L'air miroitait sous l'influence ardente du Soleil, opérant des circonvolutions, ondulations presque chimériques faisant penser à des serpents invisibles grouillant à l'horizon. Et se mêlant à l'ocre de la terre et au vert pâle des oliviers, d'innombrables éclats rubis venaient moucheter le sol, plongeant peu à peu l'atmosphère ambiant dans un ensemble carmin de plus en plus prononcé. Des clochettes tintaient, invisibles, à la périphérie de la conscience, accompagnée par un cortège de chuchotements indicibles dont je ne captais pas la nature...tiens, je me rendais compte à présent que j'étais partie prenante de la scène qui se dépeignait devant moi. Et comme un écho à ces sons chimériques, lourd, ronflant, allant crescendo se répercutait le son d'un trompe unique, aussi profonde que l'Olympe était haut. Non, pas une trompe, à vrai dire, la cadence était trop parfaite, trop répétitive...des pas. Des pas immense, investissant peu à peu autant l'espace auditif qu'il devaient manger la distance me séparant de...mais de quoi?

Une chouette tourna sa tête, m'emportant dans la profondeur insondable de ses yeux. Et alors que je m'y perdais, les images défilèrent: le vent soufflant sur un chant de blé, le cliquetis des armes battant la hanche des hommes, un battement d'aile, subtil, une cloche émettant un son cristallin, pur, puis un éclair déchirant, un nuage pourpre, comme animé d'une flamme en son sein, et le silence...j'étais sur une colline, perdu dans des herbes trop hautes pour moi, alors que se déclencha l'enfer, dans mon dos. Ronflement inhumain, semblable au déplacement de deux armées entières dans le même instant, mais aussi pareille à l'ouverture d'un millier de porte, à l'activation de millions de rouages, cliquetis métalliques inconnus. Je tournais la tête, mais il était trop tard, déjà la chose fondait sur moi. Un cri d'oiseau de nuit sonna le glas de mon existence.

Je me réveillais. Qu'avais je vécu? Était-ce même arrivé? Il me fallait du temps pour reprendre mes marques, alors que cette...expérience m'avait complètement retourné. Suant, éreintant, l’œil hagard, je regardais les rais de lumière percer des espaces créé par les tentures de ma chambre, qui battaient sous l'effet d'une légère brise apportée par la matinée fraiche. Après le choc, l'analyse froide me recommandait de me tourner vers la seule personne capable de percer ce genre de mystère nébuleux. Et je savais très exactement où me rendre.

Si je vous ai réuni c'est exactement parce que vous présentez toutes les qualités requises pour faire face à la menace qui nous attend.

J'avais devant moi deux guerriers d'exception. Deux hommes qui avaient su se distinguer de façon éclatante.

Sur ordre du Grand Pope, il nous faut nous rendre en territoire romain, encore. Une menace a été détectée, une perturbation cosmique qui menace l'empire, maintenant qu'Apollon n'est plus là pour veiller personnellement sur ses ouailles. Selon le Grand Pope, toujours, les rumeurs font état d'une véritable forteresse qui s'attaquerait aux centuries. Ses visions ne sont pas claires, mais il craint le retour d'un géant...Corvus, je te laisse imaginer pourquoi tu es des notre. Ta connaissance des contrées proches de la capitale, ainsi que ton aptitude à résister aux assauts d'anciens dieux en colère font de toi quelqu'un de précieux.

Il avait donné son sang avec nous, face aux Titans. Combattu avec L'Augure en personne, et survécu. Il n'avait définitivement plus rien d'un Silver Saint, et d'ailleurs l'acquisition toute fraiche de son armure de la Vierge pouvait en attester.

Et comme je n'ai pu le faire jusqu'à présent, félicitation pour ton association avec l'armure de la Vierge! J'espère ardemment qu'elle pourra garder ce porteur-ci longtemps. Mais venons en maintenant au deuxième membre de cette équipe. Shaokan, si je ne me trompe pas? On dit que le bouclier du Dragon est incassable, nous aurions bien besoin de toi pour tenir le front et assurer une défense assez solide contre cette chose là dehors...car nous seront bien les défenseurs, dans cette histoire, c'est un conquérant qui s'en vient à nous, peu importe sa nature.

Loin de moi l'idée de prendre la tête des opérations, mais si je pouvais faire bénéficier mon expérience à ces deux chevaliers prometteurs, j'aurais au moins eu l'impression de ne pas gâcher mon temps. Et puis, si ce que je pressentais était fondé, nous allions encore une fois aux devants d'une lutte féroce pour permettre aux hommes de vivre libre. J'avais quelques plans qui incluaient la participation de ces deux hommes. Restait à savoir si la réalité du terrain allait me permettre de les mettre en action.

La pression était lourde sur les épaules de Corvus. Revêtir l'Armure de la Vierge était sans conteste un honneur, mais également une responsabilité et aujourd'hui, il aurait à tenir les promesses qu'il avait faites à l'artefact divin, à Athéna, à Arsiesys. S'il avait toujours pris à cœur son rôle de Chevalier d'Argent, se voir couvrir littéralement d'or impliquait un investissement plus important encore : il n'était plus simple soldat, il était devenu chef de guerre, responsable de l'avenir du Sanctuaire, des autres Chevaliers. Tant de responsabilités... il apprenait, au jour le jour, à y répondre. Encore maladroit lorsqu'il salua Antares, il songea qu'ils étaient désormais du même rang... Mais un gouffre, appelé expérience, les séparait encore.

« Merci, Antares, j'espère y faire honneur. Je suis heureux de te revoir et de combattre, cette fois-ci, à tes côtés. Enchanté également de faire ta connaissance, Shaokan. Un nom exotique dont je ne parviens pas à saisir l'origine... Sans doute les terres de l'est, au delà de l'Anatolie ? »

Il se tourna vers l'ouest, à l'opposé même de cette contrée dont il ignorait beaucoup de choses, vers Rome, sa patrie, une nouvelle fois aux prises avec une menace obscure qui planait sur elle comme un vautour. La cité ne connaîtrait-elle nulle paix ? L'Empire serait-il devenu la cible des pires complots ? Corvus se rappelait avec tristesse l'attaque des Titans, contre laquelle il avait résisté autant que possible au côté des désormais disparus – ou dispersés – Oracles. Une pénible et funeste bataille où il avait perdu un camarade de combat, premier mort sur le champ de bataille qu'il avait côtoyé. Il n'avait certes que peu connu l'Oracle Magnus, mais ce nom était désormais durablement ancré dans sa mémoire. Funeste ironie : seule la mort nous rendait immortel, en fin de compte.
La perspective de retourner à Rome et ses environs l'enchantait autant qu'elle le troublait. Il se doutait bien que la mission ne serait pas propice à visiter la ville, comme l'avait pu l'être le dernier voyage auquel ils avaient pris part Antares et lui ; Corvus se rendait cette fois-ci dans son pays natal non dans le but de guider ses supérieurs mais de protéger l'Empire, en étant conscient de la menace qui pesait sur lui. Cela changeait beaucoup la donne. Il ne partirait pas l'esprit léger et enthousiaste comme auparavant, mais le cœur inquiet et le cosmos brûlant de colère.

« Un géant menaçant Rome... Les géants ne se risquent pas jusqu'à Rome d'ordinaire et le fait que cette apparition ait lieu si peu de temps après la disparition des Oracles n'est pas une coïncidence. Il est donc évident à mes yeux que quelqu'un l'a envoyé là-bas. A croire que ce quelqu'un veut voir l'Empire accélérer sa lente chute. Et je suppose que nous ne serons pas les seuls à s'intéresser à cette soudaine apparition, nos ennemis aussi auront ressenti telle menace. A nous d'en tirer meilleur parti. Les géants ne sont pas les plus stupides des créatures. Peut-être aurons-nous plus de chance qu'avec les Titans et que nous pourrons soutirer des informations et donner enfin un nom à la force qui tient autant à voir tomber Rome. »

Antares, du Scorpion.

La dernière fois que l’oriental avait rencontré son ami, Elias du Phénix, ce dernier lui avait annoncé que le Gold Saint serait prêt à l’accueillir si jamais il cherchait le gite. Hors, de nature solitaire et débrouillarde, Shaokan s’était vu contraint de refuser, prétextant qu’il ne souhaitait en rien dépendre d’un homme portant l’une des plus puissantes des Cloths d’Athéna. Pour lui, dépendre des Chevaliers d’Or était quelque chose d’extrêmement embarrassant : certes, les conseils qu’ils peuvent apporter lors des entraînements sont plus qu’utiles et vitales mais, en même temps, comment le Dragon peut-il prétendre leur être égal, voire supérieur, en ayant constamment besoin de leur soutien ? Pour lui, cela n’avait aucun sens.
Et pourtant, plusieurs jours s’écoulèrent avant que le chinois ne décide de se rendre dans le Temple du Scorpion. Non pas pour y loger, mais parce qu’il n’a réellement guère le choix. Ordre du Grand Pope et, quand bien même Shaokan tient ce poste, et par conséquent l’homme qui l’occupe, en horreur, il y est forcé d’y obéir pour l’instant. Le désobéir actuellement ne sera qu’une décision stupide, ne faisant que vouer à l’échec son plan pour faire renaître la puissance des Saints : réunir les Mythiques.

Et le voilà, là, dans le temple d’un Gold Saint, en compagnie de deux porteurs d’Or. Antares et Corvus de la Vierge. Shaokan regarda avec attention ce dernier et tenta de se faire un avis sur sa personne : son apparence obscure était en totale contraste avec ce qu’il venait de dire auparavant. Le chinois s’était plus attendu à voir quelqu’un de froid, ne mâchant pas ses mots et ne s’intéressant, que peu, à ses congénères. Mais, visiblement, il était totalement dans l’erreur. La mission pour laquelle les trois hommes furent réunis surprit quelque peu le Dragon : protéger l’Empire Romain contre une nouvelle menace, soupçonnée d’être un Géant et, selon l’analyse, perspicace, de Corvus, envoyé par un tiers. Etant resté silencieux jusqu’alors, l’oriental se libéra de son mutisme pour enfin donner sa propre opinion. Bien qu’il ne soit qu’un Bronze, ses camarades semblent aussi impatients de connaître son avis sur le sujet. Visiblement, ils le considèrent comme un égal, chose assez rare dans la hiérarchie du Sanctuaire. Un minimum de sympathie naquit en Shaokan.

« Ravi de faire votre connaissance, à vous deux. Elias m’a parlé de vous, Antares. Je suis Shaokan, du Dragon. Vous n’avez pas tort Corvus, je suis originaire d’un pays lointain de l’Est : la Chine.
Quoiqu’il en soit, il est vrai que les rumeurs au sujet du Bouclier du Dragon sont véridiques. Ce dernier est indestructible et n’a, à craindre, qu’un pouvoir de force divine ou bien l’une des armes de la Balance. Mais je doute que nous nous retrouvions face à l’un ou l’autre, n’est-ce pas ? »

Un petit sourire amusé apparut, un court laps de temps, sur le visage de Shaokan. Lui-même en avait eu la certitude quant à la solidité de son Bouclier : lorsqu’il avait défié le Dragon Fou, toutes ses offensives s’étaient soldées sur un échec cuisant lorsque son défunt mentor s’en était paré avec la protection circulaire intégrée de la Cloth.

« Cela dit… Et si tout cela n’était qu’une ruse, ou plutôt, un piège ? Je pense en rien me tromper lorsque je prétends que les Chevaliers du monde entier ont pris connaissance de la défection d’Apollon. Et, supposons toujours que cette chose soit envoyée par une personne, ne croyez-vous pas qu’elle s’en prend à Rome uniquement parce qu’elle connait la relation qu’entretenait Saints & Oracles, Athéna & Apollon ? Qu’elle se douterait que nous, les Saints, interviendront ? Qui ne nous dit pas que ce n’est qu’un leurre pour affaiblir encore plus le Sanctuaire, après le meurtre de l’ancien Vierge et d’Hélios ? »

Le fait qu’il ne le nomme que par son patronyme, de manière instinctive, montrera sûrement à ses deux partenaires que le jeune Dragon connaissait l’ancien Gold Saint du Lion. Mais cela lui importe peu et, de toute façon, il ne s’en est pas rendu compte sur le coup. Croisant les bras et soufflant légèrement, le chinois contempla son bouclier. Il le sait. Il sait que, de toute manière, quand bien même il a raison, il n’y a pas trente-six mille solutions. Il le sait qu’ils n’auront pas d’autre alternative.

« Il est de notre devoir de mener l’enquête. Athéna ne tolérera pas que nous laissions des innocents mourir à cause d’un égoïsme, de la peur ou d’autres sentiments mauvais de notre part. Et si toutefois j’ai raison… Nous devrons découvrir qui a envoyé ce monstre. Sans doute est-ce la même personne qui a trouvé le moyen de faire appel aux Titans… Ou bien, nous conduira-t-elle à cette dernière… »