De nouveau, Casshern ouvrait les yeux alors que son manteau de fumée noirâtre se dissipait à travers la brume environnante. Le trône épineux qui était dorénavant sien l'avait supporté tout le long de son sommeil, et il se savait maintenant détenteur de la toute puissance de la Pestilence. Il avait assimilé l’énergie ambiante de l'antichambre et adapté son corps comme son esprit au poison qui imprégnait chaque parcelles de son cosmos. De la même manière, il pouvait ressentir le lien étroit qui s'était formé entre son propre cœur et le pale organe émeraude qui surplombait la pièce hostile. D'ailleurs, le plein potentiel de celle-ci apparaissait enfin au nouveau Cardinal, les veines sinueuses qui parcouraient le sol ainsi que les parois murales lui permettaient de ressentir la moindre présence alentours, aussi infime soit-elle. Il esquissait un sourire. Cette demeure était parfaite, et il disposait de suffisamment de cosmos pour maintenir l'acide et pestilentiel brouillard qui ne manquerait pas de s'attaquer aux éventuels intrus lorsque il exporterait son redoutable fléau au delà de la Citadelle.

Gardant son aise sur le siège de ronces, il réfléchissait un instant. Maintenant que son pouvoir personnel s'était manifesté, il se devait de reprendre certaines choses en main avant de songer plus encore. Les rênes de l'armée de la Terreur lui revenaient, et le cosmos des soldats rattachés à celle-ci semblaient également lié au pouvoir de son antichambre. Le Flamboyant s'empressait de déchiffrer la signature de leur aura avec une facilité qui lui était propre. A vrai dire, il était déjà familier avec ce genre de pratique avant même que l'on lui fasse don de l'effroyable cuirasse. La compagnie de celle-ci ne lui rendait la tache que plus simpliste encore. Et ainsi, il pouvait ressentir les deux paraphes cosmiques symboliques de ses soldats d'élite, des berserkers qu'il avait par ailleurs déjà rencontré par le passé. Une brève rencontre avec l'un, qu'il avait guidé à travers la citadelle à ses débuts lors de la pause du tournoi. Quant à l'autre, le soldat écarlate avait même livré bataille à ses côtés face aux Saints. Il avait par conséquent une idée de ce dont il était capable, bien qu'il ne l'avait pas revu depuis lors. En revanche, c'était en tant que frère d'arme qu'ils s'étaient liés et le retrouver avec un titre supérieur risquait sans doute de paraître étrange. Pour ce dernier surtout. Pour sa part, Casshern n'apportait que trop peu d'attention au passé depuis son amnésie et le futur lui paraissait bien plus intriguant, d'autant plus que les promesses de la Pestilence le poussaient à croire en ce sens.

S'il fallait mettre les choses à jour, alors il n'y avait pas de temps à perdre. Fermant les yeux pour mieux pouvoir se concentrer sur l'intense lien qui l'unissait à la Citadelle et à ses soldats, le Cardinal localisait la présence de Jevren en son enceinte. Puis minutieusement, il laissait son cosmos venir jusqu'à lui, lentement, de manière à lui faire parvenir son appel. Il n'avait plus qu'à l'attendre. Le mélange de son cosmos corrupteur et celui de la Pestilence ne manquerait sûrement pas d'intriguer le Frelon qui devrait se douter d'une anomalie. Bien qu'à partir de maintenant, ce ne serait plus le même berserker qui se dresserait face à lui, bien que la volonté de la cuirasse restait toujours aussi forte et indépendante. En attendant, Casshern replongeait dans ses songes, fièrement installé dans son trône macabre. Pour l'heure, Il pouvait bien faire preuve de patience. Le temps de rassembler et unifier son armée sous l'étendard de la Terreur.
Et lorsque chacun aura défini sa place, les choses sérieuses pourraient enfin commencer.

Au beau milieu de ses quartiers, Jevren s'arrêta tout net.

Si la Mission confiée par Ephtal, dont il était rentré quelque temps auparavant, lui avait mis du baume au coeur - servir Arès, faire ce qu'il savait faire de mieux au front, remplir fidèlement son rôle; tout cela, sans lui faire vraiment plaisir, lui donnait un sentiment d'accomplissement suffisamment rare pour être savouré -, être sous les ordres directs d'une personne autre que Dame Pestilence lui avait fait prendre conscience du fossé qui séparait Okra des autres porteurs d'armure. Frozia n'était certes pas une mauvaise Cardinale, mais elle manquait de ce caractère posé, de cette langue acérée plaçant en lumière, toujours implacable, les vérités les plus cruelles; Jevren avait besoin, pour le tenir en laisse, d'un leader au regard froid et stoïque, et la bête déchaînée qu'il avait pu voir lors de l'affrontement avec les Saints ne remplissait aucunement ces critères. Ce qui lui avait inspiré l'envie de rendre une petite visite à Okra.

Et c'était justement le dangereux Cosmos de la Pestilence qui s'insinuait dans les murs de la Forteresse, rampant jusqu'à lui comme pour le saisir et l'amener de force à sa maîtresse.

Ravi de cette occasion, le Frelon ne prêta que peu d'attention au changement de propriétaire dudit Cosmos et se mit en chemin. Il connaissait cet appel pour l'avoir maintes fois ressenti; il avait appris à se fier au plus petit signe énergétique dirigé vers lui, sans se poser la moindre question. Ce ne fut qu'en chemin que le doute germa véritablement en lui, pour s'y installer tout à fait; un sentiment de malaise grandissant s'empara de son esprit. Okra était la Pestilence, dans chaque fibre de son corps - et pourtant, on aurait presque dit que, cette fois, le Cosmos malsain émis par l'armure était entré en symbiose avec une aura étrangère. Non... non, c'était inconcevable; sans cette armure, peut-être la Cardinale s'étoufferait-elle au beau milieu de ses propres émanations empoisonnées. Sa corruption était trop profondément ancrée dans sa chair; son pouvoir la dévorerait très certainement...

Il pénétra dans l'Antichambre et se fraya un chemin à travers les brumes; il était reconnu comme étant un guerrier d'Arès accompli, et, son habitude des vapeurs toxiques aidant, l'air était pour lui à peu près respirable.



Son regard tomba sur la crinière rouge, descendit lentement afin de dévisager Casshern, étendu sur le siège initialement destiné à la Cardinale. Sur son dos, la Cuirasse d'Okra elle-même, qui scintillait d'un éclat sinistre sous la lueur verdâtre dont le coeur d'émeraude teintait les environs. Sans réfléchir une seconde, le lien lui vint naturellement, à la manière de ces instincts sauvages dont font preuve les bêtes féroces; si le rouquin portait l'armure, il l'avait très certainement dérobée par le biais d'un stratagème quelconque. Dame Pestilence était trop fière, trop dépendante de cette Cuirasse pour l'abandonner d'elle-même, et la confiance qu'Ephtal plaçait en elle rendait absurde la piste de la disgrâce sur ordre suprême. Qu'était-il arrivé à Okra, celle à laquelle Jevren avait prêté serment de protection et d'obéissance - ce même serment qui allait guider sa main?



Déployant, dans la foulée, son arme d'hast, il fondit vers le trône qui dominait la salle, sans même réaliser la portée de ses actes. Arrivé tout près de sa cible, il infiltra son Cosmos dans le sol, le laissant ressortir sous la forme d'un éclair qui s'éleva du sol juste sous le perchoir du rouquin. Puis il fit apparaître ses ailes et se propulsa puissamment en avant, lame à la verticale, espérant que le choc ferait voler le Python hors de son siège sans pour autant l'écorcher tout à fait; même si Jevren était en fureur, il n'était pas stupide au point de tuer un camarade par inadvertance.

Juste avant l'impact, il ne put s'empêcher de se demander à quel moment Dame Okra, qui lui inspirait initialement angoisse et malaise, était devenue à ses yeux si digne de déclencher un combat en son nom.

Jevren avait répondu à l'appel de la Pestilence sans perdre de temps, et de la même manière il semblait prêt à se jeter sur celui qu'il jugeait déjà comme un usurpateur. Rien d'étonnant à cela, la surprise chez les berserkers se manifestaient parfois ainsi. Souvent même. Et bien que l'impulsivité avait tendance à voiler la face de certains, il fallait tout de même être sacrément fou et puissant pour s'approprier une des quatre cuirasses favorites et ainsi prendre sa place sur le trône de l'antichambre de la terreur sans le consentement du Dieu de la destruction. En fait non, c'était presque inimaginable dans de pareilles conditions. Mais quoiqu'il en soit, un problème venait de naître et se dirigeait impatiemment vers le Flamboyant.

Se dressant immédiatement pour faire face au Frelon, Casshern se laissait néanmoins surprendre par l’émergence d'un éclair qui ravageait son corps en un rien de temps. Encaissant la douleur d'une manière nouvelle comme si cette dernière semblait plus lointaine, il gardait sa position en dégainant Kryuk de son fourreau avec une rapidité exemplaire. La lame se fragmentait en plusieurs crochets devant les yeux de son adversaire, puis venait briser la trajectoire de l'arme adverse avant de s'allonger avec vivacité. Les dards dansaient autours de la silhouette ennemie et ne demandaient qu'à l'écorcher pour y répondre leur poison nocif. Le soldat à la coiffe écarlate aurait pu agir bien différemment s'il n'avait pas préféré dévoiler d'entrée de jeu l'une des importantes possessions de l'ancienne Dame Pestilence.

Dans ce cas, il te faudra également lui rapporter ceci...

D'un vaste mouvement de bras il déclenchait la succession de lames acérées de son nouvel instrument. Pas question de perdre du terrain devant la colère d'un des soldats qui composerait son armée, pas sans avoir sérieusement goûté aux nouveaux arcanes de la Pestilence tout du moins. D'ailleurs, il n'était pas non plus question de lui offrir du répit maintenant que les intentions étaient claires. Sans plus attendre, Casshern donnait vie à son cosmos impie à travers quelques murmures. Avatar of Terror.

Aussitôt, plusieurs âmes s'élevaient à ses côtés sous formes de soldats éthérés, aveugles mais assoiffés de l'aura désignée par leur créateur. L'escorte se tournait de manière parfaitement synchronisée vers le Frelon avant de se jeter à travers la brume acide pour l'écorcher de leurs griffes. Un toucher à la fois brûlant et glacial qui ne ferait qu'absorber le cosmos dérobé pour alimenter la cuirasse du Corrupteur. Ce dernier observait la scène de son regard bien plus sombre qu'auparavant, puis se déplaçait au sein du brouillard de jade sans un mot de plus. Son énergie astrale comme physique se consumaient lentement sous sa nouvelle incantation, et peu à peu, le jeune Cardinal se détachait de ses conditions humaines pour altérer son corps. Le cosmos vibrait et s'agitait autours de sa silhouette devenue trouble, et il ne tardait pas à ressembler aux serviteurs qu'il s'était lui même créé. Et ce même si des étincelles de foudre agressive éclataient toujours autours de sa cuirasse.

Dorénavant proche d'un être éthéré grâce à la récolte de ses sbires et à sa volonté, le Flamboyant se savait moins affligé par les blessures à venir. Quant à la douleur, ce n'était plus qu'un vague concept qui ne devrait plus le déranger du moment qu'il maintenait le sombre voile de fumée autours de sa personne. Alors qu'il disparaissait dans l'environnement hostile de sa demeure, sa voix résonnait à nouveau.

Ne vois-tu donc pas, Jevren ? Le réel propriétaire de la Pestilence est pourtant bien présent. Cherche, cherche mieux.

Se battre avec un état d'esprit si peu clair n'était vraiment pas évident lorsqu'il s'agissait d'une telle affaire. Tout ce à quoi pensait Jevren, c'était ramener son camarade à la raison; celui-ci pensait-il vraiment pouvoir s'en tirer après pareil affront?

Demeurant totalement aveugle aux évidents changements apportant du crédit à la thèse selon laquelle Casshern avait légitimement obtenu la Cuirasse - d'autant plus que le rouquin s'amusait à brouiller les pistes, jouant le jeu sans paraître surpris -, le Frelon s'entêta devant la réaction de son interlocuteur. Qu'avait-il bien pu vouloir dire? Des énigmes, maintenant? Il n'était pas d'humeur à se livrer à ce genre de petit jeu; chaque seconde durant laquelle l'armure d'Okra étreignait un corps étranger lui paraissait insupportable.

Voyant l'arme redoutable de la Pestilence fendre l'air en sa direction, Jevren serra les dents et se précipita à nouveau en avant, sans même chercher à éviter les coups. L'épée-fouet claqua contre sa Cuirasse; celle-ci encaissa relativement bien les premiers coups des multiples lames composant l'artéfact, se cabossa au quatrième, se fissura tout à fait au cinquième. Dans sa tête, l'Ostrogoth perçut un bourdonnement de protestation: l'avatar de son armure désapprouvait manifestement sa réaction, semblant fort peu apprécier ce mauvais traitement. Pourtant, Jevren s'en fichait. Pour l'instant, seule sa supérieure comptait.

Rouvrant ses yeux gardés mi-clos tout au long de l'impact, il avisa un petit groupe d'âmes éthérées prêtes à lui arracher ses forces.



Sans la moindre subtilité, il continua tout droit, ne changeant pas sa trajectoire du moindre iota. Celle-ci allait au plus court vers Casshern; il était inconcevable de s'arrêter maintenant! Sentant les esprits invoqués s'agripper à sa Cuirasse, à ses jambes, à ses bras, il força encore l'allure; bientôt, il passa à travers les rangs ennemis, au prix d'une partie de sa puissance Cosmique. Déjà le sang perdu remplaçait en lui cette part de son pouvoir qui lui manquait désormais; cette folie, cette frénésie du combat qui le prenait à chaque blessure montait en lui.

Avec un hurlement bestial, plaçant une puissance monstrueuse dans l'assaut, il envoya une formidable frappe d'estoc à l'usurpateur. Sa lame libérait déjà le nuage noir dont la nature toxique chargerait davantage l'air de poison; ces brumes délétères étaient insupportables, même pour quelqu'un que l'armure de la Pestilence protégeait momentanément. Et il ajouta:



Un long frisson le glaça en pleine action, sitôt son coup porté à Casshern. Où était Okra? D'habitude, Jevren était capable de percevoir sa puissance, ainsi que celle des autres Cardinaux. Mais là, son Cosmos...

Il avait disparu!

Le Flamboyant restait calme. Dorénavant toutes les conditions étaient réunies pour jouer en sa faveur, et bien que Jevren se refusait à y croire le potentiel de la Pestilence ne cessait de se révéler à travers les manœuvres de l'ancien Python. La brume acide qui habitait les lieux était totalement imprégnée du cosmos de ce dernier, les veines végétales qui jonchaient les dalles de l'antichambre dévoilaient à chaque instant la présence du Frelon au maître des lieux, l'arme même de la Pestilence fouettait sa cuirasse et quant au corps de son porteur... chaque seconde qui s'écoulait le rendait de plus en plus éthéré. Une nouvelle cuirasse, de nouveaux arcanes.

Armant de nouveau sa lame extensible, Casshern effectuait un saut de côté à l'approche de son adversaire qui le chargeait après avoir surmonté les blessures de ses spectres. Il n'y avait pas moyen de déterminer si la frappe était tout simplement passée à travers lui ou s'il l'avait bel et bien esquivée. En revanche, la nature cosmique de l'attaque s'empressait de ronger ses membres et de lui faire goûter une nouvelle forme de poison. Il prenait instantanément de la distance, le temps de se s'habituer et enfin d'assimiler les effets de ce brouillard noirâtre. Si celui-ci s'était révélé efficace dans un premier temps, il y avait bien peu de chance que cela contamine la Pestilence elle-même : Un détail qui lui rafraîchirait sans doute les idées s'il s'en apercevait.

Crois-tu réellement que j'aurai pu revêtir une telle cuirasse sans finir ronger par son pouvoir ? Je te pensais suffisamment bien placé pour savoir de quoi celle-ci est capable en particulier. Cataclysm of Thorns !

L'amnésique effectuait un bond en arrière pour disparaître à nouveau au milieu des nappes de vapeur pestilentielle. Son cosmos se rassemblait entre ses mains avant de libérer une onde de choc frappant les quatre recoins de l'antichambre ainsi que tout ce qui se trouvait sur son passage, autrement dit Jevren. Pour accompagner cette modeste démonstration, de nombreuses ronces émergeaient du sol pour s’agripper à ce denier, l’écorchant de part en part. Bien que certaines se brisaient, d'autres prenaient le relais presque aussi rapidement pour l'entraver efficacement.

Le Cardinal réapparaissait devant son adversaire qu'il foudroyait du regard. D'un mouvement sec, sa lame dansait autours de la silhouette entravée du Frelon avant de se refermer sans pitié sur sa cuirasse. S'il ne se calmait pas rapidement, Casshern n'hésiterait pas à employer de plus grands moyens encore pour punir soldat et armure. Les crochets de sa lame venait cette fois-ci briser sauvagement la cuirasse et les accroches qui la maintenait en place, nul doute qu'après cela ses prochaines attaques seraient bien plus ciblées envers son ancien frère d'arme.

Jevren ! Si Okra n'est pas ici même avec cette cuirasse sur les épaules, c'est tout simplement parce que la Pestilence ne lui revient plus...

Jevren le savait bien: tout ce qu'il voyait, entendait, ressentait lui indiquait que Casshern était le nouveau porteur de la Cuirasse de la Pestilence.

Pourtant, il ne pouvait se résoudre à y croire.

Dans son entêtement aveugle, il continuait à s'en prendre à son nouveau supérieur, qui s'affairait de son côté à lui rendre chaque coup reçu. Rapidement, ce dernier s'était soustrait à l'attaque du Frelon afin d'éviter tout contact prolongé avec la brume noire; la précaution était inutile, car les fumerolles se déplaçaient en fonction de la volonté de leur utilisateur. Finalement décidé à calmer le jeu, Casshern laissa exploser son cosmos en une puissante onde de choc qui balaya Jevren plusieurs mètres en arrière. L'Ostrogoth avait déjà eu un avant-goût du potentiel dévastateur des arcanes de Casshern, et s'attendait à voir des serpents apparaître dans le but de l'étreindre; à sa grande surprise, ce furent des ronces qui s'élevèrent du sol, l'emprisonnant temporairement, tailladant sa chair et faisant couler le sang.

La lame extensible prit le relais, immobilisant Jevren dans son étreinte. L'armure du Frelon crissa sous la violence du choc, et un bourdonnement plus vif encore vint emplir la tête de son utilisateur. Si cela continuait ainsi, la volonté de la Cuirasse cesserait de lui être favorable; le Berserk se verrait alors vêtu d'un simple morceau de métal, et le Cosmos de Casshern l'écraserait à coup sûr. Pourtant, il ne se débattait pas. Volontairement, il laissait ce déluge d'attaques drainer ses forces, faire couler son sang... Car bientôt...

Sans aucun signe avant-coureur, son corps commença à dégager une aura blanche, d'abord très ténue, puis de plus en plus aveuglante. Soudain, augmentant dans des proportions incroyables, se répandant dans les environs comme une bourrasque, elle envahit une bonne partie de la salle, allant jusqu'à repousser un instant les fumerolles toxiques qui emplissaient l'air. Sous cette brusque décharge d'énergie, les ronces se désagrégèrent, l'épée-fouet lâcha sa prise; quant à l'armure du Frelon, le Cosmos s'infiltra dans ses fissures, y apportant une réparation temporaire.

Levant sa lame vers le plafond, Jevren, une lueur folle dans le regard, y concentra toute cette énergie. Disparaissant progressivement des environs, les particules lumineuses vinrent s'agglomérer autour de l'arme, tournoyant avec une parfaite régularité autour de cet axe nouveau. C'était l'équivalent miniaturisé d'une modeste galaxie qui naissait là; Casshern s'en doutait probablement, il s'agirait de l'ultime tentative du Frelon visant à l'extirper de sa Cuirasse. Tout autour du rouquin, douze lances obliques d'énergie pure s'élevèrent toutes ensemble; elles le percèrent à l'unisson, au niveau du plexus, ne lui faisant aucun dégât externe mais épinglant son âme même sur place.

Alors, attirant à lui les derniers résidus de cette aura dégagée par son éveil au Septième Sens, Jevren se confectionna une paire d'ailes aux dimensions monstrueuses; un battement plus tard, il s'élançait sur la Pestilence, tentant de l'empaler proprement - de cet unique coup d'estoc saturé par sa puissance.

Alors que les lames acérées regagnaient le manche de l'épée extensible, le Flamboyant constatait les ravages causés au corps du Frelon. Celui-ci était capable de bien mieux, mais la colère aveugle qui l'habitait en ce moment même lui avait été fatale. Il avait tout encaissé sans aucune forme de stratégie -sans pour autant broncher face à la douleur- pour lutter contre cette éventualité qui ne lui plaisait apparemment pas. La Dame Pestilence qui avait précédé Casshern devait avoir une place des plus élogieuses dans l'esprit de Jevren. D'autant plus lorsqu'on se rendait compte du tempérament de ce dernier, qui ne pesait pas ses mots et ce même en face d'un Cardinal. Avec Frozia à leur dernière rencontre, et maintenant, bien que la situation se révélait être un peu plus complexe. Cependant, si son adversaire approchait sans cesse de la vérité il n'abandonnait pas pour autant son attitude destructrice. Mais l'éthéré cessait de le dévisager pour effectuer un bond maîtrisé vers l'arrière, atterrissant juste devant son trône. Ce n'était toujours pas terminé, le cosmos du Frelon atteignait un seuil extrême et les ronces stoppaient leur progression pour tomber en morceaux. Une lumière importante se formait au milieu de toute cette brume, allant même jusqu'à la repousser pendant que le berserker reprenait de l'aplomb. Son arme dressée vers les hauteurs, il rassemblait tout ce qui lui restait de son cosmos pour provoquer un dernier assaut.

Les yeux de Casshern s'écarquillaient un instant devant ce que s’apprêtait à faire son ancien frère d'arme, un rictus de colère s'emparait de lui. Mais il était déjà trop tard, et avant même de pouvoir se préparer à repousser cette impressionnante quantité de cosmos une dizaine de lance venait le transpercer. Son état éthéré ne le préservait pas d'une telle frappe qui s'attaquait précisément à son âme. Une souffrance bien réelle le terrassait à nouveau, mais il se contentait de tenir sa position en étouffant le cri rage qui ne demandait qu'à s'échapper de ses bronches. Son regard chutait vers le sol, pendant que le Frelon se précipitait à sa rencontre pour lui infliger le coup de grâce. Mais...

Arrête ça immédiatement...

Juste avant que le pic aiguisé de l'arme adverse vienne à sa rencontre, le Flamboyant expulsait une violence onde de choc à bout portant. Celle-ci n'avait aucune propriété offensive mais était suffisamment puissante pour repousser l'assaut. La lame avait néanmoins pénétrée cette protection cosmique, et elle en ressortait avec comme seul récompense le droit d'être parfaitement émoussée. Casshern quant à lui n'avait pas bougé d'un pouce, les lances d’énergie semblaient toujours plantées dans son corps éthéré. Mais la ou elles s'étaient enfoncées, une fumée profondément noire se répandait peu à peu pour effacer toute trace de visibilité. Cosmic Corruption...

Cette mascarade est terminée Jevren, car c'est bel et bien dans ma demeure que tu te trouves. Ici, mon cosmos est omniprésent. Le poison ambiant n'est autre que mon souffle. La cuirasse du Frelon elle même t'abandonne pour rejoindre les intérêts de la Pestilence. Il se rapprochait, répendant son sombre poison tout autours de lui. Le décor s'effaçait pour ne laisser que sa silhouette vraiment visible. Dois-je te rappeler que tu es lié à mon armée, celle de la Terreur ? Vois qui je suis, et ose encore contester ma place en tant que Cardinal.

Le poison vaporique s'infiltrait dans le corps affaibli de Jevren, corrompant son cosmos et emprisonnant son corps dans une paralysie temporaire. Cette fois-ci, l'affrontement prenait fin. Le détenteur de la Pestilence rangeait sa lame extensible dans son fourreau en s'approchant fièrement de son interlocuteur. Son âme se régénérait déjà, lentement. Les blessures occasionnées par la fureur du Frelon n'étaient pas négligeables et le général à la chevelure écarlate en était bien conscient, il allait devoir consacrer beaucoup de son temps pour en effacer les séquelles.

Je suis Casshern, Cardinal de la Pestilence. S'opposer à moi revient à s'opposer aux desseins d'Arès. J'espère que ceci est bien clair pour toi, berserker du Frelon...

Une colère froide l'animait, et pour son interlocuteur qui l'avait déjà rencontré par le passé, il était bien difficile de faire le lien entre son attitude actuelle et son ancien tempérament. Le Flamboyant avait quelque peu changé, autant physiquement que psychologiquement. Et si sa personnalité était peut être toujours la même, son attitude envers les autres avaient l'air bien différentes. Ce n'était cependant pas le meilleur moment pour l'affirmer, la frénésie de Jevren à son égard l'ayant bien évidemment forcé à s'imposer de la sorte. Mais maintenant, peut être les deux hommes pouvaient repartir sur des bases plus stables. L'armée de la Terreur pour accomplir ses objectifs ne pouvait se permettre d'être bancale et pour cela, Casshern était prêt à beaucoup de sacrifice.

Jevren s'effondra lourdement au sol.

Si l'entrave exercée par Casshern avait fait ployer le peu de volonté qui l'animait encore, c'était bel et bien l'épuisement qui le terrassait ainsi. Stupidement, Jevren avait dépensé son énergie sans aucune précaution, sans chercher à se protéger; il avait payé le prix fort. Etalé de tout son long, aux pieds du rouquin victorieux, il ne put que se redresser péniblement, roulant sur le dos afin de conserver un contact visuel avec le vainqueur de cette joute pour la fierté.

Dans sa tête, les bourdonnements du Frelon, chargés de reproches, résonnaient avec une puissance encore jamais ressentie. Leurs échanges étaient rarissimes; plus que des mots, c'étaient des émotions qui transitaient entre armure et porteur. L'Ostrogoth avait fait l'erreur impardonnable de considérer sa Cuirasse comme une vulgaire protection de métal, adoptant un comportement proche de l'affront envers le présent d'Arès: c'était cet affront qui faisait si vivement réagir l'armure, d'habitude si muette. Un flot d'images représentant le guerrier à la chevelure d'argent et son comportement lors des dernières minutes assaillirent ses pensées - plus qu'un flot, c'était même un torrent qui se déversait en lui, lui montrant sans se lasser les incroyables erreurs qu'il venait de commettre.

Faisant entièrement abstraction de ce harcèlement mental, Jevren se concentra sur ce que lui disait Casshern. Cardinal... Oui, c'était évident. Son aura se mêlait parfaitement avec celle de l'ancienne Cuirasse d'Okra; elle se faisait sentir dans toute la Citadelle, et si l'homme à la crinière de feu avait été un imposteur, il aurait été rapidement exécuté - par Ephtal, notamment. Enfin, l'ancienne Cardinale ne pouvait qu'être rongée par la décrépitude - la sienne - si elle quittait l'armure, vaisseau de ses quelques souffles de vie. La vérité l'avait si bien aveuglé qu'il en avait détourné son regard; c'était là le juste châtiment de son zèle excessif.



Dans sa tête, la voix du Frelon perdit de son volume, jusqu'à s'éteindre presque entièrement. Jevren ne pouvait désormais saisir que quelques idées incohérentes, exprimées de-ci de-là. Il soupira, levant les yeux pour croiser ceux de Casshern.


- Berserker du Frelon, hein? Peut-être plus pour longtemps. Vois comme la mâchoire de Kryuk a broyé cette Cuirasse. J'ai fait une bêtise, je crois...


Il soupira, résigné. La Cuirasse perdait de sa force, et bientôt, Jevren ne serait plus qu'un soldat ordinaire, comme ceux qui arpentaient la Citadelle jour et nuit, montant la garde et surveillant l'entrée de la porte principale. Il était amusant de voir avec quelle stupéfiante rapidité l'on pouvait tout perdre après une seule et unique erreur.

A moins que...

Le visage du Flamboyant s'adoucissait faiblement alors que son adversaire subissait les retombées de la frénésie qui l'animait quelque temps plus tôt. Les blessures comme l'épuisement le condamnaient, et le poison qui infiltrait son corps le clouait au sol pour de bon. Dorénavant, Casshern n'avait plus rien à craindre de cet homme et ses prouesses guerrières qui semblait de toute manière se faire à la situation.

Le surplus de brume noirâtre se dissipait au bon vouloir de son maître qui considérait maintenant son poison comme inapproprié s'il voulait poursuivre cette discussion. D'autant plus qu'au vu de son état, Jevren risquait d'avoir déjà suffisamment de mal pour se relever après avoir négligé à un tel point les limites de son propre corps. La colère du Cardinal s'estompait à mesure que la cuirasse du Frelon perdait de son aura divine. Jetant un bref coup d’œil en direction de son fourreau, ou sommeillait Kryuk, il réalisait d'une part la puissance qu'une telle arme pouvait contenir en même temps qu'il constatait les dégâts adverses. A ses yeux, cette lame transpirait bien plus en cosmos que le reste de l'armure qui l'encombrait dans ses mouvements : A la base, le jeune Python s'était habitué au port de protections légères. S'il devait ne garder qu'un symbole de son titre par le futur, nul doute que se serait cette arme aux lames extensibles.

Passant une main dans sa crinière écarlate pour la renvoyer vers l'arrière, l'amnésique plaquait ensuite son genou au sol pour se rapprocher de son frère d'arme. Celui-ci semblait particulièrement sonné, mais parvenait quand même à grommeler quelques mots. La forme presque éthéré de Casshern s'effaçait, lui offrant à nouveau une silhouette bien définie, un sourire neutre sur le visage. Servir le titre plutôt que la personne...

Je ne t'en demanderai pas plus, du moins tant que tu ne dirigeras plus tes lames vers les mauvaises personnes à l'avenir. Le chaos ne doit en aucun cas régner dans nos rangs... Le ton de sa voix se faisait presque amical, contrairement à l'attitude qu'il adoptait depuis le début de la conversation. Minutieusement, il retirait gant et plaques d'armure de son bras gauche tout en continuant à parler, calmement. Et non, cette morsure n'est rien d'autre qu'un avertissement. Si Kryuk aurait réellement voulu te châtier ses entailles t'auraient été mortelles, tout simplement.

Sur ses mots, il saisissait la lame de Jevren qui reposait calmement à ses côtés, presque dénuée de tout pouvoir. Les traits du Flamboyant se durcissaient, alors qu'il tendait les muscles de son avant bras au dessus du corps épuisé de son adversaire de quelque minutes. En effet, cette réprimande de la part de Kryuk ne se voulait pas définitive et son propriétaire détenait évidemment les moyens de remédier aux maux causés par son propre fléau. Prenant une large inspiration, l'écarlate creusait ensuite sa chair sur une surface plutôt conséquente. De quoi libérer suffisamment de fluide rougeâtre et sombre sur l'armure inanimée du Frelon.

L'arme du berserker vibrait elle même au contact de ce sang si particulier qui coulait dans un but précis : Celui de redorer la cuirasse brisée. Une vapeur corrosive s'échappait d'abord du contact entre protection et liquide écarlate, au point de douter du résultat final d'une telle entreprise. Mais tout deux pouvaient le sentir, ce transfert d’énergie qui dépassait de loin l'attente du Cardinal. Lui même n'était qu'une marionnette lors d'un tel procédé, et bien qu'il en avait appris la manière de faire, la puissance divine qui se dispatchait dans l'antichambre enfumée se situait bien au dessus du contrôle de Casshern. Épuisé par le combat et affaibli par le flot de sang qui quittait ses veines, ce dernier commençait même à tourner de l’œil alors que la cuirasse ne cessait de réagir en produisant cette fumée crépitante.

Reprenant soudainement ses esprits pour éviter de sombrer dans l'inconscience dans un tel état, le Flamboyant se relevait maladroitement. Empoignant son avant bras de son autre main pour refermer les plaies, il murmurait plusieurs mots à un rythme désordonné pour appliquer à son corps ses arcanes éthérés. Voilà qui lui permettrait de tenir provisoirement, le temps de refermer cette blessure dont le sang semblait sans cesse attiré par la cuirasse du Frelon. Dans un soupir faible il s'affalait dans son trône de ronce, totalement épuisé par ce qu'il venait de faire. Après une ou deux bonnes minutes, ses yeux se posaient sur la silhouette de son frère d'arme : La cuirasse avait cessé de réagir, la fumée s'était dissipée et on pouvait finalement apercevoir le résultat. Bien que sa vision était trouble, le Corrupteur se risquait presque à croire que l'armure de Jevren semblait plus puissante encore qu'à son arrivée.

Mais... Casshern se questionnait après un tel effort. Réparer une armure, bien que particulièrement endommagée, état-il toujours aussi éprouvant ? Non, il s'était sûrement déroulé quelque chose de plus important encore... La volonté d'Arès, il l'avait de nouveau ressenti en ces lieux...

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