Le lieu du rendez-vous avait changé. Il n'aurait cette fois pas lieu dans la demeure du Sagittaire, mais dans celle du Pope. Pourtant, l'habit revêtu par Arsiesys n'était pas sa tenue de fonction. C'était son armure d'or qu'il avait sur le dos, et à son aide qu'il attendait de pied ferme. Le moment attendu ne tarderait plus. Et connaissant son futur invité, il serait ponctuel sans l'ombre d'un doute. Avoir choisi cet endroit et d'endosser sa Cloth n'était pas dû au hasard, il avait d'excellentes raisons de le faire. Cependant, cette dernière ne l'avait pas quitté depuis son retour des Enfers. Constamment à ses côtés, elle l'avait soutenu dans l'épreuve, celle de se relever de ce jour funeste. Toujours plus épineuse, la situation allait le pousser à prendre des mesurer radicales. Le Sanctuaire était entré en guerre mais n'avait pas eu jusque là les moyens de contre-attaquer.

Car si Arès et Poséidon étaient une menace non négligeable, les Spectres d'Hadès demeuraient une cible prioritaire. Les plus effroyables légions n'étaient rien en comparaison d'une armée immortelle. Longtemps impuissants à leur égard, ils avaient à présent les moyens de prendre leur revanche. Oui, mais à quel prix ? Occupé à patienter, il porta un regard empli de chagrin sur le rosaire reposant non loin de là. Depuis qu'il était revenu au Sanctuaire, son temple était devenu une forteresse de solitude dont il n'avait franchi l'enceinte que pour faire mander l'intéressé en prévision de ce jour. Maintenant que toutes les chances étaient de leur côté, qu'ils pouvaient enfin se battre à armes égales, l'heure était venue de s'y préparer au mieux. Et il savait exactement comment il devait faire pour y parvenir.

C'est pourquoi l'indicible mélancolie dans laquelle était plongé son regard avait fait place à une détermination sans faille. Arsiesys ne souriait plus. Ce jour serait à marquer d'une pierre blanche comme étant celui où le Sanctuaire allait adopter une toute autre politique, celle d'écraser ses ennemis sans en laisser aucune trace. Son altruisme et sa grandeur d'âme étaient inaltérables, mais ces excès de gentillesse, que lui avaient-ils rapporté ? À la guerre, il n'y avait pas de place pour les bons sentiments. Pas quand on se bat contre des monstres, des chimères. Que ce soit Hadès et ses âmes damnées ou Arès et ses fauves de la terre, aucun d'eux ne méritait sa clémence. Il ne ferait à présent plus montre d'aucune pitié et entendait faire comprendre à ses hommes qu'il leur faudrait marcher sur les place-fortes de leurs pires ennemis comme ces derniers ne s'étaient pas fait prier pour le faire. Enfin, les portes de la chambre du Pope furent poussées. Ce dernier attendait patiemment sur son trône l'arrivée de ce visiteur, qu'il accueillit malgré tout d'un franc sourire. Pourtant, l'absence d'éclat dans ses yeux ne mentait guère.

- Sais-tu pourquoi je t'ai fait venir aujourd'hui, Elias ?

Alors qu'il remontait le champ aux roses, qui désormais possédait un nouveau maître des lieux, Elias se surprit à se sentir aussi sur de lui. L'époque où il craignait de croiser le regard du Grand Pope était désormais révolue. L'époque où il se reposait sur les forces des Gold Saint s'était envolée. Fier de ce qu'il était devenu, bien que le chemin ait été long et particulièrement dangereux, le Phénix savait qu'il avait bien progressé. Même l'évocation de son frère ne le dérangeait plus, assuré que chaque personne choisissait sa voie et devait en assumer les conséquences. Oui... Elias avait mûrit émotionnellement parlant. Moins enclin à condamner, il était parvenu à une sorte d'équilibre indispensable pour qui se voulait être le véritable phénix, héraut de la déesse Athéna.

Déjà le temple d'Athéna se dressait devant lui, lui rappelant la convocation du grand Pope. Sans marquer d'arrêt particulier, il poursuivit son périple jusqu'à arriver aux lourdes portes séparant ce sanctuaire du reste du complexe militaire. Alors qu'il pénétrait enfin dans le temple, il repéra la présence d'Arsiesys, assis sur le trône particulier qui prouvait son véritable rang au seing de cette confédération. Il pouvait bien sourire, le Phénix voyait le trouble qui habitait le Pope. Si ses traits pouvaient masquer ses sentiments, son âme révélait ce que Elias désirait savoir. Lui qui savait voir au delà des apparences, on ne pouvait espérer le tromper à ce sujet.

- Pour être franc avec vous, je n'en ai pas la moindre idée. Tout juste puis-je essayer d'en deviner la raison...

Il ne mentait pas : les raisons qui pouvaient pousser le Pope à convoquer ses chevaliers pouvaient être multiples. Il n'avait pas l'impression d'avoir mal agi récemment et si ses actes n'étaient pas appréciés, il n'en restait pas moins un fervent défenseur de sa déesse. Le seul acte répréhensible que l'on pouvait lui reprocher concernait Sokaris. Son manque de respect envers le Gold Saint avait été important et surtout, à aucun moment Elias n'avait considéré cet homme comme un véritable gardien. Il le haïssait pour ce qu'il représentait : la déchéance parmi les douze. Mais en étant franc, il doutait réellement que Arsiesys ait eu vent de cette altercation. Ne restait alors qu'un autre thème, qui lui paraissait le plus plausible.

- Sans doute que cela a un rapport avec les différentes attaques que nous avons subie, bien que je ne vois pas en quoi je puisse vous être plus utile que les douze Gardiens.

Une simple hypothèse. Comment deviner après tout...

Arsiesys remarqua directement la confiance dont Elias faisait preuve. Son sourire s'élargit d'un pouce. Le voir si sûr de lui était encourageant en vue de ce pourquoi il l'avait fait venir. Cette décision avait été mûrement réfléchie, et en paraissant de la sorte, l'oiseau de feu lui assurait qu'il n'aurait pas à le regretter. S'il ne l'avait pas eu en face de lui, sans doute n'aurait-il pas pu le reconnaître. Bien que leur dernière entrevue remonte à assez peu de temps, sa cosmo-énergie avait cru en des proportions qu'il n'aurait pas cru possible, sans doute en partie parce que la sienne n'était plus capable d'une croissance si abondante. Oui, ressentir sa puissance à un si haut degré le confortait dans sa résolution...

- Les douze gardiens sont en effet la pierre angulaire de notre Sanctuaire. Néanmoins, ils sont appelés à d'autres ambitions. La garde des douze maisons du Zodiaque est une mission divine qu'Athéna a confié à chacun d'eux, je suis la seule exception et déplore encore à ce jour que l'on m'ait fait bénéficier de cette entorse à la règle. Mais ce n'est pas pour cela que je t'ai fait venir.

En effet, il avait toujours déploré qu'on outrepasse les règles édictées par la déesse de la sagesse pour sa personne. Néanmoins, sa nomination devait passer par là et nul n'était plus qualifié que lui selon ceux qui le désignèrent comme héritier du trône. Laisser sans protection la demeure dont il avait la garde était un grave manquement et son sens du devoir en avait été longuement malmené. C'était un moindre mal maintenant que Calyps en assurait la surveillance à sa place, mais il regrettait toujours autant de ne pouvoir assumer ses fonctions comme il le devrait, tenu de les négliger au profit d'un rôle dont il n'avait pas voulu.

- Antares m'a maintes fois vanté tes mérites et j'ai moi-même éprouvé ta force. Tu disposes d'une puissance remarquable, tu es juste et droit. Tu as toutes les qualités requises pour être promis à une grande destinée. Tu es un chevalier d'exception Elias. Tu n'es peut-être pas parfait mais tes compétences font de toi l'un des piliers du règne de la princesse Athéna. Ne sois pas trop dur envers tes pairs ; ils n'ont pas hérité de la même noblesse d'âme mais ont tout autant leur place dans notre forteresse de lumière.

Tout ce qui se déroulait au Sanctuaire finissait tôt ou tard par lui être rapporté. Le Phénix devait déjà le savoir et ne s'en étonnerait donc pas, pensait-il. Et puis, de son point de vue, n'avait-il pas fait que son devoir en purifiant leur terre sacrée ? Elias avait tout d'un inquisiteur dévoué à sa cause et à son bien fondé, ne vivant que pour brûler les hérétiques et rétablir l'ordre quand celui-ci est bafoué. Une ligne de conduite dure mais juste que lui enviait le Grand Pope, sous certains aspects, sans pouvoir s'y assimiler car il était maintenu par les chaînes de ses prérogatives outre celles de l'indulgence et de la compassion. Sa cape blanche voltigea dans son sillage alors qu'il se portait auprès du Chevalier de Bronze, posant sur lui un oeil scrutateur. Ses traits avaient changé pour gagner en maturité et sa prestance en était décuplée, ne lui donnant qu'une meilleure stature – celle qui convenait pour le rôle qu'il le voyait déjà jouer.

- Tu as élevé ta cosmo-énergie au niveau de celle d'un Chevalier d'Argent et l'a même dépassé. Je pense qu'il est temps pour toi d'aller encore au-delà. Tu as l'étoffe d'un Chevalier d'Or. Plus Armures d'Or pleurent encore la disparition de leur précédent porteur. Cependant, je ne te vois pas revêtir d'autre armure que celle du Phénix. Et si tu n'évolues pas toi-même, elle aussi en sera incapable. Sais-tu ce que cela signifie ?

Elias écoutait. Si les propos du Grand Pope le confortait dans ses résolutions, il comprenait également la petite mise en garde de ce dernier. Il est vrai qu'il avait été quelque peu présomptueux de vouloir juger les autres gardiens. Mais s'il avait été peu rassuré au départ, il devait admettre que certains d'entre eux étaient tout à fait digne de représenter leur déesse. La protection des Maisons était prioritaire, comme le rappelait Arsiesys, et seul un véritable héraut d'Athéna pouvait se prétendre Gardien. En parlant des Douze, le nom de son maître arriva dans la discussion. Ce qui n'avait rien d'anormal.

Antares était un homme respecté par ses pairs et avait été un professeur brillant. Outre sa patience qui avait aidé Elias à se sortir de quelques situations embarrassantes, il maîtrisait quelques arcanes qui prouvaient ses compétences en tant que chevalier d'Or. Antares était certainement l'une des meilleurs choses qui soit arrivé au jeune Phénix et en cela, il le respecterait toujours. Une bouffée de fierté s'empara alors du jeune homme tandis qu'il entendait les éloges du Grand Pope. Pour l'avoir affronté, il savait que cet homme recelait en lui une puissance destructrice, capable même de mettre en danger les flammes pourtant puissantes du Phénix. Alors entendre de sa propre bouche ces propos ne pouvait que le rendre heureux.

Certes, il n'agissait pas ainsi pour être reconnu mais réellement parce qu'il avait une foi sans faille envers Athéna. Pour lui, la déesse l'avait sauvé en lui faisant don de cette armure. Sans cette Cloth, jamais il n'aurait été en mesure de se pardonner de son geste et jamais il n'aurait pu œuvrer pour la grandeur du sanctuaire. Il avait évolué avec le temps. En bien, il l'espérait. Mais quoi que pensent les autres de sa nature inquisitrice, le blondinet se savait dans son bon droit et Arsiesys venait de le confirmer, à sa manière. Inclinant la tête en guise de remerciement, Elias s'exprima en quelques mots :

- Vous me faites trop d'honneur... Sachez toutefois que je prends en compte vos remarques et que je tâcherai de ne pas juger trop sévèrement les soldats de notre déesse. Il est vrai que je me suis quelque fois laisser emporté par ma foi mais mon maître a su canaliser cette pulsion. Je suis en mesure de me contrôler, bien plus que je ne le pouvais par le passé.

Là aussi, il ne s'agissait que d'un fait. Son combat final contre son double lui avait appris à canaliser son don et sa colère. S'il en avait besoin pour libérer certaines des attaques de sa cloth, il savait la contrôler pour ne pas se laisser emporter par celle-ci. Là résidait le véritable changement chez cet homme. Là résidait sa nouvelle source de pouvoir, qui avait fait évoluer son cosmos et l'aura de son armure.

Alors que le Pope se rapprochait de lui, Elias ne lâchait pas du regard celui qui avait reçu la bénédiction ultime de la déesse. Servir en tant que Pope était un honneur absolu, bien que cela enchaîne en quelque sorte l'élu à des responsabilités autrement plus importantes que la simple protection d'une maison. Les mots qui suivirent laissèrent Elias sans voix. Littéralement parlant. Il savait ce qu'il valait et le combat contre Corvus lui avait montré qu'il était capable de soutenir la comparaison face à un Gold Saint. Mais de là à ce que Arsiesys en personne puisse sentir l'évolution de son cosmos, il y avait tout de même des limites. Et là, il apprenait que son cosmos pouvait réellement être comparé à celui d'un des douze Gardiens. Sans le savoir, sans même s'en rendre compte, il avait atteint l'objectif qu'il s'était foxé alors qu'il revêtait pour la première fois cette armure de Bronze.

- Je ne me vois pas non plus sans cette armure avec moi. Aucune autre ne peut m'apporter la symbiose que j'aie avec elle...

Il avait lâché ces mots avec difficultés mais sans réellement réfléchir, laissant son coeur parler pour lui. Et il s'apercevait de la justesse de ses propres pensées. Le phénix et lui ne pouvaient se séparer. Ils étaient liés, c'était une certitude. Mais il restait encore du chemin et Arsiesys le savait... Cette fois, une nouvelle flamme apparut au fond des iris du blondinet. Si sa volonté n'avait jamais failli, il comprenait là ce qu'attendait le Grand Pope de lui. ET seul, il ne serait pas en mesure d'atteindre cet état de félicitée.

- Je comprends... Il me faut atteindre la puissance d'un véritable chevalier d'or pour permettre à mon armure d'évoluer et d'entrer alors en parfaite symbiose avec moi. Sans cela, je ne pourrais qu'approcher leur niveau sans jamais l'atteindre complétement. Mais... Comment ? Servir ma déesse est ma seule obsession et ce pouvoir ne pourrait qu'être un atout supplémentaire dans notre guerre !

- Il te faut tout d'abord te libérer du confort et de l'attachement social. Tu as déjà dépassé cette phase en intégrant le Sanctuaire. Tu as renoncé à ta vie passée. Tu t'es incliné en homme et tu t'es relevé en chevalier. Tu as coupé les ponts avec le monde tel que tu le connaissais. J'ignore ce que tu possédais avant, mais tu as laissé derrière toi le confort d'une vie ordinaire, la tranquillité que tu aurais pu avoir. Tu es parvenu à t'extraire de cette prison et de la société des hommes pour rejoindre le monde à part dans lequel vivent les chevaliers et les dieux.

Le Sagittaire soutint le regard du Phénix. L'instant était solennel. Il allait énoncer une à une les étapes qui allaient lui permettre de dépasser ses limites et de devenir plus qu'il n'avait jamais été. Les ailes dorées firent vibrer l'air d'un puissant battement, qui n'était pas sans rappeler que l'armure n'était qu'une extension de son propre corps. Dès lors qu'il avait endossé sa propre cloth, Elias n'avait plus d'humain que le nom, car son existence avait changé à tout jamais. Il avait pris soin d'éviter le thème de la famille, des amis, ne connaissant rien du passé de son interlocuteur en définitive. Il mettait un point d'honneur à ne pas se mêler de ce à quoi on ne voulait pas le mêler, tout en se tenant prêt à offrir une oreille attentive à qui en exprimerait le besoin.

- Vient ensuite la connaissance de son rôle. Un homme peut avoir une force de commun, si aucun but ne le motive, il n'est rien. Il te faut savoir vers où tu vas et pourquoi tu y vas. Pour répondre à ces questions, tu dois t'investir de ton rôle de Chevalier d'Athéna et de défenseur de l'humanité. Elle fait de toi un homme dont la destinée est déterminée par ton rôle. L'important n'est pas l'objet en lui-même car il peut être détruit à tout moment. Même si elle est capable de revenir à la vie, ton armure ne fait pas exception à la règle. Ce qui compte, c'est ce qu'elle représente : ton rôle de défenseur des humains. Ce rôle sera toujours en toi, ciselé dans tes chairs, et doit y rester inscrit jusqu'à ta mort. Il en va de même pour ton armure. Ce n'est pas une protection, c'est un emblème. Celui de ton allégeance.

Aux flammes de la passion, on peut risquer de se brûler les ailes. Voilà ce que lui inspirait Elias, flamboyant vengeur animé de l'ardeur d'un feu sacré. À trop jouer avec le feu, on finit par se consumer soi-même, et c'était tout l'intérêt de sa mise en garde. Mais il ne doutait pas que le Bronze Saint soit à même d'en juger par ses propres moyens et de savoir où s'arrêter, même si une mise au point ne faisait jamais de mal. Et s'il devait s'éloigner du droit chemin, la lumière d'Athéna serait là pour l'y ramener prestement. Il devait déjà savoir tout cela, mais il était nécessaire de reprendre depuis le début avant de pouvoir lui faire part de ce qu'il attendait de lui. Néanmoins, le maître des chevaliers éprouvait une légère appréhension, aussi préférait-il entrer sans ambages dans le vif du sujet pour clarifier cette zone d'ombre – et c'était le cas de le dire.

- Je ressens au fond de toi une chose terrible dont je ne connais pas la nature. Je sais que ton comportement est d'une pureté sans égale, mais je ne peux m'empêcher de penser que ton âme abrite un démon effroyable. J'espère que ce n'est là qu'une erreur de ma part, mais ma condition veut que je me trompe rarement. Si mes prédictions s'avèrent exactes, j'aimerais savoir si tu connais la nature exacte du mal qui te ronge afin de t'aider à t'en soulager.

Sa ligne de conduite avait été au-dessus de tout soupçon, et il était préférable que jamais elle ne dévie de sa trajectoire. Ce que lui proposait le Grand Pope était de lui prêter main-forte pour exorciser ses démons. Il était ici question de devenir ni plus ni moins que l'égal des Chevaliers d'Or, et cela demandait de s'astreindre avec rigueur à être exemplaire à tout point de vue. Pour son propre bien, il était indispensable de remédier au problème qu'Arsiesys avait cru déceler, sans quoi le monstre tapi au fond de son âme le dévorerait un jour.

Attentif, Elias ne perdait pas une miette des explications que lui fournissait Arsiesys. Lui, en sa qualité de Grand Pope, était le plus proche d'Athéna. Il ne pouvait que connaître sur le bout des doigts les conditions requises pour servir au mieux la déesse. Tout d'abord le détachement au confort et au rôle social qu'un homme entretenait au quotidien. De ce côté là, comme l'avait exprimé Arsiesys, il n'y avait aucun problème particulier. Cela faisait bien des années que le jeune homme n'avait pas revu sa famille - en dehors de ce frère qui était venu attaquer le Sanctuaire mais qu'il ne connaissait pas - et il ne comptait pas se rapprocher d'eux à ce jour. Si sa mission était la plus importante à ses yeux, il avait conscience que son rôle ne serait pas compris par ceux qui lui avaient donnés la vie. Quant au confort, alors que l'on passe son temps à s'entraîner dans la poussière et le sang, l'essence même de ce mot disparaissait.

Hochant la tête, Elias laissait le Pope poursuivre son enseignement. Vint alors une phase importante : la connaissance de son rôle et le but qui permet le surpassement de soi. De ce côté là non plus il n'y avait pas de véritable problème. Pire, Elias avait même l'impression d'être un des rares à posséder un but réel, autre que de se battre contre des ennemis puissants. Oh bien sûr tous mettaient en avant la volonté d'Athéna dans leurs actions, quitte à expliquer des comportements douteux. Sokaris, Mercurio et Kallas entraient directement dans cette catégorie. Si le dernier était un assoiffé de combats, les deux autres étaient des fourbes qui ne méritaient nullement leur place. Un fou présomptueux et rongés par la jalousie et un lâche doublé d'un traître qui abandonnait ses frères sur le champ de bataille.

Alors qu'il repensait brièvement à ces trois là, la colère emplit le coeur du jeune Phénix, jetant un voile sombre au devant de ses yeux. Lui rappelant combien il était primordial qu'il garde le contrôle pour ne pas laisser cet "autre" revenir. A tout jamais. Et ce qui le ramenait aux mots du Sagittaire. Ciselé dans sa chair... Mais Elias avait gravé à même son âme le rôle qui était le sien, n'oubliant jamais que ses actes servaient sa déesse. Que c'était pour elle qu'il désirait purifier les âmes impures du sanctuaire et de ce monde vil.

- J'en ai bien conscience. Ma mission est gravée à jamais dans mon âme et je ne peux avoir de repos tant que je ne l'aurai pas accompli, au nom d'Athéna. Je ne prends pas à la légère la tâche qui est mienne et je veillerai à ne pas me laisser dépasser par la cause que je sers, afin de ne pas être un poids aux yeux de notre déesse.

Des paroles sommes toutes classiques mais qui montraient la ferveur de cet homme. Elias gardait en tête la mise en garde de son supérieur. Antares lui-même avait demandé à ce qu'il ne se laisse jamais absorbé par cette mission sous peine de devenir lui-même la chose qu'il combattait. Mais le blondinet était conscient du pouvoir et du vice qui le rongeaient. Et comme il l'avait clairement dit à Sokaris, comme il l'avait énoncé à Mercurio, sa propre âme paierait le prix de ses actions passées le jour où Athéna en aurait fini avec lui. Ce jour là, ce feu si puissant qu'il contrôlait brûlerait son corps et son âme, ne lui laissant jamais de repos. En avoir conscience était une étape importante pour Elias. Sans cela, il n'aurait su porter cette Cloth mythique plus longtemps.

Vint enfin le coeur même du problème. Avait-il senti cette peur sourde apparaître au fond de son âme ? Ou tout simplement ses observations l'avaient conduit à émettre des hypothèses à ce sujet ? Par réflexe, la main du jeune homme se posa juste en dessous de son corps, dans le centre de ce qu'il appelait "la croisée des âmes". Un point essentiel pour qui savait lire les âmes et voir les fils des Parques. Un don particulièrement rares qui sied au Cancer. Mais que le jeune homme contrôlait également, disciple des Protecteurs des âmes déchus qu'il était.

- Ce démon dont vous parlez... Oui je connais sa nature. Et oui, à plusieurs reprises il est presque parvenu à prendre possession de moi. Il est étrange de parler ainsi de ses propres sentiments, Grand Pope. Car c'est précisément là où réside le problème. Mon maître, Antares du Scorpion, m'a récemment aidé à combattre ce démon et je suis parvenu à repousser cette chose. Est-elle détruite pour autant ? Je l'espère mais je n'y crois pas. Car comment détruire une partie de soi sans se perdre au passage ?

Depuis qu'il avait évolué au rang des Silver Saint, Elias n'avait plus vraiment été inquiété par cette présence néfaste. Pourtant, il avait comme l'impression que certains sentiments forts - comme la haine et la colère notamment - pouvaient le faire revenir. Ou du moins qu'il ne devait pas se laisser envahir. Il connaissait mieux que quiconque ce démon qui l'habitait. Et il savait aussi, pour son plus grand désarroi, que sa Cloth était tout autant prêt à le servir que lui.

- Puisque je dois vous expliquer sa nature, alors je le ferai. Culpabilité, passion, colère... Telles sont les choses dont se nourrit cet être pour survivre. Sa mission est exactement la même que la mienne... Purger les âmes au nom de notre déesse. Toutefois, nos méthodes varient irrémédiablement. Si l'on me dit inquisiteur, ce n'est rien en comparaison de cet "autre". Croyez -moi. Je crois l'avoir neutralisé mais je ne veux pas tenter le diable et tenter de le faire ressortir. Si notre dernière bataille m'a rendu ainsi, plus sûr, plus fort, je crains qu'il n'en soit de même pour lui bien qu'il ait été vaincu à ce moment précis.

La plus stricte vérité, sans s'encombrer de honte ou de non-dit. Elias avait peur, tel était son fardeau. Peur de se laisser dépasser par sa tâche, peur de ne pas pouvoir laver ces autres êtres du vice dont lui-même était habité. Et c'était cette peur, mêlée à la culpabilité, qui avait crée le phénix noir. Son double malveillant. Celui qui finalement, était exactement comme lui, sauf qu'il ne s’embarrassait pas de principes...

Le ton professoral qu'adoptait Arsiesys lui donnait l'impression que son mentor s'était incarné sous ses traits. Il se revoyait à la place d'Elias des années plus tôt, recevant des enseignements à peu de choses près similaires avant d'être consacré en tant que Chevalier d'Or. Il portait désormais l'armure du Sagittaire depuis si longtemps qu'il avait l'impression de l'avoir depuis sa naissance, tant elle était devenue une sorte de seconde peau. Pourtant, il ne pourrait jamais oublier qu'un homme remarquable l'avait endossé avant lui, un père de substitution qui avait tant fait pour lui. Plus jeune, il avait fait de ses hauts faits une source d'inspiration, et sans son concours il ne volerait pas si haut aujourd'hui. Il lui devait la grandeur de sa réputation, et plus encore celle de ses ailes. Mais c'était à présent au tour de celles du Phénix de prendre de l'ampleur pour qu'il devienne une comète de feu dans ce firmament obscur.

- Tu as le pouvoir de faire apparaître l'élément feu, agressif et violent, mais aussi symbole de vie et de renouveau. Plus précisément, il représente le flambeau passé de l'ancienne génération à la nouvelle. Nul n'est éternel et un jour, nous, Chevaliers d'Or, nous serons plus là. Vous êtes notre avenir. En vous réside l'espoir d'un lendemain meilleur. Et cette lumière éclatante éclipsera chaque part d'ombre qui essaiera de se frayer un chemin au fond de ton coeur. J'en suis convaincu.

À en croire ses propos pleins de bon sens, Elias avait mûrement réfléchi à ce sujet et était tout disposé à lui donner une réponse concrète. D'un côté, il était inquiétant qu'il puisse cerner le problème si précisément, mais c'était tout aussi rassurant car cela permettrait de traiter plus facilement la cause de ce mal quand ils en auraient l'opportunité. À vrai dire, l'hypothétique remède existait déjà, mais serait-il adapté ? Arsiesys marqua une courte pause, perdu dans ses pensées. Il avait pris sa décision et en assumerait les conséquences, quand bien même elles devraient être néfastes pour lui et pour son ordre. Il en aurait fait autant pour n'importe lequel d'entre eux, car plus que tout au monde Athéna détestait voir ses fidèles périr, que ce soit au combat ou par d'autres moyens. Aussi devait-il tout faire pour que le Chevalier de Bronze ne soit pas mis en danger de mort, que ce soit par un de leurs ennemis mortels désormais légions... Ou par lui-même, car il ne pouvait y avoir adversaire plus redoutable. Ce qui avait pu lui passer par la tête, nul n'aurait su le dire, mais il était indéniable qu'une idée y avait germé durant cet édifiant discours. Après un regard en coin vers son trône, il tourna les talons et en prit la direction. Et si la concentration pouvait encore se lire sur ses traits, son ton n'en était pas moins empreint de résolution.

- Suis-moi.

Sans se soucier que l'oiseau de feu suive ses pas, en partie car il était certain qu'il le ferait faute d'avoir une raison de contester, il gagna son siège... Et le dépassa sans même un regard. Une main habile repoussa les rideaux rouges en tissus précieux et il le franchit, incitant son interlocuteur à en faire de même par ce fait. Une marche silencieuse devait les mener au pied de la statue d'Athéna, aussi haute que majestueuse - bien que ce ne soit encore qu'une infime partie de la grâce que respirait la véritable déesse, pensa Arsiesys. Sans mot dire, il s'en approcha et sa main effleura la surface du bouclier de pierre que tenait cette figure de pierre. En un instant, un vif éclat en jaillit jusqu'à l'horizon. Depuis cette allure factice, même si fidèlement imitée, le pavois adopta des dimensions plus modestes, perdant en taille ce qu'il gagnait en authenticité au fil des secondes. Enfin, sa couleur cireuse passa à l'or le plus pur et ses gravures émirent une lueur surnaturelle. Sa facture était divine, à n'en pas douter, et pour cause : ce bouclier était l'attribut d'Athéna en personne, emprunté pour l'occasion. Le manipulant avec difficulté - ses proportions demeurant non négligeables en dépit des changements opérés - le Pope le tourna face au Phénix pour qu'il puisse se mirer à sa surface. Le halo léger qui s'en dégageait les enveloppait d'une chaleur douce et apaisante...

- Ceci est le bouclier d'Athéna. Nous ne sommes qu'une poignée à savoir qu'il est ici au Sanctuaire, même parmi les Chevaliers d'Or. Si j'ai choisi de te mettre dans la confidence, c'est parce qu'il détient le pouvoir de vaincre le mal en chacun de nous et de le chasser où qu'il se trouve. Cela vaut également pour le démon qui réside au fond de ton âme. Si tu devais perdre le contrôle, viens me rejoindre et j'emprunterai sa force pour t'en délivrer. Néanmoins, j'ignore les conséquences que cela pourrait avoir sur toi, aussi je te demanderai de ne le faire qu'en dernier recours.

Ceci étant dit, il le remit à sa place non sans être sûr que son vis-à-vis avait assimilé chaque détail. Il suffisait de s'imprégner de l'aura qu'il dégageait pour savoir que cet écu était bien celui de leur divinité et que nul ne devait mettre la main dessus. Aussi veillait-il à ce que personne ne s'en approche sans être en sa compagnie. Or, tirer profit de ses capacités voudrait dire faire retentir sa signature spirituelle aux quatre coins du monde tant l'énergie dégagée serait grande. Et nul doute qu'il pourrait faire l'objet de bien des convoitises.

- Reprenons, si tu le veux bien. Je ne vais pas te mentir, je ne t'ai pas fait venir que pour te montrer ceci. Maintenant que nous sommes en extérieur, nous pouvons combattre sans risquer d'endommager le palais. Je souhaiterais que tu fasses brûler ton cosmos à son paroxysme et que tu m'attaques de toutes tes forces. Ce n'est qu'alors que nous pourrons continuer.

Le bouclier d'Athéna. Elisa en restait bouche bée. Surtout lorsqu'il apprit la signification et le pouvoir de ce dernier. S'il existait bien un point sur lequel notre chevalier n'était pas encore totalement rassuré, c'est bel et bien celui de la réapparition de son double. Antares l'avait aidé à le canaliser, en faisant une force plutôt qu'une faiblesse. Mais il est vrai que le doute persistait dans le cœur d'Elias. Un doute qu'il ne pouvait écarter d'un simple revers de la main tant les conséquences pouvaient être catastrophiques s'il se laissait déborder. Pourtant en ce jour, Arsiesys venait de lui montrer un moyen efficace d'exorciser sa peur. Ou du moins son double s'il reprenait les devants sur lui. Une ceinture de sécurité en quelque sorte qui pouvait le préserver lui et son intégrité. Et en quelques instants, la confiance regagna l'esprit du Phénix. Si elle n'avait pas totalement disparue, il avait gardé des réserves. Mais même ces dernières venaient de s'envoler en repensant à cette protection divine.

Il y aurait des conséquences, bien sûr, mais elles ne pouvaient être pire que celle de se laissait avaler par sa propre culpabilité. Rien ne pouvait être plus grave que de se perdre. Surtout lorsque l'on se savait investit d'une mission aussi importante que la sienne. Alors que le Grand Pope poursuivait ses propos, Elias reporta son attention pleine et entière sur ce dernier. Il était reconnaissant en cet homme de lui faire autant confiance. Il n'était pas Grand Pope sans raison après tout et c'était un véritable gage de respect qu'il lui fournissait à l'heure actuelle. Ainsi donc il voulait voir une attaque puissante du jeune homme. Il désirait voir son cosmos brûler de mille feu avant qu'il ne se rue sur lui.

Et bien il serait servi. Si Elias n'appréciait que moyennement d'être obligé d'user de ce pouvoir contre le Pope, il se savait dans l'obligation d'obéir s'il désirait s'élever à un niveau supérieur. La mine grave, il avait déjà prit sa décision. Il s’exécuterait et son attaque serait l'une de ses plus puissantes. Et quoi d'autre que la technique que lui avait enseigné son maître, Antares du Scorpion, pour prouver qu'il prenait au sérieux les recommandations du Sagittaire ? L'Antares, du même nom que son porteur, serait le symbole de son évolution. Le pont qui lui permettrait de passer cet abysse qui séparait un Silver Saint d'un Gold Saint. Et il l'emprunterait avec autant d'assurance qu'il était revenu seul du monde des Morts.

Peu à peu, alors qu'il abandonnait toutes réserves pour la première fois depuis longtemps, il laissait son cosmos l'envahir complétement. Son aura gagnait en intensité alors que des flammes apparaissaient autour de lui. Ces dernières semblaient émaner directement du corps du Phénix, se propageant peu à peu autour de lui. Il y avait une petite séparation entre les deux chevaliers mais cela ne gênait aucunement Elias. Car l'attaque qu'il allait porter ne se limiter absolument pas à la distance. En l'état, le cosmos du chevalier s'embrasait littéralement. S'approcher de lui alors qu'il se trouvait si concentré pouvait être dangereux. Ses iris elles-même semblaient avoir disparues.

Deux ailes apparurent alors dans son dos, se déployant de part et d'autre de son corps, tandis qu'il se servait d'une impulsion pour se projeter en hauteur. Se stabilisant brièvement dans les airs, il ne murmura qu'un mot. Unique mais emplit de pouvoirs.

- Antares !

Et il se laissa tomber en pic. Pied en avant. Directement sur le Grand Pope. L'illusion qu'un phénix tombait sur sa proie apparut, griffes dehors, prêt à frapper sans distinction aucune. La plus puissante attaque du Phénix qui, si elle portait, emporterait les flammes purificatrices directement sur l'âme de sa cible. Une attaque mortelle qui était capable de brûler chair comme âme, sans distinction aucune. Une attaque qui se servirait de la colère et de la haine comme essence. Il avait souhaité voir Elias frapper à pleine puissance. Il serait servi.

Elias avait obéi sans discuter. Qu'il soit prêt à exécuter les ordres sans se poser la moindre question prouvait qu'il avait toute confiance à lui. Et Arsiesys devait avouer en tirer une certaine fierté, non pas que sa volonté soit faite mais d'avoir sous ses ordres un tel modèle de loyauté. L'Antares était d'une puissance dantesque qu'il ne connaissait que trop bien pour l'avoir déjà éprouvée par le passé. Avant d'être le mentor du Saint du Phénix, celui du Scorpion avait été son compagnon d'entraînement. Et si la forme en était légèrement différente, le principe demeurait identique. Ainsi, le Grand Pope pu mener à bien ce qu'il avait en tête depuis le début. Contenir la puissance de l'attaque et la renvoyer à celui qui l'avait portée. Il n'aimait guère user de ce genre de stratagème, trop fourbe pour convenir à un homme d'honneur tel que lui, mais c'était indispensable à la réussite de son plan.

De plus, le but n'était pas de nuire au Chevalier de Bronze mais uniquement à sa protection, qui éclata comme du verre dès lors qu'il reçut de plein fouet cette riposte inattendue. Tout s'était passé à la vitesse de l'éclair – car, fort de l'expérience de nombreux combats, Elias était parvenu à se hisser à la rapidité d'un Chevalier d'Or. Le Sagittaire se garda bien d'en faire la remarque cependant, car il y avait encore du chemin à faire avant qu'il puisse se considérer leur égal et ils n'avaient à présent plus le temps de souffler. Diminuant d'un cran la cosmo-énergie qui émanait de lui au point de le faire luire comme un second soleil, il contempla les débris de ce qui avait été l'armure du Phénix. D'ordinaire, un tel spectacle n'aurait pu que le peiner, mais il savait que dans le présent cas elle n'était morte que pour mieux renaître. Parfois, les choses doivent être détruites pour être reconstruites, disait l'adage, et cela n'avait jamais été aussi vrai que pour les armures des chevaliers sacrés.

- Je m'excuse de ne pas t'avoir prévenu, mais je ne le pouvais en aucun cas. Cela peut sembler paradoxal, mais l'étape suivante consiste à détruire ton armure. En d'autres termes, à briser les apparences. Après tout, celle-ci n'est qu'un symbole. L'important était de l'obtenir, pas de l'utiliser. À l'origine, les armures permettent de compenser le fait que, si nous, manieurs de cosmos sommes capables d'augmenter notre force à l'infini, nos corps, eux, restent mortels. Mais ces protections sacrées, symboles de notre appartenance à l'ordre des chevaliers de l'espoir, ne peuvent en vérité être brisées que par notre propre faiblesse comme notre volonté ne peut être brisée que par nos propres doutes.

Aussi, si Arsiesys n'avait menti à aucun moment, il éprouvait également cette peur qui pour sa part serait passée sous silence afin de ne pas inquiéter inutilement Elias. S'il se sentait perdre pied et ne pouvait plus sortir la tête de cette eau boueuse de la dualité sans assistance, alors il le libérerait des chaînes de la damnation, quel qu'en soit le prix. C'était ce qu'Athéna aurait voulu. Il put alors se désintéresser pleinement du bouclier pour en revenir au Bronze Saint qui désormais avait été dépossédé de son armure, ce qui devait à n'en pas douter lui procurer une curieuse sensation. À ses côtés, il avait mené bien des batailles, et elle avait été renforcée par le sang d'un Chevalier d'Or – celui de son maître. Pourtant, elle venait de voler en éclats comme si de rien n'était. Non pas par la force du Grand Pope, mais par la sienne qui lui avait été retournée sans perdre de sa puissance en cours de route. Tout dans les mots d'Arsiesys sonnait juste et il devait déjà le savoir, car jamais il ne proférait de paroles qui ne soient pas empreintes d'une profonde sagesse.

- Nos combats ne visent pas qu'à vaincre nos ennemis, mais aussi à anéantir nos hésitations, à pallier aux défauts qui nous caractérisent. Nous luttons contre nous-même pour devenir meilleurs. Notre vraie force n'est pas dans le palpable, nos armures, mais dans l'impalpable que sont nos valeurs et la paix pour laquelle nous nous battons. Nous sommes prisonniers de nos peurs et de nos doutes. Nous mettons notre vie en jeu pour protéger Athéna. À tout moment nous risquons de frôler la mort. Si cela devait nous arriver, nous devons savoir si nous sommes prêts à recommencer. Si même en ayant conscience de cette réalité, elle ne nous détournera pas de nos idéaux. Nous devons vaincre la peur de la mort pour nous libérer de cette prison intérieure. Tu es le phénix, l'oiseau immortel, mais je suis certain que tu comprends ce que je veux te dire.

Les pièces d'armure couvrant son bras droit se détachèrent pour faire apparaître sa peau pâle, nue sur cette partie du corps à l'exception de quelques bandages. Sans plus attendre, il les détacha de manière à accéder à son avant-bras, lequel se révéla être couvert de cicatrices. La plupart étaient fines, et avaient presque disparu avec le temps. L'ongle du pouce y creusa une nouvelle entaille et bientôt, un filet de sang écarlate s'écoula de son poignet. Habituellement, une telle tâche ne pouvait être accomplie qu'à l'aide de sang divin, mais comme le voulait la légende il était presque l'égal d'un Dieu. Il était donc en son pouvoir de conférer à Elias un rang supérieur à celui qu'il avait pu posséder jusqu'alors. De percer les secrets que la cloth du Phénix cachait en son sein à l'instar de ses semblables et la convaincre d'en faire la confidence à son propriétaire. Rares étaient les débris de l'armure à ne pas avoir quitté Elias dans l'explosion, mais c'était sans importance : bientôt, elle renaîtrait de ses cendres, et cette fois pour ne plus être brisée. Il aurait pu lui en faire la promesse. Soudain, Arsiesys se sentit en proie à une extrême faiblesse et blêmit ; pour autant, il ne fit rien qui aurait pu gêner le rituel. Ce n'était pas le moment de faiblir, car la réussite de cette opération reposait sur sa mise à contribution. Aussi poursuivit-il son discours, quoique de manière un peu plus laborieuse qu'auparavant.

- Tu dois t'affranchir de toutes tes faiblesses pour t'élever au sommet de ta force, et tu te retrouveras alors bloqué par une autre limite : celle de ton humanité. Tu auras beau devenir de plus en plus fort, tu ne seras jamais un dieu. Mais tu peux répliquer à l'immortalité des dieux par la capacité des Chevaliers à fusionner leur cosmos avec l'univers, acquérant ainsi ta propre immortalité. C'est d'autant plus valable pour toi. Tu dois transcender ton humanité. Phénix, prends ton envol et consume tes ennemis avec l'intensité de mille soleils !

Enfin, une lumière blanche et aveuglante jaillit des débris de son armure en réponse au sang qui venait d'y être versé. Instantanément, Arsiesys ressentit une douleur au coeur, à l'endroit même où elle l'avait déjà tiraillé tant de fois auparavant. Il porta la main à sa poitrine pour tenter de la réprimer mais en vain, et se sentit perdre conscience. S'il s'était persuadé que la mort ne lui faisait pas peur, son corps, lui, possédait cette souffrance pour la lui rappeler. Il fut contraint de poser le genou à terre et son cosmos se réduisit soudain à la flamme d'une bougie avant qu'il ne s'effondre, évanoui devant un tout nouveau Chevalier du Phénix.

La surprise était de taille et Elias se sentit défaillir alors que son armure éclatait presque en totalité. Cette fois, sa résistance légendaire n'avait pas été utile. Cette fois, c'est son coeur qui avait été touché directement par ce renvoi d'attaque étrange. Se faire avoir par sas propre technique avait quelque chose d'ironique mais l'heure était si grave que le blondinet n'arrivait même plus à réfléchir posément. La colère qui s'était alors emparé de lui avait été telle qu'il aurait volontiers enfoncé les débris de sa cloth dans la gorge du Grand Pope. Mais fort heureusement, il n'en avait rien fait. Preuve de sa nouvelle maîtrise de ses émotions.

Les explications arrivèrent enfin, sortant le Phénix de cette torpeur qui l'avait envahi. S'il comprenait les raisons, s'il gardait la maîtrise de ses émotions, c'était aussi parce qu'il avait foi en la capacité de régénération de sa cloth. Pourtant même lui pouvait deviner que cette fois, ce ne serait pas si aisé. Car Arsiesys n'avait pas que brisé une apparence. Il avait également entaché l'honneur de ce Phénix parfois si arrogant. Elias connaissait ses défauts mieux que quiconque et se voir ainsi priver de sa protection l'irritait. Il n'avait rien pu y faire et était tombé dans un piège absurde. Un piège qu'il n'avait pas vu venir. L'orgueil était un des défauts les plus importants chez cet homme et il se savait en danger à cause de cela.

Puis peu à peu, il analysa les paroles de cet homme. Comprenant le sens caché de ce plaidoyer. Arsiesys n'était pas de ces sages grisonnants, passant leur temps à prodiguer des conseils inutiles ou à conter des histoires du passé. Jeune, il l'était. Ce qui n'enlevait strictement rien à la sagesse qui était la sienne. C'en devenait même perturbant en vérité. Mais les mots de cet homme trouvait écho au fond de l'âme du Phénix. Comme s'il reconnaissait ces derniers. Comme s'il suivait ces préceptes sans le savoir depuis le départ. Et peut-être que c'était le cas, en effet.

Et l'improbable se réalisa alors. Tout entier à écouter cet homme, il ne comprit que trop tard les actions de celui-ci. Alors qu'il se vidait de son sang, alors qu'il redonnait une vie nouvelle à l'armure du Phénix, Elias sentit au fond de son âme le son d'une cloche étrange, lui rappelant les devoirs qui étaient les siens. La lumière aveugla brièvement Elias qui sentit alors son corps réagir à quelque chose. Le contact familier de son armure se fit de nouveau sentir et lorsqu'il recouvrait enfin la vue, ce qu'il vit lui coupa le souffle.

Là, en lieu et place de l'armure qu'il aimait et qu'il portait se trouvait une nouvelle protection. Familière, il ne pouvait en effet s'agir que de celle qu'il avait choisi. De celle pour qui il se battait depuis le début. Le Phénix était revenu à la vie. Mais doté de nouvelles couleurs. Paré d'or, la puissance allant avec, accentuant alors la propre maîtrise du chevalier de Bronze. Les flammes qui s'échappaient de son être semblaient être le reflet de ses pensées. Jamais encore il ne s'était senti si fort, si puissant. Lui, l'antique Phénix de Bronze, venait de s'élever )à un rang comparable aux chevaliers d'Or d'Athéna. Les mots lui manquaient alors qu'il portait le regard sur le Grand Pope. Ce dernier venait tout juste de tomber au sol, vidé de son énergie. Mais Elias ne pouvait pas le laisser ainsi. Pas après son aide. Il se rua sur lui.

Arsiesys ouvrit les yeux, au sein même du temple du Grand Pope. Prenant sur lui de ramener le chevalier d'Or à l'endroit où il l'avait accueillit, attendant son rétablissement complet. Cela n'avait pas duré longtemps, quelques dizaines de minutes tout au plus. Mais un bandage recouvrait désormais le bras droit du jeune homme, teinté de rouge. Une sorte de pansement de fortune qui avait limité la perte de sang inutile. Il en avait déjà tant fait. Et alors que ce dernier portait son regard sur le nouveau Phénix, tout d'or vêtu, celui-ci posa genou à terre, inclinant la tête ne guise de respect.

- Les mots me manquent pour vous remercier de votre aide et de votre don. Sans vous, je ne serai peut-être pas parvenu à atteindre ce nouveau statut. A partir d'aujourd'hui, je serai votre bouclier. Le dernier rempart qui s'opposera à nos ennemis alors même qu'ils auront balayés les autres défenseurs de notre déesse. Je vous en fait le serments solennel.

Arsiesys aurait beau être gêné ou lui demander de ne pas agir ainsi, il ne l'écouterait plus. Car aujourd'hui, en plus de ses préceptes qu'il ferait respecter, il devenait un chevalier à part des autres. Pas tout à fait un Gold Saint mais parfaitement capable de se dresser à leurs côtés pour lutter contre le mal.

Elias était enfin parvenu à atteindre le rang qu'il convoitait tant.