Durant les quelques semaines qui suivirent mon arrivée sur les terres d'Arès, je n'eus rien d'autre à faire que d'écouter, et d'apprendre. L'apparition soudaine des Dieux et des guerriers à leurs services dans mon appréhension du monde avait soulevé un nuage de questions auxquelles je m'étais appliqué à recevoir des réponses. Ce faisant, je laissais mon corps s'habituer à l'orbite vide qui se cachait sous le bandage serré autour de ma tête. Ma vision et mon sens des profondeurs s'en étaient trouvés affectés, et marcher avait constitué un effort sans précédent. Me battre était tout bonnement exclu, aussi me concentrais-je sur mes questions. Arès n'était pas le seul Dieu existant qui rassemblait des forces armées pour affirmer son autorité sur le monde. Parmi les plus connus, l'on répertoriait Athéna, Apollon, Poséidon, et Odin. Il était de notoriété publique que les deux premiers appelaient à eux un certain nombre de guerriers. Concernant les deux derniers, c'était à vérifier. Un groupe constitué de deux Cardinaux s'était déjà rendu auprès de Poséidon. Un deuxième était sur le point de se rendre sur les terres d'Odin, en Asgard, pour faire la rencontre éventuelle de ses Ases.

Groupe dont la missive froissée au creux de ma main me faisait membre. Par des gestes rapides et précis, renforcés par l'habitude de ces dernières semaines, je défis mon bandage face au miroir de mes quartiers, contemplant d'un œil froid la paupière fermée maculée de sang coagulé, avant d'en serrer un nouveau. Contrairement aux premiers jours, pas un soupire, pas un tressaillement n'agita mon corps. Cette blessure ne pouvait m'handicaper indéfiniment. J'étais enfin prêt. Après avoir refermé et noué les pans de mon ample tunique, je sortis sans un regard en arrière, pour rejoindre le point de rendez-vous où j'allais trouver mon binôme pour cette mission. Je n'avais pas la moindre idée de qui il s'agirait, et il y avait fort à parier pour que ce soit notre première rencontre. En effet, mes rares contacts avec les gens d'Arès s'étaient limités à Ephtal pour certaines entrevues, et quelques combattants qui jugeaient un guerrier sur son armure... Et qui en avaient payé le prix fort, quand il s'était avéré que le fait que je ne portais pas mon armure n'était pas anodin.

Sur le seuil de la porte d'Obsidienne, là où je devais retrouver l'homme qui m'accompagnerait, je fis finalement sa rencontre. A mon image, il n'était pas ce que l'on trouvait de plus courant dans la faction d'Arès. Pas de gigantisme ou de muscles saillants, pas de mimique stupide ou d’œil menaçant. Et pourtant, sa force n'était pas à prendre à la légère. S'il y avait une chose que j'avais apprise à mes dépens, c'était que je n'étais plus un être à part, comme j'avais pensé l'être, dans les sous-sols de Rome, durant les cinq années durant lesquelles j'avais combattu sans relâche et sans défaite. Ici, la force donnée par le cosmos était monnaie courante, et mise à part mon expérience du combat, rien ne me distinguait des autres guerriers divins. Nous échangeâmes un regard, une parole, et nous partîmes. Par choix ou intimidation, aucun d'entre nous ne sembla vouloir approfondir notre lien. Pour ma part, je craignais qu'une parole ou qu'un geste ne décuple ou ne réduise à néant l'excitation qui faisait bouillir mon sang. On ne passe pas facilement outre une habitude longue de cinq ans consistant à tuer un homme par jour. On n'oublie pas facilement l'idée que chaque personne nous faisant face était l'ennemi à abattre. Je ne savais si j'étais l'élément le plus indiqué pour une mission diplomatique. Mais je n'étais pas prêt à donner mon second œil à Ephtal aussitôt que je commettrais un impair.


La différence entre Odin et Arès, c'était que le premier était déjà soupçonné de s'éveiller, tandis que le second n'avait pas émis le moindre son depuis des centaines d'années. Du reste, on savait où trouver le premier. Asgard, aux confins des terres enneigées, était la cité du Dieu, dont l'accès ne se faisait qu'au sommet du col d'Yggdrasil. Avec un léger sourire, je me fis la remarque que les légendes étaient curieusement proches de la réalité. Drapé dans un long manteau du même violet que ma tunique, je rabaissai le pan de tissu destiné à protéger le bas de mon visage des violentes intempéries que nous subissions, je jetais un regard à mon binôme, puis un autre en contrebas. Le voyage avait été long, et les chevaux seraient sans doute morts de froid le temps que nous rallions l'endroit où nous les avions laissés, au pied du col. Mon regard se projeta à nouveau devant nous, où trônait un arbre titanesque dont le tronc glacé devait être plus dur que la pierre. Toute vie semblait s'en être échappé, et pourtant, il ne semblait pas destiné à tomber. Je fis encore quelques pas dans sa direction, escaladant les dernières marches taillées dans la pierre, et parvins à sa hauteur. Jusqu'ici, rien n'avait permis de déduire l'éveil d'Odin. S'il s'était agi de dissimuler notre existence, peut-être n'aurions nous pas risqué de faire de plus amples recherches, mais en l'occurrence, rien ne nous empêchait de faire du bruit. Je pris une grande bouffée d'air gelée, et élevai la voix.

« J'en appelle aux Guerriers Divins d'Odin ! Montrez-vous, Ases ! »

Je ne déclinai pas immédiatement mon identité ni celle de mon comparse. Quelque part, je voulais voir le visage de ceux qui viendraient à notre rencontre quand nous leur annoncerions qu'Arès avait lui aussi fait surface.

Enfin ! La mission était officielle et Ephtal en personne avait demandé à ce que l'on prenne contact avec les peuples du Nord afin de valider la présence de Odin. Et qui d'autre que des membres de son armée pour remplir un tel objectif ? J'étais ravi de pouvoir quitter le secret de la Citadelle et tout aussi heureux de pouvoir voir à quoi ressemblait un guerrier divin. Ce qui me chagrinait un peu plus, c'était de savoir qu'un autre membre de l'armée du Feu partirait avec moi. Straw de la Mante. Un inconnu pour moi mais pour être franc, je ne cherchais pas vraiment à les rencontrer. Tant que l'on me laissait dans l'ombre, je ne me plaignais pas.

Je me rendais aux portes. La rencontre fut aussi brève qu'inintéressante. Savoir son nom et la cuirasse qu'il portait, voilà la seule chose dont j'avais réellement besoin. Le reste n'était que broutille et je n'accordais que peu d'importance aux relations humaines. J'étais seulement obligé de le suivre et de faire en sorte que notre mission soit une réussite. Sans le tuer évidemment. Mais le départ était imminent. Et la route se fit dans un silence peu commun. Ce n'était pas pour me déplaire et mon propre partenaire semblait trouver une satisfaction à ce comportement. En somme, tout allait pour le mieux. Surtout si l'on gardait en tête un élément phare de l'opération : Ephtal ne faisait confiance qu'en son armée et il concentrait les missions les plus importantes entre les mains de ses hommes. Ce qui était une preuve de reconnaissance plutôt plaisante, à dire vrai.

Car je savais à qui avait été donné cette mission, initialement. Phobos, Cardinal de la Famine, qui n'avait non seulement montré aucun respect à Ephtal et à Arès le jour de cette fameuse réunion mais qui avait aussi et surtout la malchance de revêtir une cuirasse qui n'était pas faite pour lui. Ainsi je n'étais pas surpris que mon Maître requière la présence de ceux en qui il avait toute confiance, ceux qu'il formait lui-même.

La route étant longue, nous ne pouvions nous permettre de perdre trop de temps à bavasser. Le départ fut donc donné rapidement et ce que je peux dire, c'est que silence et concentration étaient les maîtres mot de notre partenariat. La Mante religieuse et la Tarentule étaient deux créatures sournoises, capable du pire envers ceux qui osaient se dresser sur leur route. Pas étonnant alors que je me sente à l'aise en sa compagnie. A mes yeux, les mots étaient superflus et on n'avait pas besoin de cela pour apprécier une personne. Encore que pour moi, apprécier quelqu'un était seulement limité à ne pas vouloir sa mort dans les prochaines heures.

Première chose qui me frappa dans le pays où on arriva : le froid. Si intense qu'il me brûlait presque le corps. Paradoxale au possible, cette température gelait jusqu'à la moindre parcelle de mon corps pourtant emmitouflé dans une sorte de grand manteau carmin. Le vent n'était pas si violent en soi mais il permettait au froid de s'insinuer partout. Ma cuirasse me protégeait néanmoins au mieux. A mesure que nous approchions, l'ombre qui se dressait devant nous depuis quelques miles maintenant prenait forme. Ce que j'avais cru être une petite montagne était en réalité un arbre. Gigantesque et sans commune mesure avec ce que j'avais pu voir par le passé. Il ne faisait aucun doute que cet endroit était l'entrée du Sanctuaire de Odin. Encore fallait-il qu'il se soit éveillé, d'où l'importance de notre mission.

Je laissais Straw prendre les devants. Intelligemment, il ne déclina pas nos identités, laissant planer le doute quant à la faction que nous représentions. Stratégiquement parfait, je réprimais néanmoins mon sourire. Car la partie ne faisait que commencer. Légèrement en retrait, je jouais mon rôle de prédilection. Je n'étais que l'ombre de la Mort et en cela, je ne pouvais me mettre trop en avant. Straw jouerait ce rôle à merveille tandis que moi, je tisserai ma toile mais pour nous protéger cette fois. Je restais à l'affût. Espérant que ce voyage ne serait pas vain.

Citation :

Repos complet suite à mon précédent combat

Encore ?

C’est ce qu’il semble, mon frère.

Quelques semaines auparavant, des délégations de suppôts des Imposteurs avaient mis le pied au Valhalla, au grand dam de la Bête. Malheureusement pour le féroce guerrier, le Seer d’Odin souhaitait parlementer avec ces profanes plutôt que de les renvoyer, la tête sur un plateau, dans les temples de leurs dieux misérables. Et faces aux ordres de son chef de guerre, Máni ne pouvait que s’incliner. Néanmoins, cette fois-ci, les choses seraient peut-être différentes…

Cela fait plusieurs minutes que Hati et moi avons senti la présence de ces étrangers en Asgard, à proximité d’Yggdrasil. En empruntant comme à notre habitude le dédale tortueux de cavernes s’étendant à travers les montagnes d’Asgard, nous n’avons eu aucun mal à nous rapprocher rapidement de l’arbre sacré, afin de voir de quoi il s’agissait cette fois-ci, et intervenir au besoin. Car l’odeur des étrangers n’est pas la seule chose qui nous est parvenue, non. Nous avons aussi ressenti leur cosmos. Qui qu’ils soient, ils étaient donc forcément des envoyés des Usurpateurs. Et leur présence en Asgard ne saurait être tolérée une nouvelle fois.

La Bête et son molosse étaient à présent proches de l’arbre gargantuesque, et leur parcours les avait menés sur une corniche qui surplombait largement le col. Ils avaient pu constater que deux individus vêtus de manteaux aux couleurs criardes évoluaient bel et bien dans le col, en direction de l’arbre immense.

Crois-tu qu’ils soient des envoyés d’Apollon ?

Qui d’autre ? Et puis, leurs manteaux font foi. A l’image de leur misérable dieu et de leur répugnante ville, la Débauchée.

Soudain, l’un des hommes pousse un cri qui parvient presque instantanément à nos oreilles. Et ce cri suffit à éveiller en moi un soupçon de colère. Répondant à l’appel sans me montrer, dressé fièrement sur la corniche mais à priori à l’abri des regards des deux types, je lance d’une voix forte :

- Où croyez-vous être, étrangers ? Sur les terres d’Odin, les Ases n’ont d’ordres à recevoir de personne, si ce n’est de leur Dieu. A présent, inclinez-vous devant le Dieu du Nord et exposez vos intentions si vous souhaitez que les serviteurs d'Odin se présentent à vous.

S’ils n’obéissaient pas, il n’était pas impossible que les Guerriers Divins se présentent à eux malgré tout. Mais dans ce cas, ce serait pour les briser, comme le méritent tous ceux qui s’opposent à Odin…

Et Odin répondit à l'appel, d'une voix cruellement affaiblie par le vent, mais distincte malgré tout. Je n'eus pas besoin de lever les yeux pour sentir le cosmos qui émanait du Guerrier qui devait nous toiser depuis les hauteurs. Ses paroles étaient colériques, ou autoritaires, ou les deux. Une combinaison qui n'avait que le mérite de me faire fermer l’œil un moment. Ce type de réaction m'agaçait profondément. Si j'avais appris une chose à propos du respect, c'était bien que le forcer n'était pas une solution. En exigeant ainsi une marque de dévotion de notre part, il devait savoir pertinemment ce qu'il recevrait en retour. Ou au moins ce qu'il ne recevrait pas : le respect qu'il demandait. Mon œil se rouvrit et se porta sur la Cuirasse de la Tarentule. Notre mission ici était accomplie, maintenant que nous savions que les Ases étaient effectivement présents en ces lieux. Nous pourrions dès lors faire volte-face, et quitter ces lieux dans lesquels rien ne nous retenait plus. Du moins, Nosgoth le pouvait.

« Notre devoir s'achève ici, si tu veux partir, pars. »

Du fait de ma récente arrivée dans les Rangs des Guerriers d'Arès, et dans le monde des Guerriers Divins en général, je n'étais pas au fait de l'étiquette. Je ne savais pas ce qui était méprisable et ce qui ne l'était pas. Mais quand bien même l'aurais-je su que je n'aurais pas agi autrement. Mon corps se courba en un salut d'apparence solennelle, tandis que mon esprit était vide de toute inclination. Une coquille vide, c'était tout ce que j'avais à offrir. Quand je me redressais, mon regard darda sur les hauteurs, là d'où provenait la voix de notre vis-à-vis.

« Je viens humble et sans mauvaise intention. Mais j'espère voir celui qui exige du respect le rendre en commune mesure. Car je n'ai pas fait tout ce chemin pour parler à un prétendu Guerrier dont le premier réflexe est de se cacher. Même à Rome, les hommes se font face. »

Au fur et à mesure que je parlais, mon ton était devenu froid et ouvertement irrité. Je n'étais pas venu déclencher un conflit, et manquer aux règles d'Odin, mais ici, ce n'était pas un Dieu, que je méprisais, mais un homme. Que ce dernier ne sache pas faire la part des choses était envisageable. Mais alors, il ne pourrait que me blâmer moi, et non mon Dieu. Car si je savais quelque chose que lui ignorait, c'était bien là où allait mon allégeance. Droit, digne, les yeux levés sur la position présumée de celui que je défiais de mes mots, j'étais redevenu le Seigneur Souterrain. Sous terre, le statut n'avait pas d'importance. Et bien que la finalité de cette rencontre n'était pas la mort de l'un d'entre nous, j'entendais retrouver cette équité, ce respect mutuel et muet entre un homme et celui qui lui faisait face.

S'il descendait finalement de son perchoir, je pourrais emporter avec moi son visage. S'il ne le faisait pas, j'emporterais tout le reste. Ma mission était déjà accomplie, révéler le retour d'Arès dans les affaires Divines ne serait qu'un bonus que je ne ferais prévaloir qu'en pouvant observer le visage de mon vis-à-vis. Enfin, s'il venait à moi pour se battre, je pourrais laisser libre cours à ma colère, avec la certitude de ne pas désobéir à mon Dieu pour autant. Je n'aurais pas porté le premier coup, je n'étais pas responsable de la fragilité de la fierté du Guerrier d'Odin.

D'un regard, je m'enquis de l'attitude de mon binôme. Lui n'avait pas à cautionner mes paroles s'il ne le désirait pas. Je n'avais nul droit de lui faire subir les retombées de mon tempérament. Si à mes yeux un guerrier devait se comporter comme tel pour oser demander du respect, ce n'était peut-être pas son cas.

Partir pour rendre le rapport à mon maître. Voilà qui était tentant. Surtout que la voix entendue précédemment ne signifiait pas un accueil des plus chaleureux, à l'image du climat de ce pays. D'autant que je ne devais rien à Straw. Certes, il était d'une agréable compagnie mais un homme, ça se remplaçait si facilement. Alors que ma vie... Elle m'était trop précieuse pour oser la mettre en gage sur une pulsion. Mais voilà... J'étais fourbe, j'étais l'ombre elle-même, mais je n'étais pas un lâche. Et je connaissais suffisamment Ephtal pour savoir qu'il n'apprécierait que moyennement que je revienne sans mon frère d'arme. J'allais donc rester, ouvrant mes yeux et mes oreilles afin d'emmagasiner le plus d'informations possibles.

Straw s'inclina comme le lui demandait la voix. Et s'il agissait ainsi pour satisfaire cette dernière, je n'étais pas dupe au point de croire à cette supercherie. Il m'avait vraiment surpris sur le coup et je comprenais sa réaction. Notre mission était achevée mais était-ce suffisant ? Quoi qu'il en soit, il avait prit sa décision et l'assumait. Je respectais cela. Mais je n'étais pas prêt à faire la même chose. Car en déplaise à notre hôte, je ne m'agenouillais que devant Ephtal et devant la statue de Arès. Odin, bien que dieu, n'était rien à mes yeux. Et ses guerriers pouvaient toujours courir s'ils pensaient me faire courber l'échine de la sorte. Aucune question de fierté ici, j'étais le mieux placé pour savoir que celle-ci pouvait conduire un homme à la mort. Seulement je ne pouvais aller à l'encontre de mes principes. Ce n'était en rien une insulte à Odin si un serviteur d'une autre divinité préférait rester en retrait.

Le regard de Straw croisa le mien et j'inclinais la tête pour lui faire comprendre que je le suivais sur ce coup. A ma manière néanmoins. Je reculais d'un seul pas, laissant la Mante au devant de l'arbre. Que tous puisse comprendre que l'interlocuteur privilégié, c'était lui et non moi. Et j'étudiais l'environnement. Le cosmos de l'homme n'avait pas été si difficile à trouver et sa position n'était plus méconnue, me laissant le loisir de tisser ma propre toile. Je ne fis qu'un geste, imperceptible pour ceux qui nous entouraient. Au moins, si cela s'avérait nécessaire, nous aurions une porte de sortie. Que j'aménageais moi-même. C'est à demi-voix, m'exprimant seulement pour que Straw puisse m'entendre, que je pris la parole.

- Certaines légendes parlent de cet endroit comme d'un repère de braves. La terre de guerriers voués à la protection de Odin. Je ne savais pas qu'il était aussi peuplé de fantômes couards. Reste prudent. Notre Seigneur attend notre rapport impatiemment.

Ma fierté avait été piquée au vif par les propos de l’étranger. Car ce dernier n’avait pas hésité à me comparer à un romain, semblant même me juger encore plus couard que ces individus. C’était quelques chose que je ne pouvais tolérer et, impulsif comme à mon habitude, je me remis bientôt à évoluer dans le dédale de tunnels qui m’était si familier, avec un seul but : rallier Yggrasil. Je n’avais vu qu’un seul des étrangers s’agenouiller, mais tant pis. Après une telle provocation, je ne pouvais rester dissimulé…

Quelques minutes s’écoulèrent avant que l’on puisse distinguer, en arrière du grand arbre, un homme gigantesque s’approcher à pas lents, ses grosses bottes en peau s’enfonçant dans la neige à chaque pas alors que son long manteau ivoire claquait au vent. Derrière lui trottait fièrement un chien aux proportions gargantuesques. Tel était comité d’accueil auquel seraient confrontés les guerriers d’Arès. Alors qu’ils étaient arrivés relativement près de l’arbre, la voix dure du colosse blond s’éleva dans le silence des terres gelées :

- Surveille tes propos, étranger. Ici tu es sur les terres d’Odin et de ses guerriers. Il serait bien mal avisé d’éveiller leur colère.

En réalité, celle-ci avait déjà été éveillée. En Máni, l’envie bouillait de faire ravaler ses propos à la vermine à l’œil bandé qui lui faisait face. Mais il fallait qu’il se contrôle. Le Seer ne tolérerait pas un tel incident diplomatique… lui qui semblait souhaiter faire ami-ami avec tous les Usurpateurs, ou peu s’en fallait.

- Mais tu ne m’as répondu que partiellement, étranger. Que fais-tu sur les terres du grand Odin ? Es-tu venu lui demander asile ? Si c’est le cas, il faudrait faire preuve d’un peu plus de déférence à l’égard de ses serviteurs.

Mon regard dur se posa alors sur l’autre homme, le freluquet au manteau pourpre, qui se tenait en retrait. Une expression de mépris passa alors clairement sur mon visage tandis que je reprenais la parole.

- Et à quoi joue donc ton ami ? Craindrait-il le courroux d’Odin, pour ne pas oser s’avancer jusqu’à Yggdrasil ?

Le ton était donné. Parmi tous les Guerriers Divins, la délégation d’Arès était tombée sur le moins diplomate. Et même si Máni faisait de son mieux pour éviter tout incident, il était évident que ses propos n’étaient pas aussi réfléchis que pourraient l’être ceux de la plupart des autres Ases.

Restons sur nos gardes, mon frère. Ces types, qui qu’ils soient, dégagent une aura malsaine. Je ne sais pas ce qu’ils sont, mais une chose est sûre, ce n’est pas leur honneur et leur honnêteté qui les étouffe.

- Je ne crains le courroux que de mon Seigneur, barbare. Si tu tiens tant à nous traiter en ennemi, alors nous n'avons plus rien à faire en ces terres inhospitalières.

J'avançais de deux pas, me mettant à hauteur de Straw. Inutile de dire que je n'allais pas rester plus longtemps ici. J'avais attendu que mon partenaire puisse voir le visage de ce fantôme afin que ce dernier ne courbe pas l'échine inutilement. Maintenant que c'était fait, plus rien ne nous retenait sur ce territoire. Odin ne risquait pas d'avoir beaucoup d'allié à se comporter ainsi avec les autres. La fierté m'intimait de partir en brisant la nuque de ce malheureux et de son chien. Il était grand et fort mais les hommes étaient tous égaux face à la mort. Et en ma qualité de serviteur de cette dernière, je me serai fait une joie de l'accompagner jusqu'aux portes du royaume d'Hadès. Mais voilà... Je n'étais venu ici qu'en tant qu'observateur. Mon rôle d'émissaire étant étouffé dans l’œuf par cet homme. A quoi bon perdre du temps alors que le Prophète nous attendait ?

- Partons !! Nous avons l'information que nous sommes venu chercher. Et nous savons désormais que nous n'avons rien à craindre d'êtres aussi faibles et primitifs. Notre Maître n'en sera que plus heureux.

Bien que je m'adresse à mon frère d'arme, je ne quittais pas du regard celui qui se dressait face à nous. Lui et son chien. Il n'avait aucune idée du dieu que nous représentions et ce n'était pas plus mal. Arès méritait mieux que de se découvrir à des barbares. Et s'il aspirait à nous retenir, alors il ne trouverait que la mort. N'étant pas d'humeur, celle-ci serait fulgurante. De toute façon, mes fils étaient d'ores et déjà déployés, créant une toile de cosmos entre nous. Et s'il s'avançait ne serait-ce que d'un pas, il m'obligerait à la déployer, le prenant au piège comme l'insecte qu'il était.

Nous allions quitter cet endroit. Et ce n'était en rien discutable. Déjà, je me retournais, commençant le long retour qui nous attendait. Car je ne pouvais souffrir d'aucun refus, pas même de Straw. Je remettais ma capuche sur mon visage pour me préserver au mieux du froid. Ephtal ne nous avait pas envoyé ici pour que nous soyons arrêter. Et je comptais rendre mon rapport dès mon retour.

La prudence que semblait appeler Nosgoth, je n'en étais pas coutumier. Mais je n'avais pas menti en disant venir sans mauvaise intention. La mission qui nous voyait confronter ce fanatique n'avait pas pour but d'engendrer un conflit. Si combat il devait y avoir je ne jetterai pas la première pierre. J'adressai néanmoins à mon binôme un léger signe de tête. Alors, le cosmos disparut. Et mon visage se barda d'un sourire. Il sortait de sa cachette. Si la mission actuelle n'avait pas pour but la mort des Guerriers d'Odin, il n'était pas exclu qu'une mission future comble ce manque. En ce cas, connaître le visage de cet homme en ferait mon adversaire désigné. Ma proie. Les Berserkers avaient coutume de dire que la Mante Religieuse était un prédateur, et je me rendais compte à quel point ils avaient raison. Quand l'homme apparut, que nos regards se croisèrent, une joie bestiale envahit mes membres, et fit bouillir mon sang. La chasse venait de commencer. Peu importait l'attente, ce serait entre mes mains que notre hôte perdrait la vie.

Grand, habillé de blanc et accompagné par un chien monstrueux, l'homme ne démordit pas de son ton prétentieux, trop sûr de lui. Je n'avais que faire de la colère d'Odin, ou de ses Guerriers, ce n'était pas de cela dont il était question. Mais bien de lui, cet homme seul, qui nous faisait face. L'élément d'une armée qui se croyait suivi de tous, mais qui se rendrait compte en touchant le sol qu'il mourrait seul. Il renouvela sa question quant à nos intentions, et mon sourire s'étira sur mes lèvres. En montrant son visage, il avait coupé court à la conversation. Ma mission achevée, mon désir assouvi, je n'avais plus rien à faire ou à dire ici.

Nosgoth parla le premier, et pour la première fois à l'attention de notre vis-à-vis. Il fit écho à ma réflexion, et je hochai la tête à nouveau, sans pour autant la détourner du visage si convoité. Gravée dans ma mémoire, cette tête serait un jour sur l'âtre de ma cheminée. Ce fut sur cette pensée que je fis volte-face, de concert avec celui qui m'avait attendu. Il faudrait que je pense à le remercier. Tout en relevant le pan de mon manteau qui protégeait le bas de mon visage des intempéries, je tournai la tête pour m'adresser une dernière fois au Guerrier d'Odin.

« Nous nous reverrons, Guerrier d'Odin. »

Cette phrase n'avait sans doute pas la même saveur pour lui ou pour Nosgoth que pour moi. Qu'il en soit ainsi. Sans me retourner, je suivis le Berserk qui avait déjà entamé la descente des marches. La route était longue, qui menait à Arès, et plus vite nous voyagerions, plus vite nous ferions notre rapport au Prophète. Quand nous retrouvâmes les chevaux, et que mes mains s'appliquèrent à réajuster la selle de ma monture, je remarquai qu'elles tremblaient frénétiquement. Un rire léger s'échappa d'entre mes lèvres, et mon regard se porta sur la Tarentule.

« Merci d'être resté. Sans toi, je n'aurais probablement pas pu garder mon calme. »

Tout le long du chemin qui menait à la Porte d'Obsidienne, je ne pus m'empêcher de trembler d'excitation. Le calme ne me revint qu'après avoir tué le cheval rendu agonisant par la vitesse à laquelle nous le fîmes galoper.