Si beaucoup ne voyaient pas le culte du Dieu Unique d'un très bon oeil, Arsiesys l'appréhendait pour sa part avec quiétude. Sa philosophie se résumait à dire que c'en était ainsi parce que le panthéon l'avait bien voulu, sans quoi ils se seraient déjà manifestés pour rappeler aux hommes leur existence. Ce n'était que la marche logique des choses de laisser les hommes encenser ce en quoi ils veulent croire plutôt que de leur dicter une ligne de conduite. Et c'était afin de leur concéder une plus grande autonomie qu'ils s'étaient retirés des affaires terrestres et laissaient à présent l'humanité faire ses choix. Et le Grand Pope voyait un intérêt certain à étudier cette nouvelle doctrine plus en détails pour suivre ce qu'en faisaient ses instigateurs. À ce rythme, une génération qui ne croit plus qu'en un Dieu omnipotent et omniscient verrait bientôt le jour. Et il était curieux de voir comment elle s'en sortirait après avoir fait abstraction de cette vérité qu'ils avaient sue autrefois et qu'ils avaient choisi d'oublier. Oui, tout cela l'intriguait au plus haut point et il n'était pas rare de le voir se mêler aux fidèles de ce culte afin d'en apprendre davantage en sa qualité d'amateur.

Pas question de reconversion pour lui, il était bien trop impliqué dans ce conflit intemporel que pour pouvoir retourner sa veste. Ce serait faire preuve d'hypocrisie que de renier les dieux alors qu'on chemine chaque jour à leur côté. Mais il ne saurait mentir sur la curiosité que ces croyances éveillaient en lui et il aimait à se tenir informé pour connaître l'évolution de la situation. Et si Rome comptait mille et une merveilles c'était avant tout le berceau de cette religion naissante et son séjour était de ce fait l'occasion rêvée pour en profiter. Si les enjeux qui l'avaient mené jusqu'à la capitale de l'Empire était d'une gravité que seuls les élus pouvaient envisager, il n'en était pas moins pieds et poings liés avant que ses visions ne se confirment. Et puis, le trajet n'était pas des plus faciles et ils avaient bien mérité de se ressourcer avant de reprendre la route ; un brin de tourisme n'était pas nécessairement une mauvaise chose. Car à vouloir rejeter les dogmes en lesquels ils avaient cru autrefois il se pourrait bien que ces hérésies aient un impact sur la Guerre Sainte se profilant à l'horizon.

Et s'il devait être soucieux, c'était bien de cela. Comment imputer la faute d'éventuels ravages à des entités en lesquelles les hommes n'ont plus foi ? La faute leur incomberait et cela pourrait donner lieu à des cas épineux qu'il redoutait par avance. C'était peut-être voir à trop long terme que de se méfier de cela... Mais il ne voulait en aucun cas que des citoyens ordinaires soient mêlés à des histoires qui les mettraient immanquablement en danger de mort. Sur cette pensée, il s'était rendu auprès de l'un des monuments historiques de la cité. La notoriété grandissante que vantaient les croyants n'étaient pas tombées dans l'oreille d'un sourd. Et tout profane soit-il, la beauté de la chose n'aurait pu le laisser de marbre. Si enclin à l'empathie, à la compassion, il ne pouvait que dénoter la grandeur de ces martyrs. Il n'en connaissait que ce que lui avaient appris les livres, et souhaitait en savoir plus – peut-être pourrait-on le renseigner une fois sur place.

S'il aurait préféré se mouvoir en civil, le protocole l'obligeait à garder l'habit traditionnel relatif à la fonction de Pope, en plus de se vêtir de l'interminable cape blanche voilant la noirceur de son vêtement. Puis, au loin s'ébaucha l'ombre d'une silhouette connue, et en une seconde se souvint de qui elle était. Son timbre fut cristallin, trop pour être réellement humain, pas assez pour ne pas l'être du tout.

- As-tu déjà entendu le battement des ailes d'un ange ?

En écho, les siennes se déployèrent. Majestueuses, elles occupaient tout l'espace disponible de leur envergure. Leurs reflets dorés n'avaient jamais eu plus belle allure que dans la lueur chromatique que les vitraux leur faisaient parvenir. Les airs bibliques que lui conférait la scène n'était pas sans ajouter à son mystère et nul doute que ce n'était pas une telle attitude qui allait éclairer la demoiselle. Saillant de sa tunique, les ailes du Sagittaire vantaient leur grandeur, muettes mais néanmoins d'une beauté frappante, inaltérable. Les voir si fièrement dressées en faisait une fresque intemporelle, dont on ne pouvait avoir que le sentiment que la réalité en serait affectée si elles venaient à être effleurées par quoi que ce soit d'autre que le vent. Une tentation dévorante en vérité, mais allait-elle y céder ?

- Depuis toujours Saints est notre nom. Plus que tout autre j'en suis proche : vois ces ailes. Inutile de nier l'évidence, nul ne peut contredire ces similitudes. En vertu de cette ressemblance, je me suis engagé à dissiper ces doutes, à connaître d'où nous vient cette identité. Pour ce faire, ceux qui ont reçu cette distinction devront me prêter main-forte. Ainsi, je viens et vois. Leur histoire est aussi la mienne et je ne peux ni ne veux rester dans l'ignorance.

Un discours aussi énigmatique que le personnage en lui-même, mais il n'avait jamais eu la prétention de pouvoir être compris. Depuis toujours Arsiesys était un être à part, on ne peut plus singulier, et il n'était pas dit qu'on puisse un jour en connaître l'origine exacte. Ses lèvres se fendirent d'un sourire aussi bienveillant que chaleureux alors qu'une main se tendait. Le firmament obscur n'allait plus tarder à prendre place, c'était le moment propice. « Emmène-moi », semblait intimer cet appel, serment d'un lendemain différent, d'un ailleurs. Tout en lui était plein de promesses et il ne tenait qu'à elle d'y croire. De vivifiante son aura était devenue aguichante, chant d'une sirène onirique. Le soir n'attendait plus qu'eux pour tomber.