Le soleil de plomb pesait de tout son poids sur les épaules du jeune Kryo. Revêtir son armure avant de se rendre en Égypte n'était pas le meilleur choix qu'il avait pu faire. Seulement, s'en priver aurait pu être une erreur fatale. Fouler ce sable brûlant, c'était entrer dans la dernière ligne droite. Les forces ennemies pouvaient se manifester à tout moment. La chaleur était intenable mais il allait pourtant falloir l'endurer. Si les prévisions de l'oracle étaient exactes, l'incarnation de Poséidon devrait se trouver dans les parages... Un brusque accès de nervosité l'envahit, ses mains moites peinant à tenir la carte achetée à bas prix à un marchand du coin. Il avait d'ailleurs également profité de ces emplettes pour revêtir un habit de circonstance, voué à le protéger un minimum des effusions solaires. Mais le but n'était pas tant d'y résister que de camoufler son Écaille pour ne pas faire une cible trop évidente. Ce camouflage était d'ailleurs accentué par le fait de voyager à dos de chameaux, une expérience que le Marina n'aurait pas pensé vivre un jour, il fallait l'admettre.

User de leurs pouvoirs pour se déplacer les aurait fait aller beaucoup plus vite mais les aurait aussi rendu beaucoup plus repérables. Or, ils ne pouvaient savoir si des gêneurs potentiels étaient déjà arrivés sur place eux aussi. Du point de vue de l'Orque, leur célérité était difficilement égalable, mais ils n'étaient pas à l'abri d'une mauvaise surprise. Le tout était dès lors d'ouvrir l'oeil et le bon pour avoir l'initiative en cas de choc frontal. Localiser et rejoindre leur divinité mettrait un atout de poids de leur côté : aussi nombreux soient leurs ennemis, oseraient-ils s'exposer à la fureur divine ? Pour ne pas attirer l'attention, ils devaient eux aussi voyager en petit comité. Il fallait juste souhaiter que s'ils venaient à se rencontrer en cours de route, ils ne seraient pas en surnombre à tel point que leur duo serait submergé en un instant. Se détendre dans une situation si épineuse n'était guère aisé, même si Kryo devait avouer que l'exotisme du paysage y contribuait grandement.

Leur changement de vie s'était opéré dans la peine et la douleur, dans l'épreuve, mais sans être ce qu'ils étaient devenus jamais il n'aurait pu penser un jour voir les pyramides... Petit à petit, il comprenait qu'en étant mandaté de la sorte toutes les merveilles du monde finiraient par s'offrir à lui tant qu'il remplirait son rôle avec assiduité. Seules quelques mèches d'opale et la grisaille de ses pupilles étaient visibles sous l'étoffe mais il discernait malgré tout clairement la ligne d'horizon. Au rythme des bruits de sabots, ils approchaient inexorablement de l'endroit où ils seraient fixés une bonne fois pour toute sur la véracité de ces prémonitions. La gorge asséchée par cette traversée du désert dont la durée devait se chiffrer en heures, il porta une gourde déjà bien entamée à ses lèvres pour en boire une longue gorgée. Quoi de plus logique pour un poisson hors de l'eau que d'avoir besoin de s'hydrater ? Une fois fait et le récipient remis en place, il eut un regard pour Kyara afin de s'assurer de ne pas l'avoir semée.

- Dis... Ça ne te fait pas un peu peur, toi ? Si c'est vraiment Poséidon...

Kyara semblait confiante, ce qui rasséréna quelque peu son jeune frère. Ce dernier n'était néanmoins pas parfaitement à l'aise. On parlait tout de même de voir de ses propres yeux la divinité à qui il avait juré fidélité. Une telle rencontre serait un honneur, et devoir s'en montrer digne faisait peser sur ses épaules une pression clairement perceptible. Or, ce ne pouvait être que lui. Sans cela, pourquoi le trident aurait-il quitté son socle ? Pourquoi se serait-il mis en mouvement pour venir se perdre au milieu de nulle part ? Il n'y avait ici que des dunes à perte de vue, rien qui aurait pu retenir son attention. L'artefact n'avait point de raison de se mettre en mouvement, à moins que ce soit pour répondre à l'appel de son maître. Dès lors, sa disparition ne laissait que peu de place au doute. Cette réflexion faite, ils avaient toutes les raisons de penser qu'ils étaient sur la bonne voie. Tout semblait vouloir indiquer que le seigneur Poséidon avait pris corps sur cette Terre pour y étendre son règne, comme il l'avait toujours voulu. Et cette fois serait la bonne, son ennemie jurée n'ayant pas eu cette chance. Aux paroles de sa soeur, Kryo lui lança la flasque qu'il venait de reboucher. S'hydratant en plus petite quantité, il avait su se montrer plus économe, et pouvait donc bien lui céder une partie des réserves mises de côté. Si sa survie devait en dépendre, peut-être y aurait-il réfléchi à deux fois. Mais à moins que ses yeux ne lui jouent des tours, les abords d'une cité semblaient se dessiner à l'horizon, prêts à les accueillir.

- J'aimerais que tu aies raison. Je suppose qu'on le saura bientôt. Après tout, on ne sait pas ce qu'il pourrait penser de nous. C'est ça qui m'inquiète, j'ai peur de ne pas être à la hauteur de ses espérances...

Des craintes infondées, comme souvent dans son cas. Une forme déviante d'hypocondrie, pouvait-on dire. On ne pourrait l'empêcher d'appréhender cet événement. À se faire du souci pour un oui ou pour un non, il était loin de l'image du brave guerrier qu'il devait donner. Mais cela changeait radicalement une fois le pied posé sur le champ de bataille et c'était bien ce qui lui valait de garder sa place... Et sa tête par la même occasion, pensa-t-il, se remémorant les propos d'Orpheus. Depuis leur arrivée, l'Orque avait un mauvais pressentiment au sujet de ces recherches, se doutant qu'on ne les laisserait pas toucher au but sans leur mettre quelques bâtons dans les roues. Le calme plat qui avait régné en maître jusque là était sur le point de s'estomper, et il était prêt à parier que ce désert serait le théâtre de terribles affrontements. À moins qu'ils ne forcent l'allure pour trouver ce qu'ils étaient venus chercher les premiers. Ils n'auraient alors plus qu'à le ramener au sein du royaume sous-marin avant qu'on ne leur barre la route. Un plan élémentaire sur le papier, mais qui en vérité serait ardu à réaliser.

D'autant plus que si elle était bien venue dans cette direction, l'arme de leur dieu avait dû émettre un puissant cosmos, reconnaissable de loin. On pouvait difficilement se mettre plus en évidence que l'avait fait cet instrument, symbole de son pouvoir... Mais peu disposé à la discrétion, de ce qu'ils pouvaient en voir. Quand enfin ils arrivèrent à bon port, Kryo fut le premier à descendre de chameau. C'était à peine s'il sentait encore ses jambes, ne s'en étant plus servi depuis une pleine poignée d'heures. Fort heureusement, il n'y en avait plus pour longtemps. En arrivant sur place, ils entraient dans la phase finale de leur enquête et allaient enfin pouvoir vérifier la véracité de ces informations. Où que l'objet en question ait pu aller, les autochtones l'avaient forcément aperçu : une telle anomalie ne peut se dérouler dans l'ignorance la plus totale. Mais... Par où commencer ? Dès son entrée en ville, il se sentit perdu, ne la connaissant que de nom – et encore, c'était beaucoup dire. Se sentant ridiculement petit, il se sentit obligé de faire profil bas et laissa à sa soeur le soin de faire le nécessaire.

- Je vais remplir les gourdes, on en aura besoin. Je te laisse interroger les habitants, tu t'en sortiras mieux que moi de toute façon. J'essaierai de voir ce que je peux trouver de mon côté pendant que j'y suis. On devrait se dépêcher, on ne va pas tarder à avoir de la compagnie...

Si Kryo avait choisi de s'éloigner d'elle, c'était pour une bonne raison. En effet, depuis qu'ils étaient arrivé en Égypte, il sentait un cosmos étrange planer dans les airs. Il était à présent presque certain que celui qu'ils étaient venus chercher se trouvait ici, et sa présence n'était probablement pas inconnue à ce phénomène. La bête enfouie au fond de son âme s'évertuait à briser ses chaînes et était bien partie pour y parvenir. Afin de ne pas inquiéter Kyara, il avait préféré taire le trouble qui était sien, espérant pouvoir régler le problème avant qu'ils n'arrivent à destination. Seulement, peut-être avait-il présumé de ses forces car plusieurs fois en cours de route, il avait manqué de peu de perdre le contrôle. C'était aussi pour cela qu'il s'était placé devant elle durant le voyage : afin qu'elle ne voie pas ses yeux osciller entre les teintes chaudes et froides, ce qui aurait été, avouons-le, un mauvais présage. Ils avaient peut-être réussi à combattre côté à côte la dernière fois que cet Autre avait fait son apparition, mais cela ne lui ferait pas oublier qu'il avait bien failli la tuer la fois précédente. Il s'en était fallu d'un cheveu, et il redoutait de vouloir finir le travail lors de l'une de ses crises de folie passagère. Au fil des jours, il s'était donné beaucoup de mal afin de contenir un peu mieux ces débordements et de pouvoir juguler la montée de pression que cela occasionnait aux confins de son esprit.

Ce n'était certes pas parfait, mais il pouvait à présent juguler les manifestations de son alter ego en les retardant. Un résultat imparfait mais qui pourrait s'avérer d'une aide précieuse dans les moments critiques. C'était toujours mieux que de n'avoir aucune emprise sur cet épineux problème. En développant cette barrière mentale, il s'était aussi rendu capable de le faire apparaître délibérément, mais ferait tout son possible pour n'avoir jamais recours à cette option. Ce ne serait qu'un dernier sursaut, la forme que prendrait son énergie du désespoir s'il n'avait plus d'autre choix pour s'en sortir. Cette facette de lui prenait déjà le dessus à sa guise, il n'était pas question de la mettre sciemment aux commandes en plus de cela. Cette négligence ne ferait que réduire le temps qu'il lui restait avant que sa personnalité ne soit dévorée par celle-là, de plus en plus oppressante. C'était comme entendre un cri en continu, celui d'un animal sauvage qui s'acharne sur ses barreaux dans l'espoir de les voir céder afin de recouvrer sa liberté. Et Kryo était lucide : tant qu'il serait aussi faible, il ne pourrait jurer que le prédateur ne s'échapperait pas de sa cellule. C'était là tout l'intérêt des fruits de son entraînement. On pouvait difficilement mieux adapter l'allégorique exemple de l'homme se battant contre lui-même car il est tant son meilleur ami que son pire ennemi.

Car oui, même lorsqu'il avait vu par les yeux du Passager Noir cet odieux Titan dont ils avaient finalement eu raison, il ne l'avait pas trouvé aussi effrayant. Car rien ne pouvait l'être autant que de pouvoir être exclu de sa propre vie par l'aliénation à tout moment, que de sentir qu'un corps qui a toujours été le nôtre est en passe de ne plus nous appartenir. Ce sentiment le terrifiait. Scrutant son reflet à la surface de l'eau, il tressaillit en imaginant la haine se matérialiser sur son visage et ce rictus féroce qu'on connaissait à l'Autre fendre ses lèvres. Plus le temps passerait et plus il serait en danger, il faudrait endiguer cette menace avant qu'il ne soit trop tard même si cela devait vouloir dire mettre fin à ses jours. Tiraillé par ce dilemme, il chargea pourtant les gourdes qu'il avait fini de remplir depuis déjà plusieurs minutes, repartant comme il était venu. Cette douleur au coeur continuait d'exister et de le persécuter, mais tant qu'il aurait confiance, il ne perdrait pas. C'était sa résolution. Et on ne pouvait que souhaiter qu'il ait raison, sans quoi les conséquences seraient terribles. Tout en cheminant vers le point de rendez-vous, il capta une discussion entre voyageurs se plaignant de la dégradation du sphinx. Lui qui avait au départ le plus grand mal à se concentrer au vu de son état réussit tout de même à tendre une oreille attentive à chacun de leurs propos.

Ce n'était certes pas aussi complet que ce que sa soeur avait pu recueillir de son côté, mais se mêler à la conversation lui avait alors permis d'obtenir le trajet d'un raccourci. Ils avaient déjà pris une avance considérable, à tel point que les forces semblaient ne même pas avoir fait parler d'elles par ici. En tout cas, il ne les détectait pas, et considérant la finesse de sa perception c'était un constat sans équivoque. Malgré tout, cela ne voulait pas dire qu'ils n'étaient pas susceptibles d'arriver d'un moment à l'autre, auquel cas il serait en leur faveur en déjà toucher au but alors que d'autres n'en seront qu'à découvrir une piste. Après avoir procédé aux modifications nécessaires vis-à-vis du trajet notifié sur sa carte, il se rendit à l'emplacement prévu, heureux de n'avoir pas perdu son temps en partant seul de son côté. Les explications données quant à ce léger retard, il passa à la suite sans transition.

- On a toutes les cartes en main. On doit se dépêcher. Les autres peuvent arriver à n'importe quel moment, je préfère qu'on soit déjà sur place quand ils passeront la frontière. J'espère que tu es prête, je crois que cette fois ça ne sert plus à rien de nous cacher. Plus besoin de chameaux, avec le raccourci qu'on m'a donné on devrait pouvoir y aller à pieds... Si tu vois ce que je veux dire. Je ne sais pas ce que tu en penses mais moi, ça m'arrange, je commence à en avoir assez de ce soleil de plomb...

Cette course effrénée avait quelque chose de grisant. Pour Kryo, c'était l'occasion de se sentir doté de compétences à peu près équivalentes à celles de sa soeur. Un bonheur suffisamment rare pour le savourer quand il était au rendez-vous.

Cependant, il ne s'y attarda pas. Ils avaient une bonne raison d'être ici et se laisser distraire ne ferait que retarder l'avènement de l'empereur des mers qu'ils étaient venus chercher ici même. Ironie du sort que de voir le maître des flots se réfugier aux confins d'une contrée aride comme l'Égypte, où l'horizon n'est que sable à perte de vue... Sans doute serait-il pressé de rentrer chez lui et de profiter de sa demeure aquatique après avoir enduré pareille chaleur, se disait le Marina de l'Orque alors que sa chevelure d'opale gênait quelque peu sa vue. Depuis qu'il portait la Scale, son physique avait sensiblement évolué pour devenir plus robuste, plus mature. Sa stature était désormais plus élevée, de même que la longueur de sa blanche crinière était sans commune mesure avec ce qu'elle avait pu être autrefois. Rafraîchir sa coupe ne serait pas de refus, ces dernières semaines ne lui ayant pas vraiment permis de les entretenir. Quittant ces futiles observations, il se figea dès qu'il eut en visuel l'arme qu'ils étaient venus chercher. Par déduction, le seul être au monde habilité à la manier devait se trouver dans les parages.

En examinant le trident, même de loin, un frisson parcourut son échine, trahissant ses angoisses. Il n'était pas à l'aise. Si Orpheus faisait parfois preuve de sévérité, il restait malgré tout doté d'une certaine clémence et récompenser ses hommes – en témoigne le poids du saphir qu'il sentait presser contre son torse. Poséidon pouvait-il être plus dur encore avec les siens ? Ils n'allaient pas tarder à le savoir. En s'approchant à pas lents, Kryo sentit son cosmos irradier de son corps sans qu'il ne lui en ait donné l'ordre, pulsant avec une vivacité inouïe qu'il ne lui connaissait pas, pas même sur le champ de bataille. Était-ce la proximité de son maître qui l'obligeait à brûler de la sorte, afin de lui rendre hommage ? Déglutissant péniblement, il donna son aval à ce phénomène afin que son seigneur puisse voir qu'il était en total accord avec son retour parmi les vivants. L'onde bleutée nimbait chaque parcelle de son corps, donnant à sa Scale une beauté irréelle. Cependant, il faudrait se hâter. Une telle combustion ne pouvait durer indéfiniment, et son roi n'apprécierait sans doute pas de le voir tomber de fatigue au moment même où ils seraient enfin face à face. Le bruit de propres battements de coeur lui vrillaient la cervelle tandis qu'il s'approchait des hommes qui les observaient d'un air craintif depuis leur arrivée.

- Excusez-moi... Est-ce que vous savez quelque chose à propos de ce qui s'est passé ici ?

Kryo prit une longue inspiration. Aller au contact des gens n'avait jamais été son fort, et Kyara le savait. Seulement, elle avait déjà fait une grande partie du travail et il était plus que temps qu'il prenne la relève. S'ils étaient venus à deux, c'était pour profiter de leur travail d'équipe à n'en pas douter. Et même si ce n'était pas là son domaine de prédilection, il lui fallait apporter sa contribution, sans quoi il aurait l'impression de n'avoir été qu'un fardeau tout au long du voyage. Échangeant des regards inquiets, les autochtones durent penser qu'il était préférable pour eux de leur livrer les réponses attendues s'ils ne voulaient pas avoir d'ennuis. Ce qui était plutôt bien pensé. Même si l'Orque n'aurait pas aimé devoir se résoudre à les brutaliser, il aurait fallu se montrer plus persuasifs en cas de refus de leur part ; un Dieu n'a que peu de patience et il n'était pas question d'en abuser par leur faute. L'un d'eux pointa un doigt tremblant vers la pyramide la plus proche. Pour être si apeurés, ils avaient forcément été témoins de faits étonnants... Ils avaient été aux premières loges de sa résurrection. Kryo les enviait, autant qu'il n'aurait pas aimé être à leur place de peur de se retrouver dans le même état.

- C'est Malik, baragouina l'un d'eux. C'est le gardien du tombeau. Son travail, c'est de s'assurer que les pillards ne viennent pas voler les trésors du pharaon. Mais ce matin, il a été frappé par une force étrange, et s'est mis à briller d'une lumière bleue... On pense que c'est une malédiction de Seth, et...

Le jeune homme leva la main pour les interrompre. Mieux valait en rester là. Évoquer leurs croyances locales pouvait courroucer leur seigneur, qui les punirait alors pour blasphème. L'essentiel était là. Et pour s'être tenue non loin, Kyara n'avait pas dû en perdre une miette. Un signe de la tête l'invita à suivre la direction indiquée alors que lui-même se mettait en route à grandes enjambées, le sable lui arrivant presque au niveau des genoux. Ainsi se dirigea-t-il vers la construction pyramidale qu'on lui avait renseignée, non sans un dernier regard au teint mat blêmi par la peur de ces malheureux. Qu'ils se rassurent : leurs craintes n'auraient très bientôt plus lieu d'être. Car s'ils étaient là, c'était pour les débarrasser de ce « maudit »... En le ramenant là où est sa vraie place. Sitôt arrivés à proximité du monument, Kryo s'engouffra à l'intérieur, sans penser une seule seconde aux pièges qu'il pouvait receler. Quand on avait résisté à l'assaut d'un Titan, on pouvait tout endurer. Des pièges construits par des humains pour des humains ne lui faisaient pas peur. Ils n'étaient là que pour dissuader les brigands de s'en prendre aux biens du défunt, mais ce n'était pas ça qu'ils étaient venus dérober... Ils n'avaient donc rien à craindre de la colère ancestrale dont parlaient les légendes. Et même s'il était facilement impressionnable, Kryo ne s'arrêta pas même pour détailler les hiéroglyphes qui couvraient la paroi, se disant qu'il avait mieux à faire que de traîner en route pour si peu en plus d'être parfaitement incapable de les décrypter. En revanche, la pénombre n'étant éclairée que par des torches, l'ambiance n'était que peu engageante...

- Il y a quelqu'un ? Lança-t-il, peu rassuré.

Soudain, une voix, à la fois d'outre-tombe et d'une pureté mystique, retentit directement dans son esprit.

- Je vous attendais, Marinas... Venez à moi !

Dès que sa voix avait retenti, Kryo était devenu l'instrument d'une profonde dévotion. Sa foi envers Poséidon était grande, mais vacillante, en ce qu'il n'avait pas plus de preuve tangible de son existence que de celle des autres divinités. Non pas qu'il la remette en cause, son pouvoir coulant dans ses veines, donnant sa richesse à son cosmos et son éclat à son armure, mais il avait le sentiment de n'être pas plus à son service qu'à celui d'une autre divinité. Ce parce qu'il n'était jamais paru devant lui, pas plus que les autres. Parce qu'il ne l'avait jamais vu en face, et que son absence se faisait sentir. En entrant sous ses ordres, il s'était attendu à en recevoir les signes, et ce n'avait pas réellement été le cas... Jusqu'à maintenant. Et si plus que des doutes c'étaient des questionnements qui le tiraillaient, il se sentit coupable de n'avoir pas pu faire le vide dans son esprit. À la vérité, il avait toujours été avec eux, et chacune de leur action avait été portée au regard de l'océan. L'Empereur des Mers était dans chaque goutte, chaque larme : toute eau était son domaine.

Depuis toujours, il les avait observé, eux qui n'étaient plus que des orphelins. Il les avait recueilli pour mieux leur offrir une nouvelle famille, pas forcément celle dont ils avaient besoin il est vrai, mais ils y avaient prêté serment ensemble. N'était-ce pas là le plus important ? Oui... C'était à lui et à sa bienveillance qu'ils devaient d'être toujours côte à côte en ces temps troublés, et Kryo fut tant et si bien écrasé par la reconnaissance qu'il se prosterna dès que la stupeur lui fut passée. Resté statique un bon moment, il ne savait comment agir, fébrile. Assister à l'éveil d'une divinité est une occasion exceptionnelle, que pour rien au monde il ne faut manquer. Une telle chance n'arrive pas deux fois dans une vie. Leur seigneur et maître leur faisait l'honneur de les laisser être témoins de la sienne, et il en était bouleversé. Non loin de là, les combats faisaient rage avec une violence inouïe, mais il les avait exclus de ses pensées. Sa conscience n'en comportait plus la moindre trace.

Coupé du monde, il se laissa griser par le moment présent, sans réussir à détourner les yeux de cette magnificence. Tant de majesté concentrée en une seule personne était au-delà du réel, et il n'avait pourtant pas la force de ne pas y croire. Figé dans une posture identique à celle de sa soeur, il se laissa imprégner par son cosmos, qui le transperçait de toute la puissance des fonds marins. C'était comme se noyer sans fin dans une vague implacable prête à inonder le monde jusqu'à la ligne d'horizon... Et être écrasé par cette puissance tout sauf humaine l'emplissait d'une émotion indescriptible. Quand enfin il trouva la force de se relever, il fut fort en peine de croiser le regard du dieu auquel il avait juré allégeance, trop intimidé pour oser le regarder en face. S'y comparer le faisait se sentir comme un insecte pouvant être écrasé à tout moment d'un revers de la main, et être en sa présence l'électrisait déjà bien assez comme ça que pour ne pas rechercher un malaise d'un niveau plus élevé.

- Excusez-moi de vous demander ça, mais... Vous voulez bien nous suivre ? Loin de moi l'idée de vous diriger, majesté, mais il ne fait pas bon rester dans les parages. Nous aurons très bientôt de la compagnie et nous ne pouvons pas encore dire si ce sera celle de nos alliés. L'endroit n'est pas sûr, nous devons partir. Vous êtes d'accord ?

Un hochement de tête affirmatif lui répondit. Manifestement, il n'était pas encore tout à fait à l'aise avec cette nouvelle enveloppe, et préférait regagner son domaine plutôt que de s'opposer à d'éventuels gêneurs. Il n'avait nul besoin de ces désagréments dans l'immédiat. Ainsi se mirent-ils en marche, frère et soeur ouvrant la marche pour lui servir d'escorte au cas où ils tomberaient sur un obstacle imprévu. Par chance, ils n'eurent affaire qu'aux maudites toiles d'araignée peuplant les couloirs de la pyramide. Quand enfin ils sortirent à l'air libre, ce ne fut que pour voir une forme familière voltiger dans les airs. S'immobilisant un instant au-dessus de leur tête, le trident rayonna sans ménagement sous les rayons du soleil, avant de venir gagner la main de son propriétaire. Circonspect, Kryo jaugea l'objet un long moment, se disant que tout être normalement constitué aurait déjà été réduit en cendres par le pouvoir divin que contenait cet artefact. Ce geste apportait la preuve à lui seul que cette entité était bien Poséidon. Les sept mers venaient de retrouver leur seul et unique monarque, et bientôt tous trembleraient à nouveau en entendant rugir les vagues à l'horizon...