Narcisse sombrait. Peu à peu ses sens se fermaient à toutes informations extérieures. Les sons du combat qui continuait de faire rage un peu plus loin ne lui parvenaient plus que d’une manière diffuse et indistincte. Sa vue se brouillait elle aussi, s’assombrissait et s’illuminait parfois. Mais très vite, l’obscurité gagna peu à peu du terrain et son champ de vision ne devint plus que des points de lumière sur un fond noir. Les lumières étaient les émanations de cosmos des combattants. Mais ce sens-là aussi, il était en train de le perdre. De même que sa mémoire, qui lui faisait défaut. Qui l’avait mis dans cet état ? Etait-ce le Gardien ? Non, peut être ces hommes qui avaient attaqué le Sanctuaire ? Mais non enfin, il s’agissait de son « allié » trop aveugle pour savoir qui attaquer. Une petite brume et hop, on s’en prenait à son coéquipier ? Etait-ce une petite brume qui l’avait fait attaquer son élève aussi ?!

La douleur l’empêcha de se redresser pas plus que d’entrer dans une colère noire pour cette incorrection qu’il devait punir. Et pour cause, il n’arrivait plus à user de son cosmos. Tellement plus, qu’il ne pouvait pas l’utiliser pour faire bouger son armure d’or partiellement détruite et qui l’entravait de toute sa lourdeur. Les lumières clignotèrent au loin, bien loin de lui, et finirent à leur tour par s’éteindre. Sommeil ? Ou bien mort ? Cela aurait vraiment été étrange qu’il disparaisse ici non ? Au moins, son esprit, sa conscience, continuait de fonctionner puisqu’il pensait avec plus ou moins de lucidité. Mais à quoi pouvait-il bien penser maintenant qu’il était à terre ? Tien, il pouvait faire l’inventaire de ses blessures : les bras à vif ; le dos ensanglanté ; les muscles tétanisés ; une vilaine blessure à l’épaule… Rien au visage. Encore une fois, l’essentiel était sauf.

Mais pour combien de temps ? Une défaite pouvait être la porte ouverte au chaos de l’esprit. Il l’avait bien vu avec Oréstis, ou Sokaris dans une moindre mesure. Il devait vite faire le point avec ses capacités et s’il avait pu, il serait retourné voir son maître, Zénon, l’ancien porteur de l’armure du Capricorne, pour lui demander conseil. Car celui-ci ne lui avait jamais appris à affronter un tel instant. Mais cela devait-il s’apprendre ? Il lui avait appris à affronter la défaite ! Même dans une situation aussi extrême où cela remettait la sécurité du Sanctuaire en jeu. Oui, extrême comme situation.

Malgré ses yeux clos, et ses sens à l’arrêt, Narcisse crut déceler quelque chose approchant de lui. Une présence sans doute. Ou bien était-il arrivé aux frontières du Styx et s’apprêtait-il à y retrouver le passeur ? Aïe, il n’avait pas de pièce d’or dans la bouche, mais une armure d’or cela lui suffirait-il ? Il voulut parler, articuler quelque chose, mais il n’y arriva pas. Et voilà, déplorable spectacle d’un Narcisse vaincu. Elle n’est pas belle la vie ? Son esprit se retira un peu plus profondément en lui-même, vers la noirceur d’un repos dont il n’avait jamais entrevu la possibilité…

Il l'avait senti, quelque chose s'approchait du sanctuaire. L'aura de ces intrus portée par le vent était venu troubler la méditation du chevalier d'Andromède. Il n'avait pas fallut lui dire deux fois. Il se redresse, dominant la partie basse du sanctuaire depuis les environ de la maison du capricorne. De là, il put mieux discerner les auras présentes en contrebas.

Il put facilement reconnaitre celle de son maître, Narcisse. Ce dernier était accompagné de Corvus dont l'aura était d'avantage obscure que dorée... Il n'y avait pas à se demander trop pourquoi... Avec eux, une autre aura dorée dégageant une sensation, non pas de puissance, mais plutôt une certaine crainte de l'échec. C'était très léger, bien caché mais bien là.

Un guerrier n'est pas fiable s'il n'est pas vraiment maître de lui même et ceux sur bien des points. Si ce guerrier était bien sûr de sa puissance, l'était-il assez pour autant pour se sentir à l'abri de tout affront ou de toute défaite? Au devant, une aura plus diffuse, toute de flammes chatoyantes... Une aura apaisante parmi ce tumulte. Une bouffée d'air frais en fait. Et derrière tout ce petit monde, peut-être le grand pôpe à en juger par l'aura couleur platine. C'était la première fois qu'il pouvait la sentir. Il fallait dire que ce dernier n'était pas souvent là...

Face à eux, des auras empli d'une odeur iodée... la mer, l'océan, les profondeurs... C'est ce qui sauta à l'esprit de Dormin. Des chevaliers venant de l'océan? Des ... ondins? Que viendraient-ils faire ici? Il croyait se souvenir que leur dieu était Poséidon. Que venait-il demander à Athéna? Il n'eut guère le temps de se le demander longtemps. Les hostilités furent lancées. Voilà qui n'était pas pour lui plaire... Il espérait que d'autres auraient senti la forcé émanant de l'affrontement.

Par contre... Pourquoi deux d'entre eux ne venaient-ils pas prêter main forte aux combattants? Qu'est-ce que ça signifiait? Notre devoir était de protéger le sanctuaire, non pas de se livrer à des combats d'hommes en pariant sur les vainqueurs! Leurs vies n'étaient-elles à ce point que des jouets? Simples, futiles et remplaçables au point de mériter tant de mépris?! Si Athéna voyait cela, Dormin était sûr qu'elle en serait affligée! Quelle honte! Mais peu importe... Pour l'heure il devait rejoindre les siens avant qu'il ne soit trop tard... Le grand pope avait trop confiance en ses capacités et en les faiblesses de ses adversaires. Se croyait-il un rempart ultime capable de réussir à terminer le travail entamé par ses pions?

Pourquoi tant de mépris dans l'esprit du jeune Nordique soudain?... Il s'en voulait d'être si véhément... Mais comment réagir dans un tel moment, face à pareil spectacle? Il ne pouvait pas rester insensible... Ses pas l'avaient déjà mené à mi chemin quand quelque chose vint heurter les marches en contre bas, non loin de lui, projeté depuis la bataille. Dormin se protégea le visage par réflexe. La poussière soulevée ne permettait pas à ses yeux de discerner de qui il s'agissait. L'aura même du guerrier était trop faible pour qu'il puisse l'identifier. Dormin s'avança à pas de loups vers l'individu, prêt à agir s'il le fallait.

Il arrive à sa hauteur, la poussière retombe lentement. Le regard émeraude de Dormin s'écarquille et ses mains tremblent. Son teint devient livide et il porte une de ses mains à sa bouche de stupeur. Il sent une douleur amer naitre au creux de son ventre. Dormin tombe à genoux sous le poids de ce qui l'accable alors. Là, gisant au sol, son nouveau maître dans un bien piteux état. Dormin a beau se débattre intérieurement pour agir avant qu'il ne soit trop tard, il n'arrive pour autant pas à bouger... Il était en état de choc.

A ce moment précis, on pouvait lire sur son visage la même expression qui avait animé celui de ses camarades disciples ces derniers temps. Dormin faisait face à un vieux démon. Perdre son maître à nouveau... Cela le renvoyait à un souvenir des plus désagréables de son enfance. Il se sentait d'ailleurs comme un enfant... nu... Un rempart effondré sur lui même... Un maillon brisé... Il se tenait à genoux, au dessus de son maître, le visage au dessus du sien.

Quelque chose d'autre vint le secouer, un second sentiment qui prenait d'avantage le pas et qui eut l'effet d'un cailloux dans un lac, animant la surface de l'eau pour la faire se mouvoir enfin. Dormin posa ses mains sur le torse de son maître pour faire circuler l'énergie curative de sa bénédiction, essayant de sauver Narcisse. Il serre les dents alors que son regard se trouble sous un liquide chaud et salé. Dormin tentait vainement de contenir ses larmes... Depuis combien d'année n'avait-il pas pleuré?

Sur les rives du Styx, le beau chevalier à la chevelure d’émeraude observa son reflet moribond dans l’eau noire du fleuve. Il vieillissait à vue d’œil et bientôt, très bientôt, il ne serait plus qu’un cadavre desséché aspirant à la mort sans jamais pouvoir la trouver vraiment. Si, et seulement si, il n’arrivait pas à rejoindre l’Elysée ! Il avait encore toutes ses chances dans le domaine d’Hadès, où la volonté et la combativité pouvaient faire la différence en ces temps si spéciaux. Malgré la décrépitude de son corps, son âme restait forte. Forte, si forte… Si fausse.

Tout n’était qu’une gigantesque farce. Qu’une suite de rôles de comédien sur la scène du monde. Et pourtant à travers les épreuves et les rencontres, derrière ces rôles, le narcissique Narcisse s’était découvert un intérêt presque dérangeant pour autrui. Pour les autres chevaliers en tant que personnes et pas seulement en tant qu’adversaires et rivaux. Puis pour ses élèves et disciples à qui il avait tenté d’inculquer les valeurs d’Athéna. Les valeurs d’un rôle de chevalier en somme. Car ils ne pouvaient se permettre d’être réellement « eux-mêmes » au sein du Sanctuaire si celui-ci voulait survivre.
Le plus dramatique, c’était qu’Oréstis lui avait dit ce qui était arrivé lors du combat contre les Titans. Le Capricorne avait alors choisi d’attendre le jugement d’Athéna plutôt que de rendre le sien et celui de la Lyre sur le chevalier d’or. Le voilà bien attrapé à présent, au bord du monde des vivants et des morts.

Narcisse cligna des paupières et tendit les oreilles au-delà des lamentations et des plaintes de ce cauchemar sans nom. Quelqu’un était en train de pleurer, non ? Bon d’accord, tous dans le domaine des morts pleuraient et imploraient mais ces pleurs étaient différents. Ils venaient d’ailleurs. D’avant. D’autrefois ? Narcisse ignorait s’il devait aller au-devant de ces pleurs. Mais quelque chose en lui le retint de tenter sa traversée du Styx sans une pièce d’or pour le passeur.
Vacillant sur ses bases, le Gold Saint regarda sa main et la vit s’auréoler d’une lumière blanche. Son bras le devint à son tour, puis ses jambes, son ventre, son torse et bientôt, tout son corps s’illumina de l’intérieur.

▪ Désolé Hadès. Ce sera pour une autre fois.

« Narcisse » revint à lui. Mais qui était-il ? Narcisse le chevalier ? Narcisse le magnifique ? Narcisse le maître, le guerrier, l’enfant gâté ? Au-delà de tous ces reflets, qui était-il ? Des goûtes chaudes tombaient sur son visage. Pleuvait-il ? Il mit un temps à pouvoir bouger une paupière, et encore plus de temps à l’ouvrir totalement. Mais lorsqu’enfin il le fit, ce fût pour voir un bien triste spectacle. Dormin d’Andromède en larmes. Un si beau visage déchiré par la tristesse, quel malheur. Mais trop perdu encore dans ses propres pensées, le jeune homme n’arriva à articuler que quelques mots presque incompréhensibles.

▪ Qui… suis-je ?

La réponse n’était pas encore prête à être entendue, ni même comprise, mais cela ne l’empêchait pas de se poser la question. Peu à peu, la force vitale du Gold Saint se remit à circuler plus facilement en lui, et le jeune homme reconnu là le contact du Cosmos d’Andromède, capable d’être aussi doux que puissant lorsque cela était nécessaire. Il se tenait au-dessus de lui, et tentait apparemment désespérément de le maintenir en vie.

▪ Arrêtes… tu vas te tuer à donner ton énergie… Arriva-t-il à articuler. Ne pleures plus, s’il te plait.

Il aurait voulu lever la main vers son doux visage pour le caresser comme il aurait caressé celui d’une jeune femme. Une femme… Sous cet angle, Dormin avait beaucoup d’une demoiselle. Finalement, était-il un être « à part » lui aussi ? Pas seulement de par ses capacités et sa façon d’être aussi d’une autre manière ? Allons, arrêtes de penser à de telles idioties maintenant Narcisse, ça devient ri-di-cu-le ! Il ne leva donc pas le bas mais se contenta d’esquisser un sourire en émergeant doucement de sa torpeur. Son Cosmos allait reprendre le dessus et continuer le travail de son élève. Ce n’était que dans sa « chaire » qu’il avait été blessé. Son énergie était intacte elle. Il serait bientôt sur pied mais, pas assez vite pour retourner combattre.
Et encore moins vite pour aller rendre son jugement pour la déesse.

Ce pauvre Andromède semblait tellement perturbé. Il avait déjà vécu tellement de choses difficiles sur sa terre natale. Devait-il continuer d’en vivre ? Les épreuves que le destin dressait sur leurs routes étaient décidément nombreuses et pernicieuses. Observant le jeune homme à la chevelure enflammée au-dessus de lui, Narcisse sentit le cosmos de ce dernier continuer d’affluer vers lui, jusqu’à s’éteindre et se rallumer sous une autre forme bien plus indistincte et nouvelle. La tempête laissait-elle place à un raz-de-marée ? Comme pour accompagner cette pensé, une petite pluie fine les arrosa tous les deux. Une pluie, salée ? Sentit-il au coin de ses lèvres. Surement une attaque dont les ramures s’étaient perdues jusqu’à eux.

Clignant plusieurs fois des paupières, le Gold Saint reprit peu à peu le contrôle de son corps et put enfin tendre la main vers le visage de Dormin qu’il caressa du bout de son index manucuré et toujours propre malgré la poussière qui s’était élevée et était retombée autour de lui à son atterrissage au milieu des colonnes.

▪ Merci de m’avoir encore secouru. Nos destins sont étroitement liés dirait-on.

Mais son sourire ne pouvait cacher la souffrance qui parcourait son corps et les plaies un peu béantes qu’il avait reçu de son court, mais intense, affrontement avec les Marinas. Dormin désirait d’ailleurs savoir, toujours prit dans la tourmente d’un sentiment plus fort que lui, qui avait mis le beau Narcisse dans cet état.

▪ Des Marinas de Poséidon, ils sont venus nous déclarer la guerre.

Une demi-vérité. Dans son état Dormin ne pourrait que le croire : le Capricorne restait un excellent menteur lorsque la situation l’exigeait. Il gardait pour lui la nouvelle trahison des Gémeaux et attendait de voir si Athéna elle-même interviendrait cette fois pour retirer à cet homme le pouvoir qu’elle lui avait confié. Et si ce n’était pas le cas, alors en se remettant de ses blessures, il se tiendrait près à rendre lui-même cette justice. Pour lui, et pour Oréstis dont les blessures avaient été encore plus profondes que celles du Gold Saint.

▪ Arrêtes de me donner ton énergie, intima-t-il cette fois en repoussant de la main le contact avec le Bronze Saint, tu risquerais de tomber dans le coma, et pour le moment tu dois te tenir prêt à intervenir là-bas si la situation l’exige.

Narcisse le militaire parlait là d’une voix sage et autoritaire à la fois. Il ne voulait pas voir son élève se tuer à le soigner alors qu’il était en train de le faire lui-même à présent. Tout ce qu’il devait effectivement faire, s’était attendre d’être appelé au combat, et surtout se calmer et tempérer son ardeur. Celle-ci était une réelle lame de Damoclès pointée sur son cœur et il pouvait se tuer autant que tuer son adversaire en l’utilisant. Inutile de faire une victime aujourd’hui, surtout que lui-même n’en était pas une au final !

▪ Tu ne vas pas revivre le passé, rassures-toi.

"Revivre le... passé...?"


Un sourrire cynique se dessine sur les lèvres du jeune Andromède. C'était fort peu commun de voir une telle expression sur son visage. Il serre les dents pour contenir ses larmes et les sanglots qui secouaient son corps. Il faisait de son mieux pour ne pas craquer... Mais là... c'était trop. Si Dormin était né sous un signe moins humain, il aurait sans doute opté pour le loups dans ce état d'esprit pour sauter à la gorge de ses intrus et défendre ce en quoi il croyait encore. Mais Dormin n'était pas comme ça. Il était quelqu'un de trop doux, de trop gentil...

Mais ce n'était pas les envoyés des marinas qu'il méprisait le plus à l'heure actuelle. Non son regard se portait plutôt sur le chevalier des gémeaux qu'il rencontrait enfin... Il avait fait souffrir Oréstis... Araganorf... et maintenant son maître... Le traitre, le couard! Et pourquoi leurs supérieurs regardaient-ils leurs chevalier combattre sans lever la main? Était-ce un simple spectacle? Ou... ce n'était qu'une ridicule mascarade.


"Athéna n'est pas en sécurité... si nous continuons ainsi. Nos ennemis sont déjà à nos portes et... Nous nous amuserions à nous entredévorer? Je refuse d'accepter ce comportement autodestructeur. Qu'est un chevalier sans raison? Plus que l'ombre d'un protecteur... C'est une menace!"


Et pourtant, Dormin n'allait pas laisser parler sa rancoeur... Il ne le fallait pas. Sinon il ne serait qu'un acteur de plus dans cette comédie anthropophage à laquelle semblait se livrer de bon gré certaines personnes au sanctuaire. Des ogres parmi les hommes...


"Nos avons perdu notre objectif premier de vue... Protéger la déesse. Alors que certains montrent les muscles pour faire le beau. Si tel est le cas, soit, je serai pour ces chiens un loups... La patience sera mon alliée... "


Dormin retira ses mains du torse de Narcisse, cessant ainsi l'afflux d'énergie bénéfique qui circulait d'Andromède au Capricorne. Les mains de Dormin étaient écorchée à vif... ou plutôt brûlées sous la chaleur qu'avait dû prodiguer son énergie en passant d'un corps à un autre. Il y avait mis tant de fougue... tant de coeur.


"Ah... Mes mains... Ce n'est pas grave. Je guéris plutôt vite, je préfère ça à vous avoir vu..."


Il ne veut pas finir sa phrase. Penser à l'éventualité même que Narcisse ait pu succomber à ses blessure... A l'éventualité qu'il ait pu arriver en retard... Ou même ne rien voir de la scène. Qui d'autre aurait pu le soigner ou aurait pris la peine de le faire? Dormin devait se sentir soulagé d'avoir pu être là... Le contacte de la main de Narcisse le sortait de sa torpeur. C'était un contact rassurant et chaud.

Il devait lutter pour ne pas laisser son côté féminin s'exprimer. La princesse en lui se serait sans doute laissée aller à quelques démonstration d'affection comme de de frotter sa joue à cette main délicatement offerte, mais Dormin se devait de rester fort... Ne pas céder. Une légère grimâce de frustration se lisait sur son visage androgine. Il tente de l'effacer. Après il savait très bien que Narcisse ne répondrait aux sentiments de personne. Il n'aimait que lui et lui seul et les choses avaient très claires depuis le début pour Dormin même si jamais clairement dites.

Oui, revivre le passé. Un doux rêve pour bien des hommes dont le passé fût illuminé d’illustres faits d’armes, d’amours ou de prestiges qu’ils perdirent au plus proche contact de la mort. Il n’y avait qu’à regarder Narcisse pour se dire qu’effectivement, il n’avait sans aucun doute aucune envie de finir ainsi ensanglanté sous un pilier du Sanctuaire. Il aurait pactisé avec les enfers pour revivre sa gloire passé. Mais celle-ci, qu’était-elle ? Qu’était cette gloire qui fût la sienne ? En y repensant, il n’avait jamais rien accompli de bien brillant depuis son arrivée au Sanctuaire des années plus tôt. Il n’avait fait que s’entrainer, encore et toujours. Et pour quel résultat ? Être abattu dans le dos par un frère d’arme. Quelle pitoyable fin pour l’homme au plus beau reflet de tout le Sanctuaire.

Les yeux bleus du Capricorne se dirigèrent vers l’homme à qui il devait sa survie. Car il n’était pas question de mourir, avec lui, pas vrai ? Dormin d’Andromède, l’étrange âme venue des pays barbares du Nord et dont le passé avait été aussi troublé qu’en proie à la démence des Hommes. Qu’il se rassure, son nouveau maître était loin d’être mort ! Car s’il était bien une chose dont Narcisse pouvait se targuer, c’était d’être un homme plein de ressources quand la situation l’exigeait. Grâce au soutien du cosmos d’Andromède, le chevalier d’or sentit toutes ses sensations lui revenir et bientôt, ses jambes bougèrent à nouveau. Lentement mais surement, il se remit sur ses jambes. Un genou à terre, il souffla aussi fort qu’un bœuf, prit de quelques vertiges. Mais pas question de s’arrêter en si bon chemin. Pas alors que son armure ruisselait de sang. De son sang, mais aussi de celui de ses adversaires. Il y manquait pourtant la trace d’un sang nouveau qu’il devrait verser pour le bien d’Athéna et du Sanctuaire. Il aurait dû se douter que ça arriverait, mais Narcisse avait voulu laisser à son élève, le Silver Saint de la Lyre, l’occasion de régler un jour lui-même ses griefs avec le chevalier des Gémeaux. Désolé mon ami, mais cette tâche lui incombait également aujourd’hui. Dormin aussi réalisait le danger qu’était celui qui l’avait éjecté du combat.

▪ Paix Andromède, cette menace ne peut être affrontée qu’en certaines circonstances. Utilises ta patience pour te préparer, comme je te l’ai appris. Comme je l’ai fais de si longues années.

Les blessures les plus profondes n’étaient pas soignées mais le sang coagulait déjà et le Gold Saint poussa sa chance jusqu’à se relever enfin. Sa cape déchirée battant la mesure du vent qui balayait le Sanctuaire projeta derrière lui l’ombre d’un homme à la fière allure. Une main tendue vers le sol, le casque de Narcisse revint à lui et retrouva sa place sur sa tête. Faisant rouler ses épaules, le jeune homme se prépara comme avant un entrainement. Allait-il réellement retourner là-bas ? Non.

▪ Il semblerait que le combat soit terminé. Les yeux mi-clos, il regarda les lueurs des cosmos marins s’écarter de ceux des chevaliers du Sanctuaire. Les envoyés de Poséidon repartent. Il n’y aura pas eu de victimes, loué soit la déesse.

Narcisse garda les yeux clos et baissa la tête en avant pour prier Athéna et la remercier du dénouement de cet affrontement. Il aurait pu en être autrement. Si lui-même avait pu continuer le combat, alors victimes il y aurait eu. Au moins Dormin n’aurait plus à soigner qui que ce soit à s’en brûler les mains aujourd’hui. Le fidèle Andromède, dont le cœur si doux avait déjà connu tant d’affres malheureux. Narcisse ne voulait pas le voir souffrir plus. Mais telle était la route qui serait la leur. Inspirant profondément, Narcisse fit un pas en avant et dépassa Dormin qui encore était agenouillé. Brusquement, Narcisse fit demi-tour et se dressa devant l’être d’une autre terre. Narcisse tendit sa main droite gantée d’or et parcourue de rouge et la plaça au-dessus de celui qui était devenu par le hasard des choses son élève. Et lui, maître qu’il était, qu’avait-il bien pu apprendre à ces trois chevaliers qui étaient venus autour de lui ?

Sokaris avait reçu de lui la volonté de renouer avec le droit chemin du chevalier. Ainsi que la volonté martiale d’aller toujours plus loin. Oréstis avait reçu de lui la volonté d’aller de l’avant et, sans oublier pour autant le passé, de se préparer à l’avenir. En somme Narcisse avait été son maître à penser. Mais à Dormin, qu’avait-il offert sinon le gîte et le couvert ? Il avait reçu de lui le rapport destiné au Grand Pope sur les évènements qui secouaient l’île lointaine de Britannia, puis avait entendu son chant lors de la bataille contre les soldats d’Arès. Durant ce combat, la détermination d’Andromède avait été sans failles et c’était à lui qu’il devait sa victoire. L’un avait été l’épée et l’autre le bouclier. Mais le bouclier avait été bien plus efficace. Quand à être son maître à penser, que pouvait-il bien lui apprendre qu’il n’ait déjà appris dans la douleur ? Sur le plan martial sa maîtrise du cosmos semblait sans heurts, sur le plan spirituel il était sans aucun doute le plus sûr et le plus apte des chevaliers d’Athéna ! Plus sûr encore que l’était Narcisse dont certains vices prenaient parfois le pas sur son devoir ! Qu’était-il donc pour lui ?

La main tendue au-dessus du Bronze Saint, Narcisse eut la réponse qu’il cherchait dans les yeux de son élève. Y plongeant au plus profond, Narcisse y trouva la seule réponse qu’il pouvait y trouver : son reflet. Celui d’un Chevalier d’Or désigné par l’armure du Capricorne et par Athéna pour accomplir en son nom la plus difficile des tâches : la protéger, et protéger ce qu’elle représentait pour tous les peuples de ces terres. La paix. Comme Narcisse l’avait dit à Oréstis, c’était la paix qu’ils protégeaient et qu’ils devaient protéger, au péril de leur vie. Ce qu’il était pour Dormin, ce qu’il pouvait lui apporter, c’était la paix.

▪ Je suis Narcisse, Chevalier d’Or du Capricorne, protecteur d’Athéna, du Sanctuaire, et gardien de la Paix qu’elle offrit aux Hommes. Dormin, Chevalier de Bronze d’Andromède, depuis notre première rencontre, tu n’as jamais failli à ton devoir. Droit, et inébranlable, tu t’es dressé face aux barbares qui ravageaient ta terre natale. Fort, et incorruptible, tu t’es dressé face aux soldats d’Arès qui ravageaient notre Sanctuaire. Bon, et juste, tu t’es dressé au-dessus de moi pour me sauver des griffes de la mort. Demain tu te dresseras face à la gangrène qui ronge tout ce que nous défendons. Et tu ne le feras pas sous cette apparence. Des goutes de sang tombèrent entre les doigts du Gold Saint dont l’aura croissait depuis qu’il avait reprit la parole. Relèves-toi, Dormin, Chevalier, d’Argent, d’Andromède !

Le sang du chevalier d’or tomba sur l’armure de Dormin et l’illumina brusquement. Ainsi les légendes étaient vraies ? Le sang d’un chevalier d’or permettait bel et bien d’honorer la force et la bonté d’un chevalier pour l’élever, lui et son armure, au-dessus de sa condition ? Souriant, Narcisse laissa Athéna décider si son serviteur zélé était digne de se dresser de nouveau sur ses jambes en tant que Silver Saint. L’aura enflammée de Narcisse sentit bientôt sur lui une brise marine nouvelle, qui n’était aucunement celle des Marinas de Poséidon. Non c’était une aura puissante, calme, et capable de se déchainer si besoin s’en ferait sentir. Fait de lumière, Andromède put bientôt se relever comme l’y invitait son maître. Ensemble, ils éradiqueraient le mal qui rongeait ce lieu. C’était pour cette raison que Dormin était venu à lui. Que Narcisse avait attendu si longtemps. Le beau et fier chevalier du Capricorne sentit en lui une force nouvelle. Une qu’il ressentait déjà auparavant mais qui cette fois s’intensifia jusqu’à un point jamais atteint. La fierté dont il était le dépositaire par nature, s’étendit à Dormin, à Oréstis et à Sokaris. Voilà pour quelle raison il avait attendu patiemment tout ce temps : pour intervenir dans la vie de ces trois chevaliers, pour les guider vers de plus hautes sphères et le destin qui les attendait.

Narcisse venait également de trouver sa voie.

▪ Dormin, comment te sens-tu ?

"Ne... m’appelez pas comme ça... Je ne suis pas un chevalier d'argent."


Murmura-t-il. son coeur se serra. Il n'était et ne serait jamais rien d'autre qu'un chevalier de bronze. La reconnaissance, Dormin ne connaissait pas. il agissait, c'est tout! Ce qu'il donnait était gratuit et ce qu'il recevait c'était pour se rendre d'avantage utile. Mais Dormin était un acteur qui jouait en coulisse... derrière le rideau. Pas même un souffleur.


"Et ce... peu importe la forme de mon armure..."


Le temps... Inéluctable fin vers laquelle toute chose va. Cette fin dont l'être doué de raison craint l'approche... sans cesse elle avance vers vous, comme la fatalité. Même les créations, faites de toute pièces... Les choses matérielles tant qu'artificielles. TOUT avait une fin... Mais pas ici. Cet univers échappait à la logique. Ici, il ne semblait plus y avoir de frontière entre raison et folie. Mais il restait une chose à Andromède, la foi. Sinon il ne serait pas ici. Il avait eu si peur de perdre l'un de ses seuls repères... peut-être le plus important. Et pourtant, son corps se mouvait. Il était chaud, il pouvait sentir le vent sur son visage, autant que la chaleur de son corps... enveloppe charnelle qu'il avait lui même régénéré... effort qui lui arrachait quelques indélicates gouttes de sueur. Ce n'était pas un endroit digne d'un homme comme lui pour mourir... pas comme ça.


"Athéna a besoin de vous."


D'un geste de la main, il dégage ses cheveux de son front humide. Il avait passé bien assez de temps à se morfondre comme ça. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond dans ce sanctuaire?! Il en avait mal à la tête maintenant. C'était de la colère qui lui faisait grincer des dents. Il faisait de son mieux pour obéir aux ordres de son maître, ais la frustration de voir les siens se contenter de jouer à la guéguerre au lieu de prendre les problèmes au sérieux le mettait hors de lui... L'essentiel était d'avoir sauvé le chevalier d'or. Son corps était à nouveau tiède et il respirait faiblement. Le regard vert du génome s'attarda un instant sur lui. Ce n'est pas par pitié qu'il l'avait secouru, mais par intérêt. Pour qu'Athéna ne perdre pas un de ses précieux atouts. Afin que le sanctuaire garde encore de ces rares chevaliers ayant encore la tête sur les épaules... les êtres réalistes se faisaient rares.


"Mais vous... vous ne devez pas tomber. Vous n'avez pas le droit!"


Il se redresse, tournant le dos au chevalier d'or pour ne pas qu'il lise l'amertume sur son visage. Il s'éloigne finalement en direction des escaliers. Ses pas résonnent sur le sol, il prend son temps. il n'est plus pressé de rien. Le temps ne lui est plus compté, pourquoi se hâter. Courrez, courrez donc pauvres fous, vers votre perte. Envolez vous loin de vos cages dorées mes oiseaux de vos ailes battez et remuez l'air qui vous porte. Mais pour aller où? Si la raison n'existe plus, la vie conserve-t-elle un sens? Il se mord la lèvre inférieure nerveusement de frustration. Quand ce cauchemar cesserait-il?! Il en avait assez... assez de courir partout. Au fond de lui, quelque chose bouillonne, prêt à jaillir tel un puissant torrent. Comme la surface d'un lac se ride et s'agite lorsqu'on y jette un cailloux... il déborde. Si seulement les choses pouvaient bouger... Dormin se sentirait plus léger, comme si de lourdes chaines tombaient après l'avoir si longtemps entravé.


"Moi, si je disparais, ce n'est pas grave. Je ne suis pas important, je n'ai que peu d'influence."


Il observe ce qui ressemble à un champs de bataille, mais il arrive après la guerre. Les traces de lutte et les chevaliers tombées là ne trompent pas. Les marinas avaient vaincu. Toujours il veille. Rien ne presse. Il se promène dans ce décors vide de sens à ses yeux. Ce n'est plus une réalité, c'est une utopie. Mais cela ressemble aussi à une grande opportunité! Peut-être les chevaliers y réfléchiraient-ils? Pfff... même pas la peine d'y penser... Le jeu en valait-il la chandelle? Il ne servirait à rien qu'il gaspille son énergie. Il se contenterait de suivre et de faire de son mieux.


"Le pouvoir est confié à des être dont le choix reste... discutable. Mais ce n'est pas à moi d'en juger. Hors je doute faire parti de cet élite un jour... je suis désolé de vous décevoir."


Plus tard tout ça. L'heure n'était plus aux questions ni aux dilemmes. Si Dormin s'était laissé emporté comme beaucoup de chevaliers, il aurait pu laisser parler sa violence et ses muscles, se défouler en frappant un mur ou une colonne. Mais ce n'était pas le genre de Dormin. Il laisserait parler sa hargne bien plus tard. Il la mettrait à profit d'une cause plus noble et non égoïste. Il détestait gaspiller sa précieuse énergie quand Athéna en avait besoin et qu'il pouvait en faire bénéficier autrui. Dormin n'avait pas vraiment d’existence propre.


"Je vous remercie de croire en moi... mais... Je crois que jamais je ne vous serai vraiment utile... Mais je ferai toujours de mon mieux, me dressant comme un puissant mur d'eau droit face à l'ennemi. Je serai un vrai rempart... Mais je ne suis pas digne de vous autres, chevalier d'or. Et quand bien même mon armure évoluerait... Je reste Dormin d'Andromède, petit bronze saint."

L’intense lumière rendit son jugement par les seuls mots de Dormin d’Andromède. Il n’était pas encore prêt, voilà tout ce qu’il y avait à dire de sa déclaration. Et même si Narcisse regrettait de ne pas voir son cher élève s’élever au-dessus de sa condition actuelle, il n’en était pas moins fier de lui.
Quoique, au vu des prémisses de réponses qu’il marmonna dans sa barbe, le Capricorne aurait été en droit de lui donner une bonne taloche derrière le crâne l’histoire de le rappeler à l’ordre et de lui éviter de sombrer dans de trop mauvaises pensées qui n’avaient pas « forcément » lieu d’être. Le chevalier semblait tellement perdu en cet instant que Narcisse ne se retint pas de porter la main à son épaule et de serrer celle-ci avec force mais pas dans le but de faire mal non. Il souhaitait juste voir celui-ci reprendre ses esprits : la tempête était passée, maintenant il fallait penser à la suite et non pas s’appesantir sur le passé.

▪ Et de toi également Dormin, répondit-il au beau chevalier. Ta mort n’est pas une option envisageable à l’heure actuelle. Il laissa Andromède se dégager de son étreinte et marcher vers les escaliers du Sanctuaire. Et si tu crois que tu n’as pas d’influence, tu en as sur le déroulement des évènements qui nous frappent. Tu le comprendras un jour. Athéna et les Gold Cloth savent reconnaître ceux qui sont dignes d’elles.

Comme lui-même avait été choisi par son armure, il y a de ça une éternité.
Derrière lui, le champ de bataille se vidait déjà de ses occupants. Les blessés allaient être emmenés en toute urgence, pour ceux qui le méritaient. Narcisse ne souhaitait pas les croiser aussi, après quelques roulements d’épaule, il se mit lui aussi en mouvement pour rentrer chez lui et soigner un peu les blessures les plus profondes qui le parcouraient grâce à un bon bain bien chaud. Le Gold Saint continuait de sourire, comme insouciant, lorsqu’il se porta à la hauteur de Dormin. Il fixa de ses prunelles d’émeraudes les yeux pleins d’aléas de son élève et entoura ses épaules de son bras pour l’entrainer à sa suite dans les marches menant à l’endroit où lui aussi résidait. Il avait besoin de repos autant que Narcisse. Car derrière le sourire du Gold Saint du Capricorne se cachait une puissante et inexorable volonté d’avancer dans laquelle il comptait bien entrainer Dormin au même titre que le simple fait de le raccompagner jusqu’à sa maison.

▪ Tu restes Dormin, surtout, acheva-t-il finalement.

En haut des marches l’attendait une autre destinée : un combat qu’il aurait à faire pour permettre au Sanctuaire de retrouver un peu de sa sérénité. Car il faudrait toute la solidarité des Saints d’Athéna pour affronter les tempêtes qui se préparaient : les Marinas de Poséidon, les Bersekers d’Arès, les Titans… Inutile d’avoir un traître dans leurs murs en plus de tous ces ennemis. Mais d’abord, du repos…