Traverser les quatre antichambres n'était pas un problème pour un fauve d'Arès. Les Cardinaux, quant ils étaient présents, n'entravaient que rarement l'avancée d'un des leurs à travers ce sanctuaire souterrain. De toute évidence, les combats futurs préoccupaient nombre de nos soldats et je ne pouvais pas le leur reprocher. Certains avaient encore une conscience humaine, s'inquiétant des pertes éventuelles parmi leurs frères d'arme. Pour ma part, j'avais abandonné depuis longtemps ce genre de sentiments qui n'étaient généralement qu'une entrave au combat. S'inquiéter pour son compagnon poussait un homme à commettre des erreurs. Et en ma qualité d'assassin, je ne pouvais me le permettre. Je savais aussi que mon maître était de cet avis. Ephtal... C'était d'ailleurs lui que je souhaitais voir.

Je ne m'étais pas attendu à le croiser dans son antichambre. Il faut dire qu'il occupait pleinement ses responsabilités de Prophète et que cette fonction unique l'obligeait à se trouver proche du Temple d'Arès. Mais pour la première fois depuis longtemps, je n'étais pas rassuré à l'idée de le voir. Le respect que je portais à cet homme frisait presque la dévotion pure et simple, je le savais. Et je le savais aussi fier de ce que j'avais accompli au sein de son armée. Mais ce que je comptais lui avouer aujourd'hui risquait malheureusement de me compromettre.

Alors même que j'approchais, pénétrant dans l'enceinte, les Mains Ardentes encadraient mon chemin, me conduisant tout droit vers celui que je cherchais. Aujourd'hui encore, j'étais toujours un peu hésitant à traverser cette salle gigantesque, cerné par ces statues aux proportions humaines. Et déjà la plus grande d'entre elle, celle qui représentait Arès, semblait comme me dévisager. Je n'y prêtais qu'une attention distraite, mon esprit étant d'ores et déjà tourné vers l'homme qui se tenait sur le trône d'Obsidienne, juste au bas de celle-ci. Ephtal, Cardinal de la Mort. L'homme dont j'étais l'ombre et pour lequel je mourrais sans rechigner. M'approchant de lui, je posais genou à terre, saluant non seulement le Prophète mais aussi et surtout notre seigneur à tous, Arès. Je lui adressais mes salutations silencieuses avant de prendre la parole.

- Je vous présente mes respects, Prophète Ephtal, et vous prie de pardonner mon intrusion. Je souhaiterais m'entretenir avec vous, la Voix d'Arès.

Je ne croyais pas faire de zèle, j'étais seulement ainsi pour montrer à quel point j'apportais de l'importance aux conseils de cet homme, qui n'en était plus vraiment un à la vérité. Je me relevais donc, reprenant une posture plus basique, mon casque sous le bras. J'avais demandé la permission de le déranger, je ne comptais pas attendre celle de prendre la parole. Il était normal de s'expliquer sur sa venue sans obliger son interlocuteur à en demander la raison. Question de bon sens.

- Pensez-vous possible que l'âme d'une Cuirasse puisse influer sur les décisions de nos soldats, Maître ? Où ne font-elles que mettre en avant quelque chose qui existait déjà dans le cœur du porteur ?

Citation :

Second repos

Un léger repos. Un moment de répit qui ne durerait sans doute pas. C'est ce à quoi Ephtal aspirait à présent, installé sur son trône froid auquel par la force des choses il avait bien dû finir par s'habituer. Entre la supervision de l'entraînement de ses troupes, ses multiples déplacements afin de récolter d'autres fauves et ses veilles en ce temple, c'était parfois à se demander s'il trouvait le temps de dormir... Mais qui disait qu'il en avait même besoin ? Est-ce qu'il arrive parfois que la Mort se repose ? Laissons ces idées vagabondes dans le chef des plus crédules de ses gardes. Bien entendu qu'il dormait et se reposait, lorsqu'il pouvait en avoir le temps. Le colosse était toujours un homme malgré tout. Et lui-même ne manquait pas de se rappeler qu'il n'était qu'un pion au service de son maître, même si certains de ses hommes avaient tendance à l'oublier...

D'ailleurs... Voilà que se présentait devant lui Nosgoth de la Tarentule. Le Prophète n'ignorait pas que parmi ses hommes, il était sans doute celui qui lui était le plus fidèle. Et à vrai dire, le Cardinal de la Mort le lui rendait bien malgré tout. Ce ne serait pas pour n'importe qui qu'il ferait couler de son sang afin d'offrir une plus grande efficacité. Et parmi tous ses hommes, il était sans doute l'un des rares avec qui il ne se sentirait pas gêné de se battre à ses côtés, lui qui aimait de coutume se battre seul sans être encombré d'alliés. D'un signe de la main, il l'invita à approcher et parler, puis marqua quelques secondes d'arrêt, le temps de peser pleinement la question de son élève. Un petit étonnement que la question lui soit posé, la plupart des hommes connaissant la situation de Guerre. Lui-même n'était plus celui qu'il avait été avant sa rencontre avec Arès, la Mort ayant grandement aidé à tempérer généralement son caractère flamboyant et colérique...

Cela arrive toujours ne fusse qu'un peu... Porter une Cuirasse n'est pas juste porter une armure, mais ne peut se faire que par l'osmose entre le chevalier et sa protection. Te rappelles-tu du jour où tu es venu ici pour la première fois ? C'est la Tarentule qui t'as choisi, et non l'inverse... La Cuirasse reconnaît son reflet, celui qui se mariera le mieux avec la force qu'elle peut lui prêter. Et elle influe inexorablement sur l'être qui la porte. Les résultats peuvent varier cela dit...
Puis-je connaître la source de cette interrogation ?

Question purement pour la forme, car il était évident que la réponse serait donnée. Avait-il senti cette influence sur lui-même ou sur l'un de ses frères ? Il ne devrait plus tarder à l'apprendre...

Bien que je m'en sois douté, la réponse ne me convenait qu'à moitié. Car cela voulait clairement dire que je portais ce vice en moi depuis longtemps. Je le savais mais j'aurai tant aimé pouvoir rejeter la faute sur la Tarentule plutôt que de me blâmer. Bien sûr, elle accentuait plus encore ce besoin mais elle ne l'avait pas crée. Une symbiose dont je me serai volontiers passée en vérité. Mais les faits étaient là et c'était indiscutable : je n'étais pas sous l'emprise d'une autre personnalité. J'avais rencontré Guerre. J'avais senti son cosmos particulièrement agressif. J'avais aussi comprit que cette cuirasse avait complétement modelé l'homme qu'il avait été par le passé, faisant disparaître cette personnalité pour en instaurer une autre. Et en un sens, j'avais presque espéré que la Tarentule ait fait de même. Sans doute que les Cardinaux étaient différents.

Quelque peu pensif, je ne répondis pas de suite à la question de mon maître. Je savais pourtant que la vérité devait être dévoilée. Je l'avais caché depuis si longtemps que je ne pouvais plus me permettre d'hésiter. Seule Okra avait été informé de mon vice. Avant sa disparition, j'avais même obtenu d'elle qu'elle me fournisse ce dont j'avais besoin. Mais depuis, je me débrouillais seul, évitant d'attirer l'attention des grands pontes. Pour cela, mon dédale était parfait. Je relevais les yeux vers Ephtal. J'avais demandé audience, il paraissait juste que j'en dévoile la raison.

- Vous confirmez ce que je craignais, Maître. Un reflet... Voilà qui n'arrange pas mes affaires.

Avec ces quelques mots, je dévoilais en effet que j'étais le premier concerné par cette interrogation. Il faut dire que les autres, je m'en moquais éperdument. Solitaire j'étais, solitaire je mourrais. Il ne s'agissait là que d'un constat, certes, mais je n'étais pas disposé à laisser les autres m'approcher. Mon statut de gardien du Dédale m'allait à ravir en vérité, me permettant de rester cloitrer sans attirer l'attention des autres.

- Je me dois d'être franc avec vous, Seigneur. Si je suis venu à vous, c'est pour vous avouer une chose qui ne m'est pas facile à accepter. Ma cuirasse a déclenchée dans mon esprit une dépendance qui n'existait pas auparavant. Une dépendance si grave que je ne peux faire autrement que de l'assouvir, sous peine de mourir si je tentais de l'ignorer.

Je cherchais encore les mots pour expliquer quelle était cette drogue si difficile à combattre. Serais-je obligé de parler de mon passé pour expliquer ce fait ? J'espérais bien que non tant il m'était difficile de me rappeler les événements qui m'avaient finalement conduit à servir Arès et son prophète. S'il le fallait, je m'exécuterai bien sûr. Mais pour le moment, je devais m'exprimer simplement. La patience n'était pas vraiment la spécialité de Ephtal et je n'étais pas là pour abuser de son temps. Ainsi, je devais être aussi clair que possible.

- Ma cuirasse a fait de moi un anthropophage. Une véritable addiction qui se traduit, en cas de manque, pas de nombreux tremblements de mes membres et par la perte de mon contrôle. Je ne suis plus maître de mes actes lorsque cette faim s'empare de moi. Je sais aussi qu'il s'agit d'une des sources de pouvoir de la Tarentule, qu'elle en a besoin. Je cherchais à combattre cette envie... Mais je crains de ne rien pouvoir y faire.

La révélation lui laissa un goût amer. Encore quelque chose qu'il n'avait pas vu venir. Encore quelque chose frappant un de ses élèves et dont il ignorait tout. Après la "maladie" et la disparition soudaine d'Okra, après la désertion et la trahison de Straw, voilà que Nosgoth lui révélait qu'il nécessitait de se nourrir d'être humain pour que son corps fonctionne de manière optimale. Et après ça, qu'allait-il arriver à Guerre et à Lazar ? Enfin, il ne fallait pas aller vers le dramatique, le cas de Nosgoth était bien différent. Il avait besoin de se nourrir ainsi comme d'autres avaient besoin de blesser et de détruire pour se sentir vivants. Pouvait-on vraiment le blâmer pour quelque chose, un besoin qu'il ne contrôlait pas ?

Depuis quand ?

Question un peu vague mais dont la Tarentule capterait sans doute le sens précis. En cas de doute cependant, Ephtal agrémenta en poursuivant.

Depuis quand as-tu réalisé ce besoin ? Depuis quand t'y adonnes-tu sans que je n'en sache rien ?

Cela ne lui plaisait pas vraiment. Pas tant que Nosgoth éprouve cette dépendance. Cela n'avait rien de grave, et qui de mieux que la mort pouvait trouver à fournir des cadavres à son entourage, n'est-ce pas ? Au service du Dieu de la Guerre et de la Destruction, cela ne constituait résolument pas un souci. Non, ce qui lui déplaisait était par avance la réponse qu'il aurait à entendre. Si cela faisait longtemps que son élève s'en trouvait affligé, et qu'il ne venait qu'à présent lui en parler, oui, il le prendrait mal. Est-ce que cela avait déjà pu influer sur ses performances par le passé ? Ce ne devait sans doute pas être le cas. Nosgoth s'était montré efficace lors de leur première invasion du Sanctuaire, et il était de plus parvenu à se hisser comme le champion d'Arès. Mais ce qui le dérangeait le plus était ce manque de confiance mutuelle. Lui, malgré ses réserves et sa paranoïa avait accordé sa confiance à son élève. Il l'avait nommé Gardien du Dédale, il avait versé de son propre sang pour lui accorder plus de pouvoir. Et s'il ne lui avait pas accordé une place de Cardinal, c'était car il préférait de loin le garder à ses côtés, comme le seul homme au côté de qui il acceptait de combattre réellement. Si c'était pour en recevoir en échange des secrets, non, l'on ne pouvait franchement pas dire que cela plaisait au Prophète...

Citation :

Repos 1

Là était le coeur du problème... Là se trouvait la véritable source du mécontentement de Ephtal et je le savais : j'aurai du venir avant. Le voir et lui en parler. Mais je n'étais qu'un soldat après tout et j'avais fauté. Je devais lui dire la vérité, lui avouer ce que je savais. Il ne serait pas ravi d'apprendre que je gardais cela pour moi depuis un petit moment. Depuis ce fameux jour où il avait honoré ma cuirasse pour l'élever à un rang supérieur, faisant alors de moi un soldat plus puissant encore que je ne l'étais à l'origine. Mais n'était-ce pas justement ça le véritable déclencheur ?

Car le sang du Prophète recelait d'étranges propriétés, propriétés qui avaient rendus la cuirasse plus résistante encore qu'elle ne l'était à l'origine. Or, en renforçant son pouvoir, n'avait-il pas également libéré l'âme véritable de la tarentule ? J'y avais pensé mais malheureusement, rien ne me permettait de savoir qui avait été le vrai déclencheur. Et de toute façon, cela n'apportait rien de nouveau : en l'état, je savais que cette faim étrange ne pouvait être canalisé. Au mieux, j'arrivais à repousser celle-ci quelques temps mais inexorablement elle gagnait. Car au bout du compte, j'étais dans l'obligation de satisfaire cet appétit titanesque.

- Plusieurs mois, Maître. Je pensais être capable de contenir ce "problème" seul... Mais je n'en ai pas la force. Si je n’agis pas comme je le fais, alors la cuirasse perd de sa puissance, drainant mes propres forces pour ne pas revenir à l'état de simple totem. Cette faim s'est fait sentir quelques jours après votre bénédiction. Je crains que lorsque nous avons renforcé ma cuirasse, nous avons également réveillé la véritable âme de la Tarentule.

Je préférais m'inclure dans le processus car j'étais intimement persuadé qu'elle ne m'avait pas choisie au hasard. Ephtal venait de dire que les cuirasses choisissaient leur porteur. Le fait que mon passé m'ait déjà confronté à pareille situation ne pouvait donc pas n'être qu'un hasard. Elle avait sentie ce que j'avais fait pour survivre et avait donc jeté son dévolue sur moi tout en sachant que je saurais agir pour le mieux.

- Je ne voulais pas vous cacher cet état de fait, Seigneur. Je dois avouer que je redoutais votre jugement... Et je cherchais le moyen de faire disparaître cette envie. Mais je dois admettre que je suis dans une impasse. Soit je me laisse complétement aller à cette faim déraisonnable pour contenter la Tarentule et maintenir son pouvoir au plus haut niveau, et dans ce cas je dois trouver une solution pour me procurer cette nourriture dès qu'il le faut. Soit je tente de la combattre... Mais là encore, le résultat serait plus qu'incertain et je ne suis pas disposé à me laisser mourir. Notre Seigneur Arès a encore besoin de ses Fauves.

Et surtout, je n'avais pas encore payé la dette que j'avais contracté auprès du Prophète. Ombre j'étais, ombre je resterais. La sécurité de mon maître m'importait plus que ma propre vie et je n'avais pas encore joué le rôle qui était le mien. La Mort allait encore devoir attendre. Car je servais son incarnation véritable.

Je vois...

Les révélations concernant le moment où Nosgoth avait ressenti ces changements le laissaient à ses réflexions. En effet, il était fort possible que son sang ait réveillé l'appétit de la Tarentule. Il n'en regrettait pourtant rien. Lui donner plus de forces n'était pas une erreur, il ne reviendrait pas là dessus. Cela avait été un acte nécessaire, permettait à la Tarentule d'être plus redoutable en lui accordant de nouvelles capacités. Si cela passait par le fait d'être dépendant d'un goût pour une certaine gamme de nourriture... Et bien qu'à cela ne tienne ! La Tarentule était une chasseuse, Nosgoth un assassin... Les deux étaient loin d'être non cumulables...

Le seul problème que je vois là est cette interminable attente que tu t'es imposée avant de me présenter ton problème. Redouter mon jugement... Peuh ! Je ne te pensais pas si lâche, Nosgoth...

Remarque méprisante après laquelle le Prophète laissa un instant de silence que seuls les crépitements des Mains-Ardentes venaient troubler. Si le Cardinal de la Mort n'ignorait pas qu'il pouvait intimider certains des siens, il n'aurait jamais pensé que celui qui avait eu le courage de lui faire part de sa vocation à devenir un jour Cardinal pourrait trembler pour lui présenter un problème de la sorte. Celui qui l'avait accompagné au combat, celui qu'il avait nommé gardien du dédale, celui qui avait eu la force de se faire champion d'Arès. Le colosse se leva n'oubliant pas de se munir de sa faux et marcha vers son élève.

Je suis déçu... Mais j'ignore pourtant ce qui me dérange le plus : que tu aies tremblé de me parler ou que tu cherches à combattre des instincts qui n'ont rien de dommageables... Ton âme nécessite que tu te nourrisses ? Et bien soit ! Sors et chasse ! Accomplit ces besoins qui sont les tiens ! J'ai beau réfléchir, je ne vois pas où est le problème... Ou peut-être que pour cela aussi, tu as peur ?

Il ne s'était pas arrêté à son niveau, mais continuait à marcher lentement vers la sortie. Le Prophète est contrarié, et s'il ne l'affiche pas par la débauche ou l'excès, il parvient néanmoins à bien le faire comprendre...

Combien de temps fait-il depuis que tu t'es nourri ? À quel point t'es-tu laissé affaiblir à l'heure où nous parlons ?

Il se retint de poser une dernière question "à quel point ta réponse va-t-elle me décevoir à nouveau ?".

J'encaissais les propos acides de mon maître sans rechigner. Un autre que lui se serait rapidement retrouvé avec ma lame en travers de la gorge mais la Mort ne redoutait pas une chose aussi basse. Et il ne méritait aucunement que je lève la main sur lui sans raison. D'autant qu'il n'avait pas forcément tort : c'était peut-être bien la lâcheté qui avait retenu mes mots. Et qui m'avait empêché de lui avouer la vérité. Après tout, j'étais un servant de la Destruction. Pourquoi être embarrassé d'un vice qui finalement servait parfaitement la cuirasse qui était mienne ?

Le dégoût sans doute. Quoi qu'il en soit, je restais le regard planté dans ceux de mon maître tandis qu'il m'invectivait. Je me surpris même à sourire alors même qu'il me faisait passer pour un couard. Mais en un sens, n'était-ce pas seulement la déception qui faisait parler le Prophète ? Je savais ce que je valais et parmi l'élite d'Arès, je figurais en très bonne position. Je ne me mentais pas à moi-même : je valais bien mieux que certains des Cardinaux qui servaient Ephtal. Seule ma condition d'ombre m'empêchait une fois encore de prétendre à ce qui me revenait de plein droit. Mais je m'étais habitué à cet état de fait. Et mieux encore, la Tarentule correspondait réellement à ce que je recherchais. Je ne m'épanouissais que dans l'ombre de la Mort. Et il le savait.

Il me dépassait pour se diriger vers la sortie. Me posant toutefois une dernière question. Mais cette fois, aucune honte à avoir. Je n'avais jamais laissé cette faim prendre possession de mes sens au point de me laisser mourir. Tenter de combattre, cela voulait dire pour moi essayer de pallier à cette faim. Mais une fois qu'elle prenait possession de mon âme, je ne la laissais jamais inassouvie. En cela, je respectais les besoins de la Tarentule. Je me tournais complétement vers lui, répondant d'abord aux différentes affirmations qu'il avait exprimé...

- Je ne considère pas cela comme de la lâcheté, Seigneur. Plutôt comme une hésitation et peut-être même comme une forme de dégoût. Mon âme est ce qu'elle est... Et je ne prends aucun plaisir à me nourrir de cette manière. Que cela vous déçoive, c'est une chose. Mais à mes yeux, ce n'est qu'une nécessité, rien d'autre, et je ne suis pas homme à accepter quelque chose sans pour autant voir s'il existe une autre solution. Je ne suis pas un simple suiveur. Je laisse ça aux morts...

J'avais combattu en son nom et lui mieux que quiconque savait que je mourrais pour notre cause. Par mes propos, je ciblais surtout les fous qui ne réfléchissaient jamais par eux même. Car à mes yeux, cela ne faisait pas d'eux de bons petits soldats mais plutôt de la vulgaire chair à canon. Et la chair à canon n'avait pas pour vocation de survivre, au contraire de moi. L'instinct de la Tarentule poussait mon âme à me nourrir de la sorte. Si je ne l'acceptais pas vraiment, je me pliais tout de même à son désir. De toute évidence, lorsque j'étais sous l'emprise de ce désir, la Tarentule prenait le pas sur moi. Et y prenait même du plaisir.

- Je ne me suis jamais laissé dépassé par ma faim, Maître. Dès que celle-ci se déclare, je fais en sorte d'y remédier en trouvant une proie. Pas plus tard qu'hier, un villageois en a fait les frais. La mission qui est la mienne ne permet pas que je sois en dessous de mes capacités de base et je ne ferai rien qui pourrait compromettre ma position et ma tâche. Je vous l'ai prouvé à plusieurs reprises et je doute qu'au coeur même de notre citadelle, un Berserkers vous soit plus fidèle et plus fiable que je ne le suis. Cardinaux inclus.

Cela pouvait paraître présomptueux mais il s'agissait là d'un fait, non d'une simple hypothèse. Sans doute que j'allais courroucer mon maître. Mais il ne s'agissait aucunement d'un manque de respect, bien au contraire. Peut-être que mes mots dépassaient ma pensée. Mais je n'avais jamais caché l'aversion que je portais aux autres cardinaux d'Arès. Ils n'étaient que des soldats, sans doute plus puissants que d'autres, mais pas pour autant digne de respect. Ephtal seul méritait ma dévotion. Et Arès bien entendu puisque sans mon dieu, je ne serais rien d'autre qu'un simple assassin.

Bien sûr je savais qu'il avait eu des élèves redoutables. Guerre et Okra notamment. Mais le premier n'était qu'un fantôme et la seconde avait disparue. Quant à Straw, il n'était qu'un mort en attente. Une fois que notre armée lui mettrait la main dessus, il regretterait sa désertion. De tous, je me savais le plus à même d'aider mon maître.

Les réponses rassuraient Ephtal. Au moins il n'avait pas lutté au point de se retrouver moins efficace de ce qu'il disait, et c'était là une bonne chose. Le Prophète n'accordait pas vraiment d'importance à la manière dont celui-ci se défendait en tout cas. Il avait sa manière de penser et s'était fait son avis, les justifications ne l'intéressaient pas. Les propos du Cardinal ne représentaient pas forcément avec précision ce qu'il avait en tête de toute manière, et des paroles provocantes permettaient bien souvent d'obtenir des répliques bien plus sincères que s'il avait agi autrement. Cela dit, sa déception était réelle tout de même bien qu'amoindrie par les dernières révélations. Les derniers mots de Nosgoth le firent cependant s'arrêter, pivoter légèrement et tourner la tête vers la Tarentule.

Je ne l'ignore pas...

En effet... Il savait à quel point Nosgoth lui était fidèle, là où les autres portaient leur serment envers Arès principalement. Si Ephtal était à présent le Prophète, il n'oubliait pas qu'il avait été un jour général auprès des hommes. Proche de ses soldats, un meneur sévère mais juste qui était apprécié de ses troupes. Et ce sentiment, il ne l'avait pas oublié. Mais comme à l'époque, il n'oubliait pas non plus qu'il était sous les ordres d'une puissance encore plus grande. Et que c'était envers elle que les hommes devaient plier l'échine, et non envers lui...

Souhaitait-il pour autant en blâmer Nosgoth ? Non... Quelque part, son orgueil bien humain avait besoin d'un peu de ça... Là où Okra avait tenu ce rôle en se faisant son épée-lige, le porteur de la Tarentule avait peu ou prou repris ce rôle. Quelqu'un sur qui il pourrait compter, quelqu'un à qui il pourrait tout demander. Précisément ce pourquoi le fait que Nosgoth lui avoue sa crainte de lui parler de son problème l'avait courroucé.

Suis-moi...

Et ainsi il reprit sa marche, quittant alors le Temple d'Arès. Pas pour aller bien loin... L'Antichambre du Feu n'était que la prochaine salle en partant de là. Le trajet se fit silencieusement jusqu'à ce qu'ils arrivent là où le Cardinal de la Mort se sentait le mieux. Dans son élément... La pénombre hormis ce couloir de lumière, la terre sèche qui crisse sous ses pas... Et Nosgoth ne devait pas l'ignorer : quand Ephtal emmenait quelqu'un ici, il n'y avait pas une multitude de raisons possibles.

Nosgoth de la Tarentule... Je ne remet pas en cause tes paroles, mais tu comprendras que j'ai besoin de m'assurer de tes réelles capacités en cet instant. Ceci n'est pas un entraînement ou un quelconque test...

Le bout de sa faux démesurée heurte le sol dans un geste que son élève doit bien connaître. Des portes claquent lourdement, les murs et le plafond se couvrent de flammes...

Bats-toi !

Il ne se mit pas en garde. Il ne le faisait jamais, se contentant de rester droit, son arme négligemment tenue à la main. Pour autant, la situation était de toute manière assez claire pour qu'il n'ait pas besoin de prendre la pose...

Cette fois, je ne pouvais plus faire marche arrière. Je connaissais parfaitement cet endroit et alors que les portes se fermaient, alors que les murs s'embrasaient, je compris que j'allais devoir faire étalage de ma puissance face à celui qui dirigeait la Citadelle. Si combattre sans raison ne me plaisait pas - au contraire de la quasi majorité des Berserkers de notre dieu - je ne pouvais refuser cet acte de foi. Généralement, on ne pouvait pas vraiment dire non à son Maître. Encore moins quand celui-ci représentait la Mort en personne.

Je ne prêtais qu'une attention distraite à sa posture. Je savais qu'il avait pour habitude de se mettre ainsi et cela ne signifiait pas pour autant qu'il n'était pas déjà prêt. Ce combat s'annonçait difficile... Après tout comment vaincre la Mort ? Tout juste pourrais-je la repousser un moment. Et si je ne me faisais pas d'illusion, je restait toutefois confiant en mes propres capacités. La tarentule ne baissait pas les bras si facilement et déjà je ressentais sa puissance parcourir mes membres, comme si l'adrénaline boostait mes capacités. Et les siennes. Puisque je devais faire mes preuves, d'une certaine manière du moins, autant y aller fort dès le début.

La plupart des chevaliers ont besoin de temps pour atteindre cette puissance cachée. Pour ma part, mon entraînement me permettait d'y avoir accès dès que je le souhaitais. Peu à peu, une aura aussi noire que la nuit elle-même m'enveloppa. Peu à peu, les ombres semblaient grossir autour de moi. Mon nouveau pouvoir était très particulier et j'espérais surprendre mon Maître. Si cela pouvait paraître impossible ou presque, je comptais quand même essayer. Ephatl m'avait appris à voir autrement qu’avec mes yeux. Il maîtrisait cette capacité comme personne et c'est surtout là que résidait la difficulté de le surprendre.

- Bien Maître !

Ma réponse était sobre mais avec lui, inutile d'en faire trop. Contre un autre adversaire, j'aurai certainement tenté une approche psychologique afin de le déstabiliser. Mais à quoi bon ici... Sans crier gare, je libérais mon attaque. Une multitude de filins sortirent aussitôt de ma cuirasse pour se précipiter sur la Mort. J'aimais particulièrement cette attaque car la plupart des chevaliers ne se méfiaient pas de ces fils. Hors le danger était réel. Car aussi tranchants que des lames de rasoirs, ils n'avaient pour autre but que d'entailler celui que j'affrontais. Ce n'était certes qu'une entrée en matière mais il allait rapidement comprendre le but caché de cet assaut.

Mortal Cobweb... Alors que les fils se trouvaient autour du Prophète, je déclenchais le piège que j'avais en tête. Certains de ces fils étaient traités de tel sorte qu'ils pouvaient se coller à n'importe quelle surface. Ici, je venais de placer un de ces fils tout contre le Prophète. La Tarentule tissait sa toile pour ensuite piéger ses proies. J'allais tenter tout bonnement de frapper le plus fort possible pour m'offrir une ouverture intéressante. Tenu entre mon index et mon pouce, j'allais me servir de ce lien pour libérer mon pouvoir. Mon corps semblait comme s'embraser alors que l'électricité prenait possession de mon être. Un étrange manteau qui me blessait tant la puissance était difficile à contenir... Mais qui allait aussi me permettre de frapper fort !! Car déjà j'envoyais le courant au travers du câble, dans l'espoir de briser la défense de mon maître.

Si cette stratégie s'était pratiquement toujours avéré payante, je connaissais la valeur de Ephtal... Pas dit qu'il se laisse surprendre.

Citation :

Attaque physique symbolisée par les filins qui tentent de te frapper comme des fouets

Plus de longs dialogues entre eux. Ils n'en avaient pas besoin... C'était tant mieux d'ailleurs, les paroles ne seraient plus ici que du temps perdu. S'il voulait voir à quel niveau se situait son élève à présent, cela se passerait facilement de fioritures, et cela Nosgoth le comprenait parfaitement de toute évidence. Il ne fallut en effet pas le prier pour qu'il passe à l'action. Et ainsi, dans les secondes qui suivirent, la première arcane se trouvait déjà en marche. Une nuée de filins se jetèrent sur lui, tentant de l'encercler. Les fils de la Tarentule... Pour les avoir déjà vu en action, il savait qu'il ne devait pas s'y laisser prendre. Ce serait là une grave erreur que de sous-estimer cette attaque. Ce serait une grave erreur que de sous-estimer toute offensive venant de lui. Il ne s'attendait en effet pas simplement à un combat contre n'importe lequel de ses Berserkers. Celui-ci avait le niveau cosmique d'un Cardinal, même si sa Cuirasse y était inférieure. Ephtal prit alors la décision de ne pas le laisser mener à bien le tissage de cette toile dans laquelle il ferait mieux de ne pas se faire prendre. Alors que ses yeux s'illuminèrent, un énorme bouclier de flammes vint prendre place sur son bras libre. Il ne lui permettrait pas de se défendre de tout, mais ferait flamber une bonne partie des fils en tout cas. User du bouclier d'Arès aussi tôt dans la rencontre n'était pas dans ses habitudes, mais les dégâts qu'il reçut tout de même lui apprirent que cela avait été une brillante idée ! Sans cela, Nosgoth aurait certainement pris le dessus dès le début, et cela Ephtal ne pourrait pas le permettre !

La décharge de la moitié des filins de la Tarentule fut si importante que le Prophète décida qu'il lui serait plus qu'utile de chercher dès à présent à user son élève. D'affliger son potentiel pour le fatiguer dès à présent. Alors, lorsque les flammes du bouclier disparurent pour ne plus laisser place qu'à la fureur de sa faux. Il se projeta donc vers l'avant, la lame de son arme se couvrant de glace durant son déplacement. Et là, il frappa un grand coup une fois au corps-à-corps. Le Cardinal de la Mort tentait certes de le trancher, mais ce ne serait pas tout, bien sûr... L'arc de glace qui serait éjecté durant sa frappe était tout aussi tranchant, mais avait de plus le pouvoir de geler ce qu'il touchait. Voilà comment calmer rapidement les ardeurs de la Tarentule ! Si les araignées n'aiment pas le feu, il n'était pas sûr non plus qu'elles aiment particulièrement ce genre de traitement !

Ainsi mon maître utilisait le bouclier d'Arès. Ce qui ne m'enchantait guère, je devais bien l'admettre. Sa meilleure technique défensive, ou peu s'en faut, face à ma meilleure technique offensive. Autant dire que le choc avait été terrible mais que malheureusement pour moi, pas suffisant pour réellement blesser celui que j'affrontais en ce jour. Et en même temps, comment pouvais-je être surprit de sa résistance ? Mon maître était bien au dessus du lot et il était habitué à combattre. Un autre que lui aurait sans doute été emporté par la puissance de mon assaut mais pas lui.

Mais ce qui m'inquiétait le plus, à l'instant présent, ce n'était pas l'utilisation de cette technique. Car malgré tout, il avait été touché, moins gravement que prévu mais le résultat était là. Cependant je redoutais désormais son contre. Qui, à première vu, allait être effroyable. Déjà il s'élançait vers moi, sa faux prête à frapper. Voir distinctement l'attaque arriver sur moi était une chose, m'en préserver en était une autre. Car je n'étais pas un homme habitué à me défendre. Je frappais dans l'ombre et exécutais les ennemis de mon dieu sans perdre de temps. Subir une attaque frontale n'était donc pas quelque chose de facile pour moi.

Tout juste eus-je le temps de mettre mes bras en croix devant moi. Une défense ridicule mais qui tenait plus du réflexe qu'autre chose. Alors que je sentais l’impact me repousser en arrière, m'obligeant même à poser genou au sol, je compris le véritable but de cette attaque. Un poids étrange venait de tomber sur mes épaules, handicapant partiellement mes sens. Et ce froid terrible qui s'insinuait en moi n'avait rien de rassurant. Alors que je me relevais, je prenais également la décision de jeter toutes mes forces dans la bataille. Si Ephtal usait du bouclier d'Arès, j'allais moi faire appel au sang purificateur de mon dieu. Ou du moins était-ce l'esprit de cette technique. Car déjà l'aura rougeâtre de la Destruction s'emparait de mon être, refermant mes plaies sommaires et me redonnant ce regain de vitalité indispensable pour vaincre.

S'il avait voulu jouer, j'allais lui en donner l'occasion. Je me relevais complétement, grimaçant tout de même suite à l'attaque subie. D'un revers de la main, je balayais les excédents de glace présent sur ma cuirasse. En me jurant que la Tarentule goûterait un peu de la chair de mon prophète. Cette fois, mon Death Shadow allait trouver un adversaire à sa hauteur. Avançant seulement de deux pas, je me fondis complétement dans les ombres invoquées précédemment. J'optais finalement pour une stratégie classique chez moi : surprendre mon adversaire et frapper pour qu'il ne soit plus un danger. Je réapparus donc dans le dos de Ephtal, essayant alors de plonger le tranchant de ma main dans le corps de mon maître. Si je parvenais à le surprendre, alors je plongerai son âme dans les ténèbres, embrumant ses capacités sensorielles et réduisant considérablement la puissance de ses coups.

J'étais un assassin avant tout et je le prouvais. Mais je connaissais aussi les talents de mon maître et il n'était pas dit que je parvienne au résultat escompté.

Touché ! Mais ce ne serait sans doute pas suffisant pour affliger réellement Nosgoth. Les attaques du Prophète n'avaient pas vocation à être décisives à elles seules, c'était l'ensemble qui y ferait. À l'usure, c'était ça sa force, ça sa manière de combattre. Prendre les coups et toujours tenter de ne rien montrer, ne pas laisser penser à son adversaire qu'il parvenait à le fatiguer. Le masque de mort prenait là toute son importance. De quoi user le mental autant que ses coups usaient le physique. La Tarentule usa alors d'une technique dont Ephtal possédait la similaire. Une récupération globale en usant du pouvoir du maître de la Destruction. Dans le simple but de lui montrer qu'il n'était pas le seul, l'aura rougeâtre entoura alors le Cardinal de la Mort, refermant les quelques plaies que les filins avaient pu laisser sur son corps. Dommage que Nosgoth ne puisse pas voir le sourire qui se traçait alors sur son visage...

C'est là alors que son élève montra une nouvelle utilisation au surprenant pouvoir des ombres dont il avait usé plus tôt. Ephtal ne lui connaissait pas ses capacités, du moins n'avait pas eu encore l'occasion d'en voir les usages. Ce combat se montrait donc encore plus intéressant que prévu ! La Tarentule disparut alors, du moins au regard. Le mouvement était effectué avec une certaine vitesse. Contractant ses muscles au dernier moment, Nosgoth ne parvint sans doute pas à plonger sa main aussi profondément dans son corps qu'il l'aurait voulu, limitant ainsi l'impact de cette offensive. Osé, violent et rapide... Un véritable atout que de posséder un tel assassin à ses côtés. S'il n'avait pu le sentir et l'anticiper, son dos aurait été livré sans défense et le coup aurait alors eu bien plus de chances d'être mortel. La suite était intéressante également... En manipulateur d'âmes, il ne pouvait pas l'ignorer... Mais lorsque l'on tente de jouer avec celle de la Mort, il faut s'attendre à en subir les conséquences...

Et donc, qui touchait à son âme devait se préparer à ce que la sienne soit extraite ! C'est ce qui se produisit... Lorsque Nosgoth plaça son affliction, un lien se créant entre les deux âmes, et qui tenterait d'aspirer la vitalité de la Tarentule. Se retournant brutalement, un coup de faux fut donner à l'horizontal. Pas aussi puissant qu'il l'aurait voulu, la blessure qu'il venait de recevoir le dérangeant, mais dont il faudrait tout de même se méfier...

Si j'étais tout de même heureux d'avoir touché mon maître, je n'en restais pas moins surpris de sa réaction. Freiner mon coup était une idée astucieuse mais pis encore, j'étais désormais à sa merci, comme je pus le sentir de suite. Lui aussi bénéficiait des mêmes bénédictions que moi et cela ne pouvait pas me surprendre puisque j'avais face à moi le Prophète de notre Seigneur. Mais observer chez un autre le même don que moi avait toujours tendance à me décontenancer. Il faut dire que ce n'était pas courant pour moi, même au sein d'une armée constituée de soldats, de berserkers.

La faux m'arrivait de suite dessus, ne me laissant pas vraiment le temps de tergiverser. Ériger une sorte de bouclier de cosmos n'était pas une chose difficile pour moi. Le seul défaut de cette technique étant évidemment qu'elle puisait dans mes réserves et qu'elle ne me permettait pas une utilisation intensive. Pourtant c'est cela qui sauva ma tête, ou peu s'en faut. L'impact entre sa lame et mon bouclier me rejeta en arrière, entaillant une partie de mon armure et mon avant-bras, zone peu protégée par la cuirasse que je portais.

Je sentais toujours l'emprise de mon maître sur mon âme et m'apercevais qu'en subissant mon coup, il avait empoisonné mon esprit. Je souriais pourtant, malgré la douleur qui me tenaillait. Cet homme n'était décidément pas humain. Et je me surprenais, en plein coeur d'un combat intéressant, à respecter plus encore celui qui était mon maître. Je n'étais toutefois pas sans ressource. Car déjà mon cosmos semblait prendre une nouvelle apparence. Peu à peu, l'ombre autour de moi se changeait pour se transformer en une colonie d'araignées noires. Celles-ci se précipitaient déjà sur Ephtal pour tenter de le recouvrir complétement. ce qu'il ne comprendrait que trop tard, c'est que mes petites bêtes n'avaient pas pour vocation de lui faire du mal. Mais seulement de lui grignoter son cosmos pour régénérer le mien. Et il ne pourrait rien faire pour contrer cet atout puisque le temps qu'il s'en aperçoive, je serai déjà en pleine possession de mes moyens.

Mais déjà je préparais ma seconde offensive. Car il balaierait ces araignées rapidement, c'était une évidence. Déjà je lançais sur lui une nouvelle salve de filins. Sauf que contrairement à ma toute première attaque, ceux-ci étaient traités avec un poison très particulier... Celui de la Tarentule en personne. Et s'il se faisait toucher, alors il comprendrait le danger que représentait celui-ci. Outre son corps, je comptais aussi empoisonner son esprit, comme il l'avait fait avec moi.

Il avait réussi à esquiver la faux... Pas une folle surprise, mais une déception tout de même de ne pas avoir réussi à toucher. S'il continuait à esquiver ses coups de lame, il pourrait s'en sortir mieux que bien. Et s'il éprouvait une certaine fierté envers son élève, il ne pouvait pas non plus se montrer heureux d'être mis en difficulté. Ephtal devait le miner, encore et encore jusqu'à ce qu'il flanche. Il ne fallait pas non plus oublier de quoi il avait été capable dès l'entame du combat. Le bouclier d'Arès l'avait tiré de là, mais Nosgoth pouvait réitérer cette offensive une nouvelle fois encore. Un assaut brutal de la sorte pourrait lui créer quelques ennuis. Tout à ces pensées, il ne sentit que tardivement ces araignées minuscules qui lui grimpaient sur le corps. La distraction serait sa pire ennemie s'il s'y laissait dériver. Ce n'était pas n'importe quel combat non plus, mieux valait continuer à prendre garde à chaque instant. D'une décharge de cosmos, il les fit toutes tomber, alors que les filins déjà se lançaient sur lui. Était-ce la même attaque qu'il avait déjà pu voir ? Difficile d'en juger aussi vite, car même si le principe de base restait le même, cela ne voulait pas dire grand chose. C'était comme penser que chaque coup de faux du Prophète était similaire au précédent. Comme si une même arme se tenait obligée de toujours frapper de la même manière. Il était assez connaisseur que pour savoir que ce n'était pas le cas !

Toutefois, il se méfia et se déplaça avec vélocité, donnant des coups de sa faux au vol pour empêcher que la totalité de ces filins ne puissent venir le heurter. Il ne put en repousser qu'une partie bien sûr, mais c'était toujours ça. C'est là qu'il se rendit compte qu'il s'agissait bien d'une arcane différente. Au lieu d'une offensive brutale, il eut droit à un poison sinueux qui viendrait l'affliger. Supportable pour l'instant... Mieux à faire que de chercher à s'en débarrasser... Car avant de s'inquiéter de cela, il devait s'assurer de riposter efficacement. Son Soul Possession n'avait déjà pas pu être placé à son plein potentiel, il se devait donc de frapper, encore et encore. La meilleure des défenses est l'attaque, n'est-ce pas ?

Toute attaque avait ses pertes... Toute offensive laissait dans l'air des traces de cosmos. Ephtal aspira ces résidus à lui, et ils vinrent se masser autour de la lame de sa faux, remontant lentement le long de l'énorme manche. Puis, soudain, une nuée de faucilles créées de cosmos partirent vers la Tarentule afin de tenter de le clouer au mur. Ce qu'il en restait et qui grimpait toujours le long du manche viendrait l'aider lui à panser ses plaies et tenir la distance pour la suite du combat...

Débordé par l'assaut, je ne pus rien faire d'autre que subir. Et quelle attaque... Les faucilles ne laissaient strictement aucune chance à celui qui se trouvait face à elles, frappant sans discontinuer la zone ciblée. Touché à de nombreux endroits, je sentis seulement mon corps décoller du sol pour atterrir brusquement sur le sol. Le craquement que j'entendis fut pratiquement étouffé par le cri qui s'échappa de ma gorge. Je venais sans le moindre doute de me débouter l'épaule et cela faisait un mal de chien. Mais si la douleur était insoutenable, rester au sol à me lamenter l'était plus encore. Prenant sur moi de me relever, je m'exécutais, laissant tout de même au passage une sacrée traînée de sang là où j'avais atterri.

Cet homme venait de me planter une dague dans l'estomac et je n'avais rien vu venir. Une fois encore mon impatience pénalisait mes actions et comme mon maître me l'avait dit, j'allais devoir apprendre à me contrôler et à réfléchir dans ce genre de cas d'urgence. Ma jeunesse n'était en rien une excuse et à ce rythme, je mourrais rapidement. Heureusement pour moi, cet homme avait aussi fait une erreur. Et une belle... Car pour me planter sa lame dans le ventre, il avait du aller à mon contact. Je n'avais alors eu qu'à tendre mon bras pour porter un coup fatal au niveau de sa gorge, lui sectionnant l'artère principale à l'aide de mon scalpel.

Mais tandis qu'il tombait au sol, gisant dans son sang, je fis de même, tombant tête la première dans le sable et la poussière. Quelle poisse... Parvenir à accomplir ma mission et finir ainsi. La blessure en elle-même n'était pas mortelle mais je n'aurai jamais la force de me traîner jusqu'à mon repère. Et si on me trouvait ici, face à ce macchabée, nul doute qu'ils m'achèveraient.

Une seule solution, me trainer en dehors de ce champ de ruines. J'avais repéré en arrivant ici une fosse commune. Un endroit repoussant dans lequel les villageois du coin jetaient les cadavres suspects ou sans famille. Un véritable nid à bactérie. Mais si je parvenais à me trainer jusque là, alors je saurai me sortir de cette situation compliquée. On ne me chercherait pas là bas, c'était une certitude. J'avais été stupide et je devais en payer les conséquences. Quitte à me retrouver dans une fosse remplie de corps en décomposition. Me servant d'un peu de sable, de terre et d'eau, je portais la mixture compacte sur ma plaie afin d'en limiter le saignement. Rejoindre la fosse était une question de vie ou de mort. Encore fallait-il que j'y parvienne... Et que je choppe pas une saloperie d'infection...


Je me secouais la tête... Pourquoi avais-je penser à ce jour maudit où j'avais basculé ? Était-ce mon armure qui débloquait des souvenirs pour me montrer que la détermination payait ?. Si tel était le cas, pas de soucis : je n'abandonnerais pas. Même si ce jour serait encrée à jamais dans ma mémoire... Pour la chose terrible que j'avais fait et qui me poursuivais encore aujourd'hui. Ephtal ! Il m'avait sacrément bien amoché et cette fois, j'avais vraiment prit cher. Le bras ballant, je savais ce qui me restait à faire si je désirais poursuivre. Je ne laisserai pas la victoire m'échapper si facilement et mon maître devait sans doute l'avoir deviné. Sa puissance était certes incomparable avec la mienne mais il me restait encore deux ou trois petits tours dans mon sac. Priorité absolue : remettre en place cette épaule. Et pour cela, il n'y avait pas cinquante solutions. En un instant, je me projetais sur le mur à proximité de moi, ignorant les flammes qui le parcourait. Mon épaule percuta ce dernier et un nouveau craquement résonnait. Je manquais de tomber à genou tant la souffrance était grande. Mais je restais campé sur mes pieds, prenant même le soin d'observer Ephtal, au cas où il chercherait à en profiter.

Bien que mon épaule soit remise, je savais que je ne pourrais plus utiliser ce bras pendant le reste du combat. Il ne m'en restait qu'un et c'était à moi de jouer intelligemment maintenant. Il fallait créer une ouverture et seul le corps à corps me le permettrait, aussi dangereux que ce soit avec un seul bras. Heureusement, je pouvais toujours compter sur ma maîtrise des ombres. Une fois encore, je me dissimulais parmi elles... Mais je n'allais pas agir de la même manière que précédemment. Je connaissais trop bien la règle des chevaliers pour frapper de la même façon deux fois de suite. Cette fois, le trou d'ombre s'ouvrit au dessus d'Ephtal. Et je me laissais alors tomber sur lui, pied en avant, libérant une partie de mon cosmos dans ce coup unique.

L'électricité présente autour de moi accentuerait ma force de frappe et de pénétration. Mais mieux encore : si je parvenais à le toucher, alors le courant paralyserait son système nerveux, le mettant à la merci de mon prochain coup. J'aimais prendre des risques contrôlées et ici, il s'agissait sans doute de la meilleure option possible. Car quoi qu'il arrive, je le toucherai. Le mouvement avait été trop parfait pour lui laisser le temps de repousser l'intégralité de mon assaut.

Ses faucilles s'abattirent avec puissance sur Nosgoth qui ne parvint pas à éviter la pluie tranchante qui était venue à sa rencontre. Son élève fut alors projeté au sol. Ephtal n'ignorait pas que cela ne s'avérerait pas suffisant, qu'il en faudrait plus que cela pour l'abattre. Cela lui offrait néanmoins le temps de voir agir le cosmos récupéré sur lui-même en refermant modérément certaines de ses plaies. De quoi également réfléchir à la suite à donner à ce combat. S'il voulait voir de quoi était capable actuellement la Tarentule, était-il utile pour autant de se livrer à un combat sans merci jusqu'à ce que l'un d'eux ne soit plus en état de se relever ? Tout ce qu'il avait souhaité, c'était de constater si son ombre était capable de lutter au meilleur niveau. C'était chose faite, celui-ci ayant le talent nécessaire que pour rivaliser avec n'importe quel Cardinal, lui compris.

À quoi servait-il de poursuivre ? Il ne le comptait pas. Mais Nosgoth venait de réagir avant tant de rapidité qu'il n'avait pas été possible pour lui de mettre un terme à tout cela. Malgré sa vitesse, l'élève ne pouvait totalement surprendre le maître. Agir avec assez de vitesse que pour ne pas pouvoir être paré était une chose. Frapper sur une cible avertie en était une autre. Alors certes, il était trop tard pour que le colosse puisse s'écarter, mais sa lecture du cosmos, son instinct et ses réflexes pouvaient tout de même le servir ! Relâchant une masse du cosmos de la mort, il se prépara ainsi à subir cet assaut. Le pied ne fut pas évité, mais la décharge était amoindrie... De même pour le poison qui avait pollué ses veines, se retrouvant ainsi annihilé. C'était là l'oeuvre de son Death Craft... La force du coup le fit cependant reculer. Puis il se redressa, comme il le faisait toujours et invariablement après les frappes de ses ennemis.

Cependant, la luminosité de ses yeux s'estompa. Puis les flammes disparurent à leur tour. Et enfin, les portes s'ouvrirent. Il avait voulu voir de ses yeux si Nosgoth était en état de donner le meilleur de lui-même. En poursuivant cet affrontement, il était fort probable que tous deux se trouvent amoindris par une convalescence. Peine futile que de poursuivre donc...

J'en ai assez vu ainsi... Ta force est grande et réelle, Nosgoth de la Tarentule. Je n'ai pas besoin de la tester plus avant pour en avoir la certitude. Digne des Cardinaux, il y a même de bonnes chances pour que tu puisses les terrasser si tu le souhaitais. Continue de te nourrir alors ! Ne laisse pas cette puissance s'amenuiser car Arès en aura sans doute besoin. Réponds aux demandes de la Tarentule et nourris-toi autant que le besoin s'en fera sentir. Mais que cela ne te dégoûte plus désormais...
Tu n'es pas un homme qui se nourrit de cadavres... Tu es un prédateur qui chasse et se repaît de sa proie ! Accepte cette réalité, et tout deviendra plus simple et limpide, tu verras...

Plus rien à ajouter sur l'instant. D'autres discussions seraient sans doute à venir entre les deux hommes, mais pour le moment il n'était pas nécessité de poursuivre...

Je m’arrêtais donc, suivant les recommandations de mon maître. A la fois étonné et ravi, j'écoutais avec attention ses remarques. J'avais une nouvelle fois confirmé le statut qui était le mien et j'en étais fier. Fier car je savais ce que je valais. Fier car le Prophète en personne reconnaissait ma valeur. Alors oui, je n'en avais pas nécessairement besoin. Mais pour lui qui m'avait fait confiance et qui avait fait de moi son ombre, j'étais heureux de lui prouver que le temps passant, je ne restais pas sur mes acquis.

Ma puissance égalait ceux des Cardinaux et je le savais. Ce n'était donc pas cela qui attirait le plus mon attention. Mais plutôt ses conseils concernant cette faim qui m'avait poussé à demander son aide. Et il avait raison... Je n'avais pas vu cela de cette manière et ça risquait de bien m'aider. La Tarentule était une chasseresse, se nourrissant de ses proies pour vivre et se renforcer. Et finalement, c'était exactement ce que je faisais. Se nourrir des faibles pour accroître le pouvoir qui était mien. Accentuant mon emprise sur cette cuirasse afin de servir au mieux les intérêts d'Arès et de son Prophète.

Il n'y avait finalement pas grand chose à rajouter. Je savais ce que ces dernières paroles signifiaient. Il me donnait congé, d'une manière peu orthodoxe mais c'était bel et bien sa façon de faire. Je devais déjà me remettre des blessures qui étaient miennes, notamment de mon épaule. Abaissant la tête en guise de remerciement, je quittais la salle sans dire un mot de plus. Il y avait des moments où c'était inutile, comme ici. Et tandis que les portes se refermaient sur mon passage, je glissais un dernier regard vers la haute stature de mon maître. Je devais encore progresser pour atteindre un jour son niveau.

Mais pour l'heure, la Tarentule devait regagner son repère.

Citation :

Combat terminé, merci à toi.