La convocation n'avait pas vraiment surpris Corvus, c'était plutôt le lieu où il avait été appelé qui avait suscité son étonnement. Pourquoi la Maison de la Vierge ? Le sujet de cet entretien, il s'en doutait, serait la menace que représentaient les Titans et leur mystérieux maître. Pour avoir combattu l'un d'entre eux aux côtés de Kahr, à Rome, Corvus était peut-être une source d'information capitale pour le Grand Pope. Pourtant, alors qu'il cheminait vers la Maison de la Vierge, il s'était repassé une fois encore les évènements qui avaient eu lieu durant l'affrontement et une fois de plus, il ne trouvait aucun renseignement capital pour la suite de cette Guerre. Tout au plus le mot "Dunamis" qui restait encore brumeux pour le Chevalier d'Argent. Corvus était, d'une certaine manière, déçu de ne pas pouvoir plus aider Arsiesys à cerner les tenants de cette attaque inopinée. Pour compenser la vacuité des informations en sa possession, il n'hésiterait pas à renouveler ses serments et à rappeler au Grand Pope qu'il était prêt à partir en mission en son nom, à tout instant.

C'est sur le perron de la Maison de la Vierge que Corvus retrouva le Grand Pope. Le retour depuis Rome s'était fait ensemble, mais cela avait été un voyage bien moins détendu qu'à l'aller. La disparition des Oracles et la défaite générale face aux Titans n'avait pas encouragé Arsiesys, Antares et Corvus à discuter ; d'autant plus que la nouvelle d'une attaque simultanée sur le Sanctuaire avait endeuillé le groupe, avec la mort de plusieurs Saints, dont des Chevaliers d'Or. Corvus retrouvait son chef et maître spirituel et malgré les malheurs qui devaient peser sur lui, il gardait cette fière stature, il paraissait toujours aussi peu enclin à la défaite et à la soumission. Malgré la perdition qui semblait s'abattre sur le monde, le Chevalier du Corbeau gardait toujours espoir lorsque son regard se posait sur le protecteur du Sanctuaire.

« Bonjour, Maître Arsiesys » dit-il avec une respectueuse révérence. « Vous avez demandé à me voir. »

Lorsque l'Armure du Sagittaire se déroba pour révéler l'éclat de celle de la Vierge, inoccupée, Corvus comprit. Peut-être tardivement, auraient estimé certains de ses plus ambitieux pairs – après tout, une convocation dans la Maison de la Vierge après la mort de son possesseur, ce n'était pas innocent – mais le jeune homme avait eu l'humilité de ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Si Arsiesys lui présentait l'Armure, c'était que ses suppositions et son espoir presque fou étaient justes. Il tomba aussitôt sur un genou, comme un fanatique. Il l'était presque.
Cette Armure avait quelques jours plus tôt été portée par un Chevalier et elle semblait en deuil. Cette prosternation, elle lui était dédiée à elle comme au Grand Pope. L'Armure de la Vierge... Peut-être celle qu'il se serait cru le moins enclin à porter... non par affinité mais par mérite : elle était la représentation de la pureté, de la proximité avec Dieu, de la vertu... En quoi Corvus pouvait-il prétendre à la revêtir ? Dans ce monde qui changeait d'un jour à l'autre, il était méprisé à cause de ses goûts amoureux, pourchassé à cause de son allégeance à une Déesse considérée comme païenne... La Vierge était la lumière... et lui, le Corbeau, était littéralement enveloppé de ténèbres.

« Maître Arsiesys... Je ne saurais dire si je peux porter cette Armure. Je le veux, comme j'ai toujours voulu protéger de tout mon cœur le Sanctuaire et ses occupants, le monde et ses habitants des dangers qui pèsent dessus. Mais il y a vouloir, et il y a pouvoir. Je ne sais si je suis assez méritant, assez digne de porter l'Armure de la Vierge. Je n'ai pas assez connu Andonis pour oser me comparer à lui. J'ai l'orgueil de penser que je saurais rendre honneur à une Armure d'or que l'on me confierait, par ma dévotion, mon travail et ma puissance. Mais celle de la Vierge... elle demande une grandeur d'âme. Éclairez mon choix. Jugez-moi, Grand Pope. »

Toujours agenouillé, offrant respectueusement sa nuque aux entités face à lui, Corvus sentit alors l'Armure du Corbeau s'animer. Cette sensation ne lui était pas étrangère : elle était si légère que le moindre de ses tressautements était perceptible, plus encore lorsqu'elle s'animait d'une fureur lors des combats. C'était alors comme tenir entre ses doigts un oiseau agité, aux mouvements vifs, paniqué et excité. Mais là, nulle agitation. L'Armure était calme et en mouvement. Corvus posa un regard interloqué sur celle-ci lorsqu'elle se détacha de son propre chef, abandonnant chacun des membres qu'elle aurait dû protéger, tombant avec un éclat métallique au sol. Bientôt ne restait plus que les vêtements légers qu'il portait en dessous de son équipement militaire. Celui qui avait été le Corbeau était perdu. Il vit l'Armure se reformer derrière lui, reprenant sa forme animale primaire. Le Corbeau l'abandonnait ? Parce qu'il avait refusé l'Armure d'or, ou parce qu'il ne méritait même pas l'Armure d'Argent, il ne servirait plus Athéna ?
Un nouvel évènement extraordinaire eut lieu.
De l'abime sombre de l'Armure du Corbeau s'envolèrent une nuée de corneilles qui lui étaient si familiers. Ils s'élancèrent dans les cieux, dans un croassement furieux, et Corvus les observa, à la fois émerveillé, dépité et malheureux. Il les suivit du regard, ne comprenant pas ce manège qui n'avait rien de commun avec leur comportement habituel. Les oiseaux fondirent sur l'Armure de la Vierge et tourbillonnèrent autour d'elle dans une tornade de battements d'ailes. L'éclat doré était à peine perceptible derrière le mur sombre de plumes. L'un des corbeaux, quittant son groupe, s'approcha de Corvus... et se posa sur son épaule.

Le jeune Romain échangea un regard avec l'oiseau... et comprit. Si l'Armure du Corbeau l'avait abandonné... c'était pour l'encourager à revêtir celle de la Vierge. Ce n'était pas le Grand Pope qui avait jugé de son aptitude... mais les Armures elles-mêmes. Il se releva lentement et se tourna vers Arsiesys. Dans les yeux de Corvus se lisait sa perdition. Il avait un peu peur, en vérité... comme si on venait de lui désigner un chemin, vers un destin plus grand que lui... L'Armure de la Vierge. Rien que ça.
Il s'avança d'un pas et comme si cela avait scellé son consentement, l'Armure dorée se démantela et, pièce après pièce, revêtit celui qui avait été Corvus, Chevalier de la Vierge.

Il l'aurait crue plus lourde que celle du Corbeau, mais la différence était à peine perceptible. Une sensation de chaleur l'enveloppait, différente de la précédente Armure, comme si l'or miroitant attirait les rayons du Soleil pourtant couché depuis plusieurs heures. Corvus posa les yeux sur la cuirasse qui couvrait son corps, ses bras, ses mains, faisant danser ses doigts à la lueur de la Lune nouvellement née, se remémorant les mots d'Arsiesys. Toujours cette humilité qui l'honorait. Un modèle dans son genre, même s'il refusait d'assumer ce rôle. Soit. Il passerait l'épreuve que lui soumettrait la Vierge.
La lueur rutilante de l'or gagna peu à peu en éclat, devenant de plus en plus vive à mesure que Corvus observait le nouvel artefact qu'il revêtait. Le Grand Pope voyait-il cette lumière aveuglante qui occupait peu à peu son champ de vision ? Bientôt, il n'eut plus que de du blanc ; du blanc et du silence. La faune discrète du Sanctuaire était muette. La Maison de la Vierge n'était plus. Arsiesys avait disparut. Lorsque la lumière se tamisa, il n'y avait devant lui qu'une silhouette ailée, prosternée, étincelante. C'est avec une voix de femme qu'il entendit l'Armure de la Vierge s'exprimer.

« Octavius Aelius Corvus, Chevalier d'Athéna et Protecteur du Sanctuaire... Es-tu pur ?
– Armure de la Vierge... répondit-il maladroitement, ne sachant quel titre donner à l'artefact divin, je ne pense pas l'être, j'en ai peur.
– J'ai pourtant sondé ton âme, comme l'Armure du Corbeau l'avait fait avant moi et je n'ai trouvé nul vice.
– L'absence de vice ne fait pas la pureté d'un homme, encore moins sa grandeur, Armure Divine. J'ai le vice d'aimer les hommes. De vouloir leur corps et leur amour.
– Vouloir être aimé est un vice à tes yeux ? Ca ne l'est pas aux miens, sinon je t'aurais dit que j'avais trouvé du vice en toi.
– Je suis coupable d'incertitude, de craindre de décevoir Arsiesys le Grand Pope et la Déesse Athéna. La peur est une faille.
– La peur n'empêche pas d'être pur. Tant que l'on a le courage de défendre ce qui est juste. Porter l'Armure de la Vierge est un sacrifice. Elle demande de s'élever, de se placer au dessus des hommes, non par vanité mais par bienveillance. Et tu n'es que bienveillance.
– Je ne suis qu'un homme !
– A qui nous offrons le pouvoir de se rapprocher du divin pour devenir plus qu'un homme, comme nous l'avons fait pour les anciens Chevaliers de la Vierge. Et ce pouvoir doit être donné avec soin. A un homme parfait. Tu n'es pas parfait, Octavius. Mais tu peux le devenir. En t'ouvrant au monde et à l'univers. »

Du néant apparut une immense porte, faite d'or blanc et d'argent, plus étincelante encore que l'Armure de la Vierge. Corvus eut un moment d'hésitation. Plus il s'avança et, posant la main sur le battement, l'ouvrit. L'autre côté de l'ouverture était parfaitement identique à celui qu'il se décida de quitter, d'un pas encore un peu incertain.
La vacuité de l'univers blanc dans lequel il se trouvait se métamorphosa alors. Le paysage blanc infini s'étira et se transforma en un firmament étoilé. Le noir prédominait maintenant, le noir de l'univers tacheté de constellations et Corvus flottait comme un astre au milieu du cosmos. L'Armure était toujours là, agenouillée, comme priant qu'il réussisse. Il sentit, comme sur un autre plan, le contact chaud d'une main posée sur son épaule. Arsiesys.

« Comprends le monde, Octavius, comprends le monde et accepte-le. Deviens la puissance-même. Deviens la sagesse-même. Et frôle le pouvoir de Dieu. »

L'univers changea du tout au tout. Corvus le vit tel qu'il était. Il poussa un cri, mais le hurlement se transforma en murmure dans le monde physique.

Sa lumière était étincelante. Arsiesys dut utiliser sa propre énergie pour en endiguer le flot, afin qu'il ne se propage pas aux maisons suivantes. Le soleil, l'étoile du matin et de l'espoir, avait abreuvé cette armure de sa force protectrice. Sa puissance était égale à celle de ses consœurs. Si son corps était inapte à la canaliser, Corvus en serait pulvérisé. Le Pope aurait eu toutes les raisons d'être anxieux tant le devenir de son élève était incertain. Pourtant, il n'avait aucun doute sur ses chances de réussite et ne pouvait que patienter en attendant que son sort soit scellé. La nuit était tombée depuis plusieurs heures, mais on voyait en son temple comme en plein jour. Non contente de rayonner avec force, la Gold Cloth de la Vierge était entrée en résonance avec la sienne, dont chaque pièce pulsait avec entrain à l'idée de voir sa semblable renaître sous ses yeux. Si elle n'avait pas été brisée, accueillir un nouveau maître était pour elle comme une seconde naissance : elle ne serait plus la même, pas plus que ce ne serait le cas de Corvus.

En symbiose, ils partageraient la même destinée... Jusqu'à ce que la mort les sépare. Et l'archer souhaitait ce jour le plus lointain possible, voulant voir son disciple s'épanouir dans l'exercice de ses nouvelles fonctions. Car pour lui, le doute n'était pas permis : elles lui étaient déjà acquises. Il en était persuadé. En maintenant un contact physique avec le prétendant, il partageait sa vision. Chaque scène lui était révélée avec la même clarté et il en était spectateur, sans que l'intéressé n'en ait conscience. Interférer lui était interdit, sa présence se cantonnait à celle d'un simple observateur. Mais il voulait voir, voir de ses yeux comment le Corbeau allait s'en sortir. Convaincu de sa débrouillardise, ce n'était pourtant pas ce qui lui ferait regretter le souhait d'en être témoin, de le suivre même si ce devait être à son insu. Le temps semblait s'être figé dans la sixième maison, tandis que ses paupières closes ne cachaient qu'un regard vide égal à celui du Silver Saint depuis qu'il était entré en transe. Pourtant, il était sûr que sa voix lui parviendrait.

Si la vérité te traverse, n'essaie jamais de la contenir : laisse-la rugir.

Les bras croisés, il n'était plus qu'une battement d'ailes, un souffle de vent dans le rêve éveillé qui occupait l'esprit hagard de son apprenti. Si le contenu différait, les circonstances lui rappelaient de lointain souvenir, de même qu'à son armure qui en palpita de plus belle. Ce n'était pas une réunion, c'était une fusion. La cuirasse dorée se grefferait sur son corps pour en faire partie intégrante, tout comme l'inverse serait également vrai. Ange gardien silencieux, protecteur vigilant, le Sagittaire n'eut pas un geste pour lui venir en aide. Ce n'était pas son rôle et cette épreuve devait être surmontée par ses propres moyens. Alors que ses pupilles d'azur scrutaient la scène, théâtre de sa renaissance avec un soupçon d'amusement, une pensée lui vint naturellement. L'idée qui, même s'il l'avait oubliée, avait germé dans son esprit quand il avait été l'acteur d'un scénario identique.

Parfois les choses doivent être brisées pour être reconstruites...

Trop, c'était trop, beaucoup trop pour lui, pour n'importe quel homme, et surtout pour lui. Il se sentait écrasé, il suffoquait, les images, les sons, les sensations transperçaient son esprit sans même qu'il ait le temps de les comprendre, trop, trop, trop pour un homme, trop pour lui. Des visages, des rires, des contrées, des galaxies, des parfums, tant et tant de choses, mêlées, emmêlées, fusionnées et disséquées, trop de choses, toutes les choses en vérité. Les intuitions devenaient tactiles, les sentiments embaumaient son nez, des menaces noires chuchotaient à ses oreilles, des milliards de peaux glissaient sur la sienne dans un frisson, il se sentait ouvert au monde, nu, ne possédant plus aucune forme d'intimité, d'existence, d'appartenance : l'univers s'ouvrait à lui et il exigeait qu'il fasse de même, mais Corvus, non Octavius, non le pauvre et simple homme soumis à ce déferlement n'était pas prêt pour ça, pour tout ça, pour tout.

Un murmure lui parvient, à peine discernable parmi tout le chaos ambiant, une voix qu'il reconnait et à laquelle il tente de se raccrocher, presque désespérément ; mais la voix disparait, noyée dans le flot d'informations qu'est l'univers et Corvus se demande juste si c'était bien la voix d'Arsiesys. Dieu qu'il aurait besoin de son aide, en cet instant. Il aurait besoin de l'aide de n'importe qui.
Comme répondant à sa prière, un nouvel appel : plus fort, plus puissant, inarticulé, presque autoritaire. Un croassement. Cette fois-ci, il ne laissa pas cette ancre disparaître avec la marée qui le submergeait. Il se raccrocha au cri du corbeau posé sur son épaule, qui avait dû faire retentir sa voix dans toute la maison de la Vierge. Sauve-moi, pensa-t-il. Sauve-moi de cette Armure.

Mais alors qu'il s'accrochait comme à sa propre vie à l'oiseau salvateur, il sentit peu à peu l'univers s'apaiser. Non, c'était au contraire lui qui s'apaisait. Il n'était plus... noyé par les chants, par les étoiles, par les flammes qui dansaient dans quelque contrée lointaine. Tout trouvait, peu à peu, un ordre. Sa place. Et bientôt, il put contempler l'Univers. Il était spectateur de toute la Création. Il sentait, dans son corps matériel qu'il avait cru perdu, son cœur battre à tout rompre, martelant sur sa poitrine comme pour s'en échapper. La sérénité avait pris la place de la panique. Il vit le monde tel qu'il était.
Les guerres, par dizaines aujourd'hui, par milliers par le passé. Les morts, qui s'amoncelaient, fauchés par la maladie, par l'âge, par la main de l'homme ou de la bête. La cruauté. Le malheur. Le désespoir, la faim. Le deuil, le rejet, la peur. La trahison, l'abus, la cupidité, la jalousie, le mépris, la haine, l'aliénation, la déchéance, le feu, le feu qui brûlait dans le cœur de tous les hommes. En quoi les Dieux pouvaient-ils estimer que ce monde était beau, juste ? Comment pouvaient-ils demander à des hommes et des femmes de se battre pour le défendre ?

« Ce n'est pas ainsi que tu dois voir le monde. »

A nouveau, cette voix qu'il assimilait à celle de la Vierge. Ou peut-être était-ce Dieu lui-même qui s'adressait à lui ? Difficile à dire, tant tout était différent dans ce monde-ci. Il chercha de ses yeux immatériels l'origine de ce qui n'était, en réalité, qu'une onde psychique. Il finit par distinguer, plus luisante que ses consœurs, la constellation liée à l'Armure qu'il portait désormais. Il se sentait rassuré, comme s'il avait quelqu'un de tangible face à lui.

« Pourtant, je ne le vois pas tel qu'il est ?
– Si. Il est ainsi. Empli de mal. Mais ce n'est pas en ne voyant que la tristesse et la douleur que tu sauras mieux le comprendre et que tu seras meilleur.
– Je dois l'ignorer ?
– Non. Je te l'ai dit. Tu dois l'accepter et voir ce qu'il a de bon. Ne voir que ce qu'il a de bon et faire en sorte que tout le reste le devienne. »


Lorsqu'il rouvrit les yeux, l'Armure étincelait encore et après l'obscurité de l'Univers, avec lequel il n'avait fait plus qu'un, l'éclat lumineux l'aveugla. C'était comme une seconde naissance. Le miroitement de l'Armure cessa peu à peu et Corvus trouva devant lui Arsiesys. Sur son épaule, le poids de l'oiseau qui l'avait aidé dans ce voyage. Les pièces de métal sur sa peau irradiaient paisiblement.

« Je... Je crois que ça y est. Que l'Armure m'a pleinement accepté. Et que je l'ai aussi pleinement acceptée. Arsiesys... »

Un sentiment tout nouveau irradiait en lui, comme la découverte d'un nouveau sens, mais celui-ci n'avait rien à voir avec le septième, qu'il avait appris à maîtriser après des années de travail. Non, cette fois-ci, c'était une perception bien plus large des choses, au delà de l'instinct et de l'absorption de l'Univers. Le Septième Sens l'éveillait aux forces qui régissaient toute chose, mais à présent il avait l'impression de les comprendre à un degré bien différent que ce qui avait été son existence jusqu'alors. Comme si on venait de retirer un voile opaque de devant ses yeux, alors qu'il aurait cru voir en plein jour. D'une certaine manière, il se réveillait. Mais de quoi ? Et pour quelle réalité ?

Corvus se saisit de la main tendue d'Arsiesys. Il se serait cru épuisé et incapable de tirer sur ce bras tendu mais lorsqu'il ferma sa poigne sur celle de son Maître, il sentit que ses muscles étaient plein de vigueur. Il réalisa que c'était son esprit qui avait voyagé a des lieues de là, que c'était son intellect qui avait surmonté ce qu'il aurait cru insurmontable. Il se redressa et fut pris une seconde de vertige. Il se ressaisit.

« Nauséeux, répondit-il. Un peu... débordé. On m'a plongé dans un océan et je suis en ce moment-même en train d'apprendre à nager. C'était très étrange. Et d'une certaine façon familier. Je crois que je ne comprendrai jamais réellement ce qui s'est passé aujourd'hui. »

Il détailla l'intérieur de la Maison qui était, comme venait de le dire Arsiesys, désormais sa demeure, son fief, sa responsabilité. Elle avait une toute nouvelle aura désormais. Devenue sienne, il lui trouvait, tout à coup, une élégance, une grandeur et une beauté qu'il n'avait alors qu'entraperçu. Le poids de son Armure se fit soudainement sentir. Chevalier d'Or de la Vierge. Ces mots n'avaient été alors pour lui qu'une figure, presque une métaphore pour un idéal à atteindre. Corvus de la Vierge, l'avait nommé Arsiesys. Il était encore sous le choc de sa nomination ou plutôt de son évolution ; mais il savait que, dans les heures qui viendraient, il serait sujet au doute... pour un temps. Mais pour le moment... il devait savourer sa promotion.

« Merci Arsiesys. Merci de ton aide, de ton soutien. Cette Armure... je la porterai fièrement et je lui ferai honneur. Je ferai tout mon possible pour devenir un légendaire Chevalier de la Vierge. »

Les commentaires de Corvus lui arrachèrent un sourire. Si c'étaient là ses réelles impressions, alors c'était que tout allait pour le mieux. Lui-même n'aurait pas mieux décrit son ressenti au moment où le Sagittaire s'était greffé à lui pour la première fois. La sensation qu'on lui enfonçait la tête sous l'eau, et de ne pouvoir l'en ressortir que quand il aurait appris à se servir des larges ailes qui le feraient voler au firmament. Le cas était quelque peu différent dans la mesure où la Vierge devait offrir une gamme de connaissances bien plus large de par sa science infuse, c'était un fait. Mais il retrouvait dans la description faite par son jeune élève celle que lui-même aurait donné quand il en était encore à prendre ses marques avec sa cuirasse ailée. Que de souvenirs. Encore maintenant, il n'aurait su dire si c'était une expérience agréable ou si, au contraire, il avait détesté ça – tout ce qu'il savait, c'est qu'il aurait souhaité le revivre pour mieux en saisir l'essence.

Mais il se souvenait de l'ivresse du moment, de ce sentiment de liberté qui l'avait assailli de toutes parts, de cette envie de parcourir le monde à vitesse supersonique pour étrenner ces nouveautés. Il aurait pu en faire le tour avec aisance mais avait du s'en abstenir, car mériter ce titre passait aussi par la sagesse et la modération quand il fallait savoir en faire preuve. Cela n'avait jamais été un problème pour lui, qu'on disait si souvent en avance tant sur son âge que sur son temps. Et il doutait fort que son protégé en fasse plus mauvais usage, lui qui l'avait toujours servi loyalement et ce à bon escient. L'éventail de possibilités qui lui était à présent offert était plus que large ; c'était un nouvel horizon qu'il avait à explorer pour en connaître la portée exacte. Arsiesys lui-même n'aurait su le dire, car de son point de vue c'était quelque chose qu'il fallait vivre afin de pouvoir le définir par les mots.

Je n'en doute pas. Tu seras parfait pour ce rôle. C'est ton destin, ton héritage.

Il n'avait jamais pu s'entretenir comme il l'aurait voulu avec Andonis, et ignorait donc la nature de son pouvoir. Peut-être que l'heureux élu que son ancienne armure avait choisi pour le remplacer saurait se montrer plus loquace à ce sujet que son prédécesseur. Chaque chose en son temps : il ne pouvait l'assaillir de questions alors même qu'il reprenait tout juste ses esprits, et devait lui concéder un temps d'adaptation. En accédant à ce savoir infini, il n'était plus tout à fait lui-même. L'ex-Corbeau allait devoir s'accoutumer à ce qu'il était devenu, même si le Sagittaire ne doutait pas qu'il réussisse à rester égal à lui-même. Et ce même si quelques changements devaient s'opérer en cours de route. Néanmoins, le Grand Pope n'avait point le droit de le laisser aller à un repos pourtant bien mérité. Maintenant que la transformation était accomplie, il devait le mettre à l'épreuve. Aiguiser dès maintenant cet esprit neuf en lui soumettant un cas de figure qui l'obligerait à en faire usage.

Depuis qu'il l'avait aidé à se remettre debout, Arsiesys n'avait pas lâché sa main – une information qui devait être passée inaperçu dans le flot abondant qui noyait la psyché de son élève à cet instant. Sans crier gare, un trait de lumière jaillit de la manche opposée, une bourrasque se propageant au sein du temple. Issu de sa paume, il alla percuter le plastron de Corvus, lequel se mit à scintiller d'une lumière aveuglante par réaction en chaîne. Depuis des siècles, ces armures s'abreuvaient des rayons du soleil et en détenaient la puissance. Même s'il en était le plus bel exemple, cela valait pour chacune d'elle et il fallait faire réaliser à son vis à vis la dimension que pouvait prendre cette force indicible. La décharge n'avait pas été assez forte pour le faire reculer, ne serait-ce que d'un pas. En revanche, c'était plus qu'il n'en faut pour ébranler son cosmos instable et mettre en éveil ses sens déjà à fleur de peau. Arborant un fin sourire en total contraste avec le caractère saugrenu de son action, Arsiesys se tint prêt à faire appel à son propre équipement si les conditions s'y prêtaient.

- Désolé de ne pouvoir te laisser te remettre de tes émotions, mais j'ai à vérifier qu'elle et toi êtes bel et bien au diapason. Sans conteste, tu es désormais un membre à part entière du Zodiaque d'Or. Néanmoins, il en va de ma responsabilité d'éprouver ton serment. Ta foi sera ton arme. Y es-tu préparé ? Mon bien cher frère...

Petit à petit, mais de façon si infime qu'elle en devenait imperceptible, Corvus sentait que son esprit s'habituait à assimiler l'afflux de savoirs que drainait dans l'univers l'Armure de la Vierge. Sa métaphore était des plus justes et, encore perdu sans doute pour quelques temps, il bataillait pour arriver à suivre le fil de la discussion qu'il avait avec Arsiesys. D'une certaine façon, la poignée de main qui perdurait entre eux faisait office d'amarre, lui évitant de dériver.

Comme lisant ses pensées, Arsiesys le rappela au monde des vivants. D'une décharge mystique, qui ébranla son cosmos et, étrangement, le stabilisa. Corvus ignorait encore s'il devait lui en être reconnaissant ou non. En tout cas, cela lui remit quelque peu les idées en place. Il resserra son emprise, comme s'accrochant à lui en attente d'une explication... qui vint peu après.

« Très bien... J'avoue que je ne suis pas dans les meilleures conditions pour t'affronter... Comme si j'étais enivré après un repas festif. »

Inutile de perdre plus de temps en ce cas. N'attendant pas un éventuel signal de la part du Grand Pope, il lança les hostilités. Maintenant toujours la main d'Arsiesys, d'une pivotation du bras il lui ficha son coude dans l'orbite. Un coup qui, s'il portait juste, serait à la fois douloureux et handicapant. Lâchant son supérieur, mais plus autant qu'avant, il recula d'un bond, songeant vaguement qu'il s'agissait de son premier combat dans ce qui était maintenant sa maison. Chassant les pensées superflues de son esprit, il prépara sa prochaine attaque.
Il était temps d'user de ses nouveaux dons, qu'il espérait pouvoir au moins manipuler à défaut d'immédiatement les maîtriser. Finies, les attaques à base de corbeaux ; le dernier d'entre eux à lui être fidèle, toujours posé sur son épaule telle la chouette d'Athéna, serait bien dérisoire dans un tel combat. Ouvrant les bras, il semblait pourtant vouloir prendre son envol, comme enveloppant l'espace de larges ailes... l'être et le paraître fondirent et ne firent qu'un et c'est un voile de ténèbres qui tomba sur le Grand Pope. Surgissant des recoins sombres de la Maison de la Vierge, des ombres rampaient vers Arsiesys...

Combattre le Grand Pope lui aurait paru, quelques semaines plus tôt, de l'ordre de l'utopie ou, dans le meilleur des cas, vain. L'écart de puissance était virtuellement tellement grand que cela aurait plus tenu du manque de respect d'oser l'affronter. Chevalier d'Argent qu'il était, il ne pouvait pas, sauf miracle – ou réserve d'Arsiesys – rivaliser avec le messager de la Déesse. Mais tant de choses s'étaient passées. Et voici Corvus, autrefois connu sous le nom d'Octavius Aellius, revêtu de l'éclatante Armure d'Or de la Vierge, affrontant son maître et chef, comptant faire de son mieux pour rivaliser avec lui. Cela semblait tellement irréel qu'il crut voir le temps ralentir...

D'où pouvait venir cette attaque ? C'est la seule chose qu'il put se demander avant de croiser, à la dernière seconde, ses bras devant lui comme ultime protection. Quelque peu dérisoire, alors qu'une vague lumineuse le submergeait, il parvint cependant à repousser une partie de l'assaut. Une démonstration presque terrifiante de la puissance du Grand Pope. Il n'y aurait pas de demi-mesure dans ce combat. Pourtant, Corvus n'était pas encore au mieux de sa forme... et aurait cru qu'Arsiesys le ménagerait. Voilà qui ajoutait à la fois du risque et du challenge à leur pugilat.

« Si tu le souhaites... pour ma part je dois reconnaître que les miens ne sont pas encore à leur plein potentiel. Pour continuer dans les métaphores, je dirais que je me sens comme un papillon émergeant de sa chrysalide. »

Une comparaison qui était loin d'être fausse : il avait partagé pendant quelques secondes, alors que son esprit voguait dans l'Univers à la recherche de tout, l'émergence d'un de ces insectes de son cocon et il avait ressenti, au travers du volatile, la même sensation que celle qu'il éprouvait en ce moment-même : la redécouverte de soi, l'engourdissement... il savait donc que ce ne serait qu'une question de temps avant qu'il retrouve toute sa vigueur d'antan. Inutile d'offrir à Arsiesys une nouvelle opportunité d'attaquer, l'évasion astrale était finie.

« Tu donnes des noms à tes attaques ? J'avais jusqu'alors évité de le faire... Peut-être pour les rendre moins barbares. Mais si je devais donner un nom à celle-ci, ce serait... AETHER ! »

Le corbeau posé sur son épaule poussa un cri strident. Et, jaillissant des mains jointes de Corvus, une flèche fusa vers le cœur d'Arsiesys. Celle-ci irait entraver le point tantrique de l'énergie physique de son adversaire. Voilà qui devrait l'handicaper pour ses prochaines attaques. Mais cela serait loin de suffire il le savait. Profitant de la diversion qu'aurait pu procurer cette attaque, il propulsa une sphère d'énergie, teintée d'un bleu sombre qui rappelait les teintes de ses cheveux, dans le corps du Grand Pope. En implosant, elle ravagerait son corps et libérerait de l'énergie source de vie...

« Je m'en doutais bien », dit-il amusé, en répondant au sourire de son maître.

A quoi bon obliger les Chevaliers à nommer leurs techniques ? Sinon pour un recensement ou pour l'effet de style, cela n'avait pas d'importance. Mais Corvus avait senti quelque chose de différent concernant cette attaque, déjà toute nouvelle pour lui, et qui avait gagné une... une âme serait le mot exact, bien qu'un peu stupide, maintenant qu'il lui avait donné une nomination. Aether. Était-elle par ce biais plus puissante ? En tout cas, elle lui paraissait plus vivante, plus emblématique. Soit. Ce n'était, après tout qu'un nom.

Un nom, cela pouvait cacher beaucoup de choses. Qui aurait cru, quelques décennies plus tôt, que celui de Jesus Christ serait source de tant de discordes ? Et qui aurait pensé que ce nom aux origines obscures, "God Break", serait celui d'une attaque aussi particulière ?
La différence entre les deux Saints était évidente. Nouvellement porteur d'Armure ou pas, Corvus sentait que l'expérience du Sagittaire jouait fortement dans cet affrontement, cela en plus du charisme indéniable qu'il dégageait. Il n'essayait pas pas là de chercher une excuse, ou même de se convaincre pour mieux supporter sa probable future défaite, mais Corvus tâchait d'être lucide, pragmatique ; c'était là la preuve de son humilité. Et s'il gagnait... il y aurait de quoi en tirer une certaine fierté. Ne crions pas victoire trop tôt. Après tout, Corvus vient d'entrer au Paradis.

C'était si incongru qu'il se demanda réellement s'il était mort. C'aurait été un combat bien plus crucial qu'il ne l'avait cru. Et puis, il comprit qu'Arsiesys ne l'aurait pas aussi simplement et facilement tué, volontairement ou non. C'était une de ses attaques. Mais... à vrai dire, peu importait. La magie de l'endroit éclipsait toute réflexion, tout calcul. Il n'y avait qu'à apprécier l'endroit, profiter de l'instant... L'Univers et sa noirceur complexe venait d'être chassé par cette blancheur immaculée, pure, élémentaire. L'attention de Corvus fut attirée par des lucioles, qui s'envolaient, semblant le fuir. Il comprit bientôt que ces particules se détachaient en réalité de son corps. Cela le ramena à la réalité.

Retour à la Maison de la Vierge, son fief, souillé par l'attaque du Grand Pope. La lumière s'est éteinte et Corvus est pendant quelques secondes aveuglé. Il n'a rien pu faire. Victime dorée de l'assaut cosmique, qui l'avait laissé chancelant. S'il n'avait pas absorbé un peu d'énergie à Arsiesys, le bilan aurait pu être beaucoup plus grave. Il avait encaissé le choc. A son tour de rendre la pareille.

« Continuons. »

Nouvelle flèche dorée, nouveau point tellurique visé. Ce serait le temps qui rendrait ce mitraillage efficace. L'aurait-il ? Il espérait en tout cas pouvoir aller jusqu'au bout de cet enchaînement, dont il ne connaissait même pas lui-même, pour l'heure, l'ampleur de sa puissance.
Ajoutant à cette entrave, Corvus se concentra, comme stoppant le temps. Ses longs cheveux sombres semblaient danser derrière son dos. Le corbeau sur son épaule battit des ailes et, lorsqu'il poussa un croassement...

« NEUTRINO. »

... la Vierge solidifia ces particules immatérielles, qui traversaient toute matière, Gold Saint compris. Un épais caillou d'énergie noire qui prendrait place dans le ventricule droit de son adversaire, une attaque mortelle pour le commun des mortels, douloureuse et meurtrissante pour le Grand Pope. Mais contre un tel adversaire, ces deux techniques ne suffiraient pas. S'élançant, Corvus abattit son poing sur la mâchoire d'Arsiesys.

Arsiesys se sentait étrangement serein. Était-ce l'aura de Corvus qui l'influençait de la sorte ?

En un sens, il était jaloux de son disciple. Car s'il pouvait suivre ses rêves et profiter des mots, jamais il n'atteindrait la vérité. En sa qualité de philosophe, il regrettait de n'avoir pas eu droit à ce privilège, mais appréciait que ce soit une personne si proche qui en bénéficie. Partagé entre ces sentiments contradictoires, il n'était que plus heureux de lui avoir fait ce cadeau. S'il ne l'avait pas reçu lui-même, c'était qu'il n'en avait pas l'étoffe, voilà tout. Il avait d'autres qualités qui faisaient de lui un admirable Sagittaire, même si pour rien au monde il ne voudrait l'avouer. L'ancien Corbeau était un élève studieux, pour ne pas dire exemplaire, mais même si son ascension avait été fulgurante il n'en restait pas moins un novice en terme de chevalerie. Il lui restait beaucoup à apprendre, car même avec tout le soutien de l'armure de la Vierge, il lui manquait l'expérience.

Celle que l'on ne peut acquérir que sur le terrain, à la force de ses poings et alors que la bataille fait rage. Celle-ci n'était qu'un entraînement, une préparation à ce qui l'attendrait une fois que la Guerre Sainte serait déclarée une fois encore. Lui aussi serait alors exposé au danger au milieu d'un conflit où la mort pouvait le guetter à tout instant, et il ne dépendrait plus que de lui d'assurer sa survie. Les Golds Saints sont des meneurs d'hommes, des généraux, des chefs de guerre. Si on pouvait couvrir ses arrières pour qu'il ne trépasse point d'un couteau dans le dos, ce serait à lui de se superviser, mais aussi de prendre la tête des opérations si cela devait s'avérer nécessaire. Arsiesys ne pouvait être sur tous les fronts et ils étaient ses hommes de confiance, appelés à le seconder en toute tâche et plus encore une fois qu'il faut prendre les armes.

- À ta guise. répondit-il dans un souffle.

Quand Corvus fondit sur lui, il était prêt. Sa paume s'opposa au coup de poing décoché vers sa mâchoire, l'interrompant dans sa course effrénée et réduisant sa force destructrice à néant. Arsiesys eut un sourire pour son homologue. Pas moqueur, non, bien au contraire : c'était presque comme un encouragement muet. L'inciter à voix haute à continuer dans cette voie aurait pu laisser penser qu'il le prenait à la légère alors que ce n'était absolument pas le cas. S'il modérait ses contre-attaques, alors ce serait à son tour d'être la victime. Il était Gold Saint depuis des années mais cela ne le mettait pas à l'abri de la défaite et la puissance considérable que déployait le romain était amplement suffisante à le mettre hors d'état de nuire s'il n'y prenait pas garde. La douleur au coeur qui le figea sur place lui fit d'ailleurs savoir qu'il avait manqué de vigilance, ce qui ne l'empêcha pas d'en rire en dépit de sa moue contrite.

Impressionnant, vraiment.
Mais il n'avait pas encore fini de le mettre à l'épreuve. Gêner ses pulsations cardiaques ne l'arrêterait pas et ce pour une raison bien simple. En emmenant son cosmos vers ses plus hautes strates, il s'infligeait à lui-même une douleur insoutenable, mettant sa vie en danger ou tout du moins sa santé plus fragile qu'elle n'en avait l'air. Et Corvus allait à présent comprendre pourquoi. Le halo qui auréolait le Grand Pope explosa littéralement pour prendre de nouvelles dimensions, si bien qu'il submergea celui du propriétaire de la maison. Le Septième Sens. Si Corvus y était initié lui aussi, il était toujours aussi choquant de ressentir le déploiement de pouvoir occasionné lorsqu'un chevalier d'or faisait appel au sien. Songerait-il seulement que maintenant, il disposait d'une force équivalente ? L'archer se le demanda alors qu'une onde de choc incandescente traversait son corps en réponse à cette libération. Le sang lui monta aux lèves avant de ruisseler le long de sa mâchoire tandis qu'il battait des ailes pour s'élever dans les airs, aussi haut que le lui permettait le plafond du temple.

- Le soleil brille pour tout le monde mais tu seras seul à en subir la morsure. INFINITY BREAK !

Une pléthore de flèches jaillit de toutes parts, née de sa cosmo-énergie rendue fébrile par sa propre frénésie. Nul n'aurait su dire combien il y en avait, et ce parce qu'il pouvait virtuellement en créer une infinité – car si son corps pouvait se briser, son cosmos, lui, était éternel. Une chaleur équivalente voire supérieure à celle de l'astre des jours avait pris place dans la maison de la Vierge, qui avait grande peine à y résister, plusieurs de ses dalles se mettant à fondre quand elles ne prenaient pas feu sans autre forme de procès. Chacune de ces flèches était pourvue d'une visée mortelle, et le moindre effleurement drainait toute l'eau en présence dans le corps de ses victimes. Il y avait là la force de détruire une armée, celle de tous les faire s'effondrer. Un feu qui réduit toute chose en cendre brûlante et pourrait changer le monde en désert. Il en modéra néanmoins volontairement l'impact afin de ne pas faire trop de dégâts. Les maisons en ruines étaient déjà au nombre de deux, sans compter celles qui avaient également été endommagées sans en être au même point. Inutile d'empirer la situation en faisant disparaître celle-ci par inadvertance.

Quand se coucha ce soleil artificiel, tout n'était plus que destruction. Bon nombre des colonnes avaient été pulvérisées sous cette pulsion ardente alors que le sol était jalonné de profonds cratères, quand ce n'étaient pas de vraies tranchées dont on peinait à discerner le fond. Pantelant, Arsiesys eut bien du mal à reposer le pied à terre tant sa vue était trouble après une telle dépense d'énergie. Le regard dans le vague, il cracha une gerbe de sang, ses organes ayant sévèrement pâti de cette débauche cosmique. Infinity Break figurait parmi les arcanes ancestrales les plus puissantes que le Sanctuaire ait connu et sa réputation n'était pas usurpée, mais le contrecoup en aurait tué plus d'un. C'est ce pourquoi il ne pouvait accepter de mourir si facilement. Parce que céder cet armure à un successeur éventuel voudrait dire que quelqu'un d'autre que lui devrait subir le même traitement pour prendre sa pleine envergure, et n'y résisterait pas forcément aussi bien – si toutefois on pouvait vraiment en dire qu'il tenait bien le choc.

Mais qu'en était-il de la Vierge ?

Corvus aurait dû s'attendre à ce qui arrivait. Sur le papier, c'était l'évidence même. Était-ce sa nouvelle Armure qui le rendait si... sûr de lui ? Confiant ? Ou peut-être était-ce tout bonnement de l'espoir, celui de vaincre celui qui était l'incarnation même de la puissance en ces lieux. C'aurait été grisant. Et présomptueux. Cela lui rappelait ces contes, où les hommes cherchaient à dépasser Dieu, pour finir par être puni par celui-ci. Il fallait savoir sa place. Celle de Corvus était d'adorer le Grand Pope, de le protéger... et de le jalouser, peut-être. Peut-être serait-il assez mauvais pour jalouser son maître. L'inquiétude le gagna. L'Armure l'accepterait-elle toujours si c'était le cas ?
Car après tout, que pouvait-il faire face à lui ?

L'attaque avait été si puissante que Corvus ne s'en rappelait plus vraiment. Il se souvenait d'une lumière, de chaleur, de milliers de flèches... mais tout cela était si confus qu'il ignorait s'il avait vu cela en rêve ou si c'était Arsiesys qui avait fait de lui la cible d'un brasier de flèches ardentes. Il suait. La pierre, sous ses genoux et ses paumes, était brûlante. L'Univers était bouleversé alentour. Septième Sens. Qu'est-ce que cela pouvait être d'autre ? Ainsi, il donnait de toute sa puissance... La Vierge ne lui ferait pas l'affront de pas lui rendre la pareille.

« J'ai bien peur... de ne pas pouvoir résister bien plus longtemps... Merci Arsiesys ! Merci pour ce combat ! La fatigue m'empêche de trouver un nom original pour cette technique... Alors, ce sera... »

Son Cosmos s'enflamma. L'Univers venait de compter un nouveau soleil. Rassemblant toute la puissance qu'il lui restait, il s'éleva dans les airs. Le corbeau posé sur son épaule s'envola, comme si ses pattes étaient brûlées à vif par le contact avec le Gold Saint. L'air se gondolait, comme sous le coup d'une chaleur commune à celle qu'avait employé Arsiesys. L'oiseau stabilisa son vol. Lorsque Corvus ouvrit grand les bras, comme crucifié, l'oiseau fit de même. Leurs yeux étaient blancs, mais y étincelait une étrange lueur : une galaxie venait d'y naître, tournoyant lentement sur elle-même.

« CORVUS »

L'oiseau explosa. Des centaines de plumes noires volèrent dans la pièce, tournoyant en brillant d'une lueur argentée, comme une galaxie à échelle humaine. Corvus hurlait. C'était beaucoup, beaucoup trop pour son corps affaiblit. L'attaque serait sans doute sa dernière... Les plumes se regroupèrent soudainement, comme se rétractant sur lui et, majestueuses, couvrirent son Armure. L'or de celle-ci brillait plus que jamais, jaillissant entre les amas sombres qui rappelaient son ancienne Armure du Corbeau, avec une majesté nouvelle, presque divine. Les ailes qu'avait coupé l'acquisition de l'Armure de la Vierge renaissaient dans son dos et il avait tout d'un ange sombre. Il rapprocha ses mains, les joignit... les rapprocha de sa bouche et les embrassa, tendrement.
Lorsqu'il les écarta pour revenir à sa position de crucifié, l'onde de choc fit trembler les piliers de la Maison de la Vierge.

Le sol se vitrifia sous ses pas. Son corps était encore incandescent, et il n'avait plus la force de réguler sa chaleur interne pour qu'elle soit restreinte à un niveau acceptable. Après avoir fait trembler la terre, ébranlé cette structure antique jusque dans ses fondations, il avait besoin de repos en quantité. Cependant, ce n'était pas encore fini et c'était bien pour cela qu'il fournissait des efforts considérables afin de garder la tête haute. En rentrant de voyage et en apprenant la tragique vérité, il avait appris que s'il pliait le genou, le Sanctuaire plierait avec lui. Il devait rester droit et fier en toutes circonstances, ne concéder aucune défaite, pas même celle de son corps contre son âme. Tant que brûlerait en lui le feu ardent de la lumière du jour, il ne flancherait pas, car cela lui était interdit. Et cette fois, ce fut à son tour d'être cantonné à un rôle défensif, d'être victime d'un tour de force qu'il n'aurait pas cru possible la seconde d'avant.

Si cela le mettait dans une position hautement défavorable, Arsiesys apprécia néanmoins de voir que lui non plus ne lésinait pas sur les moyens pour faire étalage de sa puissance. Il avait appréhendé tous les secrets du cosmos et les mettait en application avec une maestria notable. Cette maîtrise remarquable faisait honneur au Sagittaire qui, même s'il ne lui avait pas tant appris, était en partie responsable de cette réussite enviable. Beaucoup de Golds Saints en poste depuis plus longtemps que lui n'arrivaient pas à obtenir de si bon résultats, même s'il se garda bien de lui en faire part. Ce n'était pas le moment de le distraire avec des détails anecdotiques. Sentant les pièces de son armure sur le point de céder alors qu'il tentait de se défendre de ses bras en croix, il se sépara de celles qui couvraient cette partie du corps, subissant l'assaut des ombres sur sa propre chair sans la moindre protection pour les filtrer.

- Tu n'as pas à me remercier. Je suis navré de devoir y mettre fin, mais si nous continuons je crains que nous finissions par nous briser en morceaux. Ainsi, je prends la liberté d'y mettre un terme dès maintenant. Avec toutes mes excuses !

Brisant la force implacable venue l'accabler, il l'encaissa de plein fouet, son plastron subissant de sérieux dommages sans toutefois voler en éclats. C'était une chance qu'il s'agisse d'une armure d'or, sans cela elle n'aurait peut-être pu l'encaisser sans se rompre sous sa violence. En être victime lui donna l'illusion d'avoir été transpercé par les ténèbres, si bien qu'il lui fallut une poignée de secondes avant de reprendre ses esprits. Le rideau de fumée qui parcourait ce tableau de désolation lui avait par chance offert ce répit, et avec sa lucidité revint son cosmos toujours au beau fixe. Sa quantité prodigieuse n'avait jamais été imposante et pesait de tout son poids sur l'atmosphère, instillant à cette scène une pression que le commun des mortels n'aurait pu supporter sans finir cloué au sol. Du nuage obscur surgirent une nuée de flèches dorées, décochées à la suite, qui semblèrent venir de toutes les directions à la fois.

Bien que blessé, Arsiesys n'en était pas moins doté d'une vitesse de déplacement égale si ce n'est supérieure à celle de la lumière et il entendait en jouer pour faire feu à volonté, prenant soin de cibler en priorité les articulations de celui qui avait été autrefois un Silver Saint. Dans un murmure, il prononça un nouveau « Chaos Break » qui se mourut dans le bruit de l'explosion alors que lui-même menaçait de sombrer dans l'inconscience, luttant contre la fatigue intense qui pesait lourdement sur son corps meurtri autant que sur son esprit embrumé. L'attaque n'avait pourtant rien perdu de ses effets dévastateurs et cette fois, il le savait quand ses doigts relâchèrent la tension de son arc, il serait question du coup de grâce. Un léger rire cristallin résonna alors que le silence revenait, ne laissant voir que cette pluie de flèches d'or fusant de toutes les directions, celle chargée de son grand pouvoir menant l'assaut.

Le silence qu'elles émirent en fendant l'air sonnait comme un épilogue.