"Et je suis là aujourd’hui, à regarder les cendres de ce qui fût une partie de ma vie…"

Mon enfance a été n’aura sans doute pas été la plus joyeuse, mais elle n’aura pas pour autant été la plus malheureuse. Banale, est le mot qui conviendrait le plus, le début de ma vie aura été des plus banale. Elevé par l’amour de ma mère et la dureté de mon père qui voulait faire de moi un rude guerrier. Il passa plus de temps à désenchanté alors qu’au fur et à mesure où je grandissais, ma silhouette se faisait plus élancé. J’étais taillé pour la vitesse et personne ne parvenait à me battre dans tous le village. Mon agilité ne trouvait aucun rival, de même que mon impétuosité. Je crois que ma mère désespèrerait encore de me voir un jour calme plus de cinq minutes.

Je n’ai jamais vraiment supporté les vêtements; ces derniers entravaient sans cesse mes mouvements, alors que j’aimais me sentir libre. Je me souviens encore du regard sévère de mon père alors que je rentrais toujours avec les vêtements déchiquetés. Mes pantalons étaient considérablement raccourcis jusqu’au-dessous de mes genoux, tandis que mes hauts n’avaient plus de manches. Je crois qu’ils ont finis par comprendre que j’étais fait ainsi; j’aimais courir dans la neige et sentir le vent frais venir frapper mon ventre et mes joues. Je n’avais pas peur du froid, je vivais avec lui et il était une partie de moi.

C’est vers l’âge de dix ans environ que mon père décida de commencer à me former au combat. Ce qu’il souhaitait le plus au monde était de me voir manier la hache et l’épée avec la même dextérité que la sienne et pouvoir enfin lui succéder. Seulement voilà, je n’aimais pas les armes, les trouvant trop lourdes à manier et plus gênantes qu’autre chose. Au final, je me servais plus de mes poings et de mes dents que de ses lames idiotes, et bien de mes camarades de jeu l’avaient rapidement compris. Même si l’on ne me respectait, ni ne me craignait, au moins reconnaissait-on ma rapidité de frappe et me laissait-on tranquille. Même les garçons plus âgés que moi avait finit par abandonner; rien ni personne ne pouvait me toucher, alors que moi je faisais pleuvoir une série de coups –faibles mais rapides– jusqu'à les faire plier.

Je ne préférais rien d’autre que de courir des heures durant dans les forêts et les plateaux qui surplombaient notre village, et ce au grand damne de mon père dont je séchais constamment les cours d’entrainement. C’est par ailleurs lors de l’une de ses escapades, lors de mon douzième hiver, que je rencontrais l’homme qui allait enclencher l’engrenage de mon destin. Je venais de trouver une caverne dont j’ignorais tout et, prenant le partit de résoudre cet état de fait, je pénétrais hâtivement à l’intérieur, curieux et empressé de voir ce que j’allais découvrir. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’une main squelettique se posa sur mon épaule. Faisant un bond et me dégageant avec rapidité de cette prise, je me retournais prestement pour observer celui qui pour la première fois venait de me surprendre. Je fus quelque peu déconcerté de voir face à moi un vieil homme décrépit, presque aveugle, vouté sur un bâton qui lui servait à ne pas se retrouver face contre terre.

Je n’en revenais pas de m’être fait prendre par une chose pareille ! Et puis abord que faisait-il là lui ? N’avait-il pas d’autre chose à faire, comme aller trainer sa carcasse ailleurs et mourir en me laissant en paix ? Je voulus alors m’éclipser et continuer ma route tranquillement, mais voilà j’en fus tout bonnement incapable ! L’autre vieux parvenait à m’empêcher de passer par quelques coups de bâtons que je ne parvenais à éviter. C’est qu’il avait encore de la vigueur malgré son âge !

-Mais vas-tu me laisser passer à la fin ? m’écriais-je soudainement, la voix pleine de colère.
-Il me semble qu’il est de coutume de se présenter avant toute chose, me répondit l’homme avec une voix rocailleuse.
-Sûrement pas à celui qui me maltraite ! rétorquais-je immédiatement.
-Mais c’est toi le premier qui t’es introduit chez moi, dit-il avec un calme qui me déstabilisait.
-Chez…

Je regardais alors vivement autour de moi, mais ne voyais rien d’autre que des murs de granit. Rien qui ne ressemblait de près ou de loin à une habitation. Pas même un endroit où dormir !

-Seul un fou habiterait ici ! lui lançais-je finalement.
-Alors il faut croire que je le suis, ou que tu es juste assez idiot pour ne pas savoir où regarder, me défia-t-il en retour.
-J’suis pas aveugle moi!!
-De tes yeux non, mais de ton esprit sans aucun doute…
-Hein ?

Je ne comprenais strictement rien de ce qu’il me disait; sans doute les élucubrations d’un vieux en passe de mourir bientôt. De toute façon la seule chose qui m’intéressait était de sortir de se trou à rat et de rentrer chez moi ! Aussi tentais-je une nouvelle fois de passer pour regagner la sortie. A mon grand étonnement il me laissa passer sans aucune résistance. Je me précipitais dés lors jusqu'à l’air libre.

-Si tu veux comprendre et apprendre, soit-là demain à la même heure ! me parvint une dernier fois sa voix rocailleuse.

Je reniflais avant de continuer mon chemin, courant pied nus dans la neige et appréciant le vent glacial qui venait claquer contre mes jambes et mes bras. Ma respiration créait un nuage de buée que j’aimais à voir disparaître dans l’air frais de cet après midi. Ce pays était le mien et pour rien au monde je ne l’aurais échangé; rien ne me faisait plus plaisir le matin que de voir ces plaines enneigés et d’y enfoncer mes pieds.

-C’est à cette heure-ci que tu rentres ? m’accueillit mon père. Où étais-tu encore enchaina-t-il.
-Dans les bois Père, lui répondis-je avec respect.
-Dans cette tenue ? N’as-tu pas honte ! Et combien de fois t’ais-je dis de cesser de courir les forêts ! me réprimanda-t-il.
-J’ai arrêté de compter Père, lui avouais-je avec sincérité.
-Petit effronté ! s’énerva-t-il pour de bon.
-Cessez cela ! intervint ma mère alors que mon géniteur s’apprêtait à me gifler.

Mon père se tourna vivement vers cette en frappant du poing sur la table; je regardais aussi en direction de la cheminée devant laquelle elle se tenait, les poings sur les hanches. Elle était belle ma mère, des cheveux blonds tressés pour lui faciliter le travail, des yeux d’un bleu de glace. De sa grossesse elle n’avait gardé que quelques rondeurs qui affirmaient ses traits de femme, renforçant son côté mère de bonne famille.

-Sans doute que si tu ne le couvais pas ainsi il deviendrait déjà un homme ! cria mon père à son intention.
-Raison de plus, rétorqua ma mère, c’est un enfant et il n’a que douze ans !
-A son âge j’apprenais déjà à manier la hache !
-Hé bien quand on voit le résultat, je ne sais pas si cela a fait bon ménage !

Je souriais en les regardant se disputer une énième fois. Quiconque aurait vu cette scène aurait put croire que mon père nous maltraitait, mais au contraire, il n’avait jamais levé la main sur ma mère; il n’y avait que moi qui me prenais des corrections lors que celle qui m’avait mis au monde n’était pas là pour me protéger. Mes parents s’aimaient d’un amour fou et passionnel, tellement passionné même qu’ils se disputaient assez souvent ! Mais les réconforts étaient tout aussi passionnels…au point que je me demandais bien pourquoi je n’avais pas encore toute une flopée de frères et de sœurs !

-Quant à toi, repris mon père en direction de ma personne, demain tu as intérêt à être là pour ton entrainement !
-Mais j’ai déjà quelque chose de prévu demain Père, lui répondis-je sans en découdre.
-Espèce de…

Je m’éclipsais sous la table alors qu’il tentait de m’attraper par le collet et me précipitais dans les jupons de ma mère.

-Mère !
-Allons Ean tu as passé l’âge d’être dans mes jupes ! me repoussa-t-elle. Et puis tu vois bien que je suis occupée, dit-elle en retournant à son chaudron.

Dés lors je me mis à tourner autour de la table, évitant à chaque fois les mains de mon père, me glissant tel un regard agile évitant toute prise.

-Je dois aller aider un vieil Hermite, lui expliquais-je entre deux pieds de table.
-Comment ça ? m’interrogea son père.
-0Je suis rentré chez lui sans le savoir et l’ai offensé sans le vouloir et il demande réparation, lui mentis-je à moitié.

Au final ce vieil homme pourrait bien m’être utile si je pouvais éviter les entrainements de mon père.

-Parce qu’en plus maintenant tu rentres chez les gens ! se récria mon père.
-Ean ! le suivit ma mère qui nous écoutait.
-Mais rien n’indiquait que c’était sa maison, puisque c’était dans une grotte ! me défendis-je.
-Une grotte ? Mais qu’est-ce tu étais partie faire dans une grotte ? me questionna mon père, trop surpris pour chercher à m’attraper de nouveau.
-Je suivais un lapin ? tentais-je.

Ce fut un échec, et mon père se relança à ma poursuite tandis que je recommençais à courir autour et sous la table.

-Et si plutôt que de t’époumoner après ton fils tu allais nous chercher du bois pour le feu ? intervint une nouvelle fois ma mère.

Ce dernier me lança un regard noir puis sortit afin de ramener ce que ma mère lui demandait. Une fois ce dernier dehors, je me précipitais une nouvelle fois vers ma mère tandis qu’elle s’asseyait sur une chaise près du feu. Je montais dés lors sur ses genoux pour venir me caler contre sa poitrine et trouver mon réconfort dans ses bras. Elle passa par ailleurs ses derniers autour de moi et je me mis à sourire come un bienheureux.

-Il serait sage un jour que tu arrêtes de mettre ton père dans des états pareils, me reprocha-t-elle avec tendresse.
-Mais j’aime bien quand il est tout rouge ! me défendis-je en riant.

Ma mère leva les yeux au ciel en même temps que mon père revenait les bras chargé de bûches. Ma mère m’enjoignit à aider mon père à transposer les bûches près de l’âtre afin qu’elle sèche, ce que je fis en la laissant retourner à ses fourneaux. Puis une fois mon repas avalé, je montais me coucher dans la mezzanine où ma paillasse m’attendait avec des couvertures bien chaude.

Le lendemain à la première heure, mon père m’ordonna de m’amener là où j’avais rencontré le vieil homme de la veille. Autant dire que je n’avais pas vraiment le choix, et je dus me résoudre malgré de le mener en direction de la grotte de l’Hermite. A ma surprise, ce dernier nous attendait devant l’entrée, toujours vouté sur son bâton, ses yeux aveugles braqués sur nous et un sourire sur les lèvres.

-Je savais bien que je pouvais compter sur ta droiture, nous accueillit-il. Mais dis moi, quel est l’homme qui t’accompagne? demanda-t-il.
-Bonjour, commença mon père, je suis le père du garnement qui vous a offensé hier, se présenta-t-il.
-Oh je vois, dit-il simplement.
-Afin que réparation soit faites, je le laisse à vos bons soins le temps qu’il vous plaira, annonça mon géniteur.
-Quoi ? m’exclamais-je. Mais il n’en pas ques…
-Tais-toi ! me coupa mon père avec un ton qui ne souffrait aucune réplique. Ça t’apprendra à enchainer les bêtises ! Néanmoins, reprit-il plus calmement envers le vieil aveugle, je ne vous demanderais qu’une chose : le laisser rentrer chaque soir avant la nuit.
-Comme il vous plaira, acquiesça l’homme.

Puis sans se retourner une seule fois, mon père repartit, me laissant seul face à mon sort. Un rire rocailleux parvint jusqu'à mes tympans; je me retournais prestement pour fusiller mon tuteur du regard, même si ce dernier ne pouvait me voir.

-Tel est pris qui croyait prendre, petit renard impétueux, me dit-il.
-J’suis pas un renard ! rétorquais-je avec assurance.
-Ah oui est tu es quoi alors? me questionna-t-il.

Je ne répondais rien, mais j’étais sûre d’une chose : j’étais bien plus rapide et plus fort qu’un simple renard ! J’étais au-dessus, bien au-dessus.

-Tu ne le sais pas toi-même n’est-ce pas ? annonça-t-il. Que dirais-tu de le découvrir ensemble alors ? me proposa-t-il.
-C’pas comme si j’avais vraiment le choix…, répondis-je simplement.

Et il était vrai que je n’avais d’autre choix, aussi dus-je supporter toutes les élucubrations de cet homme –qui répondait au doux patronyme de Harding. Sans oublier tous ses discours sans queue ni tête à propos d’étoiles, d’univers, de montagne et de cosmos… Autant dire que je n’en suivis même pas le quart tandis que je me démenais à réaménager l’endroit où il vivait –car oui il y avait bien un endroit habitable dans cette stupide grotte– selon ses bon vouloirs. A la fin de la journée, je prenais conscience de muscles dont je ne soupçonnais même pas l’existence.

Et cela continua longtemps, presque un an complet, à déplacer et replacer des meubles qu’un homme ne pouvait même pas voir, mais qui avait décidé que non ça ne lui allait pas comme ça et que c’était mieux comme tel ! Sans oublier que j’étais devenu un virtuose du balai… Néanmoins, je pus finir par m’apercevoir que ma force s’était développée au fil du temps, et déplacer ces stupides meubles n’était plus un tel calvaire.

-Dis moi Ean, m’interpella un jour mon maître, sais-tu lire ? me demanda-t-il.
-Non pourquoi ? lui répondis-je en toute innocence.
-Viens donc à côté de moi, m’ordonna-t-il. Il est temps de passé à l’instruction de ton esprit désormais, déclara-t-il avec assurance.
-Hein ?

Je ne pus qu’obéir une nouvelle fois, et vint m’asseoir à côté de lui. Un parchemin était déroulé en face de lui, et autant dire que je n’en comprenais pas un traitre mot… Les symboles qui étaient marqué sur cette fichue page était un mystère pour moi, néanmoins, avec patience, Harding m’appris l’alphabet. Je ne comprenais absolument pas comment il faisait pour savoir quel symbole correspondait à quelle lettre au vu de ses yeux aveugles ! Un vrai mystère…tout du moins jusqu'à ce qu’il ne décide de me relever qu’il lisait l’encre grâce à ses doigts. Mouais, un mec qui me parlait d’entrouvrir le sol rien qu’avec ses pieds, il pouvait bien lire avec les doigts hein !

Quoiqu’il en soit, après plusieurs mois assez laborieux, j’arrivais à lire quelques parchemins très simples. J’avais encore un peu de mal avec certains mots, mais mon instructeur m’apprenait avec la patience la définition de chacun. Et même si cela ne plaisait pas tellement à mon père que j’apprenne à lire –"En quoi un guerrier a-t-il besoin de savoir lire ?" répétait-il inlassablement–, ma mère était plus qu’heureuse de voir que ce vieil homme fasse de moi quelqu’un de cultivé, elle qui espérait que je puisse avoir une vie meilleure que la leur. Néanmoins, une question me taraudait, et je me décidais finalement un jour à la poser à celui qui m’instruisait.

-Dit Harding, l’interpellais-je, tu viens d’où? le questionnais-je tout en rangeant le bois pour le feu.

Il se passa un instant avant qu’il ne se décide à me répondre.

-C’est une longue histoire, commença-t-il. Connais-tu les légendaires Guerriers Divins ? me demanda-t-il tout à coup.
-Bien sûr, qui ne connaît pas les légendes des Guerriers d’Odin ! déclarais-je.
-Et sais-tu qu’il existe réellement?
-Harding, ce ne sont que des histoires pour enchanter les enfants, et j’en suis plus un !
-Viens, suis-moi, dit-il simplement en se levant.

Intrigué malgré moi, je me levais à mon tour et lui emboitait le pas vers l’extérieur. Une fois dehors, il emprunta un chemin escarpé qui montait vers le sommet de la montagne où il avait élu domicile. Autant dire que je fus étonne qu’un homme de son âge ait encore autant d’énergie pour avancer, alors que moi-même je peinais à grimper la côte. Nous arrivâmes enfin sur une plaine enneigée où je pus enfin m’asseoir par terre pour reprendre mon souffle. Un rire rauque me fit tourner la tête vers mon Maître qui se moquait de moi. Ma réponse ne se fit pas attendre et je lui tirais prestement la langue, de toute façon il ne pouvait pas me voir et donc ne pas me réprimander !

-Bon, qu’est-ce qu’on fait ici ? l’interrogeais-je une fois mon souffle récupéré.
-Allons regarde bien, me dit-il pour seul explication.

Je fixais alors mon regard bleuté sur sa silhouette voutée, pour finalement voir une sorte d’aura l’entourée peu à peu, jusqu'à ce qu’il devienne presque luminescent. Puis il laissa tomber son bâton, sans se casser lamentablement la figure, ce qui revenait du miracle… Soudainement, il lança son poing vers le sol, et ce dernier explosa en une myriade de petit bout de terre et de roche, ainsi qu’une pluie de neige. Et je restais là, bouche bée, devant le cratère qu’Harding venait de créer à l’aide de son seul poing. De fait, je mis un temps à m’apercevoir que la silhouette de mon instructeur n’était plus là.

-Harding ? l’appelais-je une première fois. Harding ? recommençais-je un peu plus fort.

Je me relevais finalement, m’approchant de l’énorme trou, pour y découvrir le corps du vieil homme allongé au fond. Avec prudence, je descendis le rejoindre.

-Harding ? tentais-je une nouvelle fois. T’es mort ? questionnais-je le possible cadavre.
-Bien sûr que non ! me répondit-il finalement.
-T’as glissé, c’est ça ?
-Aide-moi plutôt à me relever au lieu de poser des questions idiotes, grommela-t-il.
-Donc j’ai raison ! déduisais-je. Tu devrais éviter de laisser tomber ton bâton, ça t’éviterait ce genre de désagrément, lui dis-je tout en l’aidant à se relever.
-Petit impertinent !

Je lui fis un immense sourire –qu’il ne pouvait voir, mais au moins deviner–, après quoi nous prîmes le chemin du retour, que nous fîmes en silence, comme l’aller, notre attention étant toute dévouée à ne pas glisser bêtement. Enfin, une fois de retour dans la grotte, je partis raviver le feu, tandis qu’il s’installait sur une chaise avec un soupir de bien être.

-Alors Ean, qu’as-tu donc pensé de cette petite démonstration ? me demanda-t-il finalement alors que je finissais de lui servir un lait chaud.
-Ben, tu sais, commençais-je, un homme qui parle d’univers dans le corps, de cosmos –corrige-moi si j’me trompe–, de briser des étoiles et qui lit avec ses doigts, au final j‘suis pas même pas étonné qu’il créer un cratère avec son poing, expliquais-je. En fait j’me demande bien ce que j’fais là, parce que vu c’que tu sais faire, tu pouvais aisément te passer de moi pour refaire la décoration de ta grotte !

Son rire grave et rocailleux emplit un instant la petite pièce, avant qu’il ne se décide enfin à m’éclairer.

-Tu possèdes cette puissance toi aussi Ean, m’avoua-t-il.
-Si tu le dis, rétorquais-je sans le croire.
-Et tu crois maintenant aux Guerriers Divins ?
-Toujours autant qu’avant.
-Ils possèdent cette même puissance, mais en beaucoup plus décuplée.
-Bien sûr, et tu vas peut être me dire que tu les connus, c’est ça ?
-Oh non, bien mieux encore, me dit-il, éveillant ma curiosité. J’en ai été un…
-Mais bien sûr, tu devrais arrêter les champignons hallucinogènes Harding…
-Je pourrais t’apprendre à maîtriser le cosmos si tu le souhaites, et ainsi décuplée ta puissance.
-C’est ça, en attendant tu m’excuseras, mais je dois y aller.
-Au fait, tu es libéré de tes obligations…

Je lui lançais un dernier regard étonné, avant de définitivement prendre congé pour rentrer chez moi, retrouver la chaleur de mon foyer et la voix douce de ma mère qui me demandait ce que j’avais fait de ma journée. Ce fut le soir même que mon père grommela sur le fait qu’il estimait le préjudice réparé depuis longtemps. Ce à quoi je lui répondais qu’il venait justement de me libéré le soir même.

-Bien, nous allons donc pouvoir reprendre ton entrainement, dit mon père avec joie.
-Tu sais père, je ne pense pas qu’on aimerait mourir seul, contrais-je simplement.
-Comment ça ? me questionna-t-il.
-Ton fils est simplement en train de te dire que ce vieil homme est en train de mourir seul là haut, traduisit admirablement ma mère.
-Hors de question qu’il y retourne, son devoir est de se battre pour protéger le village, répliqua furieusement mon père. Les tensions commencent à augmenter avec la région voisine !
-Mais père, repris-je, c’est toi-même qui m’a dis que le devoir d’un guerrier était aussi d’assister les autres.
-Sur ce point ton fils à raison, m’appuya ma mère.
-Si en plus vous vous liguez contre moi, capitula mon père.

Ainsi le lendemain, je retournais à la petite grotte retrouvant le vieux professeur qui parut à peine surpris de me retrouver devant chez lui.

-Il y a une question que j’ai oublié de vous poser, lui sortais-je comme excuse.
-Laquelle ? m’enjoignit-il.
-Comment on vous appelait ? lui demandais-je.
-Harding d’Alpha était mon patronyme…
-Ah… Dis tu pourrais au moins essayer de paraître un peu surpris !

Un simple sourire me répondit, puis nous rentrâmes à l’intérieur tandis qu’il commençait à me parler du rôle des Guerriers Divins et du cosmos. Ainsi je passais les trois années précédentes à ses côtés, à apprendre à maîtriser cette énergie nouvelle qui coulait en moi. D’après Harding j’avais une sorte de don inné pour faire couler la cosmos-énergie autour de moi. De fait, je ne mis pas très longtemps à comprendre comment ça fonctionnait et parvenait après seulement un an à l’intensifier selon ma guise. Aussi, mon Maître passa-t-il aux exercices pratiques qui consistaient pour la plupart à réussir à briser des rochers en miettes, ou encore réussir à décuplée ma vitesse ou ressentir les différentes énergies qui composaient notre monde. Ainsi régulièrement Harding me mettait-il à l’épreuve.

A côté de cela, je continuais, lorsque je le pouvais, à courir dans les landes enneigées, renforçant mon endurance et les muscles de mes jambes, ainsi que ma résistance au froid –quoique cette dernière soit presque naturelle pour moi. C’est par ailleurs durant l’une de ses balades que je rencontrais mon destin; je me désaltérais dans une rivière lorsqu’il se présenta à moi: un grand loup au pelage blanc où se reflétait la couleur pure des glaciers. Nous nous regardâmes un instant, et j’eus l’étrange sensation que c’était mon âme même que je regardais. Cela ne dura pas longtemps, car j’acquis rapidement la certitude que c’était bel et bien mon âme que je regardais, celle qui n’était pas encore éveillé, cette partie qui était encore enfouie au plus profond de mon être.

-Sais-tu qui tu es ? me demanda l’animal de sa voix spectrale qui résonnait directement dans mon esprit.
-Bien sûr, lui répondis-je sereinement.
-Qui es-tu ?
-Je suis par qui le sang coulera, je suis celui devant qui les hommes ploieront, je suis celui qui engendrera les héros et les terreurs de ce monde, je suis celui qui parcourt le monde à sa guise, je suis celui qui n’a ni Dieu ni Maître. Je suis le Loup Bleu, déclarais-je avec aplomb.
-Tu es le Loup Bleu, appuya mon interlocuteur canin.

Soudain, une odeur de fumée parvint jusqu'à mes narines, et je me retournais prestement pour voir au loin un noir nuage monter vers le ciel. Je me mis prestement à courir en direction de ce dernier, afin de comprendre ce qu’il passait, le loup à mes côtés. Nous étions aussi rapide l’un que l’autre, nous respirions d’un même souffle et nos pas étaient semblables, jusqu'à ce que nous rejoignons, jusqu'à ne plus faire qu’un tandis qu’il se fondait en moi, m’éveillant totalement à ce que j’étais.

Je ne m’arrêtais de courir qu’une fois rendu à la plus haute falaise, d’où j’avais un excellent point de vue sur la plaine au plus bas. C’est ainsi que je le vis : mon village natal en feu. Je sentis alors derrière-moi mon Maître arriver, mais je ne me tournais pas pour autant alors que sa voix rauque et fatiguée me parvenait.

-Je me disais bien aussi, commença-t-il, qui de mieux qu’un loup pour Epsilon.

Un sourire vint fleurir sur mes lèvres alors que le contact de l’armure sur ma peau était agréable, me rappelant la chaleur des bras de ma défunte mère.

-Pourquoi ne pas intervenir ? me demanda-t-il finalement.
-Parce qu’il est déjà trop tard et que là n’est pas ma place, lui donnais-je comme réponse.
-Et où est-elle ?
-Mais là où la tienne est échue Harding.
-Qui es-tu réellement Ean ?
-Je suis celui qui foulera le sol des Dieux, lui répondis-je avec un sourire. Je ne suis rien de plus que le Loup Bleu…
-Je sais, dit-il simplement dans un murmure.

Finalement, il me laissa seul, retournant sans sa grotte pour y vivre ses dernières heures en toute tranquillité. Quant à moi…je fis simplement demi-tour, reprenant ma course effrénée dans la neige abondante, appréciant le vent glacial qui venait jouait dans mon pelage et claquer contre mon poitrail, savourant de sentir mes patte s’enfoncer dans la neige… Je reprenais simplement le cours de ma vie là où elle devait être, suivant cet instinct nouveau qui me poussait à m’enfoncer toujours un peu plus loin dans la forêt…

– Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. –
Alfred de VIGNY