De nouveau, il se tenait face à cette porte. Cette géante porte d'obsidienne qui lui faisait toujours la même impression après ces nombreux mois passés ici. L'homme à la chevelure flamboyante décidait de s'attarder plus longuement dans cette zone aujourd'hui, fixant avec intérêt ce qui avait représenté une nouvelle vie animée par la passion du combat à ses débuts. Maintenant, il se surprenait à la trouver différente. Son entraînement dans l'enceinte de la citadelle souterraine l'avait rapidement remis à niveau, confirmant des aptitudes anciennement maîtrisées malgré l'amnésie. Et sa maîtrise étonnante du cosmos l'avait poussé rapidement en avant, et lui permettait désormais de ressentir et de comprendre la surface de façon abstraite. Il n'était pas retourné en haut depuis son arrivée, trop préoccupé par sa progression et ce que sa nouvelle situation représentait. Mais il fallait croire que la lassitude l'envahissait rapidement, alors qu'il constatait une merveilleuse cité émanant de puissance masquée sous la terre. Tant de symboles et de caractéristiques propres aux événements de la surface cachés dans les dédales. Des survivants de massacre éloignés des combats qui les concernaient autrefois.

Casshern n'était pas le plus impliqué de part son arrivée récente et donc par conséquent de loin le plus renseigné sur les projets de son dieu et, bien qu'il se doutait des ambitions fortes de celui ci il réfléchissait déjà sur les prochains actes. Légèrement irritable, simplement parce qu'il estimait sa remise à niveau terminée et qu'un premier détachement de berserkers étaient revenus du feu des combats se déroulant à Athènes sans qu'il soit convié à y participer. Certes, il n'était peut être pas encore à la hauteur avant. Mais maintenant ? Le besoin personnel d'utiliser toute cette énergie qui transpirait de son aura, ce cosmos puissant qui semblait dédoubler chacune de ses offensives. Il était temps de fixer sa place parmi les siens pour mieux réaliser combien d'échelons il se devra de grimper par le futur. Seul, il était livré à cette ambition insatiable qui semblait le ronger depuis le début de son existence, et bien que l'amnésique cherchait toujours un moyen de renouer avec son passé il se tournait de plus en plus vers un besoin de reconnaissance et une stabilité future dans la caste qu'il servait.

Fixant toujours la porte d'obsidienne de ses yeux jaunes, le Python passait une main dans ses cheveux pour renvoyer une ou deux mèches en arrière. Chuchotant pour lui même.

Qu'est ce qu'Arès désire de moi ? J'arbore sa cuirasse depuis suffisamment de temps, à quoi bon la laisser prendre la poussière alors que je pourrai faire bien plus. Je ne peux pas continuer ce cercle vicieux qu'est l’entraînement sans avoir un aperçu de ce que l'on doit accomplir... Non. Je dois voir plus loin.

Forçant sur le plastron de sa cuirasse pour tenter en vain de le retirer, il espérait que ce signe soit suffisant pour faire comprendre qu'il ne pouvait être un simple soldat en attente d'ordres. Son mental vidé d'une majeure partie de ses souvenirs avaient besoin d'être comblé et stimulé par une nouvelle vision de l'avenir, son avenir et ceux de ses frères d'armes. Alors que l'armure du Python resserrait son étreinte avec mécontentement comme pour le punir dans l'immédiat, Casshern souriait en adaptant sa respiration à un rythme plus lent. Il se retournait, prêt à méditer de nouveau dans ses appartements à défaut d'autres choses. Cette porte d'obsidienne avait beau dégager une aura inquiétante, elle ne s'ouvrait pas suffisamment pour déverser ses secrets au reste du monde et s'imposer dignement. Lorsqu'on a toute une vie à rattraper, on se permet parfois de mettre de côté la patience et la sagesse.

Jamais le droit de rester bien longtemps en la Citadelle ne lui était donné. Jamais cet homme sans doute n'aurait droit à la tranquillité... Oh, il n'y aspirait pas de toute manière. Il avait toujours été un homme de guerre et cela ne changerait pas, jusqu'à ce que la Mort qu'il représente ne vienne le cueillir à son tour. Mais il y avait une différence monumentale entre les champs de bataille et les missions qu'il avait à accomplir. Toujours, il fallait rechercher de nouveaux Fauves, toujours il fallait quêter de par le monde après de nouveaux guerriers dévoués à Arès. Les impulsions ne venaient jamais de lui, mais de son Maître qui restait toujours aussi vague que pressant à ce sujet. Il n'y avait jamais de délai avec Arès; quand il disait "maintenant", cela n'attendait pas de dialogue. Et souvent à raison d'ailleurs ! Combien d'entre eux avaient été trouvés en pleine bataille, ou au bord de la mort, ou les deux même ? C'était le climat habituel de ses récoltes, comme il aimait à appeler ce "passe-temps". Un travail laborieux à vrai dire, où le temps investi n'était plus à compter... C'était là le prix à payer pour qu'ils restent secrets. Pas de possibilité comme ces agneaux de Saints d'établir divers camps d'entraînement et d'attendre qu'une fois de temps en temps il y en ait un qui se montre digne de porter une armure. De toute manière, il n'y avait qu'à voir le comportement de celui dont il avait emporté l'index pour savoir que ce n'était pas une bonne méthode. Trop lente, et qui de plus ne portait pas réellement ses fruits. C'est là que l'on constatait la différence : d'un côté des hommes formés et finalement nommés faute de mieux; de l'autre, des hommes élus par Arès en personne, recueillis avant d'être guidés dans le développement de leur Cosmos. Une différence qui s'était clairement exprimée lors de leur sortie à découvert, lors de cette fameuse attaque du Sanctuaire. Si seulement ils avaient été plus nombreux, peut-être qu'ils auraient brillés plus encore.

Peu importe au final, Ephtal n'aime pas les "si", trop attaché aux faits plutôt qu'aux conjectures. Bien que cela ne l'empêchait pas d'y laisser parfois voguer son esprit. Comme là, à l'instant, alors que drapé dans sa toge blanche il se dirigeait vers l'entrée de la Citadelle. Là, il trouverait son puissant et infatigable destrier. Cette quête ci ne devrait pas le mener très loin, du moins c'est ce qu'il en passait d'après les indices flous que son Maître lui avait donné. Il ne devrait pas en avoir pour très longtemps, selon les apparences. C'est là qu'il le ressent. Ce Cosmos troublé, à quelques dizaines de mètres plus loin. Proche de l'entrée d'après ses estimations. Quelques secondes plus tard, la source est identifiée : Casshern du Python. Un instant encore, et le contact visuel est établi, sans surprise donc.

Il ne me semble pas que tu aies été assigné à la garde de la porte, Python. Que fais-tu donc ici ?

Ton monocorde, voix grave et rocailleuse comme à l'accoutumée. Des paroles légèrement étouffée derrière son masque, mais pas suffisamment que pour gêner l'entente. En tout cas personne ne s'en était jamais plaint...

Ses pensées s'éparpillaient en un éclat lorsque Casshern en se retournant visionnait une scène semblable à celle qu'il avait vécu il y a plusieurs mois de cela. Le prophète d'Arès en personne approchait de sa position, arborant la même tenue et conservant le même masque. Une vision quasi identique à l’exception prêt qu'elle demeurait bien plus sacrée et chargée de respect que la première fois, non pas que l'amnésique n'avait rien éprouvé de tel lors de leur rencontre à Thrace mais plutôt que sa servitude toute consacrée au Dieu de la destruction avait renforcé sa croyance et son opinion sur l'homme qui menait ses projets en ce monde. Celui ci élevait la voix. A l'écoute, le Flamboyant prenait une grande inspiration maintenant que sa cuirasse le serrait moins abruptement.

Sachant pertinemment qu'il était inutile de cacher quoique ce soit à Ephtal mais également craintif d'attirer sa colère en déballant le flux de pensées désordonnés qui l'habitaient tout à l'heure, le Python demeurait silencieux un peu plus longtemps. Jusqu'à ce que le cardinal approche un peu plus, étendant ainsi la tension émanant de son cosmos. L'allure fière maintenue par sa cuirasse, il baissait néanmoins ses yeux jaunes pour ne pas manquer de respect à son supérieur, alors qu'il se préparait à laisser partir quelques paroles témoignant de son mécontentement.

Je vous l'accorde, Cardinal. Mais être assigné à mes appartements ne m'offre ni expérience ni satisfaction et je doute que cela apporte quoique ce soit à la citadelle... Parler trop rapidement de ses propres volontés étaient peut être présomptueux, mais depuis son arrivée et sa remise à niveau intensif il n'avait pas revu Ephtal, et avait besoin de déterminer sa place parmi les siens. C'est pourquoi il reprenait la parole rapidement, sans doute comme pour se justifier. Ce que je veux dire par là... Casshern ne continuait pas sa phrase, serrant le poing et agacé à la simple idée qu'il était prêt à se justifier. Changement de ton, plus décidé. Mon entraînement est terminé. Je suis prêt à me battre comme ceux qui vous ont suivi à Athènes, je suis opérationnel et dévoué comme ceux qui surveillent cette porte, je suis un berserker et je défis quiconque affirmant le contraire.

Manquant de souffle, sans même savoir si la pression de son corps était dû à la cuirasse du Python qui n’appréciait pas son ton ou si c'était tout simplement la manifestation du stress ou autre sentiments qui le bloquait. Quoiqu'il en soit, l'amnésique ne voulait pas transformer ça en caprice. Mettre les choses au clair, et progresser. Simplement.

Je veux me battre, me battre en Son nom ! Je ne peux plus me contenter d’entraînements si futiles, j'ai besoin d'affiner mon cosmos face à nos ennemis, apprendre comment servir Arès au mieux de mes capacités. Comme vous le savez, j'ai perdu la totalité de mes souvenirs avant notre rencontre à Thrace. Je ne désire pas les retrouver, ou pas complètement. Je veux surtout combler tout ce vide par ce que la Citadelle est prête à m'apprendre. Et alors seulement, je pourrai être l'un de ses plus fidèles gardiens.

Voilà qui était dit, et bien que conscient de s'être légèrement emballé dans ses propos il n'aurait plus l'esprit tourmenté par les mêmes problèmes aussi mineurs soient-ils. La réaction du prophète, qu'elle soit bonne ou mauvaise aux yeux de l'homme à la chevelure de flammes, remettrait les choses à sa place.

Ephtal hocha tout d'abord simplement du chef lorsqu'il finit d'écouter la complainte de Casshern. Le dernier soldat d'Arès qui était venu se plaindre auprès de lui... Ah ça, il ne l'avait pas oublié. Un Cardinal, ni plus ni moins, celui de la Famine plus précisément. Phobos lui aussi avait réclamé plus d'action, mais de manière plus contestataire cela dit. Et comment avait-il fini ? Arès ne l'avait finalement plus jugé digne et avait anéanti son esprit afin de s'emparer de son enveloppe charnelle... Chose inconnue de son armée à l'exception des quatre Cardinaux... Cependant, Phobos était un cas à part et Ephtal ne faisait pas là un parallèle avec un avenir probable du Python. C'était aussi son devoir de s'assurer qu'il ne suivrait pas pareille voie, mais déjà l'on pouvait retenir que Casshern se montrait déjà plus respectueux, ce qui était un point positif. Il reprit alors sa marche, ne disant rien tout d'abord, puis une fois dans le dos du berserker lâcha un simple "suis-moi" qui n'attendait pas de riposte. Ce jusqu'à la porte toujours scellée. Là, Ephtal accorda un signe de tête à l'un des gardes assignés, qu'il aille préparer sa monture comme tant de fois cela avait déjà été demandé. L'homme sait de quoi il s'agit et après s'être incliné se rue aux écuries. Voilà de quoi lui fournir un peu de temps pour discuter.

Je peux comprendre tes craintes, mais écoute ces mots. Je parle par expérience et sait à quel point l'impatience peut corrompre la ferveur. Tu te dois de la chasser de ton âme, sinon tu ne seras jamais réellement prêt, c'est un fait...

Le Cardinal plongea son regard dans celui de son interlocuteur, tentant d'y percer toute trace d'émotion que ses mots pourraient produire.

Il me semble que personne ne doute de ta fidélité, et tu es bel et bien un berserker sans quoi cette Cuirasse n'accepterait déjà plus de se poser sur ton corps ! Il n'y a en tout cas pas de rancoeur à fournir quant à ta non-participation à l'attaque du Sanctuaire. Trois Cardinaux, chacun accompagné d'un soldat ayant déjà fait ses preuves et montré par son engagement qu'il était apte à en être. Ce n'était alors pas ton cas, tout simplement, il n'est que normalité que d'autres aient été alors sélectionnés.

Il laissa s'installa un léger moment de flottement, court mais suffisant pour déceler un possible trouble chez Casshern si ces paroles avaient pu le faire tiquer.

Chacun d'entre nous aura en temps voulu l'occasion de se battre pour la grandeur d'Arès. Ton temps arrivera bien assez vite... En attendant, tes entraînements ne sont futiles que si tu n'y mets pas assez de foi. Car même les meilleurs d'entre nous ont encore à apprendre entre ces murs. Tu es dans l'armée des Flammes, n'est-ce pas ? Ne me dis pas que Guerre n'a plus rien à t'apprendre...

Un constat dur sans doute, mais la tendresse et la compassion n'étaient pas le fort en ces murs. Et comme il venait de le lui dire : son temps arriverait bien assez vite.

Alors, ne perd pas foi et espoir. Sois assez fort que pour préserver ta patience, et travaille dur ! Entre tes supérieurs qui peuvent t'aider à progresser et tes égaux qui t'offriront des combats à la hauteur, tu devrais avoir de quoi progresser encore. Moi-même mon entraînement n'est pas encore terminé, alors comment le tien pourrait l'être ? Bientôt, je ferai sans doute appel à toi. Tâche alors d'être en état, aussi bien physique que mental, que pour me prouver que ta hâte ici était justifiée.

Son blanc destrier lui était amené, et Ephtal ne perdit pas de temps pour y grimper. Concentrant son cosmos, ses prunelles bleutées se mettant alors à émettre leur lueur typique, la porte d'obsidienne s'éleva pour lui offrir une ouverture.

Es-tu prêt à aller quérir dès maintenant de quoi t'aguerrir plus encore, ou faut-il que l'on discute plus encore ?

Tout du long, son ton avait été assez monocorde, n'exprimant pas d'émotion particulière. Ni colère, ni reproche, comme s'il s'était juste contenté d'énoncer des faits indéniables. Que pouvait-il faire d'autre de toute manière ? Lui flanquer une tape sur l'épaule en lui confiant la première mission suicide qui lui passait par la tête ? Non, certes non... Les occasions ne manqueraient pas, et tous à terme auraient leur utilité. Les choses n'avaient pas à être brusquées ou précipitées.

Malgré le profond respect qui l'animait en présence du Prophète et l’intérêt qu'il portait aux paroles de celui-ci, le Python se surprenait presque à vouloir persister dans son impatience. Il avait besoin de se fixer, de connaître sa valeur et de s'opposer fidèlement dans des situations d'importances. Bien qu'aux côtés de plusieurs vertus, l’orgueil occupait une bonne place dans le cœur du soldat et le besoin de reconnaissance depuis son affectation dans la citadelle s'imposait. Si les mots apaisaient et donnaient matière à réfléchir de nouveau, il n'y avait nul doute que le chaos qui s'emparait de l'esprit du Flamboyant ne disparaîtrait entièrement qu'à la suite de hauts faits. Sa fidélité rattrapant le reste, il ne se permettait néanmoins pas d'insister face à la personne sans égal qui se tenait face à lui.

De plus, Ephtal avait raison sur d'autres points : Certaines personnes d'influences pouvaient lui apprendre leur savoir ou encore lui proposer des défis qui le feraient progresser tout en découvrant ses limites. Il n'avait pas chercher à se démarquer au sein même de la citadelle et son erreur se situait sûrement là. Pourquoi attendre un moment propice pour s'élever alors qu'il peut parfois être bien plus évident de le créer ?

Vos paroles sont d'or en ce qui me concerne... J'essayerai donc de chasser cette impatience qui me ronge bien que je ne pense pas pouvoir douter de ma ferveur. Et ce même dans les pires moments.

Observant le fameux destrier qui se tenait également de nouveau devant lui, Casshern comprenait que le Cardinal lui accordait de son temps alors qu'une nouvelle mission l'attendait sans doute. Inquiet de le déranger plus longuement alors que ses ennuis ne paraissaient que trop infantiles, il détournait son regard orangé vers la porte une dernière fois avant de se tourner vers la citadelle.

Excusez-moi de vous faire perdre votre temps. Je vais occuper le mien plus sérieusement, ainsi je serai opérationnel lorsqu'Arès aura besoin de mes services. Peut être que je pourrai vous prouver mon avancée une autre fois, lorsque ma progression sera satisfaisante. Pour l'heure, je me retire, faites bonne route, Prophète.

Baissant la tête en signe de respect, le Python attendait un instant pour voir son interlocuteur prêt à passer les portes d'obsidiennes. Puis après une rapide réflexion, se dirigeait vers ses quartiers avant de reprendre un entraînement plus sérieux. Il était également temps pour lui de rencontrer son mentor, qui était sans nul doute la personne la plus digne de jauger son avancée mais surtout de participer à celle-ci.