Bien des heures étaient passées depuis que Caeron avait quitté l'île, où il avait obtenu cette étrange boîte de couleur argentée. Il regardait quelques pêcheurs en train de dénouer leurs filets avec attention, cependant, où aller maintenant ? Ses ennemis le croyaient mort, enfin pour quelques temps au moins. Perdu dans ses contemplations, il s'était rapproché des murailles de l'antique cité des Ptoméléens. Les paysans, travaillant près des chemins, étaient souvent à regarder la boîte qui se dodelinait sur le dos du jeune homme à la peau diaphane. Gêné aux entournures, l'albinos se dépêcha ainsi pour atteindre les abords du petit port du nom du grand lac Maréotis. Après quelques discussions avec les bateliers des canaux, il put traverser la muraille d'Alexandrie. Remerciant son hôte de circonstance, il lui donna quelques piécettes de cuivre. Enfin, il se retourna et huma l'air de la ville, mais il se gratta la tête en se demandant s'il n'allait pas faire un tour dans les auberges du coin.

Après des heures à rechercher une bonne taverne, il la trouva sous le nom de "Silicia Serpentis". Il fit alors son entrée en levant une porte de toile blanche, de la même texture que les bateaux des pêcheurs. A l'intérieur, trois hommes mangeaient une soupe de poissons et de pois, une grosse bouteille de vin était posée à côté sur un petit tabouret pour la maintenir au frais. Derrière un petit comptoir, un homme, portant un tablier de cuir maculé de tâches de sang, resserrait les lanières de sa tunique de lin. Puis il se retourna vers le jeune étranger avec un sourire un peu forcé, c'est vrai que Caeron n'avait pas la tête d'un gamin du cru. Après quelques palabres, le client et le tavernier se mirent d'accord sur une bonne soupe de raie avec quelques miches de pain séché. Un carafon de terre cuite fut posé en même temps sur la table pour bien faire passer la lourdeur de ce met peu ragoûtant.

Ne disant rien, le jeune chevalier écoutait les autres clients en train de parler de différentes histoires sur des pêcheurs qui n'étaient pas revenus, on avait retrouvé leurs cadavres sur la berge, la gorge tranchée à priori. L'inquiétude avait gagné lentement les différentes guildes de la ville au sujet d'un assassin dans la région, un voleur de la pire espèce. Et bien évidemment, la description de ce voleur ressemblait drôlement à Caeron. Interloqué par ces nouvelles peu rassurantes, il comprit que ses "Némésis" avaient fait un travail de sape contre sa réputation. Heureusement, sa "mort" supposée avait calmé le nombre de morts dans les ruelles du quartier Epsilon (quartier des quais de l'ancienne Alexandrie), on accusait désormais les Juifs d'être les responsables de cela... Silencieusement, le chevalier mangeait son potage de poissons sans rien dire, autant ne pas éveiller l'attention par une curiosité mal placée.

Une fois terminé, il paya quelques pièces et quittait la taverne en saluant les clients. Ceux-ci se renfrognèrent mais leur sujet de discussion semblait plus important qu'un obscur étranger aux cheveux blancs. Ses prunelles rubis, protégées par sa main droite en visière, regardèrent autour de lui. Il lui fallait repartir vers le nord, mais le voyage allait être très lent. De plus, après avoir compté un petit peu ses maigres deniers, il ne pouvait pas vraiment se permettre des frivolités supplémentaires. Il s'enfonça alors dans les rues pour essayer de trouver un petit travail. C'était la seule manière d'accumuler une petite somme qui paierait le voyage pour Jaffa, près d'Aelia Capitolina (nom romain de Jérusalem).

Après trois longues heures à démarcher des boutiquiers, il trouva un travail auprès d'un chausseur de cuir. Il sentait que les prochains jours allaient être très longs, ce n'était pas le travail le plus glorieux mais Caeron avait appris à survivre depuis que sa Mère et son Mentor avaient disparu pendant cette sombre journée de l'année chrétienne de 444.

" Quatre sous par jour ! Pas plus ! Tu connais donc le métier ? Etonnant pour un Grec, on les dit fainéant...

- Oui Monsieur, je me débrouille un peu.

- bah poses ta caisse dans le grenier et mets toi au travail, pas que ça à faire " Grogna le cordonnier d'un ton abrupt.

C'est ainsi que commençait la belle vie du chevalier de l'Ophiuchus, il était devenu apprenti cordonnier....

Quatre longs mois étaient passés. Le Maître de la petite cordonnerie était un type assez singulier, toujours à râler contre les incompétents de l'administration impérial qui ne lui avait pas délivré le bon formulaire, ou alors en train de singer les clients qui ne savaient pas ce qu'ils voulaient. Toutefois, le soin qu'apportait Caeron à son travail lui permettait de bien s'intégrer dans cette petite organisation, tout le monde travaillait du matin au soir, mais c'était joyeux la plupart du temps. Au début, quelques jeunes avaient lourdement critiqué l'emploi d'un albinos, d'un "rejeton des enfers" comme disaient les chrétiens les plus acharnés, mais un bon coup de poing du Maître Cordonnier avait suffi à calmer les ardeurs des jeunes effrontés. Un simple sourire du Maître avait suffit à faire de Caeron un membre à part entière de son équipe, il veillait à ce que personne ne dise le contraire.

Les lanières de cuir furent ajustées à la caisse de bois du client, satisfait, Caeron présenta son petit travail à ce dernier. Celui-ci était ravi de voir réparer sa vieille boîte familiale, ils en profitèrent pour échanger quelques nouvelles sur la ville ou sur le temps. Le beau temps étant une chose trop courante pour les gens du cru, les deux interlocuteurs arrivèrent rapidement sur les derniers évènements en ville, et une chose intrigua le jeune albinos plus particulièrement.

" Que dites vous ? Encore un assassinat ? Un jeune femme en plus...

- Ouais, la pauvre, égorgée comme une brebis chez les Juifs, rien n'est plus sûr dans notre bonne ville... Si seulement notre Basileos savait ça, il nous enverrait ses Scholaes pour rétablir l'ordre pour sûr !

- Oui, enfin en attendant, ils ne sont pas là ! Par tous les Dieux, je me demande ce que va faire notre Préfet...

- Hum... Mon cher ami, prenez garde, la rumeur parle d'un homme qui vous ressemble, un albi...

La discussion s'arrêtait là. En effet, il était inutile d'en dire plus et le client ne faisait que répéter ce qui se disait. Cependant, officiellement, Caeron était mort, alors pourquoi ? Il ne pouvait s'agir de lui, ou alors, on profitait de cette "aubaine" pour agir en toute impunité. Voyant l'agacement sur le visage albâtre de son cordonnier, le client lui fit signe qu'il allait partir en déboursant quelques sols pour le travail accompli. Par un signe de la tête, l'enfant de Thessalonique remerciait son client et prit les quelques pièces pour les mettre dans sa bourse. Se rapprochant de son établi, le jeune homme regarda du coin de l'oeil la boîte sacrée qu'il avait récupéré sur cette île, à quoi elle pouvait lui servir ? Quand le mal était médisance et attaque sournoise. La réflexion posée, Caeron convenait qu'il devait vérifié que le dernier crime avait un rapport avec lui, car si c'était le cas, ses ennemis avaient appris qu'il vivait encore... Ses prunelles de sang se portèrent sur son Maître et les autres artisans, ils avaient été si bons, hors de questions de les voir tombés dans un piège dans le coin d'un rue !

Les heures de travail passées, le jeune grec profita que ses compagnons étaient à un gueuleton dans l'auberge du coin, pour aller vers le lieu de ce crime. Se faufilant dans les rues, discrètement et sans se faire remarquer par le guet, il s'approcha d'un grande Domus appartenant à la famille des Rustovica. Il connaissait cette famille de nom, elle était originaire de l'ancienne Dace, de la région que l'on appelait aujourd'hui Transylvanie. Intrigué, il regardait les serviteurs entrer et sortir, des invités aux styles nordiques pénétraient les lieux régulièrement. "Sûrement la garde personnelle de cette maison" Pensa le chevalier en voyant cet étrange aéropage, cependant, il était manifeste que les gardes étaient prudents et sans certaines qualités gagnées après la chute de sa maison, il aurait passé un sale quart d'heure avec les hâches visibles sur leurs cuisses... Pourtant, tel une cigogne, il attendait le bon moment pour pénétrer dans cette maison et observer de plus prêt les lieux du drame.

Citation :

Note :

1 - Basileus/Basileos : Terme grec pour empereur
2 - Scholaes : troupe spéciale de légionnaires s'assurant de la sécurité à Constantinople.

Posté telle une vigie, Caeron vit un homme petit et trapu s'approcher de la demeure, les lèvres pincées, il arborait souvent un regard noir glacial quand il s’adressait à un esclave. Il portait une fine robe surmontée d’une grosse cape en fourrure de guépard. A son cou pendait la chaîne d’or, insigne de sa charge, une boucle d’argent ornait le lobe d’une de ses oreilles, des bracelets et des bagues brillaient à ses poignets et à ses doigts. Voici donc que le Procurator de la ville d'Alexandrie pénétrait à son tour dans cette Domus, de plus en plus intrigant comme situation, et cela mettait mal à l'aise le jeune chevalier. Caeron descendit rapidement de son poste d'observation et fit le tour de cette maison de style égyptien. Dans les dédales des ruelles aux alentours, il parvint à trouver une maison proche des murs d'enceinte de la demeure des Rustovicae.

Il empoigna alors les interstices du mur de la maison à proximité, montant rapidement sur le toit, il vit quelques esclaves en train de dormir sur le sol à l'air libre. Silencieusement, Caeron prit alors appui sur le rebord du toit pour sauter au dessus du mur d'enceinte de l'autre demeure. Il se retrouvait enfin à l'intérieur, dans les jardins à proprement parler. Les arbustes et les deux petits cerisiers qui entouraient une petite fontaine étaient le signe d'un certain rang. L'ombre continua donc son chemin sans se départir de la prudence nécessaire à ce genre d'action, surveillant les lueurs des bougies qui passaient à travers les lucarnes, elle s'enfonça à l'intérieur à un moment plus calme. Après avoir fait quelques recherches et écouter des esclaves parler entre eux, Caeron comprit que l'une des chambres était actuellement le lieu de la présence du Procurator.

Après être ressorti, l'albinos montait avec l'aide d'un plan de lierre grimpant. Une fois en hauteur, il entendit des voix dont l'une posait pas mal de questions sur les circonstances d'un crime. Cette fois-ci, il se cacha sur le balcon pour entendre la conversation, la première voix était aigrelette et autoritaire, l'autre avait clairement un accent barbare avec un timbre rauque et un peu hâché. Caché derrière un des piliers, Caeron pouvait écouter mais n'avait pas le loisir de regarder sans craindre d'être repérer.

" - (...) Alors Rustovica, votre fille était ici, mais pourquoi me parlez vous du breuvage du poisson chat du Nil ! Je vois pas le rapport, votre fille est morte égorgée non ? Sûrement un coup des juifs...

- Ma fille est morte égorgée, je suis d'accord Procurator Valou, cependant, mon médecin personnel m'affirme que ma fille a mangé une soupe avant et que l'on sent l'odeur de ce poison...

- Suffit. Cette histoire ne doit plus s'ébruiter m'entendez vous ? C'est un "conseil" du Patriarche en personne et je veillerai à ce que sa volonté soit faite, suis je clair ? Pour cette histoire de poison, ca change pas grand chose mon brave, elle est morte, alors la raison je m'en moque croyez moi. Pour moi, je vais demander à ce que l'on arrête les Juifs de votre maison, j'arriverai bien à faire parler l'un d'entre eux.

- Procurator ! Ma famille a toujours fidèlement servi l'empereur, ne jouez pas ce ton avec moi...

- Oui, mais vous n'êtes plus ici à Constantinople mon cher, le patriarche de la capitale impériale n'a aucune influence ici... Descendons maintenant, je veux pas que vos serviteurs fassent les commères sur ma présence ! " Terminait abruptement la voix aigrelette.

Par un étrange destin, les paroles des deux hommes dépassaient bien des croyances de Caeron, les lois de la politique, et même religieuse, étaient bien supérieures à la morale quand les seigneurs agissaient. Toutefois, une information capitale avait retenu l'attention du jeune homme, le Patriarche de la ville ne souhaitait pas que les derniers évènements soient ébruités, le rapport entre les précédents crimes et celui-ci n'avaient pourtant pas de lien apparent, mais le simple fait de la mort de cette pauvre fille avait déclenché une réaction politique et judiciaire pour le moins surprenante.

Alors que les deux hommes quittaient définitivement les lieux, l'albinos se permit de jeter un oeil vers la chambre. Personne n'était à l'intérieur, il en profita pour aller faire sa petite enquête. Dans un premier temps, il regarda la lit et les traces de sang, bien que nettoyées, étaient encore visibles sur les lattes. Sur le plancher carrelé, des traces éveillèrent l'attention de l'enquêteur de la soirée, il touche de son index une étrange mixture et l'amena à ses narines, on pouvait clairement sentir les eaux nauséabondes du Nil. Cette jeune femme avait donc été empoisonné et Caeron connaissait les symptômes horribles de ce poison, elle avait dû recraché ses poumons pendant des heures. Se relevant, il chercha pendant quelques minutes un coin dans le sommier, les jeunes filles étaient connues pour aimer cacher leurs petits secrets, cette dernière devait avoir une habitude et aucune trace n'indiquait que l'on avait fait cette recherche de base. Après de menues recherches, il trouva une petite latte imbriquée dans une autre, il la retira et vit un rouleau de papyrus tombé sur le sol... Mais des bruits de pas résonnèrent à proximité, Caeron retourna à sa cachette rapidement et fuya cette maison de dingues une fois qu'il n'y avait plus de bruits.

Par un jeu du hasard, le jeune albinos avait appris bien plus en quelques heures qu'en moins d'une décade à fuir ses Némésis inconnues. Patiemment, il quitta le Rakhotis pour retourner dans le quartier des artisans, celui du Broucheion. Sur le chemin, il ouvrit le parchemin et ses yeux exprimèrent un certain mécontentement devant ce qu'il lisait :

« Oh, pour l’amour de nos étreintes, je te prie de ne pas te joindre à nous. Père dirait que c’est moi qui t’ai amené. Je suis extrêmement chagrinée, mon lotus bien-aimé, de ne pouvoir même l’entrevoir là où je vais, mais je te promets qu’à mon retour la première chose que je ferai sera de te retrouver pour partager avec toi des plaisirs encore inconnus dans la maison d’Eternité.»

Il ne comprenait rien à ce message sibyllin. Pourquoi diable cela devait toujours être compliqué pour les gens de sa condition ? Il marcha pendant une bonne heure dans la grande avenue principale de la ville. Puis, il se rendit compte qu'il était arrivé naturellement devant un ancien temple païen, aujourd'hui en ruine. Ce temple était dédié par les Romains à Minerva, la déesse de la sagesse, celle que les grecs appelaient Athéna. Haussant les épaules, il reprit son chemin et arrivait chez le cordonnier qui le faisait travailler tous les jours.

Citation :

Note :

1 - Procurator : Terme grec désignant l'autorité de justice en matière d'enquête sous l'antiquité byzantine (comme romaine d'ailleurs)
2 - Patriarche : (ou Pope) est le titre de l'une des hautes autorités morales et religieuses dans une région, Constantinople pour le monde Grec, Alexandrie pour l'Egypte, Jérusalem pour la Judée...
3 - Rakhotis/Epsilon/Delta/Broucheion... : quartiers d'Alexandrie

Le lendemain, le réveil fût difficile. Avec le mélange du son des marteaux qui forgeaient des pièces et de l'odeur répugnante des alcools qui assouplissaient le cuir, Caeron avait une gueule de bois qui lui valut les ricanements de ses camarades. Il s'acharna alors à son travail pour faire passer cet état second, au point où il s'évanouissait parfois de fatigue. Cependant, vers onze heures, aux premières heures chaudes de la journée, l'albinos s'effondra sur le sol en emportant les pièces de cuir qui étaient sous ses gants. Le noir total, plus rien ne semblait le tenir en état, avait-il présumé de ses forces la nuit précédente ? Désormais, il avait la sensation que son corps flottait dans l'air, des cris d'enfants ricanaient autour de lui, lentement, sa tête se retourna vers sa droite et il vit l'image d'une femme magnifique qui lui souriait avec beaucoup de compassion, elle semblait lui dire quelque chose mais il n'entendait rien. Il ferma alors les yeux apaisés et enfin heureux.

Ouvrant les yeux, il vit un ciel magnifique avec quelques moineaux en train de batifoler dans les airs, un vent frais lui nargua le visage et il se leva pour voir devant lui un magnifique temple sculpté dans la roche. Sur son parvis, une femme se tenait là, miséricordieuse et douce, elle regardait dans le lointain avec une dignité royale. Elle tenait à sa main un sceptre étrange en forme d'ange et elle le pointa dans une direction, quand Caeron se retourna pour voir où c'était, il se prit de plein fouet le mur de sa chambre. Réveillé, il sentit une douleur à sa tête liée au choc, mais aussi à la disparition de ce sentiment étrange qui ne le quittait pas, qui était cette femme ? Et ou était ce lieu ? Encore des questions pour le jeune homme et il en avait un peu marre de tout cela, entre les sbires d'un ecclésiastique inconnu qui le pourchassaient depuis des années, le crime de cette jeune fille innocente et enfin ses rêves de plus en plus réels. Bref, sa joie était consommée pour la journée. Regardant autour de lui, il vit une petite feuille de papyrus et il relut le message qu'il avait découvert la veille, il ne savait pas quoi en penser, il se promettait alors de résoudre cela dans les prochains jours, enfin il l'espérait sans beaucoup d'espoir. Il se leva enfin et descendit de sa "mansarde" pour retourner aux établis...

A peine descendu, son maître lui intima de prendre sa journée et d'aller se promener pour récupérer. Habituellement, Caeron renâclait face à ce genre de paternalisme, néanmoins il admettait qu'il en avait bien besoin. Il quitta les lieux pour arriver sur la via canopia, la foule bigarrée des soldats, esclaves, marchands le laissait aujourd'hui indifférent. Il marchait sans savoir où aller, recouvrant sa tête de la capuche carmine de sa pèlerine. Soudain, il ressentait à nouveau cette quiétude devenue familière depuis hier, ses prunelles se levèrent alors sur le vieux temple décrépi de la veille. Il était revenu là de nouveau, cette fois-ci, Caeron voulait au moins une réponse et il pénétra dans les lieux. A l'intérieur, les piliers étaient renversés, les statues déboulonnées de leurs pieds, les bas reliefs avaient été saccagés avec soin. Dodelinant de la tête devant la vue de ce chaos, il s'avança et vit devant lui la statue de la Déesse des lieux renversée elle aussi. Ce manque de respect pour les croyances des autres peuples était le signe de ce temps, les anciennes croyances étaient combattues avec férocité par la jeune religion chrétienne. Il recherchait le moindre indice qui pouvait expliquer son attirance pour ce lieu et il vit une statuette un peu étrangère au décor présent. Celle-ci représentait la Déesse, elle avait été posé dans un coin pour quelques prières secrètes. Alors qu'il regardait accroupi la statuette, il entendit quelqu'un entrer dans le temple.

Une vieille femme entrait dans le temple et se rapprocha de la statuette. S'agenouillant devant cette dernière, elle pria avec force la Déesse de lui redonner courage face aux percepteurs de l'Eglise. De sa cachette, le jeune albinos se souvenait alors que le Clergé chrétien imposait une dîme importante aux pauvres païens qui avaient voulu être trop honnête pour suivre leur religion, ils en payaient le prix financièrement aujourd'hui. Il se révéla alors à la fidèle de l'ancienne religion, gardant tout de même sa capuche au cas où. Il ne savait pas comment l'interpeller, il posa alors une question au hasard.

" Bonjour ! Rude matinée pour vous aussi ?

- (Surprise) ... Chut ! Ce lieu doit être respecté, il sera bientôt démoli comme les autres temples de toute façon... Vous ne pouvez pas...

- Non non. Je ne suis pas de la garde madame. Juste un homme un peu perdu.

- Ah... et bien vous êtes le bienvenu alors, soyez sûr que notre Déesse nous protégera si on garde l'espoir en elle. Vous êtes grec ?

- Oui... Mon accent est si facile à entendre ? Répondait Caeron, amusé par la question.

- Pour sûr ! Même un cheval le serait. Enfin vous n'êtes pas le premier grec que je vois, y'en a eut un y'a quelques années, un drôle d'oiseau qui recherchait des indices sur je sais plus trop quoi... Enfin bref. Regardant les quelques mèches blanches de Caeron d'un air entendu, elle lui chuchota. Ah oui ! Celui que l'on dit l'assassin des artisans, l'homme aux cheveux blancs, le démon.... J'y ai jamais cru moi, l'Eglise était trop à y regarder dans ces histoires moi je vous le dis...

- (ayant du mal à suivre les propos de la vieille femme) Attendez attendez. Vous pourriez me répéter cela dans l'ordre ? Un grec est venu ici ? Et vous dites que l'Eglise serait liée aux crimes ?

- Oui pour la première question, mais j'en sais rien de plus. Pour les crimes, ben par la Sage Déesse, vous devriez être plus prudent mon garçon, la Déesse vous protège on dirait mais les serviteurs du Clergé chrétien ne sont pas tous bons et loyaux à notre Basileus. Enfin, je suis qu'une sage femme entendant les nobles parler, moi veux rien y faire la dedans... Mais si je peux vous donner un conseil, trouver l'assassin de la petite Rustovica, prenez la statuette et enfuyez vous pour rejoindre les vôtres ! "

Alors qu'elle terminait sa phrase, elle prit la poudre d'escampette. Surpris par le départ de le vieille femme, il avait ressenti un drôle d'impression pendant la discussion, qui était-elle vraiment ? Il ne le saurait jamais certainement et pour une fois, il se contentait de cette réponse. Elle était venue pour donner un coup de pouce au destin et elle avait donné un chemin, pour la première fois, le jeune chevalier faisait trembler son cosmos sur les lieux et la statuette répondit à son appel en vibrant avec lui. Il la prit en ressentant immédiatement le chemin qu'il devait accomplir pour rejoindre les lieux de son rêve. Tout à coup, la fin de la phrase trembla dans son esprit, "les vôtres", il n'était donc pas seul et cela le réconfortait encore un peu plus. Décidé, il s'extirpait du temple avec discrétion, la statuette cachée dans une des poches de sa pèlerine...

Dans le tablinium, deux personnes étaient assises à une belle table. Deux verres en étain, gravés de reliefs représentant des squelettes en train de faire la fête, se remplissaient d'un vin frais. Face à face, les deux interlocuteurs ne parlaient pas et attendaient que l'un d'entre eux commence la conversation. Plusieurs esclaves nettoyaient les sols avec des grosses brosses en poil de daim. Tout le monde s'affairait dans cette maison, mais l'ambiance était mauvaise et les regards étaient tristes.

" Alors que me vaut la visite d'un simple cordonnier ? Demanda finalement le maître de maison en regardant les mains de son interlocuteur.

- Le simple cordonnier souhaite vous présenter ses condoléances Patricien. Ceci étant, il me faudrait savoir pourquoi on accuse un albinos de ce crime, comprenez que cela ne me plaise pas trop... Répondit froidement Caeron.

- Ma foi, parce que mes esclaves ont vu un esclave sortir de la maison après le crime. Je vous demanderai de baisser d'un ton ceci dit, n'oubliez pas que vous êtes à ma table !

- Voyez vous, c'est là où le bât blesse. On parle aussi d'un empoisonnement de votre fille suite à un rituel de l'ancienne tradition. A moins que l'esclave qui m'accompagnait.... Non, vous savez pourquoi il était là-bas et je m'en contrefous finalement, je comprends que vous souhaitiez sauvegardé l'honneur de votre famille mais trouvez une autre raison ! De plus, j'ai ouï dire que la Sainte Eglise était d'accord avec moi.

- Le procurator Valou vous envoie ?

- (souriant) Je ne fais que vous rappeler sa volonté... Mais je ne suis pas forcément d'accord avec le "souhait" de notre patriarche, à moins....

- Je comprends. (réfléchissant posément) Je vous remercie pour votre silence et d'être venu me voir avec mon esclave pour éviter une esclandre. Pas besoin d'être devin pour comprendre la raison de votre ennui, votre morphologie parle pour vous, sachez que je ne pensais pas vous porter ombrage et je pense que votre façon de parler, trop patricienne pour un cordonnier, et l'implication du Clergé d'Alexandrie ont des ramifications qui m'échappent. En tout cas, je ne serai que trop vous conseiller de quitter rapidement la ville, le procurator recherche votre dépouille selon mes sources et il ne lui faudra pas longtemps pour comprendre que vous.... êtes vivant. Alors prenez cette bourse et si vous revenez dans cette ville, considérez moi comme votre obligé. Pour ma fille, on va se contenter de clore cette triste affaire. Terminait d'un souffle de tristesse le patricien.

Dans un geste, il le remercia et lui indiquait que la discussion était close. Caeron était surpris que la situation se résolut aussi simplement, pour une fois, il allait goûter ce petit plaisir. Cependant, les derniers propos du Dominus lui confirmèrent que son ennemi n'était ni plus ni moins que le Patriarche d'Alexandrie, ou l'un de ses seconds le conseillant dans l'ombre. Enfin, ça avançait un peu pour une fois et le conseil de son nouvel "allié" était pertinent. Il devait quitter la ville dans les plus brefs délais car il était sûr que ses petits enquêtes dans des endroits trop publics (mais c'était un mal nécessaire) avaient dû éveillé l'attention. Il se dirigea donc vers le quartier des artisans pour aller saluer une dernière fois son maître.

Passant par les ruelles sombres des tisserands, Caeron arrivait devant la cordonnerie. Il vit alors quatre hommes habillés de tuniques noires, avec des pourpoints stylisés de l'Evêché, en train de quitter les lieux. Sentant qu'un piège se préparait, il monta quatre à quatre le mur extérieur et entra par la lucarne de sa petite mansarde, heureusement qu'il avait toujours été prévoyant. Il posa le pieds à terre quand une main le prit par le poignet, un compagnon et ami lui faisait signe de se taire en mettant un doigt devant les lèvres. Le silence permettait d'entendre les vociférations de son maître vis-à-vis d'une autre personne, mais cela restait incompréhensible. Son compagnon lui déposa alors un sauf conduit entre les mains et une bourse de treize solidus. Il lui chuchota que son trésor était dans la remise à l'extérieur et il repartit en criant qu'il n'y avait personne dans la chambrette.

Descendant le mur comme un forcené, Caeron courrait jusqu'à la remise. A l'intérieur, il vit sa boîte de pandore protégée par une sacoche de cuir de la plus belle fabrication, un sac de victuailles était à côté, son maître avait toujours sût que ce moment pouvait arriver et avait fait sûrement son enquête sur son nouvel apprenti. La fidélité et l'honneur de cet homme remontaient le courage du jeune fils de Thessalonique, mais son temps à Alexandrie était fini, ses ennemis étaient à nouveau à sa poursuite et tous ses amis allaient en payer le prix s'ils n'étaient pas prudents. Comprenant la façon de son maître, Caeron prit ce qu'il pouvait et quitta la ville rapidement. La statuette d'Athéna à la main, il comptait suivre son instinct et rejoindre les "siens" le plus rapidement possible, ils étaient peut-être en danger aussi...