Le Python tenait la cadence sans broncher. En plus d'être une mission d'importance, celle ci sonnait également comme une initiation dans son esprit et il était donc naturel de se plier au mouvement général en prenant exemple sur ses pairs. S'adapter restait la meilleure chose à faire pour ne pas causer de faux pas, il en était conscient et avait encore besoin d’expérience sur le terrain avant de s'élever ou de prendre des initiatives personnelles. Possédant néanmoins une bonne formation et des compétences supérieures à la moyenne, il ne souffrait pas totalement des efforts fournis lors des longs trajets à cette vitesse. Comme tout chevalier au service des dieux. Sa cuirasse entretenait également ses capacités physiques amoindries et lui apportait sans problème les moyens de tenir le coup jusqu'à l'objectif. Il n'y avait donc pas à se plaindre.

Évidemment, il était plutôt éprouvant de vouloir maintenir le rythme sans se soucier des exigences du corps humain. Casshern accueillait donc volontiers la fraîcheur de la nuit qui faisait doucement son apparition, ainsi que la pause qui s'imposait et durerait tant que la cardinale l'exigerait. Saisissant sa gourde pour se désaltérer, il jetait un regard intrigué en direction de sa supérieure afin de déchiffrer ses pensées. Un visage carnassier qui cherchait une proie, voilà ce qu'il voyait. Pour quelle raison, ils auraient déjà suffisamment à faire une fois près du but, s’inquiétait-elle du contraire ? Quoiqu'il en soit, le repos ne tardait pas à être interrompu par le son des sabots du destrier s'éloignant encore... Soit, elle semblait les mener vers une bourgade en bord de mer, ce qui semblait être étonnant de sa part après avoir cherché à se tenir à l'écart de toute civilisation depuis le départ de la citadelle.

Une envie de confort peut être ? L'idée faisait sourire l'amnésique. Sans même la connaître, il semblait évident qu'une telle pensée soit peu probable venant de la part de cette femme à l'air hystérique. D'ailleurs, interrompant l'avancée de son cheval et donc du groupe à une bonne distance de la vie paisible des hameaux, voilà qu'ils pouvaient encore constater cette expression foncièrement mauvaise sur son visage. Ce qui n'était qu'un doute s'imposait maintenant comme une évidence. Baissant le regard pour cacher son étonnement, le berserker relevait rapidement les yeux alors que Frozia exécutait l'une de ses techniques cosmiques dans le but de déverser ce qui s'approchait le plus d'un mini-apocalypse pour un village de cette envergure. Toutes ses vies perdues... il y avait sûrement une raison à cela. Bien qu'il possédait une certaine morale, le Flamboyant n'avait plus de réel attachement envers le monde ou l'humanité, ce qui était peut être triste à dire. Maintenant, seul lui importait la reconnaissance des siens. C'est pourquoi ses yeux s'attardaient de nouveau sur les flammes qui consumaient et se propageaient au loin, se demandant presque pourquoi cela lui avait déplu l'espace d'un instant. Peut être une part de lui même, bien cachée, qui déplorait cet incident.

Puis, la furie borgne s'expliquait brièvement. Si cela faisait parti du plan, il était donc nécessaire de mettre la main à la pâte : Après tout et malgré l'attitude déplaisante de celle ci, elle restait un modèle de destruction. Une des quatre. Exécuter ces ordres ne représentaient pas une injure à ses principes, qui allaient de toute manière à Arès et ses principaux subordonnés.

Qu'il en soit ainsi, bien que je ne vois pas en quoi utiliser la puissance du cosmos sur des personnes incapables de se défendre a d'amusant... Son air légèrement blasé risquait peut être de déplaire à la Famine, qui était quant à elle du genre à prendre plaisir dans ce genre de situation. Mais le Python était une recrue de choix pour la création de charnier et ça, il ne manquerait pas de le montrer à travers un exemple frappant. Ce ne sera pas long, je vous le garantis.

Retirant juste un bras de l'épaisse cape grisâtre qui recouvrait sa cuirasse, Casshern laissait doucement affluer son cosmos à travers sa main gantée tout en s'avançant vers l'objectif. Accumulant rapidement une tension importante entre ses doigts, il éjecta d'un geste puissant toute la concentration contre le sol, provoquant une légère onde de choc fissurant celui ci.

« Wild Twists »

Une puissance manifestation de cosmos parcourait la terre pour ressortir bien plus loin. Un nombre important de lourds serpentins saisissaient les civils innocents, broyant chair et os par leurs torsions meurtrières. Malgré le niveau relativement simple de la technique, un surplus de cosmos étonnant transformait cette offensive en désastre, touchant une zone majeure en un rien de temps. Là était la force du Python, des attaques auxquelles on n'échappe pas, capables de ravager des terrains entiers. Et ce naturellement, car presque chacun de ses coups s'exprimaient avec autant de puissance. En hommage à Arès.
Le désastre persistait pendant que l'écarlate regardait son œuvre sans véritable satisfaction autre que d'accomplir son devoir. Il n'y avait pas à en douter, le plus long allait être de rassembler les corps sans vie...

Le voyage fut long, et l'orientation de ce dernier, d'apparence opposée à celle que je préconisais, n'avait pour mérite que de me mettre, lentement mais sûrement, hors de mes gonds. A notre arrivée, comme tous, je me demandais où la Cardinale voulait en venir. Et plus encore après ses ordres. Massacrer des innocents était une chose inédite. Ces civils n'avaient sans doute rien à voir avec les événements qui nous amenaient en ces lieux. Je lui jetai un regard mauvais, avant de me souvenir de mes paroles. Dans cette Mission, j'avais juré allégeance à Arès et à sa Générale. Je n'allais pas retirer mes paroles maintenant. Par ailleurs, la borgne semblait persuadée que perpétrer ce massacre aurait pour résultat de nous mener vers notre destination. Dans cette optique, ces innocents ne l'étaient plus tout à fait. Enfin, plus vite nous les tuerions, plus vite nous parviendrions là où se tenaient nos ennemis. Mon état de nerfs aida cette donnée à faire son chemin et à prévaloir sur mes principes.

Mes poings se serrèrent et mon énergie explosa. J'avais de toute façon terriblement besoin de frapper quelque chose, excédé par les décisions de la Cardinale. Pour l'heure, je n'en soufflerai pas mot. D'une cohésion parfaite dépendait l'accomplissement de la Mission. Quand tout serait fini, mes sentiments pourraient éclater au grand jour. Pour l'heure, ce ne seraient que ma colère et ma violence. Je fis volte-face, me détournai de mes alliés, vers la bourgade enflammée. Déjà, les habitants quittaient leurs demeures, fuyaient les flammes pour des zones moins dangereuses qu'elles ne pourraient pas atteindre. Les plus proches de nous se jetaient dans la gueule du loup, pensant sans doute trouver secours auprès des silhouettes qui restaient calmes face au chaos. Mon analyse de la situation m'amena à une certitude : le plus grand nombre se réunirait sur la place centrale. Par-dessus mon épaule, je jetai un regard à mes frères d'armes. La borgne et l'homme aux cheveux flamboyants étaient déjà à l'emploi. Cela ne m'empêcha pas de m'adresser à eux autant qu'au dernier.

« Chacun à un point cardinal, rendez-vous sur la place. Ainsi, personne ne s'échappera. Je prends l'Est. »

L'instant suivant, je m'élançai vers le point opposé de la ville, la contournant à la vitesse du son. Déjà, un groupe de citoyens se trouvait là, hurlant, pleurant, à genoux ou debout, face à la cité enflammée, cherchant follement du regard un proche rescapé. De nulle part, je leur tombai dessus, poings levés. Il ne fallut pas cinq secondes pour qu'aucun son ne s'élève plus de cet endroit, à l'exception du crépitement des flammes. Mon cosmos explosa, me garantissant une protection contre la chaleur et les brûlures, puis je filai dans la rue qui menait à la place. Les rares habitants que j'y rencontrai étaient déjà mourants, leurs vêtements et cheveux en feu, leur course rendue chaotique par la fonte de ce qui avait été leurs yeux. J'eus un rictus. Pour la première fois depuis des années, je donnais des coups sans même songer à sourire. Ce n'était pas un combat, mais un massacre. Je ne pouvais pas y prendre le moindre plaisir.

Alors que j'avançai, mes avants-bras se couvraient de sang, au fur et à mesure de mes rencontres hasardeuses. En quelques occasions, je trouvais un reptile constitué de cosmos fermement arrimé aux membres des victimes. Dans un élan de colère que je savais sans influence, je piétinai les serpents qui mourraient et s'évanouissaient. Finalement, mes pas me conduisirent à portée de vue de la place. Comme je l'avais pensé, ici s'entassait la majeure partie de la population. Des hommes, des vieillards, des femmes et des enfants, solidement entrelacés, aussi désespérés qu'effrayés, mais dans les yeux desquels brillaient le feu débordant d'espoir de la survie instinctive. Un feu qu'il me faudrait éteindre. J'étais vraisemblablement le premier arrivé, le premier à qui incombait cette tâche. Attendre les autres importait peu, désormais. Les flammes étaient hautes et puissantes, quiconque chercherait à me fuir brûlerait avant d'atteindre l'extrémité du village. Mon cosmos explosa, de sorte que même ces humains, qui en étaient presque dénués, me sentirent, détachant leurs yeux du brasier pour se focaliser sur ce qui s'imposa à leur esprit, comme un danger plus terrible encore.

Alors, en un instant, je fus sur eux.

Finalement, le petit groupe avait pu suivre le rythme du destrier infernal de Frozia plus aisément que ce qu'aurait pu croire Jevren. Ce dernier, qui assurait une surveillance constante à l'arrière de la formation, n'eut pas le temps de s'ennuyer malgré l'absence totale de danger sur le trajet; bientôt, les servants d'Arès parvinrent à un hameau isolé en plein territoire romain. Le Frelon n'y ressentait pas la moindre présence divine; que voulait faire la Famine, en les envoyant ici? Celle-ci ne tarda pas à répondre à ses interrogations, distribuant ses ordres de mort et de destruction comme s'il s'était simplement agi d'envoyer ses compagnons lui chercher des oeufs et des légumes à l'agora. Conformément au surnom que Frozia lui avait attribué plus tôt - bien qu'il ne le sache pas -, Jevren demeura interdit. Raser un village? Quel intérêt? C'était gaspiller du temps et des efforts pour... Quoi exactement, d'ailleurs? Quelque chose que seule la Cardinale savait, au final.

Jetant un oeil autour de lui, l'Ostrogoth se rendit compte que le reste de l'équipe s'était mise au travail, non sans un certain déplaisir. Lorsqu'il s'y mit à son tour, la plupart des villageois avaient été réduits à l'état de masses charnues et informes gisant çà et là le long des chemins. Une sauvagerie bien inutile... Il se saisit de sa lame d'estoc, qui reposait dans son dos, en travers de l'armure; d'un geste sec, il la ramena en avant de son corps. Un déclic se fit entendre, et l'arme doubla en taille, prête à l'utilisation.

Cela n'enchantait guère Jevren d'en être réduit à supprimer ainsi des innocents; tout au long de sa carrière militaire, jamais il n'avait pris la vie d'hommes ou de femmes inaptes à faire la guerre. A chacun son rôle: ceux-là existaient pour se soumettre et assumer les fautes de l'armée censée les défendre, pas pour endosser la fonction de ladite armée lorsqu'elle venait à manquer. Ils ne disposaient pas même de l'équipement nécessaire pour tenter de sauver leurs vies. Le Frelon ne possédait pas un sens de l'honneur très poussé; cependant, il comprenait la valeur d'une vie humaine et, selon lui, il n'y avait qu'un adversaire armé qui pouvait se montrer prêt à périr par l'épée.

Pour cette fois, une exception allait être faite. La machine était lancée; si Jevren lui-même ne faisait pas sa part du travail, d'autres s'en chargeraient de façon plus violente; les flammes qui rongeaient les bâtisses finiraient d'achever les blessés. Il remonta une série de ruelles, fauchant parfois un ou deux hommes sur son passage, tout en prenant soin de viser le coeur pour leur garantir une exécution rapide. A un moment, un villageois manifestement hystérique arriva de nulle part, glaive à la main; l'Ostrogoth, d'un mouvement rapide, put se soustraire au coup et riposter immédiatement, projetant le malheureux dans les décombres toujours embrasées d'une petite ferme. Un long hurlement rauque le suivit alors qu'il tournait à l'angle d'une rue, juste à temps pour voir un pan de tissu disparaître par la porte de l'une des quelques maisonnettes épargnées par le feu. Jevren s'élança à sa suite; arme à la main, il franchit le seuil de l'habitat et avisa, mal dissimulée derrière une table, une femme encore jeune serrant contre elle deux petites filles qui ne dépassaient pas sept ou huit ans. Le regard du Berserk rencontra celui de la mère; voyant qu'elle était découverte, elle rampa dans un coin, plaçant sa marmaille derrière elle afin de s'interposer comme un rempart. Jevren, après avoir jeté un coup d'oeil au-dessus de son épaule, ficha son arme entre deux lames du parquet, s'avança, fut reçu par un crachat lancé en sa direction; sans dire un mot, il repoussa la femme terrorisée qui tentait de le labourer de ses ongles et saisit l'une des gamines hurlantes par le revers de sa robe. Là, il fit quelques pas, ouvrit du pied le lourd panneau de bois qui masquait l'entrée de la cave et déposa sans ménagement son colis dans l'ouverture béante. Sa soeur subit le même sort; puis ce fut au tour de leur mère, sur laquelle il referma la trappe après un dernier regard d'incompréhension.

Jevren passa les minutes suivantes à effectuer des aller-retours éclairs, les bras chargés de corps inanimés, afin de ramener les morts au centre du village. Bientôt, une pile de taille respectable et à l'odeur répugnante s'élevait là. Avisant Frozia qui passait à proximité, il la héla.


- Heureuse?


Un simple mot, avec une pointe d'amertume, qui sonnait comme un "en avez-vous assez?" empreint de mauvaise volonté. D'un geste large, il tendit son arme en direction du monticule humain auquel il faisait face. Le carnage avait suffisamment duré à son goût.

Alors qu'une odeur cramoisie se répandait au dessus du charnier provoqué par les serviteurs d'Arès, le Flamboyant nettoyait minutieusement ses gants rendus poisseux après avoir rassemblé de nombreux corps inanimés et ensanglantés. Cette mascarade ne semblait pas affecter le moins du monde la conscience de ce dernier, pourtant, l'explication bancale de Frozia concernant ses ordres ne manquait pas de l'agacer. Mais avant même de pouvoir dire un mot, il se surprenait à observer celle-ci exécuter un étrange rite autours de la pile de cadavres en y faisant couler autant de sang que disponible dans le membre disloqué. Il avait beau être intrigué par ces actes, le Python restait septique en ce qui concernait la nécessite de toute cette mise en scène. Sentant que le rituel risquait de se prolonger encore un moment, il se retirait sans un mot vers un chaise intacte à l'abri du toit extérieur d'une masure dont les murs avaient été fraîchement repeints. Cette odeur de sang... il allait devoir faire avec tant que le groupe ne quittait pas les lieux.

Dépliant ses jambes de manière décontracte, et ce tout en gardant un œil distrait sur l'avancée de l'étrange pratique orchestrée par la Cardinale, l'amnésique méditait un instant sur l'objectif de leur mission. Le calme était de nouveau présent bien que moins naturel que celui imposé par la tombée de la nuit, et la fatigue accumulée au cours du voyage le poussait à s'accorder un léger repos. Cependant, celui-ci fut de très courte durée. Ratant au passage tout les croustillants détails du rituel de la Démone sans être apparemment perturbé par les tremblements, il se réveillait tout de même en panique à cause d'un cri effroyable. Dégainant sa courte dague par réflexe, Casshern se levait en trombe pour constater la silhouette inerte de la Famine qui se tenait à quelque mètres à peine d'une gigantesque flaque de sang. Ayant raté le gros de l’événement et ne comprenant pas vraiment ce qui s'était passé, il s'élançait à ses côtés.

Qu'est ce que..!

Rassuré après avoir mesuré le pouls de la Furie borgne, il l'attrapait sans chercher à comprendre ce qui s'était vraiment passé pour la déposer dans le siège précédemment occupé. Un regard furtif en direction des autres berserkers pour observer leur attitude alors qu'il s'était légèrement emporté après son semi-sommeil, il évitait néanmoins la pluie sanguine maintenant qu'il était plus ou moins à l'abri. De nouveau dans son mutisme, l'homme aux cheveux écarlates attendait patiemment que l'inconsciente se réveille pour qu'elle puisse apporter de nouvelles directives au groupe. Ce qui ne tardait pas : Après une ou deux minutes d'attente cette dernière se relevait, affichant une expression nouvelle qui faisait sourire le Python. Snobant ses acolytes dès son réveil, voilà qu'elle finissait par désigner une direction. La mer... Ok, il avait clairement raté une étape, mais peu importe, il fallait croire que les serviteurs d'Arès avaient une nouvelle destination. Mise à part la première difficulté qui s'imposait, l'amnésique ne voyait pas du tout de quoi Frozia voulait parler et ce sans doute parce qu'il avait perdu la mémoire. Se passant la main dans les cheveux, plongé dans une nouvelle réflexion, il accordait simplement un signe négatif à ses camarades avant de prendre la parole.

Hum, je ne sais pas exactement ou est-ce que l'on se rend, mais les seuls moyens disponibles pour traverser toute cette eau sont de vulgaires bateaux de pèche. Enfin, j'ai vu que les gens d'ici avaient différents navires, mais je doute fortement qu'ils possèdent mieux que ça... Permettez moi Cardinale de prendre le temps de préparer des offrandes à Poséidon si vous comptez nous faire embarquer dans ce genre de rafiot... On en aura bien besoin, et encore heureux que celui-ci compte parmi nos alliés.

La mine grave, Casshern tournait le dos au groupe pour se tourner vers le chemin menant jusqu'au port, en espérant que les bateaux n'aient pas été endommagés par les flammes ou autres artifices destructeurs lors de leur carnage.

Tuer la foule de citoyens n'avait pas été long. Ces êtres étaient infiniment plus fragiles que mes derniers adversaires, et je constatai avec un plaisir qui me semblait malsain, à quel point les nombreux jours passés à la Citadelle m'avaient rendus fort. Mais le plaisir disparut bientôt pour céder la place à une froide et méthodique exécution. Aucun de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, n'eut le temps de me voir venir, ou de fuir aveuglément la place. Bientôt, ce fut un sol sanglant aux membres épars qui faisait œuvre de forum. Mes frères ajoutèrent un à un leurs pierres à l'édifice macabre, et les corps dépassèrent finalement la taille d'un homme. Frozia nous ordonna d'attendre, et je ne me fis pas prier, animé par le dégoût et la curiosité. A quoi cela serait-il utile, je me le demandais.

Avec une lenteur exaspérante, un rituel s'œuvra sous nos yeux, et la majorité d'entre nous n'en perdit pas une miette, inquisiteurs que nous étions face à la Cardinale et nos soupçons d'avoir fait un carnage injustifié. Mais quand le rituel prit fin, toute circonspection prit fin, remplacée par la fascination d'un spectacle mystique et terrifiant, celui d'une monstruosité d'outre-tombe, qui sembla se lier à la Cardinale pour lui communiquer des informations qu'elle semblait seule à entendre. Un hurlement cadavérique franchit ses lèvres, et tout ne fut plus que néant, à l'instar des forces de la Famine, qui s'effondra, rattrapée par Casshern, le seul d'entre nous qui avait osé bouger après avoir vu ce que nous avions vu. D'un regard sur le visage paniqué de l'homme, je sus qu'il n'avait rien vu. On ne pouvait voir cette abomination et garder contenance. On ne pouvait après avoir contemplé ce qui semblait être l’œuvre du Diable et garder autant de couleurs sur le visage.

Quand Frozia revint à elle, faible et semblant aussi perdue que nous l'étions, elle pointa vers une direction. Mon sang ne fit qu'un tour ; tout cela n'avait pas été totalement vain. Nous avions une destination. Et même si le Berserk aux cheveux de feu souleva promptement la question de la manière de s'y rendre, en mon for intérieur, je ne m'en inquiétais pas. Savoir où l'on allait constituait déjà un début. Mon regard pointa vers la direction que la jeune femme nous avait indiqué tandis que Casshern évoquait la possibilité de prendre des navires de pêche. Mes souvenirs lointains du temps où j'assistai Numera durant ses leçons me revinrent en mémoire. Par-delà cette mer se trouvait le continent au sud. Les déserts le parcouraient de parts en parts, marqués de quelques oasis verdoyants... Quant aux montagnes... Le geste de Frozia pour les décrire me revint en mémoire, et mon regard se figea. Un sourire s'étendit lentement sur mon visage.

« Les Pyramides. L'Egypte, nous allons en Egypte ! »

Pour moi-même, tout d'abord, cette affirmation était devenue une exclamation portée à l'attention de tous mes comparses qui ignoreraient la signification de ces « montagnes ». Je me tournai vers eux, une lueur sauvage et empressée dans l’œil. J'étais catégorique, et savais à présent où trouver mes ennemis. Mon cosmos explosa, sans raison apparente, tandis que mes sens se ravivaient, oubliant le massacre perpétré ici, ou l'abomination qui avait surgi des profondeurs des Enfers. Il était grand temps de partir. Et si cela nécessitait l'aide de Poséidon, j'étais prêt à tout. Mon regard se porta sur le Flamboyant, et d'une voix inquisitrice, et qui dissimulait mal mon excitation, je lui allouai mon aide.

« Courir sur l'eau aussi longtemps nous fatiguerait trop, et notre Cardinale est déjà épuisée. Nous nous reposerons dans le navire et finirons le trajet quand nos forces nous le permettront. Si tu sais comment appeler les faveurs de Poséidon, laisse-moi t'y aider. »

Mon regard se tourna vers Frozia, qui, je le savais pertinemment, ne manquerait pas de contredire le diagnostique que je lui avais établi, qu'il soit avéré ou non. Elle était de la même trempe que moi, et n'accepterait jamais qu'on la pense trop affaiblie pour quoi que ce soit. Moi-même, j'étais loin d'être au mieux de ma forme, à cet instant. C'était là ma maigre vengeance pour la mort d'innocents. Mais je n'avais pas l'intention de la laisser répliquer :

« Laissez-nous nous occuper du reste, Cardinale, je ne vois pas de meilleure solution. »

Mes yeux se posèrent sur le dernier d'entre nous, à qui j'adressai un regard interrogateur, curieux de savoir s'il se joindrait à nous, puis je me dirigeai vers Casshern, prêt à l'assister quoi qu'il ait en tête.

Peu à peu, le silence s'était fait dans le village. Seul le crépitement des flammes berçait encore la conscience des quatre soldats d'Arès; les cris, eux, s'étaient tus - et pour cause: il ne restait plus personne d'assez vivant pour émettre autre chose que le râle guttural propre à ceux dont l'âme se sépare peu à peu de leur corps.

Alors Frozia commença son manège. Intrigué, Jevren haussa un sourcil lorsqu'il la vit user du sang fraîchement écoulé d'un membre arraché afin de tracer la limite derrière laquelle se déroulerait sa sinistre arcane. Il recula de quelques pas, devançant d'une poignée de secondes le tracé vermeil sur la trajectoire duquel se trouvait son pied droit. Alors, il observa. Ses yeux suivirent attentivement l'avancée de la corruption noirâtre et sinistre lorsqu'elle remonta vers les morts. Ils se tournèrent ensuite vers Frozia lorsque sa chevelure se mit à onduler, portée par l'aura maléfique qui s'emparait d'elle. A y regarder d'une certaine façon, l'on aurait presque pu croire que la Cardinale était plongée dans l'eau, bercée par les courants marins. Un spectacle qui aurait pu être reposant, dans d'autres circonstances - mais l'impression malsaine de danger immédiat qu'il inspirait plutôt fascinait d'une toute autre manière.

Puis tout se passa très vite. A quelques mètres de lui seulement, une mâchoire monumentale surgit brusquement du sol, faisant trembler les environs; elle happa la pile de cadavres comme s'il s'était agi d'un fabuleux repas - Jevren eut l'impression que tel était réellement le cas -, et le Frelon sentit presque son coeur se stopper dans sa poitrine. Il rejeta vivement son corps en arrière, avec une terreur visible, et tomba sur son séant. Une pluie d'entrailles morcelées suivit son geste de près, chutant tout autour de lui. L'oeil rond, il fixa un point invisible, situé droit vers l'horizon, et vit à peine Frozia se convulsionner et choir au sol, rattrapée de justesse par le Berserk aux cheveux rouges; puis ce fut une seconde averse, de sang celle-ci, qui marqua la fin de l'immonde rite de la Famine.

Maculé de liquide vital, et bien trop proche de la scène, l'Ostrogoth tenta péniblement de se relever. Un instant plus tard, il se plia en deux, vidant dans un ignoble gargouillis une partie du contenu de son estomac. La créature, les entrailles éparses, le massacre - tout ici lui soulevait le coeur. Cette scène lui avait été bien plus pénible à voir que toutes les guerres qu'il avait traversées.

Après une durée à peu près égale à celle de la perte de conscience de Frozia, il reprit quelques couleurs et put enfin se relever, tentant de faire abstraction de son état et de celui des environs. Il écouta, aussi patiemment que possible, chacun de ses équipiers y aller de son petit commentaire. Peut-être était-ce dû à son état actuel, mais il avait la désagréable impression d'être le seul à penser que cette expédition était affreusement hasardeuse. Il appréciait les choses carrées et proprement organisées; la situation dans laquelle ils se trouvaient tous lui paraissait absurde et révoltante. Sans crier gare, il explosa.


- Le navire? L'un d'entre vous sait-il seulement naviguer? Nous aurions pu nous servir des connaissances d'autrui pour continuer ce voyage, non? Mais bien évidemment, QUELQU'UN a voulu que nous exterminions toute vie dans ce village, y compris les MARINS qui auraient pu nous faciliter infiniment la tâche, sans envisager une seconde de devoir peut-être y avoir recours alors que la MER est juste sous nos yeux! Alors que ce rituel immonde l'affaiblit, et qu'elle se trouve peut-être trop indisposée pour reprendre un voyage à un rythme soutenu!


D'un geste vif et un peu trop large, il désigna la direction dans laquelle se trouvait le port, puis avança droit vers Frozia, devant laquelle il se campa sans lui donner le temps de reprendre ses esprits.


- Je ne conteste pas votre volonté de recourir à cette arcane, si cela s'avérait nécessaire, mais POURQUOI avoir perdu tant d'heures à venir jusqu'ici pour faire ce que nous aurions pu faire près de notre point de départ? Croyez-vous vraiment que nous sommes les seuls à être au courant de cette manifestation que nous poursuivons? Il s'agit d'un évènement d'une importance capitale, tous les autres Dieux doivent l'avoir remarqué; nous ne pouvons perdre notre temps! ALORS?


Un silence de mort s'abattit alors que ce dernier mot achevait de résonner. Soudainement conscient qu'il s'était approché davantage à mesure qu'il élevait la voix, il recula subitement, laissant à son interlocutrice un espace vital plus acceptable.

Il se définissait lui-même comme un suiveur, certes... Mais il ne suivait pas n'importe qui, et le fait que la volonté d'Ephtal, voire d'Arès lui-même, aient placé Frozia dans sa position actuelle ne pouvait, à ses yeux, justifier ce qui avait eu lieu.

Se tenant à l'écart alors que les esprits s'échauffaient le Python abandonnait rapidement son idée initiale alors que la Cardinale reprenait du poil de la bête. S'il s'était laissé tenter par une simple proposition, ce dernier avait tout de même conscience de son manque d’expérience en ce qui concerne les voyages. Depuis le réveil qui avait succédé à l'amnésie et son arrivée parmi les serviteurs d'Arès il n'avait en aucun cas regagné la surface, et encore moins retrouvé de possibles connaissances ou habitudes de sa vie passée. Et puis, le besoin de faire ses preuves bridait son ego et le renforçait dans sa solitude. Il patientait encore un moment, ne manquant pas un mot de l'échange agressif entre Frozia et l'un de ses frères d'arme aux cheveux de couleur platine. Celle-ci expliquait, ou plutôt se justifier plus clairement pour contenir encore un peu la tension qui ne demandait qu'à éclater. Sans être douée pour diriger, elle avait un don certain pour mettre à cran ses partenaires avant un hypothétique affrontement en approche.

Mais... et maintenant ? Peu importe le ressenti de chacun sur ce les méthodes employées, ils se devaient de continuer leur chemin rapidement. Si les navires demandaient quant à eux trop de temps et de moyens, persister à traverser la mer à pieds semblait être du suicide si le groupe ne prenait pas un peu de repos : Et pas seulement la Famine, rendue de nouveau dynamique par les remarques des berserkers, mais bien tout le monde. Cependant, une idée s'imposait sans crier garde dans l'esprit de cette dernière qui après une étrange démonstration d'autorité rappelait à ses côtés le trio de soldats. Tout en se rapprochant, le Flamboyant ne masquait pas son incompréhension devant se regroupement silencieux. Mais un nouvel artifice ne tardait pas à faire apparition, non pas par l'intermédiaire de la démone mais plutôt par son destrier qui ne dévoilait que maintenant un... moyen de transport qui leur permettrait de traverser l'obstacle maritime. Il n'avait pas vu de chevaux à part ceux des cardinaux depuis son amnésie mais pourtant, quelque chose lui affirmait que toutes les montures n'étaient pas semblables à celles-ci. Sinon, l'évidence voudrait qu'il ait rencontré au moins un cavalier volant depuis que le groupe avait quitté les portes d'obsidienne. Bref, il s'échappait. Se tournant vers Jevren en réalisant que pas mal de chose lui échappait depuis le début de cette aventure, il esquissait un sourire.

Voilà qui règle tout nos problèmes... Je doute que nous puissions profiter chaque jour d'une telle occasion alors, allons-y.

Se laissant entraîner par le cosmos du destrier infernal, le chevalier à la chevelure de flamme se précipitait vers les hauteurs sans hésitation. Tout ce qui avait attrait au cosmos l’intéressait, et il ne perdait pas plus de temps pour se mêler et s'habituer à cette sensation qui lui était accessible. L'objectif n'était plus qu'à portée de main, bientôt, le Python allait avoir l'occasion de faire ses preuves.

A peine eus-je tourné le dos au reste du groupe que l'un d'entre nous, celui aux cheveux blancs, hurla. Je cessai immédiatement de marcher, et avec une curiosité courroucée, je tournai la tête en sa direction. Ses paroles étaient certes sensées, mais n'étaient qu'un amoncellement de reproches impulsifs adressés à la Cardinale. Mes sourcils se froncèrent, et je dus réprimer l'envie dévorante de le faire taire. Outre sa colère farouche pour Frozia, nous ressentions tous la même chose que lui. Mais nous avions la décence de chercher des solutions au lieu de ressasser les problèmes que nous avions déjà. Nous étions des Berserker, des soldats, et notre tâche était d'agir, pas de tergiverser. A titre personnel, parce que plus que tous, je voulais que nous nous retrouvions au plus vite face à nos ennemis, je lui vouai dès cet instant une haine féroce. Et à titre collectif, parce qu'il bouleversait l'équilibre précaire de notre groupe, je me promis de le faire taire aussitôt qu'il semblerait prendre goût à ce type de discorde.

Frozia prit le parti de répondre à ses questions. Comme chacun de nous le devinait, elle avait ses raisons pour avoir voyagé jusqu'ici. Je n'appréciais pas plus que l'autre les moyens, mais il fallait se cantonner au fait qu'ils étaient efficaces. Satisfait de la fin de cette altercation, et du fait que nous pouvions nous pencher à nouveau sur le voyage, je repris la direction prise par l'homme aux cheveux de feu. Avant que la voix de la Famine ne nous interpelle. Intrigué, je fis demi-tour, sans me priver de lancer gratuitement un regard noir au contrevenant. Arrivé à proximité de la Cardinale, je jetai un regard à son destrier, puisqu'il semblait être la cible de sa nouvelle joie. Les chevaux des Cardinaux, ces bêtes monstrueuses, étaient pleines de ressources, mais au point de nous prendre tous sur son dos et de galoper sur l'eau jusqu'en Egypte ? J'en doutais.

Mais alors que nous étions tous réunis autour de ce couple singulier, une puissante énergie irradia les environs. Lentement, un feu sans chaleur enveloppa nos pieds, et forma, à ma grande surprise, un parterre flamboyant. En quelques secondes, nous décollâmes. Frozia manifesta son contentement, et me fit sourire à mon tour. Nous volions vers l'Egypte, et vers nos ennemis. Mon énergie vibra autour de moi, suivant le rythme des battements de mon cœur. Bientôt, je pourrais combattre. Ma sauvagerie, éteinte jusqu'alors, sembla renaître de ses cendres. Devant moi, Jevren se tenait. A voix basse, lourde de menaces, je lui murmurai.

« Une chance que cette folle ait trouvé une solution. Sans quoi je te faisais ramer jusqu'en Egypte. »

Etait-ce sa brusque saute d'humeur ou une toute autre raison qui avait inspiré ce soudain regain d'énergie à la Cardinale borgne? Jevren n'en savait rien, mais la chose lui paraissait bien étonnante compte tenu de l'état dans lequel elle se trouvait jusqu'ici. Un être humain ne se relève pas d'une perte de conscience comme d'un simple vertige...

Pourtant, les faits étaient là: Frozia avait repris du poil de la bête. La nature surhumaine de ceux qui connaissaient le Cosmos ne devait pas être étrangère à ce rétablissement pour le moins miraculeux. Surpris, laissant parler ses réflexes, il attrapa au vol le légume envoyé par son interlocutrice et le contempla comme s'il s'agissait de la première fois qu'il en voyait un. Il ne mordit toutefois pas dedans, trop intéressé par ce que la Cardinale avait à lui dire. Forcément... Vu sous cet angle, il était vrai que le voyage dans lequel cette dernière les avait tous entraînés pouvait être justifié. Et pourtant, Jevren, l'espace d'un instant, chercha quelque chose à lui rétorquer - n'importe quoi, pourvu que la remarque soit pertinente. A son grand dam, l'idée salvatrice lui manqua; et, se rendant compte qu'il laissait sa frustration prendre le dessus, il inspira un grand coup et résolut de se taire.

La Cardinale en profita pour rappeler les deux Berserkers sur le point d'aller faire leur offrande à Poséidon. L'un d'eux - le borgne qu'il pensait, au départ, lié à Frozia - lança un regard courroucé à l'Ostrogoth; celui-ci ne s'en inquiéta pas outre mesure. A chacun ses opinions, après tout. Peut-être Jevren s'était-il un peu trop avancé en pensant parler pour tout le groupe, certes; mais l'expression parfaitement neutre du rouquin qui se tenait aux côtés de son collègue laissait deviner que lui-même, sans pour autant parler ouvertement, s'était très certainement posé les mêmes questions. Ou, du moins, qu'il leur avait trouvé un certain intérêt.

Suivant pour l'instant les directives de Frozia, le Frelon résolut de ne pas faire davantage de vagues et s'approcha docilement de la monture infernale qui avait porté la borgne à l'aller. Et l'impensable se produisit; l'équidé intensifia ses flammes, décolla doucement du sol en emportant les quatre humains avec lui, puis fila, dans un tourbillon de feu tiède, à travers les cieux, droit vers l'Egypte. Abasourdi, Jevren réagit à peine lorsque son camarade à crinière rousse lui adressa la parole. Oui, c'était une solution pour le moins improbable - tellement qu'il n'aurait pu lui-même l'imaginer. La monture divine les sauvait tous, d'une manière apparemment indépendante de la volonté de la Cardinale... Mais ils se déplaçaient tous vers la destination voulue, et c'était ce qui importait.

Straw lui souffla à son tour quelques mots; la réaction du borgne parut étrange à l'Ostrogoth. Il traitait lui-même Frozia de folle, mais paraissait ne pas se ranger pour autant à l'avis du Frelon, au vu de sa réaction. Inconstant, simplement sur les nerfs? Autre chose peut-être? Lui jetant un regard de biais, le guerrier d'Arès haussa les épaules et croqua dans sa carotte, émettant au passage un bruit sonore.

Il fallait bien s'occuper, sur le trajet qui les mènerait en Egypte.