Ils venaient d'être convoqués par le prophète, lui et trois autres berserkers. En fait, Casshern ne connaissait aucun d'entre eux, opérationnel depuis peu il s'était enfoncé dans la solitude pour parfaire sa remise à niveau et ne possédait donc que très peu de contacts au sein de la citadelle. Mais la situation précédente ne se prêtait pas vraiment à la détente entre frères d'armes mais plutôt à une séance de briefing sur un sujet des plus délicats. A y repenser, l'homme à la chevelure flamboyante s'étonnait encore d'avoir été convié à cette opération, s'imaginant sans doute que sa présence était due à la conversation qu'il avait eu avec Ephtal quelque temps plus tôt. Quoiqu'il en soit, celui ci avait désigné un groupe de quatre parmi les serviteurs d'Arès pour se rendre à la recherche d'une aura des plus impressionnantes : Celle d'une Divinité.

Tout d'abord ébahi par cette information, le Python n'en laissait plus rien paraître pour la suite de cette réunion, enregistrant chaque détails avec attention. La puissance d'un dieu qui s'incarnait sur terre : Lequel ? Il fallait le déterminer, et agir en fonction des intérêts d'Arès. Qui sait, peut être même que le dieu de la destruction se réveillait après avoir observé ses fidèles provoquer un massacre à Athènes. La réussite de cette mission offrait un atout précieux à celui qui saurait en tirer profit, il n'était donc pas question d'échouer, d'autant plus que le réveil des berserks semblait se dérouler avec brio selon es résultats de l'expédition contre les Saints. Oui, une mission qui apporterait une nouvelle perspective d'avenir à l'un des protagonistes de ce grand jeu des dieux.

Quant à lui, l'amnésique qui prenait un nouveau départ, c'était une occasion sans pareil de se mettre en valeur et enfin déverser toute la puissance qui sommeille en lui sur l’ennemi. Détenteur d'une réserve appréciable d'un cosmos qui n'en finissait pas de s'étaler à chacun de ses coups, il allait enfin pouvoir saisir l'occasion de briser les adversaires de son dieu, peu importe leur nombre. Bien sur, il est fort aisé de s'imaginer le meilleur des scénarios, et sans pour autant se reporter sur le pire, il y avait de nombreuses autres possibilités. Le cardinal de la Mort avait d'ailleurs été très clair à ce sujet, leurs forces ne devraient en aucun cas faiblir s'il s'agissait d'un autre dieu, encore moins concernant celui de nos alliés. Poséidon. Que les marinas soient présents en nombre ou non, il n'y avait pas non plus meilleure occasion de conclure les bonnes relations et ainsi étendre la puissance de leur alliance.

Le principal était dit, trop de mots ne feraient qu'embrouiller les directives. Ephtal s'était retiré, laissant une précieuse tâche entre les mains de ses soldats accomplis. Il fallait dorénavant établir une stratégie, et... Non. Se repliant tranquillement sur lui même, Casshern de ses yeux jaunes, observait avec un peu plus d'attention ceux qu'il accompagnait : Ce n'était pas son rôle de donner des ordres, et bien qu'il ne se priverait sans doute pas d'offrir son avis par la suite il préférait se réserver et voir ainsi qui étaient ces nouvelles figures. Revenaient-ils tous de la guerre à Athènes ? Si un chef se trouvait parmi eux, il allait bientôt le savoir. Pour l'heure, le Flamboyant se contentait de faire craquer ses poignets fragilisés, ressassant une nouvelle fois les ordres du Prophète dans son esprit.

J'avais perdu. Pendant des jours, cette pensée ne m'avait pas quitté. Pour la première fois depuis cinq ans, j'avais perdu en pleine possession de mes moyens. Et aucun des Berserker que j'avais combattu et vaincu depuis, avec une violence empreinte d'esprit de vengeance, n'y avait rien changé. J'en revenais encore et toujours à cette pensée unique... J'avais perdu. Mon esprit torturé, mon corps sans cesse crispé de colère, j'errais dans les dédales de notre monde souterrain sans voir où mes pas me menaient. Quand Ephtal me fit convoquer, cette pensée ne quitta pas mon esprit. Quand j'entrai dans la salle qui allait résonner des ordres du Prophète, avec quelques autres Berserker, cette pensée ne me quitta pas. Je ne pris pas la peine d'observer le masque d'os qui couvrait son visage, ou de m'informer de ceux qui étaient en ma compagnie. Même le but de cette réunion me passait au-dessus de la tête. Néanmoins, mon sang ne fit qu'un tour, dès lors que j'en compris l'essence, et les ténèbres me quittèrent.

Une puissance divine avait été repérée, suffisamment puissante pour que nous en soyons alerté malgré la distance. Mon œil unique s'en trouva légèrement exorbité. Mes poings, jusque là flasques, se serrèrent. D'autres Guerriers l'avaient forcément remarquée aussi. Peut-être le Capricorne et la fille étaient déjà sur la route. Les ordres furent donnés, et le Prophète quitta la salle, nous laissant entre nous. Mon regard vola de l'un à l'autre de ces compagnons de fortune, de ces frères d'armes et de sang. L'un, sans doute le plus en retrait, aux cheveux de sang, faisait de même, attendant je ne savais quel signal. Même chose pour l'homme aux cheveux de neige. Quant au dernier... A la dernière, ses cheveux étaient d'un violet plus prononcé encore que les miens. Un instant auparavant, ces gens n'existaient pas. Maintenant, ils étaient là, amenés par la force du hasard à suivre la quête qu'Ephtal nous avait donné à tous. J'eus un sourire cruel. Je n'avais pas besoin de leur poser la question, de parler, pour savoir qu'eux aussi avaient à l'esprit les mêmes pensées que moi : quiconque se dresserait sur notre chemin serait voué à disparaître, purement et simplement. Et je tremblais d'impatience à l'idée de rayer quelqu'un de la carte, au prix d'un combat acharné, et de rétablir ma victoire.

D'un mouvement d'une fluidité féline, dans lequel transparaissait mon empressement, je fis volte-face, quittant des yeux le mur devant lequel s'était campé Ephtal, résolument tourné vers la sortie. Ma tunique longue, nullement entravée par une quelconque pièce d'armure, comme le voulait mon style de combat, vola gracieusement selon mon mouvement, avant de retomber doucement dans mon sillage. Les bras le long du corps, et un sourire malsain barrant mon visage de part en part, je lançai à tous :

« Allons-y. »

S'il fallait convenir d'un plan, ou d'une destination, j'avais pour désir de le faire en chemin. Perdre une seconde amenuisait les chances de croiser nos ennemis. Et bien que déterminé à accomplir la volonté d'Ephtal, et par extension, d'Arès, mon corps réclamait la présence de l'ennemi, la revanche, la vengeance, la victoire. Je ne tenais plus en place. Par ailleurs, je n'avais pas l'impression qu'une destination valait mieux qu'une autre. Une fois de l'autre côté de la méditerranée, il suffirait de rechercher activement la moindre éruption de cosmos. Et je ne pouvais qu'espérer qu'elle provienne d'un ennemi...

Même les guerriers les plus véritables avaient besoin d'un peu de repos.

Or, Jevren n'avait pu bénéficier de tant de repos que ça... Le poids de l'attaque sur le Sanctuaire d'Athéna était durement retombé sur ses épaules, amenant fatigue et faiblesse temporaires. C'était là sa première fois, son premier véritable affrontement au milieu d'hommes aussi - voire davantage - doués que lui en matière de maîtrise du Cosmos. Il avait dû réaliser mille prouesses, placer toutes ses forces dans ses assauts, couvrir la Pestilence en tant que bras armé de cette Cardinale menaçante; il ne regrettait pas le moindre geste, puisque ce don de soi avait amené l'une des victoires les plus éclatantes du camp d'Arès, prenant au passage la vie d'un officier ennemi. Même Dame Okra avait eu l'air de se montrer satisfaite du travail du Frelon, ce qui n'était pas peu dire; celle-ci devenait d'ailleurs, petit à petit, bien plus sympathique à Jevren que lors des premiers contacts, car notre homme se rendait petit à petit compte de l'humanité, bien enfermée sous une épaisse cuirasse et anesthésiée par mille poisons, de cette guerrière de fer.

Encore excité par cette brillante intervention des Berserkers, l'Ostrogoth n'avait que peu dormi, repassant sans cesse dans sa tête les évènements de cette Guerre. C'était donc loin de son état optimal qu'il avait été convoqué - même si, par chance, ses blessures, sans gravité, avaient eu l'occasion de se refermer.

Jevren écouta sagement les instructions, conservant, malgré sa surprise, sa contenance lorsqu'il apprit la nature de cette petite réunion. A qui appartenait cette aura localisée par le Prophète? S'il s'agissait d'Arès, la question ne se posait pas: il était urgent de le retrouver et de le ramener sain et sauf. Poséidon, vénéré par les alliés aquatiques des Berserkers, laisserait apparemment une bonne occasion de renforcer les liens entre eux. Quant aux autres Dieux... Eh bien, le petit groupe verrait sur place. Mais par où passer, comment chercher? Jevren ne posa aucune question: apparemment, quelqu'un ici était à même de tous les guider jusqu'à leur but. Le Frelon resta fidèle à son habitude de suiveur, et demeura silencieux.

Frozia... Encore une personne absurdement anormale, à ce qu'elle laissait paraître d'elle dès les tout premiers regards. L'Ostrogoth n'avait que peu entendu parler du prédécesseur de la borgne, et encore moins des raisons pour lesquelles son armure avait été attribuée à un successeur. C'était chose curieuse, à n'en pas douter, mais cela ne le regardait pas tant que la nouvelle Famine remplissait ses obligations. Ce point-là, en revanche, lui faisait émettre quelques réserves; Frozia paraissait manquer de sérieux, de rigueur, de ce qui laisse tout naturellement un meneur imposer ses ordres sans aucun souci. Et puis, s'adresser à ses troupes comme elle le faisait n'était peut-être pas le meilleur moyen de gagner immédiatement sa crédibilité en tant que Cardinale...

Enfin... Les ordres d'Ephtal n'étaient pas discutables.

A l'instar de ses compagnons, qu'il ne connaissait absolument pas, il se prépara à suivre la Famine.

Enfin, la direction du groupe venait d'être saisie par une hystérique qui, au delà de son apparence qui la caractérisait suffisamment, laissait éclater ouvertement ses caprices. Casshern savait d'après son cas que juger une personne sur une première impression pouvait induire en erreur, mais tout de même, face à la situation présente il y avait de quoi se poser des questions. Demeurant septique pendant que cette dernière se présentait comme une cardinale de-je-ne-sais-plus-quoi, il se renforçait dans son mutisme. Ce qui conviendrait sans doute parfaitement à celle ci. Peu importe, ils étaient liés par Arès et se battaient à peu près pour les mêmes raisons, avec un peu de chance un semblant de symbiose se révélerait en cas d'affrontement. C'est tout ce qui importait.

D'ailleurs, si l'autorité de Frozia laissait légèrement à désirer après ses quelques démonstrations, ses ordres restaient néanmoins respectés par tous. En fait, personne n'avait plus rien à dire et la seule issue possible pour une nouvelle conversation était de débuter cette mission et donc quitter la citadelle. Sans doute la cheffe était-elle inspirée -ou folle, ce qui pouvait changer pas mal de chose- pour partir sans la moindre organisation dans ce genre d'objectif, d'autant plus qu'elle ne cachait pas l'envie première d'y aller seule. Mais... l'amnésique pensait trop ces temps ci, remettant par conséquent plusieurs choses en question il avait espéré pouvoir enfin se battre dans les intérêts du dieu de la destruction. Aujourd'hui, c'était chose faite.

Il n'avait qu'à se laisser guider par le groupe jusqu'au noyau des combats, et quoiqu'il pouvait penser de cette femme, ça ne faisait aucun doute qu'elle trouverait la bonne voie. Alors confiance.

Adoptant toujours une posture droite et fière de part le maintien de sa cuirasse, le Flamboyant suivait donc ses frères d'armes tout en profitant du silence pour scruter chacun d'entre eux sans le moindre gènes. Que risquait-il ? Que quelqu'un lui adresse la parole pour l'envoyer bouler ? Pas non plus que l'agressivité ou une quelconque tension étaient présentes chez les berserkers mais après tout, on ne sait jamais à quoi s'attendre de la part de gens que l'on ne connaît pas. Et c'est toujours plus facile de s'imaginer le plus désagréable. Et puis, avec deux coéquipiers possédant de magnifiques angles morts, son sens de l'observation ne devrait pas être bien gênant.

En attendant d'en savoir un peu plus sur la suite de leur avancée, il n'avait cas prendre son mal en patience. De toute manière, l'ennui n'aurait sûrement pas sa place bien longtemps dans cette mission, il leur fallait juste avancer encore un peu pour avoir du nouveau de la part de leur capitaine. Du moins il l’espérait.

Si j'attendais une commune mesure dans l'empressement de mes pairs, je ne m'étais pas attendu à ce que l'un d'entre eux, la fille, me dépasse. A vrai dire, je m'étais attendu à rien de ce qu'elle fit, dit, ou fut. Qu'elle se révèle être une Cardinale me donna un mouvement de recul, imperceptible de son point de vue, sous le coup de la surprise. J'avais en effet entendu dire que le précédent Cardinal de la Famine avait été fraîchement remplacé, mais mon peu d'intérêt pour ces affaires, et mon empressement à combattre le Sanctuaire et à récupérer de mes blessures m'avaient coupé de cet aspect de notre Antre. Avec un hochement de tête, je me promis de me tenir plus amplement informé la prochaine fois.

Outre ma stupeur de découvrir sous ce visage, certes empreint de malice, mais d'une douceur indéniablement féminine, la Cardinale de la Famine, mes pulsions véhémentes changèrent de cible, délaissant provisoirement les ennemis d'Arès pour se focaliser sur l'une de ses plus proches alliées. Le dernier Cardinal que j'avais rencontré, Guerre, avait été à mes yeux dès les premiers instants, tout comme l'avait été Ephtal, une incarnation de la puissance de ce monde. Aujourd'hui, je faisais la rencontre du troisième Cardinal, et ma crainte de ces puissances supérieures s'amenuisait avec le temps, cédant la place à un puissant désir de se mesurer avec eux.

Ses mots tranchèrent le silence de l'Antre de la Mort, prenant la tournure d'ordres qui n'acceptaient aucune discussion. Je n'avais pas lieu de m'y opposer. D'une part parce qu'il était naturel pour un non-Cardinal de marcher dans les traces de ses supérieurs, et d'autre part parce que ses volontés semblaient aller dans mon sens. J'eus un sourire, et je rejetai au fond de mon esprit mes pulsions combatives à son égard, pour un temps, le temps de cette Mission, qui nous amènerait à collaborer. Elle sortit, et je lui emboîtai le pas sans attendre, pressé de partir, pressé d'atteindre enfin de dignes adversaires.

Sur le pas de la porte, elle émit un son agressif, destiné sans l'ombre d'un doute à appeler son Destrier. Condamné à attendre son arrivé avant le départ, j'en profitais pour lui toucher quelques mots, sans me soucier de qui m'entendrait.

« Straw de la Mante. Si vous avez besoin d'appui, je suis votre homme. »

Mettre des mots sur une évidence n'était qu'un moyen comme un autre de lui souligner mon intérêt. Car il n'y avait pas lieu de nier qu'elle m'intriguait, cette femme-soldat, à l’œil gauche aussi inutilisable que le mien, et dont l'empressement, au moins aussi prononcé que le mien, était pourtant camouflé par une retenue dont je n'étais pas capable. Jamais je n'aurais eu la présence d'esprit de m'introduire, considérant que le combat démontrait mieux mon être qu'une quelconque suite de mots.

Le départ était imminent, et chacun se dirigeait vers la sortie, suivant le mouvement entamé par Frozia. Jevren fut celui qui resta le plus en retrait; le soldat aux cheveux flamboyants, lui, restait tout aussi silencieux et réservé que le Frelon; quant au borgne, à l'inverse de ses compagnons, il s'approcha de la Cardinale afin de lui souffler quelques mots d'appui. L'Ostrogoth haussa un sourcil. Se connaissaient-ils déjà? Deux borgnes du même oeil... Rien de plus qu'une stupide coïncidence, probablement. Frozia laissa d'ailleurs échapper un rire plus proche du caquètement que du son humain, avant de lui faire comprendre qu'il devrait d'abord prouver qu'il n'était pas qu'un boulet. Bon, au moins, Jevren était fixé: aucune complicité préalablement établie entre ces deux-là. Il ne put s'empêcher, au passage, de reconnaître que la confiance que la Famine plaçait en elle-même, bien que remarquable, s'imposait au détriment de sa foi en ses camarades... Malgré tout, ce franc-parler lui plaisait.

Pourtant, il n'irait pas établir le contact sans nécessité de faire ainsi. Se placer en avant n'était pas son genre, et si l'attitude de Frozia, une fois mise en lumière, lui déplaisait, il craignait de contribuer à une atmosphère trop tendue au sein du petit groupe.

Durant ce temps, la monture hélée par la demoiselle s'approcha à l'horizon, avec sa vitesse surnaturelle, stoppant net devant elle en faisant montre de la plus parfaite obéissance. N'ayant jamais apprécié particulièrement le combat ni le déplacement à cheval, bien que l'art de la guerre inculqué à son peuple par la domination Hunnique s'en serve comme base primordiale, Jevren était tout de même admiratif devant la beauté de la bête; pas besoin d'être un fervent adepte de cet animal pour en ressentir l'aura imposante, pour en contempler la démarche fière, pour que le regard s'attarde sur les flammes qui s'élevaient sur son chemin. Après une rapide embrassade, Frozia se hissa sur le dos de sa monture, et donna enfin le signal du départ, le vrai.

Le destrier partit au galop. Par pur réflexe militaire, Jevren signala à qui voudrait l'entendre:


- Je prends l'arrière-garde. Allez-y.


Et il s'élança derrière la Cardinale, usant de la vitesse conférée par son armure pour rester à une distance respectable du cheval infernal. Prendre l'arrière-garde, c'était être aux aguets en permanence; un rôle ingrat, dont il s'acquittait généralement fort honnêtement. Après tout, au vu des circonstances de leur mission à tous quatre, mieux valait avoir quelqu'un pour surveiller ce qui pouvait se passer dans leur dos. Ils n'étaient très certainement pas les seuls à partir en expédition, et nombreux étaient les Saints désireux de prendre leur vengeance sur la faction qui avait fauché leurs camarades...