Le combat qui avait eu lieu dans sa propre Antichambre était terminé lorsque Guerre revint dans son antre. Il ne prêta aucune attention à la scène de dévastation qui se tenait devant ses yeux, ni à l’état dans lequel il retrouvait ses appartements. Etait ce du à sa vision troublée ou à son esprit embrumé voguant d’ores et déjà sur d’autres strates de conscience ? Impossible à dire, tout ce qui demeurait constatable fut le corps du jadis dénommé Arkhann qui s’effondra sur le sol glacé dans un bruit sourd. Son armure s’était retirée peu avant sa chute, et c’est ainsi que la lourde épée représentant la cuirasse de Guerre heurtant violemment l’une des nombreuses dalles gravées de l’antichambre. Le son métallique qui s’en dégagea résonna à plusieurs reprises contre les différentes parois de cette dernière, non sans laisser une sombre idée de vide tout en accroissant le mystère des chiffres inscrits à même le sol.

Mais si l’on pouvait croire au premier abord qu’il allait trouver la un peu de repos, quand bien même dans une position aussi inconfortable, il n’en fut rien. Les murs ne tardèrent à perdre leur consistance physique pour disparaitre et n’être plus que des lignes éthérées dévoilant ainsi des bribes d’un temps et d’un espace. Les yeux éreintés du Cardinal se rouvrirent sur l’univers lui-même, constatant avec surprise que le sol contre lequel il reposait avait disparu et avait à présent été remplacé par une sorte de champ de force semblable à une paroi de verre. Quel était à présent ce nouveau maléfice ?

- Sincèrement Arkhann, tu croyais quoi ?

Qui était cette personne ?

- Tu crois avoir réellement fusionné avec moi ? Sais tu donc QUI je suis ?

Inutile de se creuser plus longtemps quant à l’identité secrète de cette étrange entité qui n’était représentée que par une voix extrêmement grave et ténébreuse, comme étant issue du Néant lui-même. Le Cardinal, qui avait peiné à se relever fut accablé d’une douleur violente qui accompagnait une série de flashs d’une extrême barbarité. Lui avait vécu une vie de guerre et de combat, une vie de sang et de mort, il se retrouvait terrassé par des visions d’affrontements plus atroces que tout ce qu’il avait pu ressentir. Etait ce donc cela que devait affronter tous ceux qui étaient baignés ou mêmes effleurés par son Cosmos ? Non, c’était un degré supérieur, une sorte de de véritable démonstration de force.
Néanmoins la vie qu’avait vécu le Suomi faisait en sorte que ce n’était pas le contenu des flashs qui le meurtrissaient, mais simplement leur intensité, cette idée de ressentir, de vivre les choses plus que pleinement tel un acte d’une pure transcendance. C’est alors que, petit à petit, le Cardinal parvint à se nourrir de cette énergie, pour apprécier pleinement ses scènes de combat qu’il affectionnait tant. Son corps secoué de spasmes aperçut alors la forme se matérialiser devant lui. Il … ou plutôt Elle : la Guerre.

- Je ne comprends pas, comment puis-je te voir alors que tu es moi et que je suis toi ? Cet être est un nouveau né, un hybride, une union dont tu es partie intégrante.

- Toi qui a renié ton nom, ta vie et ton être, je suis la discorde, la mésentente, l’antithèse de toute forme de paix, comment peux tu croire m’assimiler aussi facilement ? Tu n’as absorbé qu’une infime partie de moi-même, quant à moi, je continue de t’observer dans cette épée que tu tiens, dans cette armure que tu portes, dans ce cosmos qui est le tien.

Guerre restait sans voix face à une telle révélation. Sa quête d’identité, déjà fastidieuse, venait de prendre la forme d’un cul de sac. Qui était il en réalité ? Etait il réellement la Guerre ? Etait il un imposteur ?

- Je lis en toi comme dans un livre, vu qu’une partie de moi est en toi, dans un sens. Tu n’es pas un imposteur, tu es Guerre mais considérons cela dans une version « embryonnaire ». N’as-tu jamais ressenti ces choses qui te dépassent ? Ces visions que tu ne comprenais pas ? Cette sensation de déjà vu ou celle de « je le reverrai » ? Je me suis volontairement détaché de toi pour t’observer et le résultat a été peu engageant.

Le Berserker savait à quoi elle faisait allusion, cette même réprimande que lui avait fait Ephtal, simplement pour une défaite ? Mais avaient ils tous vécu le même combat ? La faiblesse physique et psychique du Cardinal laissa place à une rage vibrante, ses yeux lançant des éclairs à la Guerre personnifié, à sa propre cuirasse. Celle-ci prenait la forme d’une femme nue, aux lignes généreuses, minces et parfaites, dont l’esthétisme et l’aspect tranchait clairement avec ce qu’elle représentait, à l’image de ses mains douces et fines, aux ongles travaillés, qui tenaient pourtant avec fermeté la lourde épée de Guerre. Une unique cicatrice, située sur le côté droit du bassin, soulignait avec doigté la beauté des lignes de la jeune femme. Son visage toutefois restait dissimulé par le lourd casque qu’arborait habituellement le cardinal, rehaussant le mystère et pouvant aisément susciter une forme de frustration à l’idée de ne pouvoir contempler un visage dont on devinait aisément la beauté sans pouvoir la contempler. De longs cheveux flottaient derrière elle, qui était aussi éthérée que pouvait l’être un spectre, ces derniers n’étant pas sans rappeler ceux du Berserker, comme si le hasard avait fait que l’un semblait être l’alter ego de l’autre.

- Tu t’es menti à toi-même, Arkhann, ou plutôt Cardinal. La vérité est que je t’ai effrayé, que le pouvoir t’a effrayé et que ce que tu allais incarner t’effrayer aussi. Néanmoins ne crois tu pas que c’est toi qui doit inspirer cette peur et non la subir ? Souviens toi si tu en es capable, mais l’humain que tu étais se battait encore mieux que tu ne le fais actuellement malgré tout le pouvoir dont tu peux disposer. Mort a eu raison de te réprimander alors que lui-même doit te craindre, TU dispenses la Mort ne l’oublie jamais.

Le Cardinal demeurait sans voix, frappé en plein cœur par les propos tranchant de sa Cuirasse.

- Il est temps d’arrêter de te ménager, tu sais ce que tu dois incarner et il est temps de te rappeler ce que tu savais faire et de quel est ton véritable pouvoir. Nous allons fusionner une bonne fois pour toutes, et ca ne sera pas sans douleur. Je ne suis pas réputé pour faire les choses avec douceur, paix ou harmonie. Néanmoins, j'ai eu raison de te choisir, je n'en démords pas, un être aussi spirituel que toi ne pouvait pas mieux me comprendre que le premier imbécile assoiffé de sang venu. Personne d'autre n'aurait pu saisir les subtilités autres que tailler, trancher et égorger. Personne d'autre n'aurait su appréhender mes multiples autres facettes. Disons simplement qu'il était temps de remettre les choses d'équerre.

La Guerre s'arqua alors, se mit à scintiller, souleva la lourde épée et chargea d'un puissant coup d'estoc ... droit dans le ventre du Cardinal, qui ne put retenir un hoquet de surprise. C'est ainsi, par ce chemin, qu'elle rentra en lui, sans douceur, sans volonté de ne pas faire mal, elle s'inséra, broyant et écrasant tout sur son passage, se faisant sa propre place dans cette âme qui n'était pas la sienne. C'est alors que toute une vie de combat, ses combats, éclatèrent en une poignée de secondes, tel un véritable big-bang mental qui le projeta au sol, faisant de son esprit une charpie. Puis il sentit la Guerre se mettre à refroidir, encore et encore, pour devenir la plus vive des brûlures qu'il soit. Âme à l'intérieur de son âme, le feu se répandait et ravageait le plus profond de son être, alors que s'amorçait la fusion véritable.

Ce n'était pas une nouvelle naissance, un nouvel être, une nouvelle confiance, mais un être renforcé, à la conscience renforcé, dans un esprit renforcé et au sein d'un corps renforcé. Le pouvoir se déchaina alors que Guerre, le Véritable, retombait à nouveau sur le sol, son esprit voguant à présent dans les limbes de l'inconscience. Il entendait la voix pour la dernière fois dans un coin reculé de son esprit :

- Rappelle toi des chiffres de l'Antichambre, tes chiffres ...
- Oui et bien ?
- Tu sais ce qu'ils représentent, mais ca sera à toi de les honorer et de les appliquer lorsque le moment sera voulu.

Tout comme lorsque le Prophète l'avait découvert, une redoutable et épaisse couche de glace recouvrait à présent l'intégralité de l'Antichambre, sur le sol, les murs ou le plafond. Les stalactites et stalagmites faisant d'un tel lieu une toile d'araignée glacée. D'ailleurs ce dernier était sans doute venu durant l'hibernation de son apprenti si l'on considérait l'étrange présent que Guerre avait retrouvé lorsqu'il s'était éveillé. Il avait bien failli passer à côté d'un si petit objet face à la glace qu'il avait du détruire pour se sortir de sa prison et qui s'était entassé en blocs.
Il prit le pendentif en main et tout son nouveau pouvoir se vit canalysé, tu, comme si Ephtal lui-même était en sa présence pour le maitriser comme lui seul savait le faire. Peut être qu'ainsi Guerre allait pouvoir parcourir le monde.

Décidément tout indiquait un nouveau départ.