, et que fondamentalement nous n'étions pas parfait. C'était le travail le plus dur, celui qui le sortirait peu à peu de son fanatisme et l'amènerait au status de Juge Vénérable. Qui sait, peut être futur Grand Pope? J'avais tous mes espoirs en lui.

Donc, parles moi de ton problème. N'oublies rien, les causes, les conséquences, les événements imprévus qui ont pu survenir et qui sont en relation avec celui-ci.

Comme au bon vieux temps, je le poussais à user de son esprit d'analyse, d'une part pour le maintenir aussi aiguisé qu'une lame, d'autre part pour le pousser à l'introspection. Il fallait, tout comme Mercurio, qu'il soit conscient constamment de son état d'esprit, du monde qui l'entourait, des pensées qui allaient et venaient dans l'obscurité de sa conscience. Avec les exercices respiratoires que je lui avais appris, il serait à même de pouvoir démêler ces fils, centré au maximum.

Confortablement installé, Elias se sentait chez lui. Les lieux ne lui étaient pas inconnus mais surtout, c'était cette présence réconfortante qui l'aidait à mieux appréhender la suite. Comme à son habitude, Antares souhaitait que le jeune homme fasse un tour complet des évènements afin de bien cerner le problème principal. Les paroles de son mentor firent sourire le Phénix. Prendre son temps pour ne pas omettre de renseignements vraiment importants, voilà ce qu'il devait désormais faire. Et pour cela, rien de mieux que de fermer les yeux et de se laisser envahir par ce flot d'images et d'informations. Faire le tri ne serait pas compliqué et respecter une certaine chronologie était indispensable à la bonne compréhension de cette sombre affaire.

Une fois prêt, le blondinet ouvrit les yeux. Mais cette fois, plus trace de sourire sur son visage, le sérieux ayant remplacé le plaisir de revoir son mentor. Le déclic avait été la rencontre avec Japheth, chevalier du Cancer. Et si ce personnage avait joué un rôle important dans l'évolution d'une partie de son pouvoir, il était aussi celui qui avait déclenché involontairement le retour de ce double. Il ne devait plus se laisser déstabiliser de la sorte. Plus maintenant qu'il avait son destin entre ses mains.

- Certaines rumeurs couraient sur un des douze protecteurs d'Athéna, Japheth du Cancer. Selon les renseignements que j'avais récolté, il était le Gardien de l'Erciyès, le puits des âmes. Afin d'approfondir le savoir qui est le mien, je décidais d'aller à sa rencontre. J'étais demandeur d'un savoir particulier, le secret qui unit l'âme à un corps physique et il répondit favorablement à ma requête. Lors de son enseignement, il me conduisit directement dans l'entre-monde, berceau des spectres et des âmes damnées. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de parcourir cette terre étrange mais sachez que c'est un monde cruel et particulièrement dangereux pour nous autres vivants.

Les images déferlaient dans la tête du Phénix. Il comptait bien lui expliquer l'ensemble de son expérience afin de bien se faire comprendre de lui. Si ce monde avait été redoutable, il y avait tout de même récolté un enseignement des plus précieux. Car il était désormais capable de percevoir le fil des Parques, celui-là même que ces sorcières tissaient à chaque naissance. Là résidait le véritable pouvoir de la perception des âmes. Là se trouvait la clé de sa mission.

- A notre retour de ce monde, je quittais Japheth afin de regagner mes appartements. Lui même recevait une autre visite et je préférais prendre du repos suite à cette expérience mouvementée. Mais quelques temps après, je sentis le danger ! Car en tant que Gardien de l'Erciyès, le chevalier du Cancer possède un pouvoir redoutable. Je ne sais pas précisément ce qui s'est passé, la seule chose évidente c'est que Japheth est retourné s'entraîner avec cet autre chevalier dans le monde dont il a la garde. Malheureusement, seul son invité revint au Sanctuaire, avec comme seule compagnie l'armure du Cancer.

Antares écoutait sans interrompre son élève, prenant certainement acte de ce qu'il lui racontait et patientant le moment venu pour poser les questions qu'il avait. Ainsi, il pourrait réellement avoir l'ensemble du tableau.

- Je vous passerai les détails les plus étranges mais je décidais à ce moment de retourner le chercher. Réussissant à ouvrir le passage menant sur ces terres désolée, je parvins à rattacher l'âme de Japheth à notre monde physique et il fit le reste du chemin. Mais alors que la fatigue envahissait mon âme, alors même que mon armure retournait au Sanctuaire, me laissant sans aucune protection, il vint à moi.

Cette fois, un léger tressaillement dans sa voix apparut, preuve que l'épisode l'avait réellement troublé. Et pour cause... Antares mieux que quiconque connaissait l'histoire particulière de son test. Il avait même sans doute déjà fait le rapprochement. Car Elias n'avait parlé qu'une fois de cet être. Une rencontre qu l'avait profondément marqué.

- Je pensais m'en être débarrassé lors de ce test, Maître. Je l'ai vu périr dans les flammes purificatrices du Phénix. Et pourtant il m'est apparu mentalement. Il était faible, bien sûr, et ne m'a laissé qu'un message. Il m'a clairement dit qu'il reviendrait, plus fort encore qu'il ne l'était, et que je venais de lui ouvrir un accès sans que je m'en aperçoive. Je crois que cette expérience dans le monde spirituel m'a tellement affaibli à ce moment, qu'il a pu en profiter pour refaire surface. Je n'ai plus aucune trace de culpabilité en moi suite à cet incident... Je n'arrive pas à comprendre comment il est parvenu à survivre.

Le jeune homme regardait fixement ses mains alors qu'il narrait cette étrange rencontre. Son double, celui à la chevelure de jais, était exactement comme lui. Longtemps, il avait été troublé par un sentiment de frustration, de colère aussi, sans jamais parvenir à savoir ce que c'était. Antares l'avait aidé à comprendre et à faire face à cette culpabilité. Le blond avait encore en mémoire les flammes noires dont se servait son âme. Celles qui avaient fait mourir ces innocents alors qu'il n'était pas encore maitre de ses dons de l'époque.

Je laissais mon disciple organiser ses pensées et me les formuler clairement. Narrant les récents événements de sa vie qui avaient aboutit à cette visite, il n'omit à son habitude aucun détail. Sauf un peut être qui me piqua au vif, mais j'y reviendrais plus tard. Narrant sa rencontre avec le chevalier du Cancer, personnage énigmatique aussi bien qu’ascétique, vivant pour ainsi dire reclus dans son antre, et qui gardait traditionnellement les âmes des défunts, il m'expliqua comment son périple l'avait conduit sur les territoires de la mort, et comment il en état ressorti plus puissant encore. La mention du fil des Parques me fit sourire, j'avais moi-même une conscience aigüe de cette manifestation de l'âme mortelle, étant capable de lier ce fil au mien pour en tirer la substantifique vitalité et m'en repaître, comme un parasite.

Me narrant la séparation avec le chevalier du Cancer puis l'alarme silencieuse mais impérieuse qui lui avait dicté ses pas jusque dans le monde des morts, il m'avoua avoir renoué avec ses anciens démons, qui j'en avais peur était des plus tangibles. Je pouvais palper son angoisse tant elle suait des pores de sa peau, lui qui d'habitude était si sûr, si fort. Il était scindé en deux, en proie à une dualité qui morcelait son âme, le propulsait tel Icare dans un gouffre vertigineux menaçant de perdre sa conscience à tout jamais. Le tableau brossé était peut être alarmiste, mais je voyais déjà les conséquences se profiler, à la vue des causes. Un être à la puissance montante comme la sienne, une étoile filante dans les cieux chargés de constellations, ne pouvait pas se permettre d'avoir une faille si profonde. Un jour ou l'autre, elle deviendrait le canal duquel l'énergie incontrôlée et dévastatrice s'échapperait. C'était rendre autant service à lui même qu'aux autres que d'endiguer sa culpabilité. Car pour espérer renaître uni il devait procéder à son introspection, et s'accepter, dans ses bons et ses mauvais côtés. Toute personne possédait une part d'ombre, j'en étais moi-même un exemple encore vivant, du moins jusqu'à preuve du contraire. Respirant profondément, choisissant soigneusement mes mots pour apaiser mon jeune ami, je retirais la main soutenant mon menton, qui ne laissait auparavant que dépasser la partie supérieure de mon visage, mes yeux le scrutant comme un rapace, puis me redressait, le forçant à relever la tête par la même occasion.

Tout cela est bien surprenant, et me laisse songeur, mon jeune disciple. Tout d'abord laisse moi te demander un léger détail qui a son importance: quelle a bien pu être la raison qui a poussé le chevalier du Cancer à s'oublier dans le monde des morts? Était il exténué après son entrainement? Y a-t-il été laissé à dessein? Cherchait-il la mort? Je dois t'avouer que cette situation me trouble, surtout de la part d'un chevalier d'or. Nous savoir à ce point vulnérable me laisse à penser que nos rangs son bien affaiblis depuis les récents événements qui nous ont touché, et que je dois m'entretenir avec le Grand Pope au plus vite, afin de fixer les choses.

Peut être n'était ce que mon sens du danger qui s'affolait tout seul. Pourtant, je n'avais pas envie de laisser les choses péricliter, rester les bras croisés pendant que le monde qui m'entourait s'enfonçait lentement mais sûrement dans une déliquescence qui signait sa fin. Rangeant cela dans un coin de mon esprit, je me reportais sur le problème de mon élève. Agir dans toutes les sphères d'influences dont je faisais partie était ma mission, mon devoir.

Et je comprends ton trouble. Tu pensais effectivement en avoir fini avec cette part sombre de toi même, ces flammes noires qui t'ont longtemps consumé, te laissant en proie à une culpabilité sans borne. Tu les as certes vaincues près du Styx ce jour là. Mais cela ne veut pas dire que tu les aies complètement annihilées. Étant une part de toi, aussi sombre que tu sois lumineux certes, mais néanmoins indissociable de ton être, elle reviendra toujours, profitant de tes moments de faiblesse pour venir te piquer les reins et bourdonner autour de toi comme une mouche. A partir de ce moment tu as deux solutions: soit la combattre, et ce jusqu'à la fin de ta vie, dépensant des trésors d'efforts afin de contenir une part de toi qui reviendra toujours à la charge, te forçant à rester constamment vigilant et fort, pour toi et pour les autres, soit l'accepter. Et cette seconde solution est de loin la plus difficile.

Je savais pertinemment de quoi je parlais. J'avais opté pour la mauvaise solution.

Tu me dis maintenant que ton armure t'a quitté, alors que tu perdais tes forces, seul près du puits des âmes. Voilà un fait qui est bien grave, alors que la légende nous dit que le phénix ne peut mourir, capable de renaître de ses cendres. L'armure désapprouve-t-elle quelque chose en toi? Pourquoi t'avoir fuit, au lieu de te soutenir? Il te faut les réponses, chevalier, et je suis prêt à t'aider dans ta quête.

Il ne le savait pas vraiment même s'il avait de sérieux doutes. La réponse à la question de savoir si Japheth était resté là bas de lui-même lui paraissait évidente : tant d'années à protéger un lieu pareil laissait une empreinte indélébile sur l'esprit. Et le choc de perdre contre un chevalier d'Argent, le choc de se retrouver face à la culpabilité d'avoir laissé mourir un autre chevalier durant la dernière bataille expliquaient à eux seul le comportement du Cancer. La compréhension de ce geste n'avait pas sa place dans l'esprit d'Elias. Il ne jugeait pas l'acte. Il ne faisait que narrer ce qu'il savait. Antares en ferait ce qu'il veut, cela ne le concernait plus vraiment. Car en ce jour, c'était tout autre chose que craignait le Phénix.

- Il ne s'agit que de déductions, Maître. Mais je reste persuadé que Japheth est resté de son plein gré dans ce monde. Lorsque je suis arrivé jusque lui, il se laissait peu à peu absorber par le puits des âmes. Le chevalier que j'ai croisé, celui qui portait l'armure de Céphée, est en partie responsable de cet état de fait. Ce qu'il a dit ou ce qu'il a fait pendant cet entraînement est sans doute la cause de la descente aux enfers du chevalier d'Or. Bien sûr, je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est le seul à blâmer. Mais il ne semblait pas disposer à aller chercher du secours pour empêcher le Cancer de disparaître... Comme s'il n'était pas marqué par l'avenir des protecteurs de ce sanctuaire.

La hargne pouvait se sentir alors que Elias terminait de répondre à la première des interrogations de son mentor. Céphée n'était évidemment pas le seul responsable et Japheth avait certainement été affaibli psychologiquement par son passé. Néanmoins, on ne pouvait se prétendre un défenseur d'Athéna si l'on était prêt à laisser mourir un de ses protecteurs. Or cet homme n'avait eu aucune réaction d'alarme. Avait-il seulement tenté de raisonner celui qui se voulait être le Gardien des âmes ? Et même si tel avait été le cas, pourquoi quitter sa maison sans appeler du renfort ? Non, Elias avait beau retourner le problème dans tout les sens, il ne voyait en cet être que vilenie. Et même si cela ne concernait que Japheth, le Phénix n'était pas prêt à fermer les yeux sur l'inaction de Céphée.

Mais il n'était pas ici pour laisser jaillir sa colère. Il était trop tôt. Trop tôt et surtout, ce sentiment était inadapté à la situation. Lui qui était juge et bourreau, lui qui devait peser le poids des âmes afin de valider la pureté de celles-ci, il ne pouvait pas - non, il ne devait pas - se laisser aller à un tel sentiment. Ce n'était pas digne du Phénix. Mais en un sens, il savait d'où cela provenait. Et c'était aussi pour cela qu'il était venu à Antares. Car seul lui pouvait désormais l'aider.

Le Grand Pope. Un instant, l'image du chevalier du Sagittaire s'imposa à son esprit. Son combat contre lui l'avait quelque peu marqué et il portait pour lui un respect réel. Savoir que celui qui les dirigeait restait un des douze protecteurs, voilà quelque chose qui était rassurante. Car l'inactivité d'un soldat pouvait jouer sur ses compétences martiales. Ici ce n'était pas le cas, tant mieux pour Athéna. Son maître trouvait les chevaliers affaiblis et Elias ne pouvait que partager son sentiment. Si ce dernier décidait d'en faire part au Grand Pope, alors peut-être que cela s'arrangerait.

- Je ne pense pas qu'elle désapprouve quoi que ce soit... Au contraire. Néanmoins, je ne possédais plus la moindre trace de cosmos en moi suite à ce second voyage. L'armure d'or du Cancer m'a même prêté main forte pour que je puisse retrouver Japheth, tant l'ouverture de ce passage est compliqué. Sans doute que mon corps et mon esprit n'étaient plus capable de supporter la pression d'une Cloth. Même de la mienne. Je n'aurai jamais cru que porter une des armures d'or puisse être si difficile. Vous portez un bien lourd fardeau, Maître.

Il ne voyait que cette option. Ou alors... Peut-être qu'elle l'avait temporairement quitté parce qu'elle avait senti l’émergence de cette seconde conscience ? Elias avait interprété son retour comme une marque de sa propre faiblesse. Il s'était dit que sans la protection de son armure, il n'avait pas été suffisamment fort pour résister à l'attrait de cette personnalité sombre. Mais si c'était l'inverse ? Si c'était la conscience qui avait expulsé la Cloth du Phénix ? Cela signifierait qu’elle était devenue plus forte que par le passé. Et qu'il n'aurait d'autre choix que de la dompter pour espérer rester maître de ses émotions. La culpabilité était un prix trop fort à payer et vivre avec n'était plus possible. D'autant qu'il ne pouvait y avoir que ça. Le visage de cette entité réapparut dans son esprit.

- A la lumière de vos paroles, je viens d'envisager un nouveau problème. Pensez-vous que cette culpabilité soit suffisamment forte pour repousser la protection de notre déesse ? Le Phénix est immortel et j'en sais quelque chose. Cela fait suffisamment longtemps que mon esprit communique avec celle de cette Cloth. Mais si elle perçoit que quelque chose en moi ne correspond plus à ses principes... Alors ça expliquerait tout.

La rage de mon élève fit écho à la mienne. La colère du Juste grondait en moi, réclamant son dû, mais je devais réfréner mes pulsions, me focaliser sur la main tendue, demandant mon aide. Comment un personnage de la sorte pouvait agir en ces lieux sans subir de représailles, cela je l'ignorais. Cependant, je savais que les choses allaient changer, sous mon impulsion. Justice allait être rendue, et n'attendrait pas. En cela, je partageais les penchant de mon élève. Quel besoin d'attendre? Il fallait couper l'herbe sous le pied du mal, pour qu'il ne puisse s'enraciner plus profondément encore. Mais pour l'heure, d'autres révélations étonnante sur mon disciple changèrent mon humeur. Savoir qu'il avait, même un temps, porté la Cloth du Cancer, cela me remplissait de fierté autant que d'une certaine appréhension. Jusqu'où irait le talent de ce jeune élève? Pouvais-je encore le nommer ainsi? Il m'apparaissait autant comme un prodige que comme une énigme. Je savais qu'il commençait à se faire un nom parmi les autres chevalier, et il n'y aurait pas longtemps avant que je constate qu'il avait été amené à de plus importantes responsabilités.

Effectivement, porter une armure d'or est une bénédiction autant qu'un fardeau. Issues de la volonté de la déesse, elles en contiennent le pouvoir brut, et leur propre conscience rend les choses difficiles pour nous qui ne sommes au final que de simples humains. Tout comme ce que tu peux vivre avec le Phénix, j'ai mes propres bagages sur les épaules. Mais cela m'oblige à m'épanouir dans ce semblant d'adversité, et à toujours repousser les limites que je me suis imposé. Pour le bien de tous, et aussi pour le mien. Mais tu dois savoir pour ta gouverne qu'il est très difficile pour quelqu'un n'ayant pas l'affinité requise - devrais je dire l'intimité - de pouvoir porter une armure qui n'est pas la sienne et agir de concert avec. Autant dire que dans l'immense majorité des cas, cela conduirait à la mort. Sauf dans ton cas, où l'armure est venue se donner à toi pour t'aider dans ta quête de son propriétaire. Tu vis des choses incroyables, mon jeune disciple, réjouis toi en, car la richesse en enseignements de telles expérience n'est pas négligeable.

J'avais dit tout ça tout en me levant, allant jusqu'à un mur creusé d'une multitude de niches. Chacune contenait des plantes séchées, des pots d'onguents, ou d'autres composés qui n'étaient connus que de moi seul, et permettaient d'agir de façon diverses et variées sur le corps et sur l'esprit. Trouvant ce que je cherchais, je me mis à enfourner les ingrédients dans un récipient de terre cuite, écrasant le tout à l'aide d'un pilon. Je revenais aux côtés de mon apprenti, plaçant le bol devant lui. Mon cosmos s'intensifia, mon ongle s'étira, et je frappais au centre du mélange, si vite que l'ensemble s'embrasa, sous l'effet des frictions avec l'air ambiant. J'y avais ajouté un peu du venin du scorpion, cosmos si particulier qui saurait amener mon élève vers l'état que je lui destinais. Le but n'était pas de le plonger dans une léthargie amorphe, mais de l'aider à se recentrer sur lui même. Tandis que les vapeurs s'élevaient, couvrant le visage du Phénix, ma voix emplissait l'espace et le temps, suspendant toute chose à son bon vouloir.

Voici le moment charnière, mon apprenti. Celui où tu vas te retrouver face au jugement du Phénix lui même. Il te faut passer par cette étape, toi qui ne peut accepter les facettes de ton âme. Seul le feu purificateur de ton armure te permettra de dissoudre ces parties pour n'en reformer qu'une seule, unie et forte. je serais ton guide dans ce voyage, qui n'a pour destination que la conscience même de ton armure. Prends garde, le feu du changement peu te consumer entièrement, décider de faire table rase et laisser tes cendres se disperser aux quatre vents. Pars donc, pars affronter le Phénix et regagner ta légitimité auprès de lui! Brûle et renait de tes cendres. Le Scorpion veille.

Nous allions descendre dans un endroit que très peu avaient pu visiter. Je devais moi même redoubler d'attention, n'étant au final qu'un parasite en ces lieux, un corps étranger se servant du vaisseau qu'était mon apprenti pour pénétrer dans les strates d'un œuf légendaire. Mais ma détermination à aider Elias était trop forte, ma curiosité trop grande, et rien au monde n'aurait pu m'empêcher de faire ce voyage spirituel. Alors que les vapeurs commençaient à se dissiper sur une douce lumière éthérée, je frappais de mon ongle, clé ouvrant la porte vers le monde onirique que seul le Bronze pouvait appréhender.

Se laisser transporter par le pouvoir d'Antares avait été plus facile qu'il ne l'avait cru. Alors qu'il arrivait dans ce monde si particulier qui représentait sa conscience, Elias fut frappé par l'obscurité des lieux. La salle semblait vaste et si vide. Peu de lumière. Mais une terrible source de cosmos qui semblait comme dominer les lieux. Dans son dos, il sentit alors la présence réconfortante de son mentor. Antares avait souhaité le suivre dans cette aventure et il s'en félicitait : un chevalier d'Or aussi expérimenté ne pouvait que l'aider à survivre. Ou du moins, l'aider à comprendre ce qu'il allait rencontrer. Car s'il y avait bien un sentiment dominant les autres à ce moment précis, c'était évidemment la peur. L'appréhension de revoir ce visage. Le doute car il s'était avéré redoutable. Et s'il prenait possession de lui, alors les prédictions sombres de Mercurio arriveraient plus tôt qu'il ne l'avait prévu. Absorbé par l'ombre, il ne serait plus purificateur. Mais damné !

Reportant son attention sur la salle, Elias s'avançait déjà de quelques pas, essayant de savoir où il devait aller. C'est là qu'une lueur capta son attention, directement sur sa droite. Et là où un mur gigantesque semblait se dresser, une ouverture venait d'apparaitre, formant une sorte de long corridor éclairé par quelques dizaines de torches. Comme un pressentiment, il sut qu'il devait traverser ce couloir. Ses pieds semblaient parcourir un parterre dallé, ce qui pouvait être étrange si l'on regardait clairement où ils se trouvaient. L'esprit d'Elias... C'était plutôt une antichambre. Comme une transition avec le véritable monde qui était le sien.

A mesure qu'il avançait, toujours suivi de son maître, la pression cosmique s'accentuait. Et c'est à ce moment qu'Elias s'aperçut de l'absence de son armure. Remplacé par une sorte de toge blanche. Tellement accaparé par la découverte de cette salle, il n'y avait prêté aucune attention. Le poids de l'armure n'existait plus pour lui et avec ou sans elle, cela ne faisait aucune différence. Il se retournait effaré vers Antares et constatait alors que lui possédait toujours la sienne. Mais le devait continuer. Il le savait. Mettant cela de côté, il poursuivit sa route. Le chemin semblait prendre fin devant lui, débouchant sur une autre cavité impressionnante par sa taille. Et cette fois, il sut qu'il arrivait en bout de course. Car devant lui, juste après un promontoire, une gigantesque colonne de flammes se dressait. Il s'agissait là de la seule source lumineuse. Une source qui semblait maîtresse des lieux. C'est là qu'il perçut la présence. Cette présence !

Plaquant subitement ses mains sur ses oreilles, il tomba à genou immédiatement après son arrivée. La colonne semblait comme changer de forme, changer d'intensité. Mais cela, seul Antares pouvait le voir désormais. Car son apprenti était en proie à une telle douleur qu'il ne parvenait plus à distinguer quoi que ce soit. Les flammes pourtant dorée du Phénix commençaient à s'assombrir. Et enfin Elias se releva. Flammes noires l'encadrant, il ne semblait plus être tout à fait lui même. Et la preuve en fut apporté à Antares alors qu'Elias se tournait vers lui, un sourire mauvais sur le visage. Sur son double visage...

Spoiler:

- Tu n'as pas ta place ici, Scorpion ! Repars dans ton monde et laisse le Phénix choisir qui de lui ou de moi peut prétendre à porter cette armure. Tu n'es pas le bienvenue !

D'un geste de la main en direction de la colonne de flammes lui permit de faire apparaître la Cloth du Phénix. Puissante, elle trônait en pièce maîtresse de cette colonne, témoin du combat qui devait se dérouler en ce lieu. Et comme preuve qu'il ne plaisantait pas, l'entité qui se trouvait dans le corps d'Elias balaya l'espace libre devant lui, créant un véritable torrent de flamme qui se précipita sur Antares. Un monde d'illusions attendait celui qui serait prit dans ce piège. Il devait repartir. Car l'âme d'Elias ne lui appartenait plus réellement.

Comme aspiré par un vortex, sans ressentir pourtant l'immense accélération que cela pourrait produire, je m'enfonçais dans les strates de la conscience mêlée de mon apprenti et de son armure. Il était logique de passer d'abord dans une création de son subconscient pour déboucher ensuite dans le sacro-saint de son armure protectrice. M'habituant au changement d'environnement, je me fabriquais mon avatar, optant pour un corps qui ne perturberait pas Elias. C'est donc revêtu de l'armure du Scorpion que je prenais pieds dans ce lieu de transition, préparant mes défenses psychiques pour parer à toute éventualité. Je savais d'avance que si nous venions à rencontrer le côté sombre du jeune chevalier, il ne se laisserait pas avoir sans combattre. De plus, j'étais un intrus en ces lieux, peut être simplement toléré pour l'instant à cause du lien de la déesse qui unissait toutes les armures créées par elle. Mais un faux pas de ma part, et je serais au mieux expulsé comme un simple corps étranger. Je n'osais songer au pire des scénarios.

Laissant le temps au jeune voyageur de s'habituer à son nouveau monde, tout en me préparant pour la suite, je le laissais ensuite me guider au travers de sa création onirique. Un portail s'était ouvert, près de nous, faisant surgir du néant un couloir transitoire, auréolé d'une chiche lumière fournie par des torches. Je reconnaissais bien là le pragmatisme de mon élève, qui s'était forgé un univers régi par les lois de notre monde réel. Voyageur intérieur, je pouvais me libérer de certaines, mais je n'en fis rien. Perturber le bon fonctionnement de ce voyage par de tels procédés était non-seulement insensé mais dangereux, et j'avais besoin que le principal protagoniste de ce qui allait se jouer soit en pleine possession de ses moyens.

A mesure que nous parcourions ce couloir je sentais qu'une pression s'exerçait contre moi, comme si je devais pénétrer de force au sein d'un amas gélatineux. Première défense à mon encontre, elle eut pour effet de creuser la distance entre le Phénix et moi, ce que je ne pouvais laisser faire, risquant de me perdre sans ce guide. Forçant les choses, ce qui me poussait à me dévoiler un peu plus, j'entrais alors au sein du noyau, le véritable pont reliant Elias au Phénix. Devant moi s'étendait un promontoire, offrant une vue sur un immense colonne de flamme, véritable centre nerveux. Cette image était fabuleuse, et je remerciais encore une fois la Providence de me faire vivre des choses inoubliables. Cet instant de contemplation causa pourtant ma perte, me laissant à la merci d'une riposte pernicieuse de la part du sombre Elias. Alors que le blond tombait au sol, en proie à une vive douleur, je vis les flammes grossir, s'étirer, changer de nature. J'allais intervenir quand mes pieds se prirent dans le sol, et qu'un mur de feu surgit subitement avant de s'éteindre, comme un avertissement. Un pas de plus, et je serais à la merci du Phénix. Je n'avais de toute manière pas le temps d'intervenir que déjà le jeune homme se relevait, encadré de flammes noires, démoniaques. Puis, la conséquence de tout cela - mais n'était-ce pas aussi la cause? - me fit face. J'avais affaire à un être torturé, morcelé, qui pourtant avait renversé la vapeur et fait surface, prenant le pas sur l'être que je connaissais.

Les menace, puis l'attaque, puissante, promesse de mille souffrances. Vive comme l’éclair, la queue de mon casque vint se planter dans une paroi, m'emmenant hors de portée de l'attaque. Le double sombre était puissant, et la haine décuplait sa force, mais il avait affaire à un maitre des arcanes, un voyageur spirituel habitué à jouer avec les différentes règles des mondes de l'esprit. J'étais plaqué à la verticale sur ce mur, défiant les lois de la gravité ainsi établies. Je n'avais plus à me soucier de chambouler ce monde, j'étais déjà repéré.

Cette histoire va bien au delà de ta personne, pauvre fou! Je ne suis pas seulement ici pour aider Elias à surmonter ses démons, mais aussi au service d'Athéna, afin que l'un de ses serviteurs ne corrompe pas l'armure sacrée qui lui a été attribuée de sa nature démoniaque! Mais ne comptes pas me repousser, jamais je n'ai laissé tomber celui qui est venu me demander assistance et enseignement, et ce n'est pas aujourd'hui que cela se produira. Si je dois vous séparer à nouveau pour vous permettre d'en finir, alors soit!

Secouant la tâte en un large demi-cercle, je lançais la queue derrière moi se balancer en direction du double. S'allongeant, celle-ci vint frapper le sol dallé, projetant des débris à la ronde, et continua sa route en direction du jeune brun, cherchant à l'atteindre. Je ne voulais pas lui faire de mal, juste m'en emparer, afin de l'aider à surmonter l'emprise du nouvel intervenant. Je me savais en infériorité ici, dans un monde qui n'était pas le mien. Mais j'avais pour moi la connaissance et l'ingéniosité, comme pouvait en témoigner ma petite intervention. Jusqu'à ce qu'il décide de modifier certaines règles de son monde, j'étais libre de profiter de celles-ci, et de contourner certain aspect.

Ainsi le Scorpion se montrait tel qu'il était : fort, redoutable et avec une foule de connaissances indispensables pour combattre dans un tel monde. Si au départ, le double d'Elias fut surprit de voir tant d'ingéniosité, il n'en restait pas moins sûr de sa propre maîtrise. Après tout, il était chez lui ici. Et tel le corps étranger que le Scorpion représentait, il comptait bien l'expulser de ce corps. La queue venait déjà de frapper le parterre, projetant les débris alentours et poursuivant sa course dans sa direction. Piètre tentative à la vérité et il allait lui démontrer qu'il faudrait plus que ça pour déstabiliser son propre pouvoir. Car cet être sombre qui venait de s'emparer du corps du Phénix n'était pas là par hasard. Il s'agissait de la haine, de la culpabilité, de l'orgueil que le jeune homme avait refoulé, cadenassé dans son esprit. Mais la somme de ces sentiments avait crée cet être.

Il levait alors simplement la main alors que l'attaque arrivait sur lui et là, le temps sembla comme se suspendre. Le dard d'Antares s'arrêta juste devant la paume ouverte du jeune homme. Le flammes noires gagnaient déjà en intensité et la colonne dans le dos du Phénix réagissait au moindre mouvement du jeune homme. La Cloth, toujours spectatrice, observait la scène, protégée dans son cocon de feu. Intouchable, elle serait une sorte d'arbitre. Car en ce lieu étrange se jouait plus que l'avenir d'un seul homme. Antares l'avait clairement dit et il avait raison.

- Tu ne comprends donc pas, Scorpion, que ce combat te dépasse ? Me supprimer reviendrait à supprimer une partie de celui que tu connais, de celui que tu as formé. Je ne peux le permettre. Athéna, déesse sacrée, est la seule que je sers. Je serais plus efficace ainsi que ne l'a jamais été Elias. N'est-ce pas rendre service à notre déesse que de laisser le plus fort gagner ?

Le bras toujours tendu pour maintenir cette attaque sous contrôle, Elias libérait une terrible onde de choc dans la direction du Scorpion, emportant une partie du sol précédemment éclaté par Antares. L'onde allait ainsi se propager jusqu'à percuter le mur où se trouvait son adversaire du moment. Pourtant, malgré ce que pouvait dire cet être, il n'était pas encore le plus fort. Car ce double visage, moitié lumière, moitié ombre,était la synthèse du combat intérieur qui se jouait. Le vainqueur serait ainsi complétement transformé. Et il est vrai que la présence du mentor du Phénix gênait considérablement celui qui désirait reprendre ses droits. Un homme capable de combattre dans un tel monde, un homme qui connaissait ces arcanes secrètes ne pouvait qu'être un poids pour la suite. L'expulser devenait une priorité. Mais cela affaiblissait aussi l'ombre. Car combattre deux fronts en même temps demandait trop de concentration.

L'impact ramena cependant à la réalité le guerrier qu'il était, et le mur s'écrasait déjà au sol, morceau par morceau. Accaparé par sa lutte intestine, le jeune homme cherchait du regard Antares et parvint à le retrouver. Ainsi il ne voulait vraiment pas quitter ce monde. Qu'il était naïf... Croire qu'il pourrait séparer les deux faces d'une même pièce était absurde. Et cette simple révélation mit plus en colère encore celui qui était le maître de ce monde spirituel.

Il leva de nouveau le bras. Au dessus de lui, les flammes noires se concentrèrent, faisant apparaître peu à peu la forme d'un terrifiant phénix sombre. Alors que l'animal sacré déployait ses ailes de part et d'autre de son corps, les flammes prirent possession de la salle. Le souffle ardent du Phénix allait se déverser sur un monde que le Scorpion ne pouvait contrôler. A part jouer avec les règles en vigueur, que pourrait-il donc faire ? Emplit d'assurance, le Phénix lâcha son avatar sur son maître. L'oiseau immortel allait bruler l'âme de cet inconscient qui n'avait pas fui alors qu'il en avait eu la chance.

Mais alors que l'oiseau prenait son envol, un tremblement terrible secoua la salle, déstabilisant même la colonne enflammée qui trônait en maître par ici. Portant sa main au visage, le double d'Elias tomba à genou, poussant un cri de douleur effrayant. Elias venait de profiter d'une brèche pour tenter de reprendre le contrôle. La preuve en était la taille de cet oiseau de flammes qui rétrécissait à vue d'oeil, laissant la possibilité à Antares de résister. Et d'aider son élève.

La capacité d'adaptation de mon adversaire faisait honneur à la vivacité d'esprit de mon élève. Je n'en attendant pas moins de lui, malheureusement pour moi. Stoppant net mon dard en agissant simplement sur l'espace et le temps, il me renvoya mes arguments à la figure, de même qu'une onde de choc qui balaya tout sur son passage. Si je voulais aider Elias dans sa lutte intestine, il me fallait survivre. Je doutais qu'un tel être puisse être d'une grande aide dans la lutte des chevaliers d’Athéna, quand bien même ce double maléfique était puissant. Je réfléchissais rapidement, puis trouvait la solution. Regardant devant moi, je laissais mon corps se fissurer, s'émietter, jusqu'à tomber en morceaux au pied du mur, alors que l'onde de choc frappait ma position précédente, laissant les gravas et pans de pierre recouvrir le tout. Un instant qui paru une éternité se déroula avant que quelque chose ne bouge, un infime tressautement dans la roche, qui pris la forme d'un scorpion minuscule sortant d'une des ouvertures causée par l'empilement de gravas, bientôt suivi par une multitude de ses semblables. L'ensemble, grouillant sur le sol, se regroupa finalement pour grossir et prendre petit à petit la forme de deux jambes, puis d'un tronc, pour enfin me redonner forme humaine. J'avais eu recours à la puissance de mon armure autant qu'à la force de mon âme pour cette esquive spectrale, et cela ne me laissait pas sans quelques bleus mentaux. Mon âme était pareille à de la dentelle à cet instant, et il me fallait du temps pour reprendre contenance. Mais du temps, je n'en avais pas.

M'apercevant, le Phénix noir laissa éclater sa puissance, emplissant la pièce d'une chaleur suffocante à l'image de la haine qui le rongeait de l'intérieur. L'oiseau de légende pris forme dans la colonne enflammée nous surplombant, déployant ses ailes pour embrasser les murs de la caverne. Je savais que s'il le décidait, le sombre double pouvait à présent en finir avec moi, m'éjecter au mieux de cet endroit pour terminer le travail. Il me faudrait alors en finir de l'autre côté du voile, et là encore, je n'étais pas sur d'avoir la force d'attenter à la vie de celui que je chérissais tant. Ce sentiment me donnant des forces, je me préparais à résister de toute ma volonté, tandis que l'oiseau décidait de se mouvoir et de fondre dans ma direction. Il avait pris son envol en mangeait la distance, lorsque le jeune homme hurla une nouvelle fois, en pleine lutte pour le contrôle de son existence. Ce devait être terrible. Elias me laissait pourtant une ouverture, comme le prouvait l'oiseau de feu noir qui rapetissait à vue d’œil, et je me devais de profiter de cette fenêtre de temps pour parvenir à lui apporter mon assistance. Je bondissais, passant au dessus des flammes sombres, ayant pour celui en face de moi l'apparence d'un scorpion toutes pinces ouvertes. Arrivant sur mon élève, les pinces se refermèrent autour de lui, me laissant reprendre ma forme usuelle. J'étais alors collé à lui, l'entourant de mes bras, serrant de toutes mes forces pour contenir la puissance que dégageait la lutte interne. Comme une multitude d'onde de choc, des vagues de feu émergeaient du corps du garçon à intervalle régulières, témoins du choc se déroulant au fond de lui. Malmené par cette succession d'explosion, je ne tenais que par la force de mon esprit, et l'espoir d'arriver à une fin. J'hurlais pour couvrir le vacarme que causait cette manifestation.

N'est pas digne de servir la déesse que celui qui ne s'accepte pas déjà lui même! Comment oses tu prétendre la servir mieux qu'un autre, alors que tu n'as aucune pitié pour ton autre toi? Je resterais ici, dussé-je être la coque qui solidifiera votre noyau, mais crois-moi, je ferais de vous un être uni, je le jure sur mon sang!

Jetant mes dernière forces dans la bataille, je pesais de tout mon être pour forcer les deux moitié à s'unir, comme on resserre les deux parties d'un cœur brisé. Si je devais mourir à la fin, ce serait sans honte, car j'accomplissais ce que je jugeais être l'action la plus digne de mon existence.

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Repos 1/3

Le combat le plus intense ne se déroulait cependant pas en surface, aussi spectaculaire qu'il soit. Mais bel et bien dans le Moi d'Elias. Épongeant son front d'un revers de la main, il regardait ce double qui était tout aussi mal en point que lui. Leur puissance se neutralisait. Ils étaient les deux faces d'une même pièce et Elias commençait à le comprendre, doucement mais sûrement. Cependant, ce double aux cheveux de jais refusait cette acceptation. Le trouvant faible. Ne souhaitant finalement que faire d'eux le véritable phénix, tout puissant, afin d'abattre les ennemis de leur déesse. Au final, leur but était le même. Pourquoi le refusait-il ?

Levant les yeux, Elias avait une vue d'ensemble de ce qui se déroulait en surface, comme s'il se trouvait devant un moniteur. Cette vue lui était étrange car il savait ne plus contrôler ce corps pour le moment. Mais il luttait de toutes ses forces pour reprendre le droit de le posséder. Et ce n'était pas vain puisqu'il était parvenu à contrôler la puissante attaque du phénix noir. Ses yeux se reposèrent sur l'autre. Qui se relevait également. Il n'était que haine. Que colère. Que jugement. Mais il était lui. Était-ce donc ça, sa vraie nature ? Un homme rongé par les vices qu'il souhaitait combattre. Comme s'il s'en nourrissait pour devenir plus fort. Et il l'était... Mais Elias savait que ce n'était plus suffisant. Son maître lui avait parlé d'acceptation ou de combat. Il faisait les deux.

- Cesse ce combat. Tu perds du terrain... L'alliance n'est pas impossible. Nous avons les mêmes convictions. Joins tes forces aux miennes plutôt que de chercher le combat à ce point. Mêlons nous et nous pourrons enfin porter les valeurs de notre déesse au dessus des valeurs des autres dieux.

Mais la vindicte de cet homme était plus forte que tout. L'annihilation totale, voilà ce qu'il recherchait. Alors qu'il se relevait, Elias sut qu'il n'aurait plus le choix. Il leva son bras au dessus de lui, une gigantesque sphère de flammes apparut alors. Son ombre fit de même. Il s'agissait là de leur ultime attaque. En puisant dans leur âme même, il s'apprêtait à éradiquer l'un et l'autre la part qu'ils exécraient.

- Tout ou rien, telle est ma philosophie. Nous sommes dans une impasse Elias... Car cette attaque va balayer ce monde dans lequel nous nous trouvons, tu t'en doutes n'est-ce pas ? Et le survivant prendra alors la place qui est la sienne. Antares ne sera qu'une victime collatérale de ce combat. Et crois-moi : je ne suis pas disposé à te laisser la place.

Il lui souriait désormais. Il ne mentait pas, à en croire la taille de cette sphère noire. Mais celle du Phénix n'avait rien à lui envier. Ce monde serait détruit pour se reconstruire à l'image du vainqueur. Ils frappèrent alors.

C'est alors que le changement s'opéra. Les paroles du Scorpion et sa présence d'esprit réveillèrent quelque chose dans l'âme somnolente du chevalier du Phénix. Maintenu par Antares, il ne pouvait fuir. Antares avait été plus malin, plus ingénieux. Le combat interne qui s'opérait touchait à sa fin. Derrière eux, la colonne de flammes prit une teinte orangée avant d'exploser littéralement, jetant un voile noir sur l'ensemble de la pièce. Le souffle de cette explosion balayait déjà tout sur son passage, une onde de choc qui détruisait ce monde, pierre par pierre. Les murs, le sol... L'effondrement total afin que rien ne subsiste.

Le sol disparaissait peu à peu, ne laissant qu'un îlot résister, celui là même sur lequel le Scorpion et le Phénix se trouvaient. Un halo étrange apparut au dessus de leur tête. La Cloth du Phénix irradiait désormais d'une puissance nouvelle et lorsqu'elle fondit sur Elias, elle brisa l'étreinte d'Antares, repoussant ce dernier sans ménagement. Cette fois, le Scorpion n'avait d'autre choix que de retourner dans le monde réel. Car tel l'anticorps combattant un virus, Elias venait d'expulser son maître de sa conscience. Pour le préserver ? Pour garder la main sur la fin du combat ? Il le saurait bien assez tôt. Car l'âme de son élève revenait elle aussi dans son corps.

Là, ils se retrouvèrent au même endroit qu'au départ de cette aventure. Elias se tenait droit, fier, devant celui qui l'avait accompagné. Plus de trace de ce double visage. Le blond semblait avoir gagné la partie. Mais quelque chose dans son aura venait de changer. Plus forte encore qu'auparavant. Argentée. Et cette confiance qui s'échappait de lui. Posant un genou au sol, Elias s'inclinait déjà devant son mentor.

- C'est terminé, Maître Antares. Il a été complétement détruit.

Une larme presque invisible coulait le long de sa joue, tombant sur le sol. De joie ou de chagrin, ce sentiment appartenait au Phénix et à nul autre.

Vibrant comme un nuage d'électrons le jeune homme tentait d'échapper à mon étreinte. Je ne pouvais voir ni sentir si mes paroles avaient pu le toucher en son for intérieur, mais l'aspect de la colonne de feu nous surplombant me montrait clairement le chaos qui devait se produire à cet instant. Je ne pouvais que me cantonner à mon dernier coup de tête, aussi suicidaire qu'il pouvait être. Je n'avais de toute façon aucune intention de tenter quoi que ce soit d'autre, ayant le sentiment que notre salut à tous ne tenait qu'à mes bras serrés autour de mon apprenti. Comme détachée de mon être, une part de moi s'interrogea sur l'incongruité de la situation, et mon destin m'amenant de plus en plus fréquemment à me trouver dans des situations périlleuses. En même temps, n'avais-je pas donné tout ce que je possédais pour servir la déesse? L'aboutissement de ma vie de Saint, comme je l'avais dit auparavant.

Puis un ultime soubresaut parcouru le corps brûlant du Phénix. Comme un écho, la colonne de flamme se distordit complètement, pour finir par exploser, détruisant tout sur son passage, autour de nous. Comme si mes paroles se révélaient être prophétiques, en fin de compte, nous étions protégés de la destruction, moi le noyau, et Elias le cœur. Sur notre îlot solitaire, au milieu du vide le plus profond, nous étions comme accroché l'un à l'autre, récifs mutuels perdus dans l'immensité du néant. Et alors que tout s'arrêtait, je prenais le risque de jeter un œil sur mon protégé, devant ainsi relâcher mon étreinte. Je savais que si j'avais affaire au mauvais invité, je lui laissais une occasion de se débattre et de tenter de s'échapper, mais je devais en avoir le cœur net. Et ce n'est ni Elias ni son double sombre qui me surprirent, mais le Phénix lui même, impérieux, qui vint s'arroger le vainqueur du combat, m'expulsant de la partie comme un enfant surpris à fourrer son nez dans un harem. Je me centrais sur ma protection donc, rendant cette sortie aussi peu douloureuse que possible. Je réintégrais mon corps, en proie momentanément à ce mal étrange qui peut vous prendre lorsque vous intégrez cette réalité. Je me laissais le temps de l'adaptation, reprenant contenance et surveillant mon état. j'avais été quelque peu rudoyé par les attaques du double sombre, mais dans l'ensemble je m'en sortais sans gros problème. C'était important pour la suite, à savoir réceptionner le jeune blond en ce monde.

Ce moment arriva enfin, et je retenais mon souffle. Qu'allais-je trouver, face à moi? L'un, l'autre, ou un nouvel être? Je n'eus la confirmation que lorsque le Saint ploya le genou à mes pieds, m'assurant sa fidélité, et la finalité de son travail. Me penchant en avant, je saisissais son épaule, le forçant à lever les yeux vers moi. Mon visage était serein, souriant et plein de bonté, ainsi que de douceur. Je pouvais sentir les changements qui s'étaient opérés en lui. De la puissance, beaucoup de puissance, mais aussi autre chose...de la complétion.

Détrompes-toi, mon disciple. Rien ne crée, rien ne se perd. Tout se transforme. C'est un être nouveau qui se trouve en face de moi, un homme dont les fêlures ont disparues, un pilier de marbre dont la solidité ne sera plus jamais remise en doute!

Je me levais, et allait jusqu'à une alcôve contenant un garde-manger de bois. En sortant deux grappes de raisin, gorgées de sucre, j'en tendais une au jeune éveillé.

Fêtons cela dignement, digne Chevalier! Ta renaissance se doit d'être célébrée par le sucre et les rayons du Soleil!Aujourd'hui plus qu'à aucun autre moment, tu as su montrer que tu étais l'un des plus grands serviteurs de la déesse!