Voilà quelques jours que le sanctuaire avait essuyé l'assaut des chevaliers d'Arès. A nouveau, le sanctuaire avait été défiguré et les esprits ébranlés. Dormin était encore resté debout face aux envahisseurs, mais cette fois il ne se targuait pas de les avoir repoussés. En vérité, cette bataille était devenue obsolète dans son esprit. Étouffée par le traumatisme qu'il avait subi... La perte de deux de ses amis. Il y avait eu Rune qui, au cours du combat, loin en Asgard, était tombé face à ce cosmos pourpre si familier. Pauvre garçon... Si jeune... Dormin et lui se connaissaient à peine. Mais il l'avait porté dans son coeur le peu de temps passé ensemble. Il avait espéré pouvoir approfondir cette relation et la faire s’épanouir, qu'elle devienne une belle amitié. Modi devait se sentir bien seul sans son disciple... pauvre de lui... Peut-être pourrait-il aller lui rendre visite comme il l'y avait invité, histoire de lui présenter ses condoléances et de se recueillir avec lui. Mais pas tout de suite...

Car ici, au sanctuaire, on enterrait nos propres morts. Dormin et ses camarades portaient le deuil, aussi avait-il noué ses cheveux rouges d'un ruban noir. Certains se fichaient de la disparition de son maître à lui, Oréstis de la lyre et Sokaris de la balance. Mais Andromède ne souhaitait pas accorder d'attention à ses gens là. Trop sensible, cela faisait trois jours qu'il s'était isolé. Il évitait de croiser du monde... il ne savait pas comment interagir avec eux. C'était trop tôt pour sourire. Lui qui se voulait toujours réconfortant, toujours là pour soutenir... Aujourd'hui, c'est lui qui aurait besoin de soutien. Et Narcisse disparu, il était seul... Vers qui se tourner à présent? C'était la seconde fois que la vie lui arrachait un maître et ami. Mais ce ne fut pas la même douleur. Le rouquin ne se laisserait pas abattre, il se relèverait... à son rythme.

Le chevalier se drape d'une cape sombre, le temps est encore menaçant, habillant le sanctuaire de gris. Quelques rayons de soleil pointent par endroit entre les nuages. Le vent balaye les grands escaliers taillés dans la roche et souffle à travers la maison vide du Capricorne. Le coeur de Dormin se serre alors qu'il passe devant celle ci comme chaque matin depuis son arrivée au sanctuaire. Il s'arrête sur les marches et se penche... Un coquelicot a poussé... Comme il y a 11 mois de cela... Alors qu'il rencontrait le Capricorne pour la première fois. Dormin se penche pour caresser les pétales dont la teinte ressemble à celle de sa chevelure. Il esquisse un sourire nostalgique et cueille la fleur qui vient grossir un bouquet déjà bien garnis.

Pas assez à son goût. Il prend garde de ne pas déraciner la fleur, ainsi elle pourrait repousser un jour. Il pince la tige et transmet de son énergie au végétale. La tige se ressoude et forme un nouveau bourgeon qui remplacera bientôt la fleur cueillie. Dormin sourit et se redresse. Voilà deux bonnes heures qu'il arpentait le sanctuaire à la recherche de ces fleurs rouges... les préférées du jeune saint. Il descendait de la maison du poisson, ayant cueilli quelques roses pour les joindre aux coquelicot. Dormin réajuste sa cape et descend jusqu'en bas du sanctuaire et fait une pause en bas des marches pour boire un peu d'eau. Il pose délicatement le bouquet à côté de lui et se penche au dessus d'un bassin pour recueillir l'eau de pluie et se passe de l'eau sur le visage. Il bout un peu d'eau puis contemple son visage à la surface de l'eau... Comme dans un miroir.

L'ambiance avait changé au sanctuaire. Neida le sentait de tout ses sens, et n'eût été son rang de Saint d'Athéna peut être en aurait elle ignoré l'origine. Mais le vide qui s'était installé dans leurs rangs était bien palpable: une aura de tristesse, une zone d'ombre qui régnait aussi dans l'air du temps. La guerre était bien là. La jeune huescane ne connaissait pas le chevalier qui était tombé, mais il faisait partit des meilleurs. Et son cœur s'était serré en apprenant de qui il s'était s'agit. La longue ligne d'escaliers et de maison de marbre de Paros s'étalait toujours sous ses yeux, mais désormais elle était comme incomplète, défigurée.

Elle soupira et rajusta le foulard rouge qui retenait ses cheveux et les empêchait de masquer ses yeux. Le temps virait encore et mettait de l'électricité dans tous son être. Comme des voix s'approchaient, elle décida de prendre un peu de distance et d'aller se trouver un autre coin plus tranquille. Elle avait besoin de calme aujourd'hui, comme toute la tension alentour la mettait à cran, et que l'inactivité lui pesait. Elle sauta de rochers en rochers pour atteindre une zone anciennement construite mais désormais partiellement ruiné. Une zone qu'elle privilégiait pour s'entrainer, car dépourvue d'activité. Il fallait descendre un peu pour trouver du monde, ou carrément remonter, et son emplacement près du grand escalier en faisait une zone peu fréquentée. Idéale.

Toutefois elle n'était pas seule. Elle ressentit, avant de le voir, un cosmos plus puissant que le sien, mais doux. Et triste. Elle s'avança pour établir un contact visuel, s'accroupissant sur un fut de colonne brisée, et vit qu'il s'agissait d'un saint de rang supérieur. Il était penché sur le bassin, était visiblement en armure... et la seule chose qu'elle distinguait de lui était sa magnifique chevelure d'un rouge soutenu. Cette personne lui était totalement inconnue... Vue sa pose, il était comme évident qu'il se recueillait ou en tout cas qu'il ne souhaitait pas forcément être dérangé, et de toute façon ce n'était pas la volonté de Neida qui était décidément trop sauvage pour tenter le contact.

Elle décida qu'il valait surement mieux s'esquiver et le laisser tranquille...

- Tu ne me déranges pas... Ne te sens pas obligée de partir.

Neida arrêta de reculer. Elle avait été repéré, mais s'y était attendue. Elle se redressa et regarda à nouveau le chevalier aux cheveux si flamboyants. Ils la fascinaient.

- Je suis navré si je vous ai intimidée, c'est... inhabituel chez moi. Je vous en prie, approchez.

Elle l'observa un instant tandis qu'il lui faisait face et le détailla, observant, sa stature, son armure, son regard surtout. Loin d'être une curiosité malsaine, c'était pour elle une façon de se faire une première idée de la personne en face d'elle. Elle sentit l'effort qu'il fit pour adoucir son cosmos mais aussi masquer sa tristesse. Elle lui en fut grée, une tension de moins à gérer. Comme elle se débrouillait toujours pour croiser le moins de monde possible, et ne recherchait pas particulièrement l'attention de ses pairs, elle ne connaissait que peu de monde dans tous le Sanctuaire, ses amis se limitant à ceux qu'elle avait croisé au cours de son entrainement ou des tâches qu'on lui avait donné à accomplir.

Il faut dire aussi qu'elle était une des rares femmes parvenue au statut de Saint, et que quand elle ne portait pas son armure, il lui arrivait d'avoir des problèmes avec les gardes qui ne comprenaient pas qu'ils n'avaient pas affaire à une simple servante. Elle savait se défendre, mais n'aimait pas recourir à sa force inutilement. Alors elle évitait les endroits trop peuplés et ça lui allait. Elle avait toujours été solitaire après tout.

- N'aie crainte, je ne te veux aucun mal. Je ne connais pas ce cosmos. On ne voit pas beaucoup de femme par ici, mais ton aura ne trompe pas... tu es l'une des nôtres n'est-ce pas?

Neida ne s'offusqua pas de cette remarque, c'était la pure vérité. Elle apprécia que l'inconnu la reconnaisse pour ce qu'elle était, parce qu'en l'état on aurait pu la prendre pour une sauvageonne. A part son foulard d'un rouge soutenu qui tenait ses longs cheveux noirs vers l'arrière, elle était pieds nus et ne portait qu'une tunique un peu courte nouée aux épaules. Elle ne semblait visiblement pas affectée par la pluie qui menaçait. Elle lissa tout de même sa tunique claire et s'approcha en inclinant la tête en signe de salut, mais aussi de respect.

- Je fais partie des vôtres en effet. Je me nomme Neida, Neida du Lynx.

Neida fut un instant gênée d'avoir été ainsi prise sur le fait de sa curiosité. Mais ce genre des cheveux étaient rare. Elle avait déjà croisé un étranger à Osca qui avait des cheveux de flamme. Mais il s'agissait de la couleur du soleil, bien moins rouge que ceux de Dormin. Et ceux de ce dernier était vraiment surprenant, si lumineux! On aurait pu penser que c'était un don des Dieux. Elle fut navrée qu'il lui apprenne que c'était mal vu dans le Nord. Elle aussi connaissait bien ce problème.

- J'ai le même souci avec mes yeux. lui avoua t'elle, elle qui ne parlait jamais de son passé pourtant. Ce n'est pas commun de là d'où je viens. Alors je comprends...

Elle sourit un peu plus, semblant intimidée.

- Il est toujours étonnant de rencontrer autant de personnes venant du monde entier... Dans mon village les étrangers, et ceux qui leurs ressemblaient, étaient vraiment très mal vus. Il suffisait d'avoir les cheveux, les yeux clairs ou la peau trop sombre pour être mis au ban de la société. Ici... c'est un peu comme si on rencontrait tellement de personnes différentes que l'idée de trouver un autochtone devenait profondément incongrue.

Elle rit doucement en baissant la tête et en jouant de son pied contre une touffe d'herbe qui poussait entre les pierres disjointe de l'ancienne place.
Elle releva brusquement le nez, les yeux grands ouverts et ce fut comme si elle reniflait et regardait autour d'elle... Puis elle regarda de nouveau le Saint d'Andromède en fronçant les sourcils.

- Je crois que je sens la pluie arriver...

Elle grimaça. Elle aimait bien la pluie quand elle était dans la nature. Mais là sur les rochers et les pierres taillé, tout devenait très glissant. Et une chute même si elle n'était pas mortelle était toujours très douloureuse surtout pour la fierté.