Jevren était toujours grandement réticent à l'idée de pénétrer dans le Temple d'Arès. La première raison était la présence des gargouilles humaines tout au long du chemin; leurs figures distordues et figées en un air de souffrance perpétuel avaient le don de le faire frissonner. La deuxième en était l'obscurité ambiante: la route était parsemée de flammes, mais s'éloigner de plus de dix pas de ce chemin flamboyant équivalait à se perdre dans les abysses, tant on y voyait peu. Impossible de savoir où étaient les murs; chaque son était toutefois amplifié à l'infini, prouvant l'immensité des lieux. Quelles horreurs vivaient dans la noirceur ambiante, observant les visiteurs en toute quiétude?

La troisième raison, c'était la statue.

Cette fois, cependant, si Jevren était sur le point de pénétrer dans le temple, c'était justement pour chercher la présence de cette statue, qui contenait l'âme d'Arès et assurait la jonction entre le monde des Dieux et celui des mortels. Il désirait être soumis à Son regard - que ce soit directement ou par l'intermédiaire d'Ephtal, son Prophète, qui se trouvait très probablement sur le trône qui lui était dédié. Le Frelon avait chargé un soldat d'aller le prévenir de sa volonté d'obtenir un entretien avec lui, et de venir le trouver si la réponse était négative; ne le voyant pas revenir, il s'était mis en marche en direction de la demeure du Prophète - qu'il séparait de celle du Cardinal du Feu qui, bien qu'appartenant au même homme, ne servait pas la même fonction.

Il passa entre les rangées de silhouettes de pierre, tressaillit lorsque la première d'entre elles fit jaillir une flamme de ses mains, grotesque imitation d'une torche murale, puis avança, un peu plus serein, à mesure que la lumière se faisait sur son passage. Sa marche résonnait comme dans une cathédrale, brisant le silence mortel; son arrivée ne pouvait qu'être remarquée, et Jevren craignait presque de profaner quelque chose tant sa présence semblait réveiller dans cet environnement quelque chose qui n'y appartenait pas.

La vie, peut-être. Dans cette noirceur omniprésente, dans ce silence sépulcral, le simple bruit des battements de son coeur semblait être une insulte à l'ambiance glauque qui se dégageait de chaque mètre carré du Temple d'Arès.

A l'autre bout de ce chemin, Ephtal attendait sur son trône, surplombé par la statue imposante que tous avaient appris à respecter. Un mélange de peur et de respect emplit le coeur du Berserk; chaque fois qu'il était en présence de cette statue, il sentait, posé sur lui, le regard du Dieu de la Guerre. Probablement de la paranoïa; probablement l'effet recherché; probablement, également, la vérité... Et, légèrement troublé, il n'était plus si conscient d'obtenir exactement ce qu'il avait désiré en venant en ces lieux: l'attention divine. Arrivant à une distance suffisante pour prendre la parole, Jevren effectua son salut habituel; il frappa sa cuirasse de son poing fermé, au niveau du coeur, tout en s'inclinant; puis il se rappela de l'avertissement donné par le Prophète au Cardinal de la Famine et poussa plus loin son salut, se hâtant de poser le genou à terre.


- Je vous salue, Prophète, dit-il d'une voix ferme et assurée malgré l'environnement déplaisant. J'ai une requête à vous soumettre. Est-ce que vous avez du temps devant vous, que je puisse l'exprimer en détail, dans l'espoir d'obtenir votre approbation?


Un duel. C'était ce qu'il était venu obtenir d'Ephtal. Il ne pouvait se permettre de le provoquer de but en blanc, aussi avait-il préféré vérifier si son interlocuteur était dans de bonnes dispositions. Curieux, il releva la tête, cherchant à saisir le regard du Prophète.

Les yeux fermés, l'index et le pouce soutenant sa tempe, le Prophète se laissait aller à ses pensées. Quelques heures déjà qu'il ne s'était pas levé de ce trône, qu'il n'avait qu'à peine bougé. Les choses changeaient, et les mouvements amorcés allaient les mener à bientôt se déplacer en masse. Les cors de la guerre résonneront et annonceront le retour d'Arès ! C'était la volonté de son Dieu et Maître, dans un plan dont l'échelle le dépassait complètement. Ce qu'il en savait, il le tirait d'une discussion avec le Dieu de la Destruction. Une réelle discussion cette fois, face à face... En effet, Arès s'était décidé à prendre un corps, chose dont seuls les Cardinaux étaient au courant. Un bouleversement important en soit, mais qui n'était rien face à ce qui allait venir dans les semaines à venir... L'étincelle qui provoquerait la guerre sainte de ce siècle... C'était à cela qu'il fallait se préparer désormais. Alors que les hommes du Feu n'étaient pas encore rentrés des terres glacées d'Asgard et que l'alliance avec les forces de Poséidon était conclue, il fallait pourtant aux Berserkers faire cavalier seul. Ironique lorsque l'on pense au fait que seuls les Cardinaux parmi l'ensemble des chevaliers représentant des divinités du Panthéon étaient des cavaliers, possédant chacun leur destrier et dont la Cuirasse était faite pour couvrir également leur monture...

Mais ses pensées furent interrompues. Un visiteur en le Temple d'Arès. Il en fut averti aux bruits de pas se répercutant dans la salle, et n'eut même pas à ouvrir les yeux pour reconnaître le cosmos de celui qui venait mettre fin au silence dans lequel il était plongé depuis des heures déjà. Jevren du Frelon... Ephtal leva alors ses paupières juste au moment où le Berserker s'agenouillait, à temps pour le voir déclarer ce qu'il avait à dire.

Relève-toi, Frelon. Relève-toi, et parle ! Je t'écoute...

Quelle utilité de le laisser agenouillé plus longtemps si celui pour qui il le faisait n'occupait désormais plus la monumentale sculpture qui s'érigeait derrière le trône d'obsidienne dans lequel il s'était assis ? Qu'il se lève et parle, oui. En espérant que ça l'occuperait, ou qu'au moins ça lui permettrait un peu de se changer les idées...

Jevren fut soulagé de l'apparente décontraction du Prophète; cela signifiait qu'il était relativement bien luné, et qu'il ne risquait donc pas de prendre pour un quelconque affront la demande fort délicate à formuler que le Frelon était venu lui soumettre. Défier la Mort elle-même était une affaire à mener avec la plus grande précaution, d'autant plus que celle-ci était, hiérarchiquement, directement au-dessus de lui, ainsi que l'émissaire du Dieu de la Guerre en personne.

Ephtal le pria de s'exprimer; l'Ostrogoth ne se le fit pas dire deux fois. Obéissant aux ordres de son maître, il se releva.


- Très bien. Vous n'êtes pas sans savoir que je suis un débutant, concernant ces histoires de Cuirasse et d'armée; j'ai à peine commencé à m'habituer à ma propre armure, et je me suis entretenu avec la Pestilence afin de lui demander de m'enseigner comment en tirer toute la force. Toutefois, je suis un homme hésitant...


Il tira lentement son arme de son étui dorsal, auquel elle était sanglée avec le plus grand soin. D'un simple frémissement du poignet, la lame reconnut la prise de son porteur légitime; avec un claquement sec, elle s'allongea subitement, jusqu'à mesurer environ le double de la taille qu'elle avait auparavant. Jevren avait tout récemment découvert cette capacité, fort appréciable pour réduire l'encombrement causé par l'arme. En résultait une sorte de rapière avoisinant la hauteur de l'homme lui-même lorsque placée en position d'utilisation. Le Frelon la fit pivoter, pointe vers le bas, et la maintint ainsi, extrémité contre le sol, à la manière d'une canne ou de ces lances utilisées par les gardes de Rome.


- J'ai donc décidé de vous demander, à vous, la faveur d'un duel; de proposer l'offrande d'un combat au Dieu de la Guerre. J'e souhaiterais qu'il juge, par lui-même ou par votre intermédiaire, de ma valeur et de ma ténacité, car j'ai peur de n'être pas prêt à bien défendre sa cause si de telles hésitations embrument mon esprit. Soyez dur avec moi, je veux me surpasser.


Alors qu'il se tenait là bien droit, il remarqua à peine le changement d'ambiance face à ce trône initialement dédié au Dieu de la Guerre. La statue lui paraissait toujours aussi imposante; toutefois, si l'âme d'Arès n'y était plus, il ne l'avait pas encore réalisé. Se croyant sous l'oeil du Dieu, il tenait à ne faire aucun faux pas et mit donc de l'ordre dans ses idées.


- Qu'en dites-vous?

Ephtal se releva tout en empoignant sa faux. Puis, devant son trône, ne bougea pas l'espace de quelques secondes, scrutant celui qui venait de lui présenter une singulière requête. Il n'était pas étonnant que les nouveaux Berserkers souhaitent se confronter dans un combat pour mieux connaître leur valeur et pouvoir tenter de s'améliorer, mais plus rare que cette demande se porte directement au leader des armées d'Arès. Et... il ne répondit tout simplement pas. Descendit de l'estrade et avança vers le Berserk du Frelon, passant même à côté de lui pour dépasser sans niveau, sans plus le regarder. Puis, alors qu'il n'y avait que ses pas qui se faisaient entendre, il lui parla enfin, quelques mètres plus loin.

Suis-moi !

Simple et efficace. Le Prophète n'était pas d'un naturel particulièrement loquace, et cela se sentait parfaitement dans ce genre de situation. Les actes comptaient bien plus, n'est-ce pas ? Sans se retourner pour voir s'il le suivait effectivement ou non, le Cardinal de la Mort n'alla pas bien loin... Juste quelques couloirs en le dédale afin de rejoindre sa propre antichambre. S'affronter dans le Temple n'était pas vraiment recommandé, le risque d'endommager les lieux était de ceux qu'il ne désirait pas prendre. Par contre, ici... Il était chez lui ! Et il avait bien le droit de mettre un peu de désordre dans sa chambre, il ne se ferait sans doute pas tirer l'oreille... Ils y entrèrent donc, marchant dans le couloir de lumière créé par l'éclairage des deux ouvertures. Symbole du passage de la vie vers la mort... Le sol terreux crissait légèrement sous ses pas jusqu'au moment où il s'arrêta brusquement pour se retourner vers le Frelon.

Nous serons mieux ici ! Ne t'inquiète pas, notre Maître pourra percevoir notre affrontement sans le moindre problème et saura que nous le lui dédions.

L'homme au masque de mort se mit en garde, et les portes se fermèrent alors en un instant. Il n'y eut plus qu'obscurité. À peine un moment... Car soudainement, les flammes s'emparèrent des murs et du plafond. L'antichambre du Feu mérite son nom...

Et bien ? Qu'attends-tu ?

Etonnant changement de décor...

Ephtal avait fort bien pris la demande de Jevren, y répondant directement par le geste. Le Frelon crut y déceler une pointe d'enthousiasme - peut-être était-ce son imagination? La Mort était tellement taciturne, d'ordinaire...

Le Prophète d'Arès, sans lui adresser le moindre regard, s'était levé, était passé à son niveau, puis avait continué son chemin vers la sortie du Temple. Sa voix avait résonné, lui intimant l'ordre de le suivre; Jevren avait tressailli et, presque par réflexe d'un homme qui avait été élevé pour obéir, l'avait suivi alors que l'écho de cette impérieuse invitation se répercutait encore sur les parois invisibles de l'immense salle du Dieu de la Guerre.

Il avait avancé derrière lui, quittant cette pesante ambiance avec une joie réelle; petit à petit, les deux Berserkers, sans mot dire, avaient progressé le long des couloirs, puis du dédale menant aux Antichambres. Si Jevren s'était douté de l'intention de son maître dès le départ, ce ne fut que lorsque celui-ci s'arrêta au beau milieu du sol de terre de l'Antichambre lui étant dédiée - celle des Flammes - qu'il réalisa vraiment où il avait atterri. A l'origine, ce lieu servait de terrain de chasse au Cardinal, il était ici pour empêcher les intrus de pénétrer au coeur même du bastion; cela signifiait qu'Ephtal se battait là sur son propre terrain. Champ de bataille qu'il connaissait très certainement sur le bout des doigts, bien évidemment.

Et qui pouvait même obéir à une certaine logique connue de lui seul...

Jevren regardait autour de lui, étonné de ce décor pour le moins dépouillé, lorsque les deux portes, entrée et sortie, se claquèrent à l'unisson. Il sursauta, désormais dans le noir total. Il n'eut pourtant pas le loisir de se demander s'il allait être forcé de lutter dans l'obscurité; rapidement, murs et plafond s'embrasèrent, et le Frelon se trouva pris dans la fournaise. Il esquissa un demi-sourire. Voilà pourquoi cette Antichambre était dotée d'un tel nom.

Sans répondre à la question d'un Ephtal déjà en garde, qu'il devinait être plus une petite provocation qu'une véritable interrogation, il se plaça lui aussi en position de combat, lame à l'horizontale et au niveau de la tête. Les doigts de sa main gauche glissèrent le long de l'impressionnante arme d'estoc, laissant derrière eux une traînée luisante et violacée; en bout de course, ladite main s'écarta brusquement, et la marque lumineuse en fit de même, devenue une longue flèche de foudre qui flotta alors paresseusement à proximité du métal froid qui l'avait engendrée.


- Me voici, Prophète.


Dans son dos, une paire d'ailes faites de la plus pure lumière blanche se matérialisa; leur forme allongée faisait penser à ces appendices trouvables sur les insectes plutôt qu'aux membres d'un quelconque oiseau. Dans un vrombissement à mi-chemin entre le craquement et le son de basse, elles vinrent alors se briser l'une contre l'autre, entraînant avec elles la déchirure des atomes environnants. Littéralement propulsé par cette énergie éphémère, Jevren piqua droit vers Ephtal, préparant son estocade: une frappe à l'impact terrible, qui vibrait au niveau atomique, rongeant et entamant les défenses avec la facilité d'un acide hautement corrosif. Les dégâts occasionnés au contact, en revanche, étaient bien plus mitigés, mais là n'était pas le but. Le Frelon, intrigué par le choix d'Ephtal de ne pas porter son armure, désirait avant tout éprouver la résistance de celui-ci, espérant simplement qu'il ne frapperait aucun organe vital. Il piquerait, puis se retirerait aussitôt, fidèle à l'insecte qui était son emblème et assisté par la flèche flottante qui allait désormais percer de concert avec sa lame.

Arrivant près de sa cible, il profita de son élan et décrocha, juste avant l'estocade prévue, un coup de talon magistral en direction de son ventre. Puis il piqua, sans y mettre toutes ses forces, dans un mouvement destiné à conserver la possibilité de battre en retraite rapidement. Pour cette fois, il avait décidé d'être un peu téméraire, mais rien n'aurait su le convaincre de s'éterniser compte tenu de l'identité de son adversaire...

Répondant à sa demande, Jevren s'élança. Une première offensive qu'Ephtal ne comptait pas essayer d'esquiver. Il se contenta juste d'éveiller son cosmos, de s'en parer comme d'une protection mineure, alors que ses yeux se mirent à s'illuminer de leur lueur bleutée, typique dès lors qu'il usait de sa cosmo-énergie. Après cela, il ne fit rien d'autre que de fixer le Frelon qui se jetait sur lui armé de son dard. Bien campé sur ses jambes, il ne bougea pas d'un pouce et tâcha de contenir l'assaut. Celui-ci d'ailleurs n'avait rien de redoutable au jugement du Prophète, qui avait déjà connu pire... Certes, c'était suffisant que pour le blesser, c'était là quelque chose qu'il ne pouvait pas nier. Mais ce n'en était pas non plus au point de l'affecter ou de le faire craindre quoi que ce soit... Un coup à l'abdomen et l'épaule percée, voilà comment il s'en sortait. Le coup de lame fut cependant plus douloureux que prévu, même si la force en était modérée. Le Prophète ne demanderait plus...

Est-ce là tout ? Rassure moi et dis moi que ce n'était qu'un échauffement... Mieux ! Ne dis rien et prouve le moi ! En attendant...

Le Cardinal de la Mort se lança à son tour. Il tenait la lame de sa faux derrière lui de sa main droite, alors que la paume gauche s'ouvrait vers le Berserker du Frelon duquel il se rapprochait à une vitesse ahurissante. Cette main tendue n'est pas un geste anodin, mais l'indicateur de son absorption d'âme : le Soul Possession était à l'oeuvre. La plus typique et classique offensive d'Ephtal, mais aussi sa plus redoutable. Autant dire qu'il ne ménageait pas Jevren. Après tout, si ce garçon souhaitait être testé, il ne servait à rien de se retenir ! Et puis, en bout de course, il termina son attaque par un grand coup de faux, la lame partant de son dos pour ouvrir le sol avant d'essayer d'en faire de même avec sa victime. Une frappe verticale partant du bas... Une chance pour le Frelon que la puissance de la lame s'était amenuisée en tranchant le sol tout d'abord, sans quoi ce coup aurait pu être mortel... S'il l'encaissait du moins ! C'était maintenant que le combat se lançait réellement !

Voilà qui annonçait une lutte des plus ardues. Le dard métallique de Jevren, pourtant impitoyable, avait mordu les chairs d'Ephtal sans même arracher à ce dernier la moindre exclamation de douleur. Toutefois, faire du dégât n'était pas le but recherché: par ce coup, le Frelon avait avant tout visé à éprouver les défenses du Prophète. Et le succès n'était pas au rendez-vous: son adversaire n'y avait pas même eu recours. Ephtal avait-il réussi à évaluer la relative faiblesse de l'attaque, ou bien attachait-il aussi peu d'importance à sa propre protection que l'Ostrogoth en accordait à la sienne?

La vigilance était de mise.

Pris de court par la contre-attaque de la Mort, qui l'avait pour ainsi dire suivi dans son repli tactique, Jevren ne vit pas l'attaque portée lors de son déplacement. Toutefois, il eut le réflexe de placer sa lame à l'horizontale sur la trajectoire de la faux ennemie, tentant d'encaisser le choc du mieux possible. Le résultat ne s'avéra pas très concluant: dans une gerbe d'étincelles jaunâtres, le métal percuta le métal, et le Frelon, mal préparé peut-être à un tel impact, fut brusquement repoussé en arrière. Sentant son équilibre lui faire défaut, il pivota sur lui-même pour faire face au sol et se rattrapa de justesse, plaçant un genou en terre. La sueur perla le long de ses cheveux, coulant le long de ses joues sous son casque léger - due tout autant à l'effort et la chaleur combinées qu'à la frappe qu'il venait tout juste d'encaisser. Et encore, il avait à peine réalisé les dommages infligés par l'arcane étrange employée à son encontre. C'était absurde... Ephtal devait forcément tirer plus de pouvoir que lui de la bénédiction d'Arès! A moins que l'expérience ne joue en la faveur du Prophète...

Conscient d'offrir stupidement son dos aux assauts adverses, Jevren libéra promptement sa brume noire, qui se répandit comme un écran entre les deux combattants. Cette fumée, hautement toxique, fut subitement soufflée vers Ephtal, comme portée par un courant invisible; elle ne tarderait pas à perdre de son épaisseur, se dispersant dans l'air ambiant afin d'être inhalée par sa victime. Cependant, avant que cela n'arrive, le Frelon savait qu'il lui restait quelques précieuses secondes. Faisant à nouveau volte-face, il usa une deuxième fois de ses ailes de lumière afin de s'élancer en direction d'Ephtal. Et cette fois, il ne se contenterait pas de piquer brièvement: il userait de son élan pour traverser la brume noire et s'écraser littéralement sur le Prophète, pesant de tout son poids sur sa lame d'estoc.

Prouver que ce n'était qu'un échauffement? Aucun problème!

Le lien était établi : peu à peu, Ephtal aspirait partie de l'âme du Frelon. Ce dernier était tout de même parvenu à esquiver son coup de faux en y opposant sa propre arme, montrant par là qu'il ne comptait pas se laisser faire si facilement. Au moins cela ferait-il durer ce test un peu plus longtemps. Le Cardinal de la Mort lui-même ne comptait de toute manière pas se précipiter. Cet affrontement n'avait pas vocation à ajouter un trophée à son Antichambre, voilà une chose qui était claire. Sa marche à suivre au cours de ce combat n'allait donc pas être optimale, mais viserait juste à voir si les capacités de Jevren étaient en adéquation avec ce que l'on attendait de lui. Ce fait, il n'en doutait pas d'ailleurs... Même si c'était lui qui avait été rechercher les Berserkers un à un, c'était nul autre que son Dieu, Arès le Destructeur, qui l'y avait poussé. Les choix étaient ceux de son Maître, et douter de la valeur d'un seul de ses soldats était douter des décisions de sa divinité protectrice. Le seul qui devait être rassuré ici était l'élève de la Pestilence, celui qui était venu réclamer au Prophète cette épreuve plutôt qu'à celle qui avait charge de le préparer et de le mener au combat.

C'est alors qu'une brume noire se leva, comme un parallèle par les actes avec la Cardinale de la Terreur. Pas étonnant que ces deux là se soient liés, Okra elle aussi ayant pour habitude de se battre à base de brume... Connaissant l'affliction qu'était capable de créer son épée-lige, mieux valait se méfier de ce que pourrait provoquer celle du Frelon, même si sans doute elle n'atteignait pas un tel niveau. Trop de précaution vaut mieux qu'aucune, aussi Ephtal concentra son cosmos autour de lui sous la forme du Death Craft qui agirait comme un filtre protecteur. Fermant les yeux, il se fiait dans ce brouillard plus à ses capacités poussées à repérer la cosmo-énergie plutôt que d'espérer voir ou entendre quoi que ce soit. Attendre patiemment l'assaut et agir au bon moment... La manière dont Jevren se projetait n'était pas la plus discrète, aussi le Prophète n'eut-il aucun mal à le sentir venir. Et à l'instant où sa lame allait le frapper, la main ferme du Cardinal la dévia pour ne pas en être touché. Laissant Jevren terminer sa course, sans doute quelque peu emporté par son élan s'attendant à trouver une résistance là où il n'y en avait pas eu, Ephtal se contenta de se retourner alors dès que le Frelon fut dans son dos et de frapper alors d'un coup bref de faux. Mais sa lame n'était pas là la seule menace, car son cosmos s'y mêla pour lancer son Frozen Scythe. Un arc glacial frôlant le zéro absolu fut projeté dans son mouvement, et qui irait geler la pauvre victime si elle ne faisait rien pour l'éviter... Pas encore le moment de parler, pourquoi faire une pause alors que ça commençait à peine de devenir intéressant ?

Certes, en allant demander à Ephtal un combat en un contre un, Jevren s'était attendu à rencontrer des difficultés bien au-delà de ce que concevait son imagination. Pourtant, avoir la chose réelle face à soi procurait une impression totalement différente. C'était comme voir en rêve un dragon cracheur de flammes, observer ses méfaits et la destruction qu'il cause, pour se trouver au réveil face à cette même créature, exposé à son souffle ardent; l'imagination atténue le réel, car sa nature même nous fait, d'ordinaire, voir l'impossible.

Affronter le Prophète en son état actuel revenait à tenter d'escalader la mâchoire dudit dragon en se cramponnant à ses crocs: c'était une pure folie. Alors même que le Frelon était en sueur, lui possédait ce sang-froid presque nonchalant du guerrier habitué à dominer, plein de ferveur quant à ses capacités. Le contraste était si vif, entre le grand guerrier agile qui se débattait et la montagne de muscles parfaitement confiante, qu'il en devenait presque ridicule.

La force aussi était à prendre en compte. Jevren avait cru prendre Ephtal par surprise en chargeant à travers sa brume noire; en réalité, ce mouvement impétueux l'avait placé en fâcheuse posture. D'un mouvement bien plus rapide que ce que laissait penser sa constitution, le manieur de faux s'était ôté de la trajectoire mortelle, achevant cette esquive par une petite rotation visant, à l'aide de l'arme redoutable, à débiter le Frelon comme du petit bois. Celui-ci en fut pour ses frais: incapable de se soustraire à temps à la morsure de la lame, il la sentit entailler son dos, lui donnant au passage une nouvelle impulsion qui le propulsa littéralement à terre. Dans un choc qui résonna sourdement, mélange de chute et de fracas métallique, il percuta le sol, roula encore sur quelques mètres et acheva cette honteuse réception à une dizaine de pas seulement des flammes marquant la limite de cette arène.

Se doutant, en son for intérieur, qu'Ephtal lui laisserait un instant de répit - il savait désormais que le Cardinal était du genre à contrer, pas à charger -, il fit un rapide examen de son état. Grâce à la pièce d'armure articulée qui suivait les courbes de sa colonne vertébrale, sa blessure n'était pas très profonde, bien qu'elle saignât abondamment; quant à la pièce d'armure en question, qui n'avait pas eu tant de chance, son état laissait penser qu'elle ne remplirait pas le même office une seconde fois. Tant pis; il suffisait de ne pas se laisser prendre à nouveau. L'attention de Jevren se reporta alors sur la glace qui, ayant accompagné le coup d'Ephtal, s'était fixée sur son corps, entravant certaines articulations. La chaleur ambiante aidant, et au prix d'un petit effort - cette glace étant tout sauf naturelle -, il en brisa le plus gros et se redressa.

Tout ceci ne lui avait pris qu'une poignée de secondes. A nouveau, il était debout, arme à la main, en piteux état mais disposé à maintenir une pression toute relative sur les épaules du Prophète. La clé de la victoire serait de lui imposer son propre rythme; en serait-il capable?

Le trait de feu horizontal qui lui traversait le milieu du dos lui rappelait d'être vigilant, mais le sang qui en coulait provoquait en lui cette réaction chimique familière qui lui faisait d'ordinaire perdre en partie son sens du danger. Pris entre deux pensées contradictoires, il se décida donc à mener une bien étrange offensive: si les assauts conventionnels échouaient, pourquoi ne pas forcer Ephtal à se défendre d'une charge aussi absurde qu'inattendue?

Faisant mine de charger droit sur sa cible, lame pointée vers l'avant, il attendit de n'être qu'à deux mètres tout au plus pour faire apparaître subitement ses ailes lumineuses. Se propulsant alors puissamment vers l'avant, il plongea d'un seul coup vers le sol, saisissant son arme à chacune de ses extrémités et s'en servant comme d'un bâton afin de faucher, emporté par cette formidable propulsion, les jambes du Cardinal, bien au-dessous de son centre de gravité. Le but logique étant de le déséquilibrer... Jevren prolongea cet assaut en relevant son arme, perçant de toutes ses forces vers le haut, à la position approximative de sa cible, alors que les dangereuses vibrations du métal reprenaient comme lors du premier contact de ce duel. Qu'Ephtal perde l'équilibre afin de s'empaler sur la lame ou non, l'offensive avait une petite chance d'avoir fait du dégât...

Il l'attendait de pied ferme... L'homme au masque de mort et aux yeux luminescents attendait, sans même sembler prendre une pause défensive. Ephtal était un colosse, un roc, capable d'endurer de lourdes offensives. Ses nombreuses cicatrices en témoignaient, il n'avait pas peur de prendre des coups. Dans les faits, ça lui permettait souvent d'user de sa puissance pour encaisser tout ce qui venait et de faire comme si cela ne l'atteignait pas... Quoi de plus agaçant que d'avoir l'impression que tous les efforts sont vains ? Ainsi était le représentant de la Mort usant autant le physique que le mental de ses adversaires. Mais d'adversaire, il n'y en avait pas réellement cette fois. Un allié qui espérait trouver contre lui une confirmation de son aptitude à servir Arès. L'impression que c'était là chose courante en les rangs du Dieu de la Guerre : vouloir s'assurer que l'on était capable de se battre pour lui. Une bonne chose qu'ils s'en inquiètent, car c'est ainsi qu'ils progresseraient effectivement assez que pour faire des armées de la Destruction une force redoutable. À cela près qu'il fallait privilégier l'envie au doute. L'envie de bien faire poussait les guerriers à progresser, tandis que douter de ses capacités ne faisait qu'amoindrir l'impact que l'on pouvait avoir en confrontation réelle. Enfin, soit.

Jevren se lança donc à sa rencontre après s'être manifestement inquiété de la blessure qui venait de lui être infligée. Souffrait-il de cette plaie gelée ? Le froid mordait-il ou bien se contentait-il d’anesthésier ? Boh, peu d'importance. Il faudrait lui demander pour savoir comment il encaissait cela, et cette distraction était tout sauf indispensable. Soudain, les ailes apparaissent encore dans le dos de Jevren. En réflexe, le Prophète oppose son flanc gauche, pas tout à fait de profil mais peu s'en faut. Vu la vitesse du changement de rythme, c'est à peu près tout ce qu'il pouvait se permettre de faire. Oh, il aurait pu user de son cosmos pour se composer une barrière, oui... Mais trop se défendre ne faisait pas partie de son style de combat, il fallait de plus que quelques coups portent s'il voulait pouvoir les estimer. L'arme du Frelon vint heurter sa jambe, la faisant fléchir légèrement. S'il avait été plus léger et de moins bonne constitution, peut-être serait-il tombé... Le mouvement suivant de Jevren est tout aussi brusque, comme la lame se jette à sa rencontre. Le mouvement du bras d'Ephtal est plus un réflexe qu'un geste réfléchi. Il vient accueillir la lame. L'avant-bras percé, le mouvement de recul de son corps avait permis qu'il n'y ait d'autre dégât que cela. Écartant son bras de son corps en refaisant face pour éloigner la menace, il allait pouvoir lui glisser quelques mots...

C'est bien, très bien. Bonne stratégie, surprenante et véloce à la fois. Ça manque juste cruellement de puissance... Une cicatrice de plus ou de moins ne fait pas de différence, mais seuls ceux qui survivent peuvent en avoir...

Quelle magnifique transition ! Très à propos lorsque l'on connaît la technique qu'il est en train de placer. Une espèce de brume peu épaisse se met à les entourer. Des mains sortent du sol et viennent agripper les jambes de Jevren. Au bout de ces mains, des corps qui remontent peu à peu. Les morts... mais pas n'importe lesquels ! Les visages sont ceux de connaissances du passé du Frelon. Des amis, de la famille, mais aussi des rivaux et des ennemis. Que des faciès connus de son opposant, à moitié en décomposition et à l'odeur repoussante. Tout cela n'était qu'une illusion. Aucune cicatrice n'en serait visible. Mais les dégâts que cette technique causait à l'esprit de sa victime étaient bien réels. Une illusion qui prenait bien du temps à se dissiper, et dont les mains continueraient à venir taquiner le martyr un moment... Malheureusement pour lui, ce n'est qu'une entame, car la faux du Cardinal s'abat alors avec force et violence... Il fallait bien tester également ses défenses, n'est-ce pas ?

Enfin un succès! Certes, cette petite victoire était assez mitigée - le colosse Ephtal avait conservé son équilibre, et la lame n'avait pu percer que son bras -, mais le sang qui coulait de la blessure infligée au Prophète était bien réel. Toutefois, ce coup laissait un arrière-goût amer à Jevren; il n'avait pas fonctionné comme prévu et, au vu du déroulement des opérations, l'effort amené lui paraissait dérisoire. C'était un coup, oui - mais, à ses yeux, un coup de chance, et non d'éclat. Très loin de le satisfaire.

Il y avait pire: entre l'arcane d'Ephtal, qui continuait de l'oppresser vaguement au fin fond de son âme, et la glace qui, malgré sa destruction, avait eu le temps d'engourdir légèrement ses membres, le Frelon sentait ses forces le quitter peu à peu. Qu'était-ce qu'un Frelon sans ailes, incapable de bourdonner en tous sens?

Et ce n'était pas fini.

Sur le point de se relever, il en fut brutalement empêché par une prise ferme au niveau de sa cheville. Ephtal n'était-il pourtant pas à plusieurs mètres de là? Jetant un oeil à la source du problème, l'Ostrogoth réalisa avec horreur que ce qui le maintenait cloué au sol était une main bien humaine. Qu'est-ce que c'était que ce truc? Il la saisit, tentant de la broyer de sa poigne d'acier, de la forcer à céder; au lieu de cela, d'autres mains vinrent agripper son poignet, le ramenant brutalement vers le bas. Malgré une lutte acharnée, Jevren plia bientôt sous le nombre; il forçait ses muscles à travailler à plein régime, mais l'entrave cadavérique se faisait plus étouffante à chaque instant, et le porteur de Cuirasse s'en trouva finalement immobilisé, à plat ventre, la joue droite maculée de terre.

Alors, la poussière environnante se craquela, se souleva en petits nuages, tandis que d'autres membres émergeaient. Des cadavres. C'étaient vraiment des cadavres. Etait-ce là le secret de l'Antichambre du Feu? Ce qui dormait sous ce sol grisâtre?

Des crânes apparurent, puis des visages. Des faciès inconnus du Frelon, au premier abord; orbites creuses, joues décharnées, mâchoires disloquées, têtes presque toutes surmontées de débris métalliques ressemblant fort à des casques romains. Ces monstres du passé au corps pourrissant se dressèrent de leur prison souterraine, se disposant en cercle irrégulier, anarchique, autour de lui. Paraissant rire de son sort. Puis des débris humains encagoulés, déchirés, parfois démembrés, suivirent; avec un malaise croissant, Jevren reconnut les masques bestiaux portés par ceux de son ordre alors qu'il servait encore son peuple. Enfin, une dernière personne sortit sa tête de terre, à quelques centimètres de son propre visage; le guerrier fut pris d'un violent spasme, et un frisson traversa tout son corps alors qu'il écarquillait les yeux, plongeant à regret son regard dans celui du macchabée.


- Elève indigne, traître ingrat, rejeton maudit, lui cracha son père.


Le regard de Jevren se brouilla, et il fut pris de nausée, sous ce souffle putride lourdement chargé de mort et de corruption que le décharné lui envoyait à la figure; il ferma les yeux, espérant que l'apparition s'en irait d'elle-même. Son père était mort. Il ne le savait même pas, s'en doutait simplement; le voir ainsi face à lui était une véritable épreuve. Le sifflement du cadavre s'approcha, dans le noir, de son oreille.


- Ingrat, ingrat, ingrat, ingrat, ingrat, ingrat...


Le dernier mot fut déposé à quelques millimètres seulement de son oreille. Le Frelon était subjugué par cette présence malsaine, juste au-dessus de lui. Et puis la morsure survint, brutale, douloureuse; des dents froides, tranchantes comme des lames, s'enfoncèrent dans sa joue comme dans une viande tendre, et il sentit le cartilage de son oreille se décrocher, s'arracher de son crâne.

Il hurla, de toute sa puissance.

Aussitôt, plus rien. Plus d'embrassade des morts, plus de père décomposé, plus de blessure. Il rouvrit les yeux, totalement libre de ses mouvements; aucune trace matérielle ne laissait deviner la présence, un instant plus tôt, de ses agresseurs d'outre-tombe. A la place, un halo blanchâtre, presque argenté, tout autour de lui; le Cosmos s'élevait, sous forme matérielle, par volutes et particules brassées par un courant invisible. Le Septième Sens, galvanisant le guerrier, avait su percer à jour l'illusion redoutable qu'il subissait. Il se redressa, jeta un rapide regard à sa jambe gauche, entaillée par une longue plaie fraîche et sanglante; il ne savait même pas en quelle occasion elle lui avait été infligée, et il s'en moquait. La douleur ne parvenait pas à atteindre son centre nerveux. Et il avait repéré Ephtal, face à lui, qui semblait l'observer depuis tout ce temps, de cet oeil brillant qui faisait froid dans le dos.

Sans mot dire, Jevren attrapa sa lame, qui avait roulé à quelques pas de là, et la leva au-dessus de sa tête, pointée vers le plafond. Lentement, le Cosmos environnant changea de mouvement; comme attiré par un tourbillon ayant choisi le Berserk pour centre, il se concentra, petit à petit, autour de l'arme, continuant une rotation de plus en plus nette et ordonnée. C'était comme une véritable galaxie miniaturisée qui se formait le long du métal, agglomérat nébuleux parsemé de particules de lumière. Durant ce temps, sortant du sol en cercle, tout autour d'Ephtal, douze pointes - lances? - lumineuses grossièrement taillées se fichèrent brusquement dans son corps, se rejoignant au même point; elles n'infligeaient aucune blessure réelle et se contentaient de le traverser, mais avaient pour but d'immobiliser le Prophète en préparation de l'assaut à venir.

D'un geste large, Jevren, toujours nimbé d'argent, ramena sa lame en arrière, d'une seule main, prenant appui sur sa jambe blessée. Détendant les muscles de son bras, il laissa l'arme surpuissante, surchargée de Cosmos, filer en direction de la Mort. Dans son sillage, une arabesque de lumière qui s'évaporait en poussières brillantes.

L'instant suivant, le Frelon, à bout de souffle, chutait lourdement à genoux.

C'était toujours un plaisir de voir cette arcane en application. Et ce même si c'était contre un allié lors d'un combat que l'on pourrait qualifier d'amical. Il ne pouvait absolument pas se rendre compte des visages que Jevren était en train de voir. Le Cardinal de la Mort ne sondait pas les coeurs, non. Il ne faisait que placer une illusion que l'inconscient de la cible remplissait de ses souvenirs. Et lui ensuite ne pouvait qu'en voir et analyser les réactions. Et ce que voyait le Frelon n'avait pas l'air de lui faire particulièrement plaisir. Mais d'une manière ou d'une autre, il parvint à se ressaisir dans un hurlement. À reprendre contenance pour faire face à cette levée de morts. Il n'en attendait pas moins de l'un de ses Berserkers. Ses hommes avaient tous déjà tués et même manqué de l'être pour la plupart. Leur mental était donc forgé pour qu'ils puissent affronter n'importe quelle adversité de ce type. Les Fauves de la Terre, comme il aimait les appeler, devaient être capable de faire face à ce genre de menace comme Jevren venait de le réaliser avec brio.

La force qui émanait ensuite le renseignait sur le fait que le Septième Sens était atteint. Il faudrait donc se méfier de la suite, mais pourtant Ephtal ne broncha pas, restant sur place. Tout d'abord par choix, mais rapidement ce fut plus simplement par obligation. Percé et tenu en place, même s'il désirait bouger il ne le pouvait pas. Astucieux. Le Prophète ne fit alors que relever la tête légèrement inclinée sur le côté, dans un sourire masqué. C'était ainsi qu'il allait faire face et encaisser ce qui allait venir, alors que la lance du Frelon absorbait l'énergie ambiante. Puis finalement, telle une comète laissant des cristaux dans son sillage, la lance fut projetée vers lui. Ephtal gonfla alors le torse, prêt à recevoir cet assaut et tenir quoi qu'il en coûte. Puis un flash de douleur, sa jambe qui plie pour qu'un genou se pose au sol. Il n'est plus immobilisé désormais, et son bras précédemment percé emmène sa main vers l'arme du Frelon pour l'extraire de son corps, dans une gerbe de sang. En face de lui, Jevren avait chuté lui aussi, tentant de reprendre son souffle.

Je crois que l'on peut dire que ce combat est terminé. Je n'ai jamais estimé que tu devais me prouver quoi que ce soit. Arès lui-même n'a plus à te juger, car il l'a déjà fait au moment où il m'envoya te chercher. Au final, le seul qui doutait encore, c'était toi-même. Es-tu rassuré désormais, alors que tu as ajouté trois cicatrices à ma collection ? Ta Cuirasse elle-même respecte le guerrier que tu es, sans quoi elle refuserait tout bonnement de te couvrir et de te prêter sa force.

Se redressant, le Prophète affaibli renvoie la lance à son porteur. Du cosmos commence à se masser autour de ses plaies, notamment les deux dernières reçues lorsque cette lance l'avait transpercé de part en part. De bleuté il vira au rougeâtre, indiquant que l'énergie d'Arès en personne aidait à sa guérison.

Douter de toi-même, c'est aussi douter du jugement qu'Arès et moi-même avons sur toi. J'aurais pu prendre cela pour insulte si toutefois l'envie de me divertir n'avait pas été présente. Le doute... c'est ce qui fait vaciller les convictions les plus fortes... Une gangrène qu'il faut bannir au plus vite ! J'espère que désormais tu n'y seras plus soumis. Car la prochaine fois alors, je pourrais réellement le prendre mal...

Les flammes recouvrant les parois s'éteignirent et les deux portes s'ouvrirent à nouveau, laissant le seul couloir de lumière éclairer l'endroit. Le Prophète avait déjà fait demi-tour et s'en repartait d'un pas lent vers son temple en s'aidant de sa faux comme d'une canne - chose courante, même quand il n'était pas affaibli comme c'était le cas désormais - une main posée sur sa plaie la plus récente. Il n'y avait réellement plus rien à prouver...