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Il esquiva d’un bond l’attaque du Général mais malgré sa célérité, son état ne lui permettait pas de directement contre-attaquer. Puisant au plus profond de lui-même, Kahran intensifia sa cosmo-énergie et s’élança en direction de son adversaire qui n’eut qu’à rabattre son arme devant lui pour absorber le coup du renégat. Kahran afficha une grimace tandis que ses yeux perdaient toute humanité et que son coté bestial refaisait surface. Jamais il n’avait été un homme d’honneur, jamais il n’avait été un valeureux guerrier.
L’homme qui lui faisait face incarnait tout ce qu’il abhorrait dans la chevalerie et l’on pouvait assister aujourd’hui du combat ultime entre deux philosophies. Mais malheureusement pour lui l’un avait une armure et pas l’autre et en l’occurrence cette armure se trouvait être celle du Kraken.
Rendu confiant par son entrevue avec Théodora, Kahran savait à présent que les Marinas au courant de son statut de fugitif devaient se compter sur les doigts d’une main. Sans paniquer, il traversa des pans entiers du Sanctuaire Sous-Marin dans le but de parvenir à la seule sortie qu’il connaissait et qui lui permettrait de rejoindre rapidement la surface.
Les gardes ne faisaient pas attention à lui et parfois il apercevait des hommes courir dans les couloirs pour se rendre à la grande réunion. Plusieurs l’observèrent quelque peu surpris de le voir se diriger dans la direction opposé du Temple mais personne ne s’attardait trop de peur que Poséidon ne se courrouce d’un éventuel retard.
Peu importe le Dieu, ce sont tous les mêmes au final…
Et c’est alors qu’il la vit…
Son cœur battait la chamade lorsqu’il vit le Kraken armé sa gigantesque épée dans le but de lui abattre sur le crâne. Mais non dénué d’un sens tactique, ce dernier profita du bref moment où Kahran se positionnait défensivement pour faire naître du sol des liens de terre qui lui agrippèrent les bras. Un sourire se dessina sur le visage du colosse, aussi grand qu’Haldor, qui lui faisait face.

- Je suppose que Poséidon ne m’en voudra pas de t’éliminer dès à présent. Ta simple présence explicite assez la menace que tu représentes Augure.
- Kahran.

Son teint de nacre la rendait presque maladive, depuis leur dernière rencontre elle avait maigri et cela ne faisait que renforcer l’apparence irréelle dont elle était voilée. Pour la deuxième fois de sa vie, Kahran s’époustoufla quelques instants. Jamais il n’avait pensé la revoir… Etain était la, face à lui, dans le Sanctuaire Sous-Marin.
Leurs regards se croisèrent et Kahran hocha la tête quelques instants. Dubitatifs il s’absenta quelques secondes dans ses réflexions en se demandant si la fatigue n’était pas en train de le rendre fou où si son coma n’avait pas eu des conséquences plus dramatiques que la poussée de sa pilosité. Mais non, il faisait confiance en ses sens et tous s’éveillèrent à la vue de la jeune femme. Trop surpris pour pouvoir articuler le moindre mot il ne dut son salut qu’au manque d’expérience de son agresseur qui bien que puissant possédait une cosmo-énergie erratique et sans aucune forme de contrôle.
Le coup lui manqua de peu le cœur et son sang gicla sur le sol de granit bleu. Il poussa un grognement en portant sa main gauche à son épaule droite ensanglanté. Une profonde entaille laissait échapper un épais filet de sang. Kahran fit fi de la douleur et se tourna vers le responsable le plus promptement possible.

Vêtu de l’armure du Kraken son opposant était un homme immense des terres de l’Est à en juger par les traits de ses yeux légèrement plissés. Théodora l’avait prévenu, un nouveau Kraken avait été nommé mais jamais le renégat n’aurait imaginé que Poséidon puisse trouver si parfaite incarnation de sa destruction. Tout en muscle, l’homme manipulait une immense épée de pierre noire dont la lame était nervurée d’orichalques jusqu’à la garde finement ouvragée. Kahran posa son regard sur Etain en comprenant à son visage ce qui se tramait. Ses traits se firent plus dur tandis qu’il reporta son attention sur le nouveau Kraken.

- Je vois que je ne suis pas le seul que le vieux crabe à récupérer.

L’homme pointa son arme dans sa direction.

- Je suis Rhaegar, porteur de la Scale du Kraken et garant des fonctions associés.
- Je suis pressé et je crois qu’on vous attend… Donc si tu voulais bien m’épargner tes salades…

Pas une seconde il ne porta son regard sur Etain tandis qu’il se redressait et qu’il se dirigeait à nouveau vers la sortie. Mais sa pitoyable sortie s’interrompit lorsqu’un pilier de terre à ses côtés vola en éclat. Il bascula sa tête en arrière tandis que son adversaire adoptait une pose de duel.

- Je suis navré mon ami mais je doute que Poséidon ne te pardonne de louper son retour parmi nous.
- Poséidon je l’emmerde.

Il ne s’en fallut que d’un cheveu qu’il esquive l’attaque de son adversaire d’un bond. Il s’écroula au sol sur son épaule souffrante et poussa de nouveau un râle de douleur en se redressant. Pourtant son visage dissipa rapidement l’expression de la douleur et il posa sur le Kraken un visage lassé.

- Je pensais que les preux Chevaliers n’attaquaient pas les gens dans le dos.
- C’était juste pour capter ton attention.
- L’épée de trois mètres suffisait...

A la merci de son adversaire, Kahran afficha une mine étonnamment calme. Son regard se posa sur Etain et il prit une profonde inspiration en contemplant le visage si parfait de la jeune femme. Apollon et son départ l’avait sans doute privé du bonheur qu’il aurait pu éprouver en passant une vie à ses côtés. Dans une vie idéale, Apollon l’aurait remercié de ses services et lui aurait permis de la prendre pour femme. Sa seule préoccupation aurait été alors de la courtiser et de finir paisiblement ses jours auprès d’elle…
Son visage devint plus dur tandis qu’il intensifiait davantage sa cosmo-énergie. Rhaegar, comprenant qu’il tramait quelque chose commença à s’élancer vers lui mais bien trop tard pour comprendre que finalement Kahran avait d’autres pouvoirs que celui de frapper les gens avec ses poings gorgés de puissance divine.

Une vague brutale de cosmo-énergie sembla s’extirper de son corps et partit à toute vitesse en direction d’Etain…

Rhaegar eut à peine le temps de matérialiser un bouclier de pierre devant la jeune femme que l’énergie alla s’écraser dessus le faisant fissurer mais mettant définitivement l’Albatros à l’abri.

Le bouclier se fissura laissant réapparaître la jeune femme au visage de porcelaine.

Rhaegar à genoux la regardait avec des yeux implorants. Derrière lui Kahran d’un visage hautain retira son bras prolongé du rasoir de glace. Planté dans sa nuque, le Kraken n’avait eu aucune chance et il n’avait pas pu maintenir les liens de l’Augure en même temps que la protection de la jeune femme. Le Kraken voulut parler mais le seul son qu’émit sa bouche fit celui des gargouillements de sang qui se formaient dans sa gorge.
Il bascula la tête la première et la mare de sang s’étendit au sol tandis que Kahran observait son adversaire d’un visage impassible. Il lâcha la lame de glace que le choc brisa sur le granit et posa ses yeux sur Etain…

Le rêve s'était métamorphosé en cauchemar. L'ambiance cérulée s'était nappée d'écarlate. Retour du spectre. Mort du sauveur. Elle était tétanisée. Les lèvres scellées et le corps pétrifié, elle n'avait pas bougé. Muette et immobile, elle s'était faite inexpressive et blafarde telle une statue d'albâtre. Elle n'était pas intervenue, incapable de choisir entre un passé qu'elle chérissait et un avenir qu'elle désirait.

Il l'avait utilisée pour tuer Rhaegar. Elle avait été l'instrument de sa mort. Ce sang épanché sur le granit coulait aussi sur ses mains. Elle fixait la mare de sang, pleine d'effroi. Le dernier regard du Kraken la hanterait à jamais. Tout s'écroulait en elle. Comment avait-elle pu espérer quoi que ce soit ? La mort la suivait, traçant derrière elle un macabre sillage. Elle releva les pupilles vers Kahran. Peu à peu, la colère montait en elle, elle submergeait la douceur dont elle avait fait preuve jusqu'ici.

« Tu ressurgis et tu brises ma vie », lui dit-elle avec fiel.

Elle s'avança vers lui, la démarche souple et le regard glacial. Le goût amer de la haine flottait dans sa bouche. Elle ne voulait pas chercher à comprendre, elle ne souhaitait rien savoir. Ses pieds nus trempèrent dans le sang qui macula leur chair blanche.

« Il m'a sauvé la vie. Sans lui je ne serais pas là. »

Elle le toisa avec mépris et ajouta d'une voix tremblante :

« Et sans moi, il serait encore là. Et toi, tu serais mort. »

Elle se mordit les lèvres. Elle n'osait plus songer à l'avenir. Elle avait le sentiment de n'avoir plus de futur, d'être incapable d'avancer. Une terrible mélancolie s'était éveillée en elle, sublimant l'ire qui la frappait. Vivre lui semblait être un fardeau mais mourir volontairement était un crime. Elle se trouvait dans une impasse mentale, acculée par l'incohérence entre ses croyances et son désespoir.

« Je ne veux rien savoir de tes raisons. Toi, lui, ces démons qui prétendent être des dieux, vous n'êtes tous que des monstres assoiffés de sang, guidés par la haine et par la fureur. Vous n'avez aucun respect pour la Vie, aucune conscience d'à quel point elle est précieuse. »

Elle détourna le regard. Ses poings étaient serrés, elle sentait à peine la douleur provoquée par les ongles enfoncés dans la paume de ses mains. Elle était noyée sous un afflux d'émotions parfois contradictoires. Elle voulait fuir ce monde, s'enfouir dans une vie normale. Oublier. Mais elle savait qu'elle n'y parviendrait sûrement pas. Elle mourrait avant d'avoir trouvé la paix, avant d'avoir saisi le bonheur. C'était écrit dans son destin tragique. Et pourtant, elle ne s'abandonna pas aux passions violentes qui s'agitaient en elle.

« Jamais je ne te le pardonnerai. Je pourrais me battre pour le venger, pour laver sa mort dans ton sang. Vu ton état peut-être que j'aurais une chance. Mais estime-toi heureux... »

Plissant les yeux, elle le dévisagea à nouveau avec froideur.

« L'Albatros est mort aujourd'hui, tu lui as tranché les ailes. Alors maintenant, disparais ou finis ce que tu as si bien commencé. »

Elle écarta les bras avec une élégance morbide. Un sourire angélique ourla sa bouche.

« Tue-moi. »

Il avait voulu passer à côté d’elle. L’indifférence comme seule réponse à ses supplices. Il avait passé sa vie à cultiver le don de l’indifférence mais alors qu’il arrivait à ses côtés elle écarta les bras et lui demanda la mort. Kahran se figea, le souvenir de leur première rencontre se raviva dans son esprit. Il avait oublié le prénom de la servante d’Apollon, sœur de son incarnation, qui les avait présentés. Il l’avait côtoyé pendant près de 10 ans et il l’avait oublié.
Etain et lui n’avait parlé que quelque moment et pourtant il n’avait pas pu se résoudre à sortir l’image de cette femme de son esprit. Tout en elle l’attirait comme un aimant au point de lui faire perdre tout sens commun. Avant leur rencontre il ne s’était jamais confié sur sa condition d’Augure, elle avait été la première à l’entendre se plaindre. Elle avait été la seule avec laquelle il avait pu se laisser aller à être plus qu’Augure, à être un homme tout simplement.

La voir ainsi lui vida toute estime de soi. Il s’imagina ce qui serait arrivé si le Kraken ne l’avait pas protégé. Serait-elle morte ? Sur l’instant il en avait eu envie, la haine qu’il avait éprouvé à son égard l’avait submergé au point de lui faire oublier toute logique. Mais la frontière entre la haine et l’amour est parfois mince et Etain est, et resterait, sa meilleure ennemie.

- M’as-tu cherché ?

Il posa sur elle son regard sombre, cassant net l’instant dramatique. Sa voix grave avait été à peine perceptible sur l’instant et le trémolo qui l’avait animé n’était que le reflet de la lame de fond qui animait son cœur.
Elle lui lança un regard confus mais l’Epervier pu clairement y lire la vérité. Depuis la chute d’Apollon elle avait changée, beaucoup d’évènements qu’il ignorait s’était déroulé. La voir ainsi demandant sa mise à mort rappelait à Kahran sa propre requête à Apollon… Il serra les poings et son visage se figea de nouveau.

- Je ne partirais pas sans toi…

A cet instant seul sa volonté comptait. Sa colère se mêla aux sentiments qu’il éprouvait pour la jeune femme et sans crier gare il sauta sur la jeune femme afin de la prendre dans ses bras.

Posant a tête sur son épaule, il huma l’odeur de sel de ses cheveux et le parfum suave que dégageait sa peau. Ses yeux se fermèrent… Sa cosmo-énergie se réchauffa au contact de la jeune femme. De ce simple contact il tira plus de plaisirs que ce qu’il avait connu toutes ces années. Il avait tant voulu le faire quand il était encore Augure mais il n’avait pas pu. Il sentait la tristesse et la confusion de l’Albatros mais aussi l’imperceptible mouvement de ses épaules qui lui signifiait le soulagement.
C’est moi qui devrait demander la mort pour ce que je lui ai fait subir.
Mais il ne pouvait pas. Kahran redressa la tête et desserra son étreinte faisant désormais face à la jeune femme, il dégagea une mèche de cheveux de son visage et pendant un instant la pensée de savourer le gout de ses lèvres traversa son esprit. Pourtant, il baissa les yeux et s’éloigna d’un pas de la jeune femme.

- Je…

Elle n’avait voulu entendre aucune excuse. Elle l’avait appelée Démon et effectivement il en était un, assoiffé non pas de sang mais de vengeance. C’était la voie qu’il avait choisi et le futur ne donnerait jamais tort à Etain.

- Poséidon te blâmera pour la mort du Kraken. Tu dois vivre Etain, tu représentes ce dont ce monde a besoin. Tes sentiments, ta compassion, ta tristesse mais aussi tes joies…
Pour le moment je suis ta meilleure chance de survivre et si au moment de ma mort je dois m’estimer fier de quelque chose j’exige que ce soit d’avoir su protéger ton humanité.

Il y avait toujours eu entre eux une inexplicable attirance et même à cet instant, elle se faisait sentir. Pourtant, la jeune femme faisait tout pour la chasser, estimant qu'elle était honteuse. Elle avait conscience, au fond d'elle, de jouer avec le feu. Et peut-être même y prenait-elle quelque plaisir cruel...

Elle l'avait cherché. Et maintenant qu'elle l'avait trouvé, elle n'en tirait qu'une immense tristesse. L'ironie du sort frappait encore. Il fut entreprenant comme jamais il ne l'avait été. Autrefois, pensa-t-elle, elle en aurait été ravie. Mais à l'instant présent, sa douleur ne s'en trouvait que décuplée. Enlacée par un être qu'elle ne pouvait que haïr, et touchée pourtant d'être ainsi enserrée comme si quelque ancien souvenir resurgissait pour lui imposer ce plaisir coupable. Elle lui demandait la mort, elle exigeait qu'il l'abandonne. Et lui, avec une effroyable insolence et armé de redoutables arguments, il lui offrait de le suivre. Elle resta muette. Que pouvait-elle lui répondre ? Lui cracher encore et encore sa colère à la figure ? Vain. Il avait raison. Seule, elle mourrait. N'était-ce pas ce à quoi elle aspirait, après tout ? Se sacrifier sur l'autel d'un démon restait sacrilège, pire que le suicide peut-être. Elle haïssait l’Épervier, elle dédaignait les dieux.

« Tais-toi. »

Sa voix froide heurta le silence qu'elle s'était imposé jusqu'alors. Elle n'en pouvait plus des paroles qu'il articulait ; de ces promesses qu'il ne tiendrait certainement pas. Elle croyait avoir déjà perdu toute son humanité. Mais elle devait se repentir et il était le seul à pouvoir la tirer hors de ce sanctuaire. Vivre à ses côtés serait éprouvant. Cicatriser auprès de lui était impossible. Mais avait-elle seulement le choix ? Elle le foudroya du regard.

« Je te suis. »

Elle croisa les bras sur sa poitrine, continuant de le fixer d'un air furieux. Elle était pleine de rancune à son égard, le voyage serait loin d'être agréable. Heureusement pour lui, elle se contrôlait assez -même dans pareille situation- pour ne pas se montrer infernale. Elle était aussi encore choquée par la mort de Rhaegar dont le cadavre était si proche... Elle se sentait presque trop attristée pour réussir à être réellement en colère. Elle était épuisée.

« Mais que ce soit clair : ça ne change rien », soupira-t-elle.

Il n'y avait rien à espérer. Ni pour lui, ni pour elle. Elle ne serait plus jamais en paix. Elle ne pouvait plus vivre dans la délicieuse innocence qu'elle avait tant chérie. Les années précédentes l'en avaient déjà privée peu à peu, l'ancien Augure l'avait achevée en un éclair. Elle n'osait toujours pas porter ses pensées vers l'avenir tant il paraissait obscur. Pour le moment, elle voulait fuir cet endroit, blanchir sa mémoire de ce qui s'était passé. Trouver un lieu paisible et lointain où déverser les larmes qui humidifiaient ses prunelles et qu'elle refusait de libérer par fierté.