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Théodora

Théodora est assise dans une position bouddhiste, confession lointaine et inconnue aux yeux de la jeune bretonne. D'autant que rien ne pourra remplacer Poséidon dans sa vie : ce dieu a marqué son âme et gravé sa peau. Doucement, la jeune femme ouvre les yeux en direction du temple, le pilier du Pacifique Nord dans son dos. Cette-dernière se relève afin de rejoindre l'immense édifice mais avant cela elle fait un écart et se dirige vers l'endroit où est enterré son maître. Une croix gravée de son nom repose dans le petit tas de sable retourné. Délicatement elle y dépose un collier en coraux.

- Maître ... Trouvez le repos, je jure de poursuivre votre œuvre. Je reviendrai vous consoler plus tard, vous étiez un grand Général. En si peu de temps, vous m'avez tant appris.

Théodora se relève doucement et se déplace jusqu'au temple de Poséidon sans perdre davantage de temps. La jeune femme sait qu'elle va devenir Générale, cela ne fait aucun doute puisque l'invitation ne vient pas du Légat mais bien de sa scale ... Oui ... Elle allait enfin recevoir sa toute première écaille et quelle écaille : scale d'or de l'hippocampe. Malgré la tristesse, elle ne pouvait nier toute la fierté qu'elle ressentait en ce jour.

Une honte envahit soudain la future Gardienne du Pacifique Nord : elle n'est pas habillée de circonstance ... Aucune prestance ne se dégage d'elle, Théodora est consciente qu'à l'avenir lors de réunion d'une telle importance, elle se devrait de vêtir sa scale. Toujours est-il que le temps n'est plus au doute : si Poséidon choisissait selon la prestance jamais il n'aurait élu une chétive et malade jeune femme.

Peu de temps après, elle pousse les hautes portes du temple et entre. Remarquant rapidement la présence du Légat, elle fait quelques pas et pose un genou au sol.

- Enchantée, Légat. Je suis Théodora ... Générale de l'Hippocampe !

Aucun doute ne venait endeuiller sa voix. Certes, si la parole était sûre, le ton ne pouvait changer et restait naturellement doux, caractéristique propre à Théodora. Ce mélange entre fermeté et calme laissait présager ce que serait Théodora : une Générale déterminée à servir Poséidon mais en privilégiant la paix.

La jeune femme ne se relevait pas, ne sachant comment aborder cet homme. Ce dernier avait été nommé Légat pendant mon apprentissage avec feu mon maître. Il n'avait rien dit à son sujet si ce n'est qu'il lui faisait entièrement confiance. Théodora partait donc avec un apriori positif.

- Relève toi, Théodora.

- J'ai connu ton maître et je pleure encore sa disparition. Son courage et sa rigueur manqueront lorsque nous devrons affronter les ennemis de Poseidon. Néanmoins, je vois qu'il a eu le temps de parfaire ton enseignement et ton entraînement... Mais avant de pouvoir te dire Général de l'Hippocampe, il te faut porter l'armure dont tu te réclames le propriétaire ! Telle est la loi de notre Seigneur Poseidon.

Non. Ce n'était pas de la douceur, c'était autre chose. C'était de la quiétude, charmante aux premiers abords mais cet homme là n'était pas du genre à faire des concessions. Son regard, soutenu par un seul œil, était pur, aucun doute ne le traversait. Néanmoins, il n'avait rien à cacher, en parlant il ne pouvait prendre que peu de risque, personne d'autre que lui pouvait se targuer d'être précédé par la volonté divine. Ainsi s'il disait être peiné par la disparition de Maître Xelar, c'était vrai. Lorsqu'elle lui répondrait, elle serait évidemment debout, exécutant l'ordre aussitôt après qu'il fût prononcé.

Le légat parla alors de son Général, Théodora n'eut même pas le temps de le remercier qu'il enchaina directement sur la possibilité ou non d'être Générale. Le légat ne laissait pas de place à la compassion, il se fichait d'elle tant qu'elle ne réussirait pas. Certainement serait-elle indigne d'être au sanctuaire si elle était incapable de revêtir l'armure de l'Hippocampe. Une douce mélopée lui amena son armure. Car oui, Théodora était convaincue de franchir cette difficulté qui n'en était pas vraiment une.

- L'assurance n'est un défaut que lorsque le fait énoncé est présumé. Je suis Générale, Légat. Je n'ai aucun doute en l'hippocampe et l'hippocampe n'en a aucun. Regardez ces fêlures... Seule moi peut les comprendre ... Elles n'affectent pas ma chair mais ont tailladées mon âme. Le lien qui m'unit avec l'Hippocampe ne peut souffrir d'aucun doute.

Théodora tend doucement la main vers l'écaille et un simple murmure suffit à décomposer l'hippocampe pour qu'elle vienne couvrir la jeune femme. Ailleurs, son regard parcourt son corps. L'armure est émiettée de toute part, pourtant elle scintille d'une lueur nouvelle. Son passage d'humaine à Générale est devenu un état de fait. Passé ce moment de contemplation, Théodora revint à elle et n'oublie pas où elle est : dans le temple sacré de Poséidon, d'autres affaires plus importantes doivent occuper le légat que celle d'attendre une jeune Générale.


- Si l'apprentissage de mon maître venait à ne pas être suffisant, je sais que Poséidon guidera mon geste à être juste.

L'union était affectée : l'armure souffrait de son paraitre et la Générale souffrait de l'intérieur. La blessure s'était rouverte. Son cœur avait cessé de se déchirer pourtant, lorsque son cosmos s'éveilla, elle ressentit les effets d’antan de ces crispations continues. À peine la joie de porter l'armure fut-elle dissipée que Théodora tomba en avant, se rattrapant de justesse en écrasant son genou au sol. Sa main veut masser sa poitrine mais la solide écaille reste imperturbable. Les lancements se font de plus en plus aigus et la gardienne du pacifique nord ne peut contenir un crachin ensanglanté. La seul chose qu'elle puisse encore faire est d'empêcher ces effusions rougeâtres de salir le sol du temple.

La main couverte de sang, Théodora reste un moment haletante, désolée du pathétique spectacle qu'elle laisse entrevoir à son légat. Comment gagner en crédibilité si elle se montrait si malade dès le premier entretient. Péniblement, elle se relève et fixe le Général de la Sirène Maléfique.

- Je suis désolée du bien triste spectacle ... Mon maître m'avait parlé d'un Général. Je m'en rappelle car cela l'avait étonné à l'époque. De l'océan indien je crois, il s'était reconvertit en forgeron. Pensez-vous qu'il puisse rendre l'éclat légitime de l'hippocampe ?

C'était maladroit, sans doute évident mais Théodora tentait de changer rapidement de sujet de conversation, elle ne se permettrait pas de faire perdre davantage de temps au légat sur des soucis personnels.

- Ce Général dont te parlait ton maître n'est autre que celui du Chrysaor. Et il est effectivement le seul du Sanctuaire à pouvoir redonner à cette écaille l'éclat qu'elle a perdue. Bien qu'il se soit retiré du service actif, il continue de servir Poseidon en réparant ces armures. Le trouver ne sera pas difficile. Mais avant tout... Parle moi de ce mal qui te ronge.

- Peux-tu contenir cette maladie ou est-il déjà trop tard pour tenter de l'annihiler ?

L'intuition de Théodora était bonne : l'homme de bougea pas d'un cil lorsque la femme s'écroulait en douleur. Pourtant, la jeune Générale ne pouvait rester au sol, elle le savait. C'est pourquoi elle s'était relevée en titubant. Ne soulevant pas son problème dans un premier temps, le légat lui parla du Général Indien, Ajay donc. Il s'était ainsi retirer des affaires de Poséidon ? Que pouvait bien motiver un homme ainsi élu par notre Seigneur à vivre reclus ? C'était étonnant mais Théodora n'avait pas de temps à perdre en d'envahissantes pensées : le plus important était d'écarter les doutes du Général de la Sirène Maléfique. Pourtant cet oeil était perçant et ne se laisserait pas abuser par de fausses et mielleuses paroles : elle devait être forte et sincère. Un juste milieu qui serait difficile à recadrer après pareil mal. Mais Théodora le devait, sous peine de ne plus pouvoir se relever dans l'estime du Légat.

La jeune femme déchira le bord de son chandail et essuya sa main. Son regard s'attarda sur le brillant de l'armure ainsi retrouvé. L'hippocampe se doit d'être fort et étincelant tel l'avait-il été sous la tutelle de son Maître Xelar. Cette prestance, cette fierté ne devait pas qu'être rendue à Poséidon et, de facto, à sa Voix mais également aux jeunes marinas et à la mémoire de son maître.

Bien sûr, l'homme n'allait pas fermer les yeux sur l'évènement et il lui demanda des explications. Son sourire revient, et c'est avec assurance qu'elle s'exprima. Son idéal retrouvé, elle n'avait plus peur de paraître faible. Pour un chevalier, seule l'étendue de sa détermination compte. Et celle de Théodora était large.

- Ce mal est une plaie gravée en moi. Elle ne partira qu'une fois mon dernier souffle expiré. Néanmoins, mon tout premier maître était parvenu à la contenir grâce à une plante alpine. J'avais arrêté depuis bien longtemps des mixtures à base de celle-ci mais lorsque Xelar est mort ... Une force s'est réveillée en moi, j'avais atteint le 7ème sens. Pourtant, cette effervescence de puissance a éreinté mon corps et voici le résultat. Je ne crois pas être un fardeau pour Poséidon, si je suis calme et que mon stock de ces dites plantes est régulièrement remis à jour, je saurai contenir le mal. Lorsque cela ne sera plus possible, j'imagine que la scale me quittera.

La nouvelle Générale s'incline alors respectueusement devant le légat. Théodora est assez mal à l'aise et ne pense pas avoir de nouvelles questions à poser au légat, si ce n'est peut-être une question futile. La jeune femme se mord doucement la lèvre inférieur puis laisse l'audace l'envahir. Après tout, l'écaille que portait Théodora était aussi puissante que celle du légat. Elle devait traiter respectueusement avec lui mais pas de façon soumise.

- Légat, vous connaissez mon prénom, Théodora. Je pense qu'il serait plus appréciable pour l'avenir que je connaisse également le votre. C'est peut-être malvenu de demander cela à la Voix de Poséidon mais en tant que généraux, nous serons fréquemment amenés à nous rencontrer ...

Théodora ne trouve pas davantage de raisons pour qu'elle obtienne son prénom. D'ailleurs tout cette explication pouvait être inutile si le légat considérait cela comme normal. Elle se sentirait sans doute idiote si cela venait à se dérouler ainsi. Cette fois, la jeune femme se tenait fièrement, droite comme un I. Bien sûr, Théodora était prête à partir mais elle ne quitterait pas le légat sans y avoir été invitée.

- Tu as raison. Nous sommes des Généraux de Poseidon avant tout et de ce fait, il est important que tu saches qui je suis réellement. Je te prie de pardonner ce manquement, je n'ai pas pour habitude de décliner mon nom à ceux qui composent notre armée. Je suis Orpheus, Général de la Sirène Maléfique et gardien du pilier de l'Atlantique Sud.

- Tu risques d'entendre régulièrement le son de cette flûte lorsque tu te retrouveras au sanctuaire de notre maître. C'est pourquoi je voulais que tu l'entendes. Cette mélodie porte jusqu'aux confins de notre territoire et aucune créature ne peut se préserver de ce chant. Je préfère t'informer, que cela ne soit pas une surprise, mais il arrivera que ton armure réagisse à certaines mélodies. Tu sauras alors d'instinct lorsque je te convoquerai ou lorsque j'aurai besoin de toi pour une mission particulière. Poseidon m'a offert ce pouvoir en même temps que je revêtais cette scale. Maintenant que tu as les informations dont tu avais besoin, je crois que la priorité est de redonner à ton armure l'éclat qui doit être le sien. Va voir Ajay, Théodora de l'Hippocampe. Il saura t'aider.

Ainsi sa maladie ne serait plus un problème aux yeux du légat. En son for intérieur, elle remercia Orphéus, cela la soulageait et il était vrai que Théodora n'avait pas besoin de souffrir de davantage de fardeaux. C'est alors que le jeune borgne illumina son visage d'un rire assez pur. Il était vrai que Théodora n'en avait connu que peu dans sa vie : ceux, gras, des saxons et les rires enfantins de ses frères. En soit, cela fait bientôt quatorze années qu'elle n'avait plus entendu quelqu'un rire. Son imaginaire ne pouvait traduire cela comme une moquerie.

Sourire timide, elle hocha doucement de la tête en entendant les avenantes paroles du Général de la Sirène Sinistre. Théodora s'élevait à présent, honorée du titre de Générale. Sa réponse fut brève.

- Je vous remercie ... Orphéus.

La discussion n'avait guère besoin de s'éterniser : Théodora était venue, s'était montrée digne de la scale et avait été reconnue par la Voix de Poséidon. Les marinas n'avaient guère besoin de s'épandre en festin. Le monde sous-marin agissait sobrement, sans ostentation. Orphéus était d'ailleurs du même avis que Théodora et la congédia poliment. L'éclat de son armure était sa prochaine étape.


- Bien, je m'en vais en ce cas. Le son de votre flûte continuera de m'enchanter alors, même à mille lieux de votre position. Je serai heureuse de vous rencontrer à nouveau, Légat.

Sur ces mots, Théodora s'inclina longuement puis fit demi-tour afin de retrouver le forgeron. Le seul, selon les dires d'Orphéus, capable de réparer les plaies de l'écaille. Théodora se projetait déjà aux avants de sa nouvelle rencontre, bien sûr, elle n'imaginait pas encore que cette prochaine rencontre se ferait en bas des marches de ce temple divin.

Citation :

~ Fin du chapitre Devotio ~