Ciel dégagé, mais du vent, beaucoup de vent. Pas la moindre pluie et c'était tant mieux : Sameh n'appréciait pas vraiment le contact avec de l'eau. Coïncidence avec son élément de prédilection. Il fallait plutôt comparer ça à un chat : un chat n'aime pas l'eau. Mais il est acrobate et marche parfois bizarrement. Le garçon avançait d'un pas décidé mais vacillait d'un côté et d'un autre, tournant parfois sur lui-même sans raison. Un gai luron en liberté.
C'était comme s'il était habitué. Bon, d'accord, il était chez lui, mais depuis peu de temps, très peu de temps. Arrivé en Grèce il y avait de cela bon nombre de jours, il n'était arrivé à Athènes que la veille. Il s'arrêta quelques instants, sur les marches du sanctuaire, posant un regard sans expression sur les colonnes et les roches. Ce n'était pas si différent de chez lui, le sable avait juste durci et c'était transformé en pierre. Il revoyait son périple en long et en large. Et finalement, un sourire apparu sur son visage : c'était bon, d'être à la maison ! Après tout, sa maison c'était un peu partout. Mauvaise et vieille habitude de mendiant. Cela rendait l'Egyptien très adaptable.

Gravissant les marches avec des pas vifs mais lents, Sameh se dirigeait vers la maison du Lion. Il chantonnait un vieil air qu'il avait entendu en arrivant en ville, un homme qui faisait de la flûte pour gagner sa croute dans le coin d'une rue. Il ne savait pas d'où venait cet chanson mais il en aimait bien l'air, d'où son pas enjoué et ses doigts dansants dans le vide, ses mèches suivant de temps en temps le mouvement. Lorsqu'il arriva en face de la maison, il se tut finalement, soudain emprunt à un grand respect. Non pas qu'il puisse se sentir gêné face au grand Lion, absolument pas. Mais il fallait tout de même respecter ses aînés un minimum. Surtout un Gold Saint. Et encore plus le Lion. C'était assez amusant, d'ailleurs un sourire plus large fit son apparition sur le visage du garçon. Le petit Lion allait rencontrer le graaaand Lion. Ca aurait presque été une évidence, pourtant, Sameh ne se serait pas attendu à ça. Ca semblait presque prestigieux : une sorte de complexe d'infériorité lié à la timidité. Pour s'amuser, le garçon lâcha un "graour" dans le vide, les mains en avant comme s'il allait griffer. Il avait l'impression qu'il passerait d'un Lion à un chaton fasse à un mec comme ça. Du Bronze à l'Or y'a du chemin quand même. Il était sûrement très éloigné d'un niveau pareil.

Il était au pas de la demeure, maintenant. Il se sentait quelque peu embarrassé, ne sachant pas s'il devait rentrer sans crier gare ou simplement attendre là. Quelques instants ses songes vagabondèrent : c'était grand comme maison, ça ! Il vivait vraiment là-dedans ? Quel genre d'homme peut vivre dans une maison pareille ? Enfin, c'est que c'est énorme, ça. Y'a quoi dedans ? Les yeux curieux de Sameh s'écarquillèrent. Il voulait entrer.
Mais il restait un homme poli. Sa voix s'éleva fortement, une pointe d'interrogation dans le ton avec un accent arabe très marqué.

"Sameh, Chevalier du Lion mineur. Puis-je entrer ?"

C'était tellement grand qu'il se demandait si on l'entendrait. Il devait rentrer, ou pas ? Et puis sa phrase avait été si formelle que s'en était bizarre. Et comment on se comporte devant un Chevalier si important ? Pourquoi son maître ne lui avait pas parlé de ça ? Ou pourquoi ne se posait-il les questions que maintenant ? Pourquoi c'était aussi grand ? Ca donnerait quoi si on faisait une cabane en tissu géante là dedans ?
Ses pensées déviaient vite.

Sentant finalement le Cosmos du Chevalier, Sameh fit quelques pas dans l'antre du Lion, timide, nonchalant à son habitude mais quelque peu réservé. Les multiples questions ne cessaient pas de tourner dans sa tête, toutes plus idiotes les unes quand les autres, avec quelques unes un peu plus recherchées au milieu. Le garçon se retrouva au centre du cosmos si apaisant cherchant de ses petits yeux curieux son interlocuteur. Il ne le voyait nul part et arrêta donc ses pas. Fronçant légèrement les sourcils, il commençait à le chercher. Finalement, il entendit ses pas et se tourna vers le grand Lion au moment où il se dévoilait à lui.
Il était assez grand mais ce qui frappa Sameh fut son androgynie. Son visage possédait des traits fins comme une femme et ses yeux étaient doux. L'Egyptien se sentit en quelque sorte fasciné, notamment par cette chevelure rousse lui rappelant un brasier. Pour arriver en Grèce, il avait surtout traversé des pays arabes, et même ici il n'avait pas encore rencontré d'homme ainsi typé. D'ou venait-il ?
Il aurait été impoli de poser la question.

Sameh se courba finalement dans un signe de respect pour répondre à sa présentation. Il sentait une pression sur son coeur, ce qui le changeait un peu de d'habitude, vu son caractère léger. Il restait quand même souriant, presque à pleines dents, comme un gosse. Ce n'était pas parce qu'il sentait un léger stress à répondre à une question que cela le bloquerait : un peu coincé mais certainement pas timide pour autant. En se redressant, il répondit d'une voix assurée :

"Je cherche conseils et entraînement pour m'améliorer !" Comprenant que sa phrase pouvait paraître vague, son sourire se tordit légèrement. "Mh, mon association d'idée paraît peut être idiote, mais l'idée qu'un lionceau puisse être entraîné par un Lion me paraissait amusante."

Il gardait son sourire tordu. On voyait clairement qu'il n'avait pas réfléchi plus que ça ; il aurait bien pu faire un pierre feuille papier ciseau pour déterminer quel Chevalier il aurait été voir : cela aurait été pareil. Mais pour Sameh, cette association d'idée était capitale, presque logique ! Aussi, il avait eu l'audace de venir jusqu'ici. Finalement, il agita son bras dans les airs, dans une semi-panique, et s'excusa avec un rire gêné :

"Haha, je sais c'est idiot et audacieux, mais !…" Il prit soudainement un peu plus sérieux, même si on sentait dans le sursaut de son cil gauche une volonté de dire une bêtise. "Il ne faut reculer devant rien pour devenir plus fort !"

Totalement naïf et plein de bonne volonté. Il se retenait pourtant de toutes ses forces pour ne pas faire l'idiot. Il aurait aimé prendre une pose ridicule et sortir "Je ne prends que le meilleur !", quelque chose comme ça. Une réplique égocentrique justement pour s'amuser. Mais en face d'un tel Chevalier, il fallait un peu de retenue !
Sameh se rassurait en se disant que peu importe le Chevalier qu'il aurait été voir, il aurait dû trouver une excuse. Pour le coup, là, il en avait une toute cuite ! Mais après tout, devait-on réellement justifier le désir d'être entraîné par quelqu'un de plus fort, d'apprendre de son aîné ? Ha… Il n'y avait même pas pensé. Un éclair surgit dans son crâne et il se sentit finalement gêné, victime une fois de plus de ses impulsions et de son manque de raisonnement.

Il n'osait plus ouvrir la bouche : une bêtise est vite arrivée.
Le Monsieur avait l'air gentil.
Il n'allait pas le manger, si ?

Sameh se redressait en laissant apparaître un petit sourire embarrassé, se grattant l'arrière de la tête dans un signe anxieux. Il ne mordait pas, il ne mordait pas… Cela devait dépendre des situations non ? Le garçon se méfiait toujours un peu. Non pas qu'il soit étranger à la gentillesse mais il n'était pas assez perspicace pour réellement cerner les gens. C'était plus un instinct de survie. Enfin, ça, c'était souvent surpassé par sa naïveté. Après tout lui même n'était pas certain de savoir s'il pouvait mordre ou non. Sans se connaître suffisamment soi-même, comment bien connaître les autres ? Il avait cru connaître Fares, autrefois.

"Ha, mh…"

Finalement, Sameh s'étonna. Hein ? Il ne s'était pas présenté ? Il était persuadé de l'avoir fait. Une mine un peu confuse sur le visage, il s'excusa en parlant dans sa barbe, les yeux fuyants. Il avait bien dit son nom mais c'était à l'extérieur, il ne l'avait peut être pas entendu ? Il attendait que Dormin finisse de parler pour faire sa présentation en grand et en large. Sameh restait assez surpris qu'il puisse l'accepter en tant qu'élève juste en sachant un peu plus de choses sur lui. Etait-il si gentil ? D'un côté, le blabla avant le combat, cela incitait une relation basée sur la confiance et la complicité. C'était plus rassurant.
Finalement, le garçon arbora un grand sourire, fier de pouvoir parler de ses origines. Il posa sa main sur son coeur sans trop s'en rendre compte.

"Je me nomme Sameh. Je n'ai aucune idée d'où je viens réellement, à ma couleur de peau, mes parents devaient venir d'une partie plus basse de l'Afrique." Il marqua une courte pause en enlevant sa main. "Je viens d'Alexandrie, en Egypte. Là-bas les gens ont la peau un peu moins foncée… On y voit beaucoup de Romains aussi, bien sûr." Il était parti sur sa lancée et il avait du mal à freiner son côté bavard à présent. "A Alexandrie, nous avons un port, ce qui en fait une ville bien jolie, et son phare est reconnu comme une merveille depuis deux siècles ! Enfin, en réalité, je n'y étais pas souvent, l'eau ne m'a jamais vraiment attiré : j'ai toujours préféré le sable. En fait, je viens d'un Nome, une province quoi, juste à côté, sans Verdure et avec énormément de sable. Les villageois marchaient plusieurs lieues pour arriver à l'oasis et ramener de l'eau pour leurs familles…" Son sourire s'élargit et ses sourcils s'arquèrent. "Enfin, j'imagine que chaque pays a ses difficultés. Nous n'avons pas eu de guerre depuis un moment, c'était assez calme."

Son sourire ne s'effaçait plus. Puis, comme un cheveu sur la soupe, parce que ça ne lui paraissait pas important mais qu'il devait certainement le préciser avec sincérité au grand Lion, il précisa :

"Ha, et comme je suis Orphelin j'ai toujours été dans la rue, pas de maison et tout le bazar."

Il le disait sur un ton léger, comme s'il s'agissait d'une broutille. Ce n'était pas le cas bien sûr mais Sameh appréciait peu qu'on s'apitoie sur son sort. Le véritable sentiment honorable n'était pas la pitié mais l'altruisme.

Sameh ne répondit rien, observant simplement cet homme aux allures féminines détourner son regard. Il en profita alors pour relever les yeux vers lui, silencieusement. Étrangement calme, il respectait simplement cet être qui souffrait du même mal. Enfin, souffrir : ils semblaient être d'accord sur le fait que connaître c'est souffrir davantage. C'était aussi pour ça que le Lionceau ne s'en était jamais plein jusqu'à présent.

"Il est certain qu'il est plus facile de se séparer de ce que l'on ne possède pas. Pour ma part…" Ses yeux observèrent quelques instants les alentours de la demeure. "Pour ma part, cela me permet de dédier mon coeur et ma chair à Athéna. Ma foi est plus forte." D'un ton plus bas, gêné, il avoua : "Je veux protéger ceux qui possèdent ce que nous n'avons jamais eu."

L'Egyptien était embarrassé parce que sa pensée était un peu trop candide. Il en avait conscience, d'où cet air idiot sur le visage avec le regard fuyant. Il fixait le plafond cette fois, se grattant la joue, les sourcils arqués et un demi-sourire gêné. Il voulait protéger toutes les familles du monde, pour que jamais il n'y ait de séparation douloureuse. Oh, bien sûr, il ne se prenait pas pour le héros du monde, cela se voyait dans une attitude.
Il était simplement une partie dans une masse. Et toute cette masse protégeait la terre. Cette pensée procurait toujours Sameh d'un sentiment chaleureux. Son corps se réchauffait. C'était ça, le véritable altruisme : se battre pour ceux qui ne souffrent pas encore ou qui souffrent mais qu'on ne connait pas. Enfin, il pensait ça. Il n'en était pas sûr.
La fougue de la jeunesse…

"Il n'y a pas à m'en remercier, c'est toujours un plaisir de parler de nos origines." fit-il en prenant la pose, main sous le menton avec un air énigmatique.

Au moment ou il s'était rendu compte qu'il commençait à faire le pitre, il sursauta presque et se redressa immédiatement, droit comme un piquet. Il se détendit finalement face à la vision que lui offrait le grand Lion. Il ne connaissait pas ce paysage. Il ne savait pas ce que c'était, ces fleurs qu'il voyait. Il ne savait pas que l'herbe pouvait être aussi haute. Et cette pluie ! Elle semblait abondante. Ses yeux s'écarquillèrent avec admiration, la bouche à moitié ouverte, totalement ébahit. Le vend, l'odeur de l'eau sur un sol chaud… C'était simplement magnifique.
Sameh resta quelques secondes totalement immobile, encore tout chose de la vision qu'il venait de voir. C'était quoi, ces plantes, ces fleurs ? Et ce ciel ? Cette odeur ? Les mots lui manquaient. Finalement il se tourna vers Dormin en sursautant, réalisant son long silence.

"Ha, je… Comment dire ? C'est beau. Je…" Il était visiblement ému. "Haha, je me mets dans tous mes états !" Il laissa échapper un petit rire gêné. "Je me demande si je pourrai un jour créer un tel paysage…"

Il imaginait déjà les gens médusés face aux paysages de sable, l'émanation de la chaleur et les pierres blanches. La fraîcheur des oasis, les sensations qu'on éprouve lorsqu'on est pieds nus. Tout ce qu'il n'avait pas pu transmettre à Dormin avec de simples paroles. Il lui sourit chaleureusement. Il se sentait encore tout chamboulé mais il ne perdait pas son objectif.

"C'est encore la preuve qu'il y a beaucoup de choses que je ne connais pas. Mais c'est aussi la preuve que votre enseignement peut beaucoup m'apporter. Pas seulement l'art de la défense mais aussi celle du partage."

Fier, il semblait sûr de lui.
Avec un sourire inébranlable.