Le premier pas qu'il posa sur le territoire sain du Sanctuaire résonna le long de son échine. Il s'attarda à contempler les bâtiments qui s'offraient à lui. On lui avait beaucoup parlé de la splendeur de la demeure d'Athéna. On était loin du compte.
Corvus ne savait pas où donner de la tête et, pendant quelques secondes, la splendeur des monuments romains rivalisait dans son cœur avec celles des bâtiments grecs. Il ne pouvait voir en détail leur architecture à cette distance, mais la hauteur magistrale des piliers blancs, la fine ciselure des pierres et la précision des gravures n'avaient pas besoin d'être observées à la loupe. D'ici, il pouvait se rendre compte qu'il venait de mettre le pied dans un endroit magistral.
Sa Cloth Box sur le dos – ou Arma Capsa, comme il se prenait parfois à l'appeler –, un lourd sac de jute à la main, il entra d'un pas respectueux, presque inquiet devant l'immensité des proportions du Sanctuaire. Si les Dieux avaient voulu que les hommes se sentent ici comme des fourmis, ils avaient réussi leur coup. Corvus craignait de se faire un torticolis avant la fin de la journée.

Il devait admettre qu'il était perdu dans un tel lieu. Étranger aux mœurs grecques, il ignorait ce qu'il convenait de faire : rendre visite à tous les Gold Saints pour leur présenter sa personne et ses hommages, tout en les assurant de son service dévoué, ou ne pas les importuner et s'adresser directement au Grand Pope lui-même... A défaut d'une solution, il se décida à errer, pour visiter tranquillement les lieux et, peut-être, tomber sur quelqu'un pour le guider.

Le voyage depuis Rome avait duré une éternité et, tout instruit qu'il était sur la géographie du monde, il n'aurait jamais imaginé que la distance qui séparait les deux Empires de la connaissance pouvait être aussi démultipliée par rapport au segment tortueux tracé sur la carte. Si le périple ne l'avait pas particulièrement épuisé – les plusieurs entraînements qu'il avait subi comportaient de longues marches forcées, sur plusieurs jours – il avait épuisé son moral. D'ordinaire peu ouvert au confort minimaliste offert au camp où il avait acquis son niveau actuel, Corvus avait appris qu'il pouvait y avoir pire, bien pire : le repos dans des auberges paysannes malodorantes et rustres ou, pire encore lorsqu'il n'y avait nulle trace d'homme à des lieues, le campement à la belle étoile. Ces conditions ne permettaient pas de récupérer toutes ses forces et c'était en cela que le voyage avait été difficile. Et évidemment, nulle âme pour partager son malheur, converser ou même l'aider à mieux supporter les lieues parcourues.

Ce calvaire avait enfin, enfin trouvé sa fin ! et c'était vêtu de son plus beau vêtement, spécialement gardé pour son arrivée au Sanctuaire – une toge élégante de soie bleue nuit – qu'il arpentait maintenant ce qui était devenu son nouveau foyer. Il était encore à sa contemplation des Maisons séculaires quand quelqu'un approcha.

Trouver des similitudes entre le Sanctuaire et les plus beaux édifices de Rome était chose facile ; à dire vrai, on se demandait parfois quelle culture avait influencée l'autre. Corvus en vint à la conclusion qu'il ne fallait pas, dans le domaine architectural du moins, chercher que de Rome ou d'Athènes avait de l'emprise sur l'autre. La construction de monuments splendides semblait un loisir partagé et les savoirs avaient logiquement fait de même.
Pour le reste – la poésie, la guerre, l'art, la cuisine, la philosophie et tant d'autres choses –, la préférence de Corvus venait tout naturellement à sa patrie, mais peut-être était-ce parce qu'il manquait d'éléments de comparaison. S'il se voulait parfaitement honnête, il se devait d'avouer qu'il avait lu Ovide sans chercher à connaître ses homologues grecs. Les récits de Caesar l'avaient fasciné sans qu'il s'intéresse à la vision de la Grèce à ce moment de son histoire. Et tant d'autres choses, sur lesquelles il avait un point de vue romain. A présent qu'il foulait la terre de ceux qu'on pouvait appeler injustement "les dépuceleurs de garçons" – Corvus trouvait la dénomination blessante... car elle le concernait, d'une certaine façon – il se sentait gagné d'un intérêt non pas nouveau car il avait toujours eu une curiosité éloignée pour la Grèce mais accentué. Bientôt, pensait-il, il comprendrait mieux ce pays, cette culture qui allait devenir sa patrie d'adoption.

Il marchait lentement, presque traînant sa carcasse courbaturée, explorant les environs avec la lenteur d'une chenille. Furtivement, il pensa que revêtir son Armure le rendrait léger comme une plume, lui redonnerait un peu de force et faciliterait sa visite. Mais il s'y refusa. D'abord par coquetterie : il tenait à conserver son habit actuel, qu'il s'était juré de porter tout le jour qui marquerait son entrée au Sanctuaire ; ensuite parce qu'il ignorait comment serait perçue l'apparition d'un nouveau Chevalier, habillé de pied en cap pour partir à la guerre. Son attitude paraîtrait belligérante et risquait de semer la confusion. Non... Et puis, ce n'était pas comme si son allure le ferait tomber, genou à terre. Il voulait profiter de ce petit moment de quiétude avant, bientôt peut-être, les grandes manœuvres.

Remontant une colline où était gravé un escalier de pierre si lisse qu'elle paraissait du marbre, Corvus stoppa son ascension lorsqu'il entendit une voix. L'endroit était désert et il ne faisait nul doute qu'elle s'adressait à lui.
Les mots, emplis de sympathie et de retenue, lui firent chaud au cœur. Étonnant que l'on s'émeuve de si peu de chose, diriez-vous, mais après des années passées dans un camp plein de jeunes adolescents, tous plus rustiques les uns que les autres, le simple fait de vous faire saluer et appeler "ami" suffit à vous faire espérer. Il se tourna vers l'inconnu, ses cheveux noirs, ceux qui n'étaient pas entravés par la Cloth Box dans son dos, ondulant sur son visage. Remarquant que son dos s'était, malgré lui, courbé par le poids de la fatigue, il se redressa et de toute sa hauteur, accueilli l'homme, qui n'était guère plus vieux que lui, avec autant de dignité qu'il estimait avoir.

« Bonjour à toi, Sarpédon. Je suis en effet étranger à ces lieux, et l'aide d'un connaisseur ne sera pas de refus pour me retrouver au milieu de toutes ces Maisons. Je me présente, Corvus, Chevalier d'Argent du Corbeau, venu de Rome pour servir Athéna et le Grand Pope » conclua-t-il en s'inclinant légèrement. L'homme en face de lui était manifestement un homme de culture, qui méritait son respect plus que bien des êtres qu'il ait croisé sur le chemin vers Athènes.