L'heure était venue...

L'horloge figée dans son silence s'était soudain mise à frémir. Il n'en fallut pas plus pour qu'une fraction de seconde plus tard les glyphes zodiacaux s'illuminent de concert. D'origine mystique, ce feu sacré ne s'éteindrait qu'avec la fin de l'état d'alerte. Nul au Sanctuaire n'ignorait l'importance capitale que pouvait avoir ce cadran et le voir s'allumer tout à coup ne pouvait que signifier d'un état d'urgence. Où qu'ils soient et quoi qu'ils fassent, il était dès lors demandé à tous les Golds Saints de se rendre dans la maison du Pope afin d'y prendre part à une assemblée extraordinaire.
Tous sans exception étaient tenus de faire acte de présence et s'en passer délibérément serait considéré comme un acte de haute trahison. Arsiesys était une personne indulgente mais il était tenu de faire respecter l'ordre et d'appliquer les peines de par son rôle. Aussi ne transigerait-il pas là-dessus si ses subalternes n'avaient pas une excellente raison pour se faire porter pâle. Même s'il se sentait fin prêt à présider cette réunion, il n'y était pas habitué et une inhabituelle tension régnait dans l'atmosphère, presque palpable.

Décréter le Crusos Sunagein ne se faisait pas tous les jours et c'était à vrai dire la première fois qu'il était forcé de s'y résoudre. Ce qu'il avait discerné dans ses visions prêtait à confusion mais tout semblait indiquer que se préparer à entrer en guerre était de rigueur. L'alliance intemporelle entre Athéna et Apollon semblait sur le point de se désagréger et il s'en était voulu de l'avoir laissée s'effriter. Grisé par sa propre aura, Arsiesys la dissipa en douceur pour ne pas rendre la retombée trop brutale et la regarda disparaître.
Son cosmos s'était immiscé entre les pierres centenaires de son temple pour gagner l'horloge et s'en servir afin de faire part à tous de cette urgence. Ainsi même ceux qui n'étaient pas appelés sauraient que de grands changements pouvaient s'opérer d'ici peu et seraient sur leurs gardes, une précaution utile s'il se trouvait que ses visions étaient fondées. Certains fragments étaient troubles et il ne pouvait en retirer de certitudes mais une part conséquente était avérée et il se devait de prendre les mesures nécessaires à ce que cela ne leur porte pas préjudice.

En dépit de la gravité de la situation Athéna refusait de leur apparaître. C'était bien dommage car ses lumières et ses conseils avisés auraient été d'une aide précieuse pour décider de ce qu'ils devaient faire à présent. À défaut de pouvoir compter sur leur déesse autrement que par la bénédiction qu'elle leur accordait Arsiesys s'était hâté de prendre les choses en main afin de se conforter dans son rôle de Grand Pope. User de son autorité lui procurait plus de nervosité que de plaisir et il se serait volontiers abstenu s'il en avait eu l'occasion.
Malheureusement les faits étaient là et il se pouvait que l'avenir de sa faction ne dépende que de ses talents de chancelier. La pression était palpable et dire qu'il n'en ressentait pas les effets serait mentir, seulement les sujets à aborder étaient autrement plus préoccupants que son état de nerfs qu'il maquillait habilement de son habituel calme olympien. À ses côtés se tenait Sarpédon qui ne l'avait plus quitté depuis leur entrevue, qui bien que peu conventionnelle devrait l'aider à mieux cerner ce que l'on attendait de lui. Ainsi, le Sagittaire alla prendre place à ses côtés au centre de la pièce. Spacieuse, celle-ci pouvait sans problème accueillir une douzaine d'hommes et la chaleur apaisante qu'avait répandu son cosmos dans l'atmosphère saurait mettre en confiance les plus sceptiques.

- Ils ne devraient plus tarder. La grande réunion d'or est ouverte... Je préfère te prévenir, certains sont un peu spéciaux mais nous défendons tous la même noble cause. Ne t'en fais pas, tu n'as rien à craindre d'eux à part peut-être d'avoir à te dire que tu n'es pas si mal loti en fin de compte.

L'interlude du Lion était terminée. Il était donc temps de reprendre ce qu'il était en train de faire. L'ascension des douze maisons. Cette réunion au nom imprononçable. Rien que d'y penser, il avait déjà envie de faire demi tour et d'oublier de suite cette corvée. Son envie de se mêler à ses homologues étaient proche, si ce n'était égale, de zéro. Il ne se souvenait même plus quand était la dernière fois qu'il avait vu le Grand Pope. Certainement lorsqu'il était devenu Gold Saint, d'une façon assez originale, il faut bien le dire. Et ses contacts avec les autres gardiens du Sanctuaire ? Inexistants. Ou presque. Donc devoir se les farcir tous à la fois ? Difficile, il fallait bien le dire.
Sans perdre de temps, il se remit donc en route. Il ne fit aucunement attention à la possibilité que le gardien du temple avec qui il avait tapé la discute le suive. Comme à son habitude, il ne se préoccupait pas des autres. Il préféra avancer droit devant lui, traversant une à une les différentes étapes de l'ascension des plus hautes sphères du Sanctuaire. Rien n'était présent pour l'arrêter. Il fallait dire qu'il aurait été idiot de l'empêcher de se rendre à ce rassemblement. Même s'il aurait aimé avoir une excuse pour ne pas s'y présenter, évidemment.

Au moment de traverser la dernière étape, il s'arrêta un instant au milieu de ce qui semblait être un jardin de roses.Sur le coup, il se dit qu'il ne pouvait rien y arriver de pire. Il ne connaissait pas le chevalier des poissons, mais déjà il en avait mauvaise impression. Car pour aimer à ce point les fleurs, il fallait quand même être de haut niveau, même dans les protecteurs de la déesse la plus pacifiste du monde. Il ne pu s'empêcher de laisser échapper un long soupir. Le pauvre était, pour ainsi dire, désespéré.
Puis il se remit en route, sans se retourner. Et enfin il arrivait à destination. Le temple d'Athéna. Ou du Grand Pope, il ne savait pas vraiment. Il n'avait de toutes façons jamais vu une quelconque incarnation de sa protectrice et il assimilait donc largement plus ce lieu au chevalier du Sagittaire qu'autre chose. Et, en cette journée, elle brillait de mille feux dorés.

Il n'était pas le premier. Outre le représentant de la déesse, trois autres Saint étaient présents. Il n'en connaissait aucun personnellement. Il savait ce que représentaient leurs armures par contre. Cancer, Scorpion et Poissons. Telles étaient les constellations protectrices de ceux présents. Ils semblaient plus figés dans l'attente, preuve que, hélas pour lui, l'homme aux cheveux argents avait de l'avance. Un rictus agacé apparu donc sur ses lèvres. Il aurait préféré arriver en retard.
Ignorant quasiment ses semblables, il se planta un instant devant le Grand Pope.

- Ça fait un bail qu'on s'est pas vu. Faudra qu'on se fasse un duel à l'occasion. Que je te montre que t'as plus aucune chance d'arrêter ma Galaxian.

Puis, faisant demi tour, il s'éloigna quelque peu, s'adossant à un mur et attendant. Nulle présentation. Ils avaient normalement tous reconnus son armure, du moins il espérait qu'ils étaient plus au courant des choses que le lion. Et n'était ce pas le plus important ?

Rendre son salut à chacun aurait été fastidieux, Arsiesys resta donc de marbre pour ne leur offrir qu'un courtois signe de tête à leur arrivée. Cette assemblée d'or revêtait un caractère hétéroclite et c'était une joie de les voir si différents les uns des autres même si cela pouvait nuire à la bonne entente. Il était néanmoins certain que cela n'arriverait pas séance tenante – pas en sa présence. Si griefs il devait y avoir, cela attendrait : il y avait des sujet sensiblement plus urgents à mettre sur le tapis et il ne saurait tolérer d'être gêné par des querelles intestines. Si ne pouvoir se lier d'amitié était dans leur droit il ne voulait pas en entendre parler aussi longtemps que l'effervescence ne serait pas retombée. Car effet, comme beaucoup avaient déjà dû le deviner, s'il avait tiré la sonnette d'alarme ce n'était pas sans raison. Aussi s'était-il empressé de chercher ses mots alors que ses suivants arrivaient tour à tour pour former un cercle. Dès que tous furent en place il retira les derniers attributs qui le rattachaient à sa fonction de Pope pour ne plus vêtir que son armure d'or.
L'archer avait veillé à ce que ses ailes soient soigneusement repliées pour ne pas empiéter sur le peu d'espace mis à disposition maintenant que tous étaient en présence. Ils étaient certes arrivés dans le désordre mais le maître des chevaliers n'en avait cure, l'important était de les voir ici réunis. Seul manquait à l'appel le chevalier de la Vierge, ce qui était à prévoir – il ne s'en offusquerait donc pas. C'était dans les habitudes des saints hommes remplissant ce rôle que d'avoir des obligations pouvant entrer en conflit avec ce genre de réunion. Ils allaient donc pouvoir entrer dans le vif du sujet sans plus attendre maintenant que onze des douze gardiens étaient en place et il se demandait d'avance comment ils allaient réagir à ce qu'il était sur le point d'annoncer. Attendant que le silence se fasse, il fit un pas en avant et laissa sa voix charismatique faire écho dans le vaste temple destiné à les accueillir tous autant qu'ils sont.

En premier lieu, je vous remercie d'avoir répondu présents. Cela fait certes partie de vos obligations mais je vous en sais gré. La raison pour laquelle je vous ai convoqués est de la plus haute importance et je vous demanderai de me consacrer toute votre attention. Je sais que ce n'est pas chose aisée pour certains d'entre vous mais je m'engage à aller à l'essentiel afin de minimiser l'effort à fournir.

Un discret regard en coin fut glissé à Leona. Si plusieurs pouvaient être pris pour cible par cette affirmation, elle en était sans aucun doute l'allégorie et il le savait pertinemment. S'il avait pris soin de garder son sourire intact pour cette introduction, la suite serait à prendre beaucoup moins à la légère. En conséquence, son expression se durcit pour faire place à une mine neutre, voire grave. Il n'irait pas jusqu'à dramatiser, mais il était primordial que tous mesurent la gravité de la situation et voir s'effacer la moue joviale de leur meneur était très certainement plus explicite que tout ce qu'il aurait pu dire.

Bien qu'Athéna ne se soit toujours pas éveillée ce n'est pas notre cas et nous allons devoir agir par nous-même. Nous ne pouvons nous permettre de rester inactifs plus longtemps. J'ai gravi le mont Star Hill et la vérité m'est apparue. L'alliance que nous entretenons avec les Oracles depuis tant d'années semble sur le point de se fissurer et il est crucial que nous sachions à quoi nous en tenir. Je m'occuperai donc personnellement d'entrer en contact avec eux pour récupérer ces liens brisés et les renforcer si cela nous est encore possible. Pour ce faire, je prendrai la tête de ce détachement diplomatique. Antares, tu viendras avec moi et nous emmènerons le jeune Corvus. Leur citadelle est située en plein coeur de sa terre natale et nul doute qu'il nous sera d'une grande aide pour nous y repérer.

En disant cela, il espérait de tout coeur que ce soutien de sa part ne soit d'usage que pour arriver à bon port et non pas pour avoir une maîtrise du terrain au cas où l'entrevue tournerait au vinaigre. Son regard céruléen parcourut l'assemblée, dévisageant ceux venus y prendre part sans s'arrêter sur qui que ce soit en particulier. Jusqu'à preuve du contraire tous étaient dignes de confiance et il pouvait se reposer sur eux pour les missions qu'il lui restait à confier. Ne plus porter que son armure d'or le mettait sur un pied d'égalité par rapport à eux, et ils ne devaient pas oublier qu'il le faisait par choix et non par obligation – même s'il doutait fortement d'en voir remettre en cause son autorité. Car s'il fallait lui reconnaître une qualité c'était d'être irréprochable en tant que Grand Pope et de n'avoir rien à cacher sinon ses craintes quant à l'avenir.
Du reste, s'assurer que nul ne mette le Sanctuaire en péril en son absence par la mise en place d'une défense solide était tout aussi décisif. Prendre garde à laisser une garnison suffisante derrière lui était donc également une nécessité s'il ne voulait pas en être inquiété. Séparément, tous avaient la force d'affronter une armée mais ce n'étaient pas des gens ordinaires qui s'en prendraient à eux si la guerre devait être déclarée. Remettre la garde des lieux entre les mains d'un seul homme ne serait que pure folie et il y méditait tout en s'apprêtant à distribuer les prochaines consignes. Sa courte pause ayant du laisser à tous le temps d'assimiler le flot de données, il reprit sans plus tarder, pressé par le temps et désireux d'écourter ce sommet pour ne pas arriver trop tard. Après mûre réflexion, son attention se dirigea vers ses confrères du Taureau et du Verseau.

- Bach et Aétios, vous irez sur les terres sacrées d'Asgard pour y représenter le Sanctuaire. Si je ne m'y suis pas trompé il semblerait qu'Odin en personne soit en passe de sortir de son sommeil. Je compte sur vous pour vérifier ce qu'il en est. Si la rumeur devait se vérifier, il sera impératif de vous rendre auprès de la plus haute autorité que vous pourrez trouver pour voir à quoi nous devons nous en tenir avec eux. Les territoires du Nord ont toujours pris soin de se tenir à l'écart des affaires du panthéon grec et nous devons savoir à qui ira leur allégeance si un conflit devait éclater.

Le premier était assez vigoureux que pour ne pas craindre le froid. Le second y serait dans son élément. Avoir affaire à deux chevaliers d'or devrait suffire à leur prouver qu'Athéna ne les prenait pas à la légère. De plus, cela sous-entendait aussi qu'ils pouvaient se le permettre, ce qui symbolisait une puissance à la hauteur de sa réputation. Ce n'était pas si éloigné de la vérité puisque presque tous les membres de la plus haute caste de leur ordre étaient désormais en activité. Néanmoins ce serait pêcher par orgueil de croire qu'ils avaient la liberté de le faire sans que cela n'ouvre une faille dans leur garde mais c'était nécessaire s'ils voulaient eux aussi être pris au sérieux. Et puis si cela devait mal finir au moins auraient-ils la force de frappe requise pour battre en retraite. Arsiesys souhaitait de tout coeur que cela n'arrive pas mais à vouloir s'adresser à tous à la fois il risquait fort d'aller au-devant de mauvaises surprises. Mais c'était un risque à prendre...

Quant à ceux que je n'ai pas nommés vous resterez ici, au Sanctuaire. Vous êtes bien sûr libres de vos faits et gestes mais je vous recommande une extrême prudence. Restez sur vos gardes, nous ne pouvons savoir ce qui nous attend. Une Guerre Sainte approche à grand pas mais ce qu'elle nous réserve est trop incertain, il est bien trop tôt pour se prononcer. Ainsi, j'exige de vous qu'au moins quatre Gold Saints restent en permanence sur place au cas où nous serions victimes d'une attaque surprise. Libre à vous de vous répartir les tâches mais j'attends au moins de Kallas et d'Hélios de ne pas bouger d'ici. Pour ta part Alpharius, tu essaierais d'en savoir plus sur l'état du sanctuaire sous-marin dans la mesure du possible. Si vous souhaitez agir mais ne savez que faire alors je vous demanderai de vous renseigner, j'ignore encore quelles forces sont à l'oeuvre de par le monde et il se peut que nous fassions de nouvelles rencontres, alliés comme ennemis.

Ses ailes se mirent à battre faiblement alors que déjà il esquissait une foulée volontaire. Aborder le sujet avait ravivé les nuits passées à se tourmenter sur ces épineuses questions à qui nul ne pouvait apporter de réponses. Ne pas avoir de nouvelles de qui que ce soit pas même d'Apollon et de ses Oracles n'était pas fait pour le mettre en confiance et il allait faire tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir une vue d'ensemble de ce que donnerait la configuration des alliances à cette ère. Ce n'était hélas pas une science exacte et immuable et il faudrait s'attendre à ce que cela change en cours de route mais il ne pouvait se permettre de rester en place d'ici là en attendant d'être mis dans la confidence.

- Soyez particulièrement méfiants à l'égard de Poséidon, je ne vous apprends rien en vous disant que lui et Arès sont ceux dont nous avons le plus à craindre pour avoir déjà croisé le fer avec eux par le passé il y a de cela des générations. S'il m'est avis que nous n'avons pas à nous méfier outre-mesure du Dieu de la Guerre qui ne nous a survécu que par la protection que lui apporta Hadès je doute qu'il en soit de même pour le Dieu des Mers si tant est que ses troupes soient déjà de retour parmi nous. Soyez vigilants et ne prenez pas de risques inutiles, tâchez de récolter un maximum d'informations sans vous mettre en péril vous ou votre identité. Cela pourrait créer un incident diplomatique et nous mettre dans une fâcheuse posture, notre avenir dépend de vous. Athéna vous garde mes frères.

Avant de s'en retourner il planta son regard dans ceux de Kallas et Hélios. Une façon de leur rappeler les espoirs qu'il fondait en eux pour faire en sorte qu'ils réalisent ce qu'il attendait de leur part. Ils avaient en commun la fougue de la jeunesse, ce qui pouvait remettre en cause leur maturité mais il en attendait beaucoup de leur part et ne doutait pas que son domaine soit entre de bonnes mains aussi longtemps qu'ils en auraient la garde et suivraient ses consignes à la lettre près. C'était peut-être trop en demander mais il était persuadé de pouvoir leur faire confiance, il n'en demandait pas plus. Ayant en tête la pensée qu'il ne voulait pas voir les siens en faire trop et jouer des vies plus précieuses que certains ne se l'imaginaient, il se fraya un chemin à travers le cercle qu'ils avaient formé pour se diriger vers la sortie, d'ores et déjà près à prendre son envol. Un signe de la main fit savoir à Antares qu'il n'attendait plus que lui, suite à quoi ils iraient rallier Corvus avant de se mettre en route à destination de Rome la conquérante – ou la décadente, diraient les mauvaises langues.

Quand la flèche de la destinée a été lancée, ce n'est pas le bouclier de la prudence qui garantit de ses coups.