Pétri de solennité, il avait fallu à Kryo plusieurs secondes pour penser à ôter sa capuche. Son oeil valide, resplendissant de la pureté d'un bleu céruléen, s'était posé à la surface de cette immense pilier. Si robuste en apparence qu'il doutait que même la fin du monde aurait pu l'ébranler. Mais il devait être plus fragile qu'il n'y paraissait, sans quoi les hauts dirigeants de leur ordre n'auraient pas jugé utile de lui attribuer un gardien. C'était également le cas des six autres. Mais à la différence des six autres, celui-ci n'appartenait qu'à lui. Il se l'était maintes fois répété dans un coin de sa tête afin de mieux pouvoir s'en convaincre à l'instant fatidique. Pourtant, et bien qu'il soit question de son heure de gloire, il n'arrivait toujours pas y croire. C'était si irréel qu'il lui était impossible de le réaliser. De se dire en restant crédible que le sort de cette construction titanesque ne dépendait que de sa bonne volonté. À le voir ainsi dirigé vers les cieux comme une menace muette au panthéon divin, confortablement installé en haut de l'Olympe, il avait peine à croire qu'on puisse y faire la moindre entaille.

Non, il était certain que même avec toute sa puissance, il serait incapable d'y faire ne serait-ce qu'une égratignure. Et malgré toute l'estime qu'il pouvait leur porter, ses frères d'armes n'avaient à son sens pas plus de chance de donner un meilleur résultat. Dès lors, qu'avaient-ils à craindre ? Que soudain se révèle un individu qui en soit capable alors que personne n'avait su représenter une réelle menace à leur encontre en plusieurs siècles d'existence ? Bouche bée devant le profond respect que lui faisait ressentir ce monument, il lui fallut plaquer violemment les paumes sur ses joues pour se ressaisir. Ce n'était pas là une attitude digne d'un général, or c'était là son rang à présent. Sa place était ici, au pied de cette lame de roc fièrement érigée. À bien y réfléchir, il ne servait à rien de se demander qui serait en mesure de l'ébrécher. Car son objectif était justement de faire en sorte que personne ne réussisse à l'approcher d'assez près pour pouvoir entreprendre quoi que ce soit de potentiellement nuisible.

Une pression qui pesait lourdement sur ses épaules mais qu'il était prêt à assumer sans discuter. La Scale des Lyumnades l'avait équipé sans préavis mais il lui devait la vie, et ses incroyables talents ne lui donnaient aucune envie de s'en défaire. Ainsi, la symbiose avait-elle opéré, se substituant sans mal à celle qui le liait à l'Orque très peu de temps auparavant. Devoir faire fi de son ancienne protection lui brisait le coeur, mais le sentimentalisme n'avait pas sa place dans une armée et il devrait se contenter d'aller de l'avant avec cette nouvelle compagne. Moins brutale, mais plus retorse, sa personnalité se ressentait dans les aptitudes conférées au jeune garçon. Lorsqu'il s'était éloigné de son camp, il avait peaufiné sa maîtrise du cosmos et pouvait donc exercer un parfait contrôle sur l'ensemble de ses capacités. Et même lui pourtant si réfractaire à l'idée de se battre devait admettre frémir d'impatience.
Il lui tardait de mesurer l'efficacité de ses nouveaux dons en situation réelle, de voir ce que valaient les pouvoirs que l'Écaille lui avait fait miroiter par le biais de leur lien télépathique. Sa conscience était peut-être sans scrupules mais son potentiel était grand, voire même sans limites, et il était impatient de savoir jusqu'où il pourrait repousser les siennes grâce à cette communication.

Les débuts avaient certes été difficiles mais il acceptait maintenant cette cohabitation sans sourciller, ayant fini par pouvoir faire la sourde oreille à toutes les « voix » qui l'entouraient en permanence. Rendu beaucoup plus serein par cette poignée de jours loin de toute civilisation, il était fin prêt à reprendre du service et ce rôle qu'il était à présent forcé d'assumer lui tenait à coeur. Bien que cela ne remonte pas à si longtemps, que de chemin parcouru depuis que sa soeur et lui avaient touché le fond au sens premier du terme. Que de progrès depuis qu'ils avaient fait la découverte de ce royaume et de ce qu'il abritait en son sein, depuis leurs premières armures... Leurs parents seraient-ils fiers d'eux ? Leur père, sans doute... Leur mère, n'aimant pas la violence, désapprouverait qu'ils s'engagent sur le sentier de la guerre grâce à la force qu'ils avaient acquise. Ignorant encore quel sort il avait connu, il ne désespérait pas d'entendre un jour son géniteur le féliciter en personne plutôt que de devoir se contenter de l'imaginer. Et mieux valait qu'il continue de n'en rien savoir pour le moment, car déjà l'orage grondait au loin. Il le sentait, l'air tout entier vibrait d'une menace qu'il n'aurait su définir... Un mauvais pressentiment lui étreignait le coeur et l'enjoignait à se tenir sur ses gardes, car bientôt sa foi renouvelée serait mise à rude épreuve.

Que tous s'y préparent, car au-dehors, l'avis de tempête était déclaré.