Le Colisée. Nous voici à Rome, mes chers géniteurs et moi-même. Aujourd'hui est un grand jour : mon père, gladiateur émérite, doit se livrer à un duel pugilistique face à un inconnu tout à fait quelconque, ceci dans le but avoué de gâter l'oeil de l'Empereur lui-même, j'ai nommé César. Rares sont les nobles à se livrer à ce genre d'exercices : d'ordinaire, ils se gardent bien de se mettre en péril. Mais le pater est ainsi capricieux : il ne tolère pas de ne pas participer au spectacle, et ne saurait demeurer sur son séant tandis que des hommes s'affrontent becs et ongles, dans le sang et la sueur. C'est d'ailleurs ce qui participe à son prestige dans l'aristocratie : tous les nobles le connaissent pour son caractère chevaleresque, et l'abordent souvent en utilisant des félicitations comme prétextes d'approche. Aussi, tous savent qu'il ne prône pas la bataille pour résoudre les litiges, territoriaux ou diplomatiques. En fin de compte, mon père et moi avons ceci en commun, que d'apprécier la concurrence, sans pouvoir tolérer la guerre. J'ose croire, tout bien considéré, que nous sommes puérils dans nos âmes, et que notre instinct veuille bien faire la "bagarre", ceci sans jamais causer de désastres : nous aimons le jeu, pas la violence.

Tandis que mon père s'affairait pour son duel, je m'autorisais une brève promenade. Echappant subtilement à l'oeil gardien de ma mère, je me lançais à corps perdu dans une visite de l'effervescence du Colisée. Par ici, des prêtres rendant hommage à Zeus. Par là, des esclaves, cachés dans la foule, puisque certainement présents grâce à une faille dans la surveillance du périmètre. Ailleurs encore, les concours de dandy, galipotant à tout va, s'exerçant dans une discipline aussi compétitive et complexe que le pugilat qu'on appelle la cour des "demoiselles coiffées". Tandis que plus loin, d'autres hommes, tout autant téméraires, embrassaient des calices et vérifiaient la philosophie dualiste de Platon, selon laquelle l'âme et le corps sont distincts : en conséquence de quoi ils désiraient s'assurer que leur âme pourrait supporter des souffrances plus grandes que celles que le corps tolère. Pour se faire, ils s'affrontaient dans des jeux de stratégie après que leur corps ne supporte plus l'ivresse exacerbée à laquelle il avait été soumis. Le Colisée et toute sa pagaille de moeurs loufoques.

Mais je n'aurais jamais imaginé qu'au cours de toute cette zizanie festive ne s'amorce une rencontre extraordinaire, encore plus saugrenue que ne pouvait l'être n'importe lequel de ces adipeux. Et jamais, au grand jamais, je n'aurais voulu la faire...

Le Colisée. Le voici à Rome, Octavius et ses chers géniteurs. Aujourd'hui est un jour ordinaire : une nouvelle journée de jeu, de combats et de morts. Un spectacle que le jeune garçon, d'à peine une dizaine d'années, sait apprécié sans partager la ferveur presque malsaine des hommes et des femmes autour de lui. Si chacun crie et hurle, mange et boit, Octavius reste digne et promène son regard curieux et émerveillé sur l'arène et dans les tribunes. C'est une toute autre représentation que celle de la plèbe romaine : les gladiateurs peuvent fasciner les hommes en mal de violence et les femmes intriguées de la mort, Octavius lui se plait tout autant à observer ceux-ci. Là, un vieillard qui agite le poing, tournant un regard embrasé vers la foule comme pour les transcender de ferveur, meneur grabataire d'une armée de spectateurs. Ici, un jeune homme entre l'enfance et la maturité, cherchant du regard quelqu'un puis, le sourire aux lèvres, se levant pour attirer l'attention d'une jeune fille ; celle-ci aurait d'ordinaire attiré tous les regards, si ceux-ci n'étaient pas braqués sur le thrace qui venait de mettre au sol son adversaire, attendant le verdict de l'Empereur. Celui-ci était d'ailleurs l'objet de nombre de coups d'œil de la part d'Octavius : il s'imaginait quel homme devait être l'individu le plus puissant de Rome. Les Aelii étaient déjà une famille de petite noblesse et jouissaient pourtant d'un luxe que ne pourrait imaginer les plus pauvres des Romains, alors qu'est-ce que cela devait être pour l'Empereur lui-même !

Vint dans l'arène celui qui était appelé Félix. Et cet homme intéressait tout particulièrement Octavius, plus encore que tous les autres gladiateurs. Dire qu'il n'était venu que pour le voir combattre, lui, était exagéré, mais il fallait reconnaître que sans ça, il aurait hésité à pénétrer le Colisée. Alors à présent, il ne voulait rien manquer de son combat.

« Mère, puis-je me rapprocher ? »

Celle-ci posa sur lui un regard glacé : elle n'était pas là par plaisir, mais pour accompagner son mari et faire bonne figure auprès des nobles venus assister au spectacle. Si le nom des Aelii n'était plus aussi prestigieux qu'avant, il fallait préserver les apparences et faire comme si c'était le cas. Cela passait par une présence aux combats. Mais le père d'Octavius, à qui il devait son nom, était de toute évidence venu avant tout pour les affrontements, car il s'était rapidement éclipsé pour commenter les passes avec ses amis – et parmi ses amis, on comptait justement peu de nobles. La mère d'Octavius acquiesça de la tête, sans même prendre la peine de lui dire d'être prudent. Elle le savait prudent.
Se levant et disparaissant en courant, le jeune garçon gagna un escalier pour descendre de quelques gradins et s'approcher. Sa famille avait encore la permission de siéger dans l'immum, réservé aux familles riches, mais devait se contenter des sièges les plus élevés et les plus éloignés de l'arène. Autant dire qu'Octavius ne pouvait rien voir ! et c'est pourquoi il dévala quatre à quatre les marches, perdant pour quelques secondes de sa superbe. Emporté dans son élan, il manqua de renverser un autre garçon.

« Oh, attention ! s'exclama-t-il en l'évitant de justesse. Pardon, ca va, rien de cassé ? Oh, attends, viens, Félix va combattre ! »

Ne cherchant même pas à savoir qui il était, au moins de quelle classe il faisait partie, Octavius l'attrapa par le bras et, comme à son habitude, le considéra aussitôt comme un ami. Une ouverture d'esprit qui pouvait à la fois prêter à sourire et à s'interroger. Percutant la rambarde de pierre qui coupait les deux garçons de l'arène, Octavius chercha du regard le gladiateur qui l'intéressait tant.

« Là ! C'est lui, le sagittarius ! Celui avec l'arc ! On dit qu'il est si chanceux que ses flèches toucheraient leur cible dans une tempête alors qu'il aurait les yeux fermés ! »

En plein coeur de cette opulence exacerbée, je suis soudain heurté par un corps solide dont la précipitation prête à penser que quelque chose d'important s'annonce. En y songeant à nouveau, je n'apprécie pas d'évoquer Octavius comme un "corps solide", mais soit. Le choc a été si soudain et inattendu que je me suis imaginé tout d'abord être l'obstacle de l'escapade d'un des gueux entrés là par effraction, mais mon hypothèse invalide est vite engloutie par une réalité concrète qui me présente un jeune garçon d'un âge semblable, à priori, au mien, et qui s'avère totalement enthousiaste à l'idée de pouvoir me faire partager une expérience palpitante. Abasourdi puis hâpé par ce dernier au travers d'une foule qui rit aux ébats mais nous enquiquine à souhait dans notre progression vers les meilleurs places de spectateurs, j'arrive bientôt aux loges des nobles privilégiés, pièce du Colisée que d'ordinaire ma mère m'interdit formellement de rejoindre. Me voici donc malgré moi embarqué dans une aventure désinvolte dont je paierais certainement tôt ou tard le crime d'y avoir cédé. Néanmoins, le culot de mon compagnon de fortune à m'entraîner dans ce train d'effervescence (c'est un anachronisme, je le sais mais je vous... !) m'invite à profiter de notre délinquance chronique pour braver des interdits accablant, et m'ouvrir des ailes d'albatros, me sentant devenir comme la réincarnation sublime de l'aède Homère. Enfin un petit peu.

Que le hasard est curieux, et que la surprise est bonne de prime abord ! Celui-là que je côtoie désormais s'avère amoureux de légendes, à mon instar, et me décrit le Félix comme une flèche unique, qui saurait deviner sa cible, partant d'elle-même et retrouvant son chemin vers sa cible comme un Ulysse cherchant avec ardeur à revenir à sa terre natale. Emballé par l'euphorie qui gagne mon nouvel ami, et tout excité comme lui d'assister au combat, je me découvre en proie à la quintessence d'une sorte de zizanie étouffée, et j'attends avec impatience de pouvoir assister aux prouesses du gladiateur !
De notre harmonie dans le soutien de notre appétence oculaire, une sorte d'énergie connivente se dégage de nous. Quelque chose de spirituel, une force intrinsèque propre à chacun émane de nos deux corps et se conjugue jusqu'à nous accueillir dans une atmosphère unique. Nous voici tous deux au paroxysme de notre exubérance, comme si nous étions à nu, et en y repensant, ça ne devait pas déplaire à Octavius...
Soudain, le sagittarius passe à l'action, et commence à bander son arc. Seulement, son antagoniste étant d'ores et déjà au courant, de part la notoriété du tireur, de sa dextérité visuelle, il s'est résolu à jeter immédiatement une hache qui manque de justesse notre héros. Ce dernier, n'ayant pas prévu le coup, tire sa flèche dans les cieux.

Octavius et moi sommes ébahis, stupéfaits. Ce qui vient de se passer nous glace le sang. La flèche, comme apostrophée par notre zèle, est retombée du ciel en se dirigeant droit sur nous deux. Elle a déchiré notre petit nuage de fantasmes belliqueux et s'immisçant à la jonction de nos énergies exergoniques (anachronisme encore j'ose penser...). Mes mathématiques sont tout à fait démises de leur logique. Le projectile, d'après mes pronostics, retombait de toute évidence sur le terrain, vers d'autres tribunes ; en l'occurrence, celles où ma mère se situait. Mais il semble que notre duo ait transcendé sa trajectoire, et n'ait conduit la pointe de l'engin jusqu'à nous. C'est phénoménale, absolument inattendu. Seulement, ceci attire les regards, et je devine que ma mère jette actuellement un oeil sur notre position. Je n'ai d'autre choix, par effroi, que de me retirer aussi rapidement que possible, fuyant le jugement alentour, et tentant de trouver refuge dans l'oubli envisageable que le public dévoilera à la reprise du duel.

[HJ : Je m'excuse d'être aussi long à répondre, mais en ce moment je passe presque l'entièreté de mes journées à travailler sur le Calculateur, et j'ai du mal à trouver le temps/la concentration/l'énergie de RP ^^ J'essayerai d'être un peu plus réactif !
Oh, et au passage, je t'ai esquivé et pas heurté dans le RP ! ;P /HJ]



Félix était rentré sous les hourras et les acclamations et il répondit à cet accueil par de larges gestes, bras ouverts ou tendus vers la foule, un sourire discernable jusqu'aux plus éloignées des tribunes aux lèvres. Il semblait comme embrasser chacun d'entre eux, chaque personne ayant le regard vissé sur lui et l'encourageant. C'était cette bienveillance, en plus de sa chance, qui faisait de lui l'un des combattants les plus en vue du Colisée. Et également un homme intouchable. Même s'il perdait contre un adversaire, il n'avait pas à craindre pour sa vie : sauf accident – ou complot de coulisses – il ne périrait pas tant qu'il serait aussi populaire. L'on disait que le meilleur moyen de ne pas mourir au Colisée, c'était d'être aimé du peuple. On pouvait croire que Félix ne mourrait jamais.

Octavius n'accordait pour l'instant pas un regard à celui qui se trouvait à côté de lui. Il avait pensé, pendant une seconde, qu'il avait fait venir un parfait inconnu parmi la haute société – autour d'eux, riches marchands et nobles étrangers profitaient du spectacle avec un calme complètement opposé à celui du peuple – et qu'ils pouvaient tous deux le payer cher, mais la vision furtive qu'il avait eu du jeune garçon prêtait à penser qu'il n'avait pas l'air trop pauvre pour pouvoir faire partie de cette haute assistance. Octavius s'en serait bien assuré, si Félix ne s'était pas engagé dans son premier combat de la journée. Nulle question de le quitter des yeux maintenant.

Ils se trouvaient au centre même de l'arène, Félix face aux deux garçons et, devant lui, un Parmularius. Semblable au Thrace, il portait comme lui un petit bouclier, un casque intégral et deux hautes jambières. Octavius se souvenait de l'avoir déjà vu combattre sans se rappeler son nom : c'était un combattant moins noble que Félix, moins charismatique aussi, du genre brute assoiffée de sang ; du moins c'était ainsi que se le figurait le jeune Romain. Leur positionnement n'était pas dû au hasard : se retrouver ainsi tous deux, face à face, en plein milieu du Colisée, au regard de tous, ce n'était pas une rencontre aléatoire. Savoir ensuite si le résultat serait décidé par le talent ou un arrangement, Octavius ne le pouvait.
Félix ouvrit les hostilités en décochant une flèche mais le Parmularius avait anticipé cette attaque et prit le Sagittarius de court : lâchant sa dague courte il empoigna une hache de lancer et la projeta de toute sa force herculéenne sur son ennemi. Félix fut surpris et, bien qu'il réussit à éviter le projectile qu'on lui lançait – un comble, songea Octavius –, sa flèche partit loin au dessus de sa cible. Elle vola et vola... puis changea de direction...
Était-ce le vent ? Peut-être que, à la hauteur qu'elle avait atteint, les vents tourbillonnaient ? En tout cas, le trait quittait sa trajectoire rectiligne et pivota, peu à peu, vers Octavius et son compagnon. Le jeune homme n'eut même pas à reculer : il sentait qu'il n'allait pas être atteint. Le carreau tomba dans un sifflement et un clac! retentissant juste à côté de lui... là où aurait dû se trouver celui qu'il avait entraîné jusqu'ici. Même si le jeune noble était la cible de regards étonnés et affolés – il entendit vaguement un "Il aurait pu être embroché mais il n'a pas remué d'une oreille !" – il ne s'en inquiéta pas ; parcourant les alentours, il chercha celui qui lui a fait défaut. L'inquiétude avait pris le pas sur la fascination qu'il avait pour Félix.
Octavius reconnut la tignasse noire qu'il avait entraperçu lors de sa rencontre avec l'inconnu qui lui avait fait faux bond. Il s'approcha, presque bondissant, un sourire aux lèvres.

« Eh bien ? Tu m'abandonnes ? Moi qui espérais pouvoir profiter du spectacle avec quelqu'un de mon âge ! Si c'est la flèche qui t'a fait peur, tu n'avais pas à t'inquiéter : elle ne nous aurait pas touchés. Étrange course que celle qui l'a menée à nous. Je suis Octavius Aelius » ajouta-t-il sans autre forme de politesse : se présenter suffisait bien assez à cet âge-là.