Le vent était fort en ce début de soirée. Et les températures négatives n'incitaient pas à mettre le nez dehors. Mais parmi la brume verglaçante, une ombre approchait. Et plus elle approchait, plus la silhouette s'allongeait, impressionnante créature sortie des contes du coin. Quelques badauds assez fous pour sortir par ce temps se reculaient, moitié effrayé, moitié captivé par ce qui allait sortir de cette brume. La neige encore fraiche craquait sous les pas de ce véritable colosse qui ne daignait s'adresser aux personnes qu'il croisait.

Alors que la silhouette arrivait devant l'auberge dont on lui avait parlé, elle se stoppa. Plus de deux mètres, emmitouflé dans une sorte de grand manteau blanc qui recouvrait la totalité de son corps, capuche sur le visage pour le préserver du froid, l'homme observait les lieux. On était venu spécialement le voir au Temple d'Odin pour lui signifier qu'une personne le cherchait. On avait même mentionné le nom "Haldoric"... Un nom d'emprunt qu'il n'avait utilisé qu'une seule fois : lors de son attaque du Sanctuaire. Il n'était ainsi pas difficile de savoir qui le cherchait ainsi. Selon les dires du domestique qui lui avait rapporté la nouvelle, l'homme en question parcourait les villages et les auberges à sa recherche. Et selon les dernières rumeurs, il était dans ce bouge.

Mais rapidement, son regard fut attiré par la présence d'une autre silhouette encapuchonné, portant une cape noire et se dirigeant vers le côté de l'auberge. Si d'ordinaire, il n'y aurait porté aucune attention, quelque chose attira son attention. Bien que le gars camoufle son cosmos, il en restait un résidu non négligeable. Et pour un gars comme Haldor, il n'y avait rien de moins difficile que de percevoir ce genre de chose. Cependant, impossible pour lui encore de savoir à qui il avait à faire, même si le doute était présent dans son esprit. Suivant l'homme, il se rapprocha rapidement de lui jusqu'à arriver dans son dos. Là, il s'arrêta et s'adressa à lui. Il ne pouvait se tromper... C'était cet homme qui le recherchait, le doute n'était plus possible. Restait à confirmer son identité.

- Il parait que tu cherches un homme répondant au nom d'Haldor ! Que lui veux-tu ?

Sokaris... Ce n'était qu'une confirmation en réalité mais la découverte de ce visage fit sourire Haldor. Ainsi le chevalier de Céphée avait parcourut ces terres gelées afin de retrouver celui qui l'avait vaincu ? Touchante déclaration. Mais il semblait connaître la vérité. Et s'il avait été capable de donner son véritable prénom, c'est qu'il était parvenu d'une manière ou d'une autre à obtenir ces informations auprès de personnes bien renseignées. Il savait donc qu'il avait appartenu à la faction d'Apollon. Bien... Il n'aurait pas à feindre quoi que ce soit dans ce cas là. Plus de faux semblant, lui qui détestait cela. Tout allait donc pour le mieux.

Cependant, il fallait tout de même que Sokaris apprenne une chose élémentaire : venir ici en homme ne le préservait en rien du courroux d'un guerrier d'Odin. Et parler aussi sèchement à celui qui représentait à lui seul la force militaire de ce dieu Nordique, c'était prendre un risque considérable. Surtout lorsqu'il avait déjà été vaincu par ce même homme. Enfin. On ne pouvait lui reprocher son emportement. Haldor se connaissait et savait qu'il aurait aussi traqué par delà le monde celui qui l'aurait vaincu de la sorte. Ne serait-ce que pour demander une revanche. Ainsi agissait le véritable guerrier. L'honneur. Un mot qui perdait son sens dans la bouche de la plupart des soldats des dieux. Mais pas dans celle du géant. Et visiblement, pas dans celle de Sokaris non plus.

- Sache qu'ici, tu n'as rien à exiger louveteau. Que tu sois là en qualité de chevalier d'Athéna ou en tant qu'homme, je m'en balance. Tu cherches la vérité hein ?

Levant le bras, Haldor abaissa sa propre capuche et dégrafa également les pressions qui maintenaient en place son manteau sur lui, dévoilant une partie de la Godrobe de l'Alpha. Le saphir luisait au centre de l'armure, mais ce n'était pas là dessus qu'il souhaitait attirer son attention. Car l'armure qu'il portait en ce jour, l'armure qu'il ne quittait presque plus depuis son arrivée sur les terres de ses ancêtres, était très différentes de la Chlamyde qu'il avait porté le jour de leur affrontement. Celui qui s’était présenté comme le corbeau d'Odin était bien plus en réalité : il était le guerrier d'Alpha, symbole de la puissance d'Odin et maître de ses armées.

- Ce n'est plus vraiment un secret, je peux donc parler librement. Même à celui qui risque d'être mon ennemi demain. J'étais en mission commandée par l'Augure d'Apollon. Me faire passer pour un guerrier divin et déclencher une guerre entre Odin et Athéna, tel était mon objectif. Mais ceci, tu sembles le savoir. Ce que tu ne sais pas par contre, c'est que je portais la Chlamyde du Héron de Boreas. Mais depuis, les choses ont évoluées. Tu te trouves devant Haldor de Dubhe, guerrier divin d'Alpha.

Frappant de son poing contre son plastron, il affirmait avec fierté ce qu'il était aujourd'hui. Un homme qui avait toujours été dévoué à sa cause. Même si à l'époque, il n'avait pas eu l'opportunité de revêtir l'armure qui lui était destiné. Tout cela avait changé et il répondait désormais aux ordres de son seul et véritable seigneur. Odin, divinité nordique, en retrait depuis des siècles mais qui allait enfin sortir de sa torpeur grâce à l’avènement du nouvel Alpha. Une sorte de chef de meute en somme. Une appellation qui ne pouvait que parler à celui qui se disait être le Loup de Germanie. L'Alpha. Celui qui commandait aux autres.

- Le voyage au Sanctuaire n'était finalement qu'une étape sur mon chemin. Mais dis moi, Loup de Céphée ! N'es-tu venu sur ces terres que pour avoir une confirmation ou pour demander une revanche ?

Alors que Sokaris s'exprimait sur les intentions qui étaient les siennes, Haldor ne put s'empêcher de faire le rapprochement avec Wÿrd et ce que ce dernier lui avait dit. Lui aussi semblait croire qu'une paix était possible avec le Sanctuaire de cette déesse. Bien que l'Alpha ne partage pas son avis. Le Seer restait néanmoins la voix du peuple et celle du dieu Odin, de ce fait, il devait être écouté et suivi. Là dessus, Haldor n'avait aucun doute. Même après lui avoir expliqué ce qu'il s'était passé là bas, Wÿrd n'avait pas abandonné l'idée de s'allier à eux. Et voir le Loup de Germanie parler de la même chose ne pouvait qu'être troublant.

Il faisait en tout cas preuve d'une grande intelligence. Abandonner l'idée d'un combat qui pouvait dégénérer sur une guerre totale, alors même qu'il souhaitait se venger, c’était une sacrée preuve de maturité. Le colosse ne se souvenait pas d'un tel trait de caractère chez cet homme. Seul le courage et la détermination lui restaient en tête lorsqu'il repensait à leur première rencontre. LA seconde n'avait eu que peu d'intérêts, puisque le colosse n'avait alors cherché qu'à fuir le combat, afin de rapporter ce qu'il avait appris à l'Augure d'Apollon. C'était évidemment bien avant la chute de ce dernier.

- Suis-moi !

Telle fut sa réponse à la proposition de boire un verre. L'idée n'était pas mauvaise et de toute évidence, ils seraient mieux au chaud. Haldor avait beau aimer ce temps et ces températures, il n'était pas fou au point de rester en pleine tempête. Le vent était cinglant et glacial et moins il était obligé de rester au dehors, mieux c'était. Poussant les portes de cette auberge, Haldor restait un moment à observer les lieux : la salle était presque comble et rare étaient les places encore libres. Il y en avait bien une ou deux, par ci par là mais rien qui permettent à deux hommes de se poser tranquillement. Qu'à cela ne tienne, il se dirigea vers une grande tablée sur laquelle se trouvait trois hommes. Buvant tranquillement leurs choppes, ils ne levèrent même pas la tête alors que l'ombre menaçante du colosse les enveloppait tous.

- Vous avez fini. Alors on dégage et vite.

L'un des hommes leva seulement le regard, l'air menaçant, mais lorsqu'il aperçut la carrure d'Haldor et celle de Sokaris derrière, il ne se posa aucune question et se leva prestement. Ses potes firent de même et en quelques secondes la table fut libérée, permettant à Haldor de se poser. Le Saint fit de même. Se frottant les mains, Haldor semblait enfin se détendre. La chaleur de l'auberge était plaisante, presque grisante.

- Celui qui dirige les Ases est de ton avis, Sokaris. Il croit - non il espère plutôt - que les Saints d'Athéna et les Guerriers divins d'Odin peuvent combattre côte à côte. Ta retenue est donc tout à ton honneur... Mais je n'ai qu'une parole : tu auras ta revanche le moment venu. Je sais ce que c'est que de chercher à surpasser quelqu'un. On abandonne pas facilement un tel projet, hein ?

L'allusion à Kallas n'était pas anodine. Ce chevalier du Gémeaux qui avait osé s'interposer entre lui et sa fuite. Il avait évidemment réussi à quitter les lieux, mais pas indemne. Quant à ce Kallas, sans les blessures suite au premier combat, nul doute qu'il serait aujourd'hui mort. Certes, il avait frappé fort. Certes, sa rapidité et ses compétences martiales étaient excellentes. Mais pas suffisamment pour le colosse qui avait, malgré son état lamentable, failli le plier en deux. Haldor se vengerait de cet homme dans un combat équitable, il le savait... Et ce jour là, il prendrait plaisir à lui briser la nuque.

Alors que lui même prenait quelque boisson obscure pour accompagner Sokaris, il continuait d'écouter les propos de ce Saint. Mine de rien, il avait eu une sacrée dose de courage de venir en ce lieu seul. D'autant qu'il ne pouvait savoir l'accueil qu'il aurait en demandant à le voir lui. L'Alpha. Les questions de Sokaris étaient légitimes mais s'il pensait avoir réponse à tout, il se fourvoyait terriblement. Tout dévoiler serait une erreur assez grossière et il n'était pas disposé à tout lui avouer. Un rival ? Sans doute. Mais cela ne changeait rien à la donne : en ce jour, il restait un ennemi d'Odin. Lui et tout ceux qui osaient s'opposer à la toute puissance du seigneur du Nord. Qu'importe le nombre, qu'importe la force des ennemies, ils ploieraient devant le marteau du géant.

- Que les autres me pardonnent ou non, je m'en tape. Et personne n'osera s'élever contre la volonté d'Odin... Sans quoi, allié ou non, je me ferai une joie d'écraser toute rébellion. L'Alpha... Cette Godrobe ne m'a pas fait d'elle son maître sans raison.

L'aubergiste venait de faire déposer les boissons commandées. Sans se presser, Haldor prit sa propre choppe et l'avança vers lui, plutôt pensif. Il sentait en lui cette énergie incroyable que possédait cette armure. Rien à voir avec la Chlamyde qu'il portait à l'époque. Bien sûr qu'il était fort déjà à l'époque où il était Oracle. L'un des quatre principaux en plus. Mais il ne saurait dire pourquoi, avec cette protection sur le dos, il se sentait invulnérable. Et même s'il tombait au combat, il avait suffisamment foi en sa propre puissance pour se relever et chercher à abattre celui qui le mettait à terre. Si ce n'était pas le lendemain, ce serait dans une semaine, un mois, un an... Qu'importe le temps, il n'avait pas le droit de perdre.

- Pour le Sanctuaire, oui... Ils savent. Mais nous sommes en temps de guerre et il n'y a pas la place pour les regrets. Ce que j'ai fait, je le referais sans la moindre hésitation si l'occasion se représentait. Je suis un soldat, Sokaris. Qu'importe l'armure, je suis un soldat et je fais ce pour quoi j'ai toujours été formé. Tu me demandes comment j'ai pu me justifier ? Mais je n'ai pas à le faire ! Ils savent que lors des combats qui nous attendent, je briserai un à un les fous qui oseront s'opposer à notre vague d'attaque et ça leur suffit. Aujourd'hui, nous trinquons ensemble. Mais si demain tu es sur mon chemin, alors je te tuerai.

Son regard dur ne laissait place à aucune hésitation. Il pensait ce qu'il disait. Et Sokaris l'avait très certainement déjà deviné. Attrapant la choppe, il la souleva un instant de la table pour la porter à hauteur de visage. Là, il attendit que Sokaris fasse de même. Comme il venait de le dire, aujourd'hui, ils trinquaient. Demain n'avait donc aucune importance.

- Je lève mon verre aux vrais soldats ! A ceux de notre race, il n'y en a plus des masses !