Du haut de l'escarpement surplombant les villages alentours, ainsi que les différents bâtiments du Sanctuaire, je contemplais le viol qui avait été perpétrée durant notre absence. A l'amère perte qui avait soldé notre séjour romain, s'ajoutait maintenant la plaie vive de voir notre foyer souillé par les marqueurs de la guerre. Preuves les plus marquantes de ce qui avait pu se dérouler, les Maisons du Capricorne et Bélier, éventrée, détruites, ouvertes aux quatre vents. Rome n'avait pas été la seule à subir les assauts outrageux de créatures venues des ombres, et d'après les récits que nous avions pu avoir des personnes rencontrées sur le chemin, villageois revenus sur leurs terres pour reconstruire ce qui était parti en fumée, d'autres puissances phénoménales s'étaient éveillées en ces lieux, aidées par des guerriers féroces venus d'on ne savait où. Bref, il me tardait de revenir au Sanctuaire pour comprendre le fin mot de l'histoire, tout comme j'avais à cœur de m'enquérir de l'état de mes camarades. Voir que notre fief n'était pas entièrement ravagé me laissait entendre que nos chevaliers avaient su défendre les lieux, même avec quelques pertes.
Alors que nous descendions dans la vallée, passant dans les vestiges du village marquant l'entrée du lieu saint, je notais avec exactitude toute trace de lutte ou de destruction, essayant par ma présence de redonner un peu de courage aux travailleurs autour de nous. Ils avaient la mine abattue mais nous regardaient pourtant avec un espoir déchirant, qui m'ordonnait presque de leur donner le Monde, là, maintenant, afin d'apaiser leurs angoisses. Je pouvais comprendre le sentiment qui les assaillaient, car il sourdait aussi au fond de mon cœur. Si notre place forte même n'était pas à l'abri d'une attaque, quelle conclusion tirer de cet épisode? Mais je faisais face avec bravoure, laissant l'or de mon armure baigner leurs iris, l'emplir de chaleur, de toute la chaleur que je pouvais contenir.
Premiers pas sur le marbre des marches marquant l'entrée de notre foyer. Et, subrepticement, je voyais mon ami, mon maitre, le roc sur lequel nous reposions tous, ciller. Les interrogations se bousculèrent dans ma tête, avant que le ressenti pur ne balaye tout dans une morne et insoutenable vérité: deux des nôtres n'étaient plus, et leurs constellations pulsaient leur solitude dans le firmament. Ainsi, c'était bien pire que ce que j'avais pu imaginer, nos rangs aussi bien que notre Sanctuaire marqués d'une ouverture, sordide balafre ne laissant la place qu'à de l'amertume. Et alors que ce constat me laissait hagard, le temps d'un instant, un autre sentiment s'imprima dans mon esprit, empreinte du feu qui s'écoulait dans mes veines: nous avions vaincu une déesse des Temps Anciens, outrepassé nos conditions d'homme rien qu'un moment, et ce n'était pas là la fin de notre fratrie, ni de notre mission divine.
Prenant pied sur l'esplanade suivant le premier portail, avisant la Maison du Bélier, mon visage ne laissait plus place au doute, à la peine ou à la surprise. Nous apportions des nouvelles de l'Ouest, des nouvelles d'espoir, de puissance et de gloire, malgré les ombres qui nous entouraient. Et c'était plus que jamais à nous, les Anciens de notre Ordre, de relever les murs qui étaient tombés, de faire face pour que nos camarades repartent à l'assaut pour la gloire de la déesse, et la protection de l'Humanité.