Cela faisait plusieurs jours à présent qu’Oréstis avait remarqué ce Saint, qui semblait fraîchement rentré au Sanctuaire. Ses airs timides et son apparence androgyne lui avaient tout de suite plu, et il n’avait pas fallu longtemps pour que le joueur de lyre se mette en tête que ce jeune et farouche Saint serait sa prochaine conquête. Méticuleux, le Chevalier d’Argent avait pris bien soin de noter quelles habitudes semblait prendre le Saint d’Andromède, sa nouvelle proie. Et parmi quelques occupations anodines, une en particulier s’était distinguée : très tôt, le matin, le roux quittait les quartiers des Chevaliers de Bronze pour se rendre en direction de la côte…

Et je l’ai suivi. Discrètement, à distance, sans me faire repérer, malgré ma tenue, voyante, comme d’habitude : un hanfu pourpre, complété par une coiffure en chignon, cette fois agrémentée de deux baguettes d’argent incrustées de deux rubis. Mais il ne s’est pas retourné, et j’ai pu en toute discrétion rallier la plage où il se rendait. Patient, je me dissimulai derrière un large rocher alors que, visiblement persuadé d’être seul, le jeune Bronze Saint se déshabillait. Il sembla hésiter quelques instants avant de pénétrer dans l’eau, mais se lança finalement. J’attendis quelques instants avant de signifier au Saint d’Andromède qu’il n’était pas seul.

Un air doux et lent de lyre s’élève lentement, provenant de l’instrument d’Oréstis qui, à présent allongé tel une sirène sur le rocher qui l’avait précédemment dissimulé, laisse habilement courir ses doigts sur les cordes. Lorsque sa proie, réalisant grâce à la musique qu’elle n’est pas seule, se retourne brusquement, Oréstis sourit et se lève, puis d’un bond gracieux atterrit dans le sable, à quelques pas du front des premières vagues. Un immense sourire barre son visage avant qu’il ne déclare :

- N’est-il pas un peu tôt pour se baigner, jeune homme ?

Ce garçon est pour le moins étrange : sa poitrine semble anormalement développée pour un homme, et son physique androgyne n’est pas sans rappeler celui d’une femme ; néanmoins, comme j’ai pu le remarquer quelques instants plus tôt, son sexe fait foi : il s’agit bien d’un mâle. Il y a peut-être quelque chose de plus compliqué derrière, mais ça ne fait que rendre les choses plus excitantes. En tous les cas, sa beauté, exacerbée par sa coquetterie, semble ne pas être à mettre en cause.

Sans perdre plus de temps, Oréstis desserre la ceinture de son long vêtement avant de le retirer, révélant sa nudité sans complexes. Puis il s’avance vers la mer, et pénètre avec quelques frissons dans l’eau glacée en s’approchant du jeune homme, qui a à présent des airs de jeune fille effarouchée. Comme pour porter son effet à son paroxysme, Oréstis laisse délicatement courir sa main dans les cheveux de feu du Saint d’Andromède, avant de déclarer avec un nouveau sourire espiègle :

- L’eau de mer ne risque-t-elle pas d’abîmer cette si belle chevelure ?

La gêne du garçon est palpable : il n’ose même pas se retourner pour me faire face, et je peux sentir que son corps est agité de légers tremblements, au même titre que sa voix. Et puis son expression, mal assurée, balbutiante… le spectacle est des plus comiques, d’autant que son visage a à présent la couleur rouge pivoine de la serviette qu’il utilise pour dissimuler – tant bien que mal – sa poitrine. Mais cela n’enlève rien à son charme, bien au contraire. Avec un léger sourire, je retire délicatement ma main de ses cheveux, en profitant pour caresser très fugacement sa nuque, avant de le dépasser pour m’aventurer un peu plus en avant, afin de lui tourner le dos à mon tour, tout en déclarant :

- Crinière ? Allons, ne qualifiez pas de crinière cet océan de cheveux de feu, par pitié ! Ce nom est si réducteur !

Se retournant soudain pour faire face au Saint d’Andromède, Oréstis, le visage toujours illuminé par un sourire facétieux, plante son regard azur dans les yeux émeraude de sons vis-à-vis, qui ne peut désormais plus simplement se contenter de lui tourner le dos. Puis il dit, une pointe d’ironie dans la voix :

- Oh, non, n’ayez crainte, il n’y a pas d’heure attribuée à la baignade ! Néanmoins, vous reconnaîtrez qu’il est un peu… tôt, non ? Pourquoi venir vous baigner dès les premières lueurs de l’aube ? Cherchez vous à fuir le contact de vos semblables ?

Cela dit, je me rapproche à nouveau avec lenteur du jeune Chevalier de Bronze, une lueur malicieuse dans mon regard alors que lui-même semble toujours tétanisé. Arrivé face à lui, je m’arrête, et déclame :

- En revanche, si l’heure que vous choisissez pour votre baignade peut paraître quelque peu incongrue… votre tenue l’est encore plus. Pourquoi vous baigner tout habillé ? J’avoue avoir du mal à saisir l’intérêt ! Retirez donc cette serviette…

Joignant le geste à la parole, le Saint de la Lyre laisse courir ses doigts le long de la protection de tissu du roux, jusqu’à en saisir une extrémité. Alors il commence à la tirer lentement, diminuant peu à peu la tension de la serviette autour du torse du jeune androgyne, tant et si bien qu’elle risque de tomber à tout moment pour dévoiler son mystérieux torse. Ce-faisant, Oréstis ajoute :

- Et ne te méprends pas… si certains Saints choisissent de négliger l’esthétique, ce n’est pas le cas de tous. Je mets personnellement un point d’honneur à soigner mon apparence… et mon respect va bien davantage aux personnes soignant leur allure qu’aux brutes réalisant des carnages sur le champ de bataille. La puissance n’est rien sans la Grâce…

J’avais visé juste : si le jeune Saint d’Andromède vient si tôt se baigner, c’est avant tout pour fuir le Sanctuaire et la compagnie des autres Saints, qui en toute vraisemblance l’oppressent. Je n’avais pas pu m’empêcher d’étouffer un léger rire lorsqu’il avait terminé sa phrase.

- Un effort ? Et quel genre d’effort avec vous à fournir sur votre paillasse, dans votre dortoir ?

Le sourire espiègle du Saint de la Lyre illumine toujours son visage quand il voit la gêne s’installer à nouveau sur celui de son vis-à-vis, alors qu’il tente de lui retirer sa protection de tissu avec douceur. Incapable de soutenir plus longtemps le regard cyan d’Oréstis, celui à qui Andromède a accordé sa protection détourne finalement les yeux pour reprendre la parole, justifiant son usage de la serviette pour dissimuler des cicatrices de guerre. Mais cette justification est bien insuffisante aux yeux du joueur de lyre, qui soupçonne d’ailleurs autre chose…

- J’ose imaginer que ces cicatrices ne sont qu’éparses et que vous n’en êtes pas encore tout couturé… les dissimuler est si vain. A faible concentration, ces petites imperfections ne peuvent que renforcer votre charme ! Utilisez donc pour vous mettre en valeur, au lieu de vous cacher derrière cette étoffe.
A moins, bien sûr, que vous ne dissimuliez autre chose derrière ce tissu rouge…

Mon regard, alors que je prononce ces paroles, est chargé de sous-entendus, et il ne fait pas de doute que le jeune Saint l’aura capté, puisqu’il vient de retrouver le courage de vriller ses yeux dans les miens.

- Et qui parle de hardiesse ? Je trouve simplement dommage de camoufler le corps d’un jeune éphèbe derrière ce des artifices… surtout lors d’une baignade, où la tenue d’Adam est généralement adoptée par la majorité des gens !

Au regret d’Oréstis, le Saint d’Andromède réajuste in extremis le morceau d’étoffe autour de son torse, avant d’agir de manière totalement inattendue : abandonnant pour un court instant ses réserves, il évoque la couleur peu naturelle des cheveux du Saint d’Argent, allant même jusqu’à les caresser pendant un bref instant, pour le plus grand plaisir du musicien.

- N’est-ce pas ? A vrai dire, j’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’une malédiction divine, mais j’ai fini par m’y habituer, finalement, je trouve cela infiniment plus plaisant que la possession d’une couleur de cheveux lambda… grâce à mes cheveux, je suis sûr de ne jamais tomber dans le commun ! Mais laissez-moi vous arranger un petit quelque chose, je suis sûr que cela vous ira à ravir !

Joignant les gestes à la parole, je retire les deux baguettes d’argent incrustées de rubis qui maintiennent mon chignon en place, libérant sur mes épaules un flot de cheveux d’un bleu aussi profond que la nuit, puis contourne le jeune Chevalier, avant de former avec ses cheveux un chignon à l’image du mien, quoiqu’un peu plus haut à l’arrière du crâne, avant d’y planter délicatement mes baguettes pour en assurer le maintien. Satisfait du résultat, et notamment de la manière dont les rubis s’assortissent avec les cheveux de feu, je me recule d’un pas tout en caressant légèrement le dos du jeune homme pour lui signifier de se retourner, déclarant dans un souffle :

- Il n’y a pas de doute, ces baguettes étaient faites pour vous ! Cette coiffure vous sied à merveille !

Apparemment, les cicatrices du jeune homme étaient un point sur lequel il n’aimait pas s’attarder, et qui semblait éveiller en lui de mauvais souvenirs : il faudrait que je me souvienne d’éviter d’aborder à l’avenir. Feignant l’incompréhension, il embraye rapidement, changeant complètement de stratégie pour passer à l’attaque, me demandant ce que je sous-entends en supposant qu’il ait autre chose à dissimuler. Son revirement est intéressant et bien pensé… mais il en faut bien plus que ça pour me déstabiliser. Mon sourire s’effaçant un bref instant pour laisser place à une expression des plus sérieuses, je déclare solennellement :

- Ça, je n’en sais rien. C’est à vous de me le dire… ou de me le montrer.

Les dires suivants du beau roux me firent rire aux éclats. Entraînement aquatique ? Quelle blague ! Le prétexte est si mal trouvé qu’il en est risible. Comment le fait de se baigner avec des vêtements pourrait constituer un entraînement, quel qu’il soit ? D’ailleurs, il a négligé un détail… à moins que sa maîtrise de son armure ne soit encore que partielle.

- Pensez-vous vraiment ce que vous dites ? Si oui, c’est assez inquiétant ! N’oubliez pas que votre armure, si vous communiez correctement avec elle, pèse encore moins que ces vêtements dont vous vous encombrez !

Cela dit, il y a dans les paroles du Saint d’Andromède un détail qui a piqué au vif la curiosité du chevalier aux cheveux bleu nuit.

- Mais dites-moi… quelle est donc cette côte d’émeraude dont vous parlez ? Je n’ai jamais entendu parler d’un lieu portant un tel nom dans les environs, et les eaux, dans notre région, sont plutôt réputées pour leur température plus que tolérable !

Puis vient un autre détail intéressant : le jeune Saint aurait rencontré des hommes aux cheveux blancs et cheveux rouges. Essaye-t-il de me bluffer avec des histoires fantasmagoriques, ou est-ce la vérité ? Difficile à déterminer, mais s’il dit la vérité, j’aimerais vraiment rencontrer l’un de ses hommes. Nul doute qu’ils doivent rivaliser d’ingéniosité pour réussir à être présentables, mais ceux qui y arrivent doivent sans aucun doute accéder à une grande beauté !

Le sourire d’Oréstis s’était élargi lorsque le roux avait contemplé son reflet dans l’eau, et que ses joues avaient viré au cramoisi, leur couleur tendant à se rapprocher de celle de ses cheveux. Ce détail, le Saint de la Lyre n’allait pas manquer de le faire remarquer à son vis-à-vis...

- Oh, non, je vous en prie. A vrai dire, je n’utilise souvent ce genre d’accessoire qu’une seule et unique fois, éprouvant le besoin de renouveler sans cesse mon apparence. Vous pouvez ainsi considérer ses baguettes comme un cadeau ! Néanmoins, j’ose espérer que j’aurai l’occasion, à l’avenir, de les voir plantées dans vos cheveux si d’aventure je vous croise au Sanctuaire… mademoiselle !

Cette fois-ci, plus de sous-entendus. Sa réaction en voyant son apparence dans les eaux de la Méditerranée avait conforté mon hypothèse, restait à présent à voir comment il réagirait à cet assaut frontal. Pour cela, mon regard était résolument vrillé dans le sien...

Il était plus qu’intéressant de constater l’apparente cosmopolitanie du Sanctuaire : après ce Narcisse, originaire de l’Empire d’Orient, voilà que le jeune Saint d’Andromède clamait venir de Brittania, bien plus au Nord. Et c’était sans compter mon propre exemple, car même si la Grèce était le pays où j’étais né et où j’avais passé mon enfance, mon adolescence et mon entrée dans l’âge adulte s’étaient faites dans cette contrée à l’extrême orient, là où j’avais obtenu mon armure. En tous les cas, ce que m’avait révélé le Bronze Saint me paraissait plutôt intéressant.

- Eh bien, j’espère que je serai amené à pouvoir contempler cette mer d’émeraude pendant ma vie ! J’imagine que le spectacle doit être grandiose !

Je n’avais pas pu m’empêcher d’esquisser un sourire gêné lorsque le jeune homme avait évoqué mon apparente richesse. Bien sûr, pour moi, cela allait de soi…

- A vrai dire… être un artiste peut permettre de ne jamais manquer de quoi que ce soit, dans la mesure où l’on trouve un mécène. Ça a été mon cas, et pour mon plus grand bonheur, mon mécène n’était pas un petit joueur. Avez-vous déjà entendu parler de ces terres orientales, très loin, au-delà des mers, plus loin encore que les Indes ? J’y ai vécu de longues années, et j’y jouais de la lyre pour l’empereur lui-même. Et je peux vous assurer que chacun de mes airs l’enchantait davantage que le précédent !

Je marquai une pause, satisfait du petit effet que mon erreur volontaire pour qualifier le jeune homme avait eue. En tentant de dissimuler sa nervosité, il ne faisait que l’exacerber, et il était aisé de deviner que cette simple remarque l’avait mis mal à l’aise. Je décidai de le faire mariner encore un petit peu. Me détournant du jeune Saint, je pris la direction de la plage, et déclarai alors que je quittais peu à peu les eaux de la Méditerranée :

- Ainsi, lorsque j’ai dû quitter l’Empire de mon mécène, celui-ci a veillé à ce que je ne manque de rien pendant des décennies entières, me recouvrant littéralement de cadeaux. C’est grâce à lui que je peux poursuivre chaque jour ma quête de beauté !

Arrivé sur la plage, le Silver Saint avait délicatement essuyé ses doigts et mains dans une manche de son hanfu pourpre déposé à même le sable, avant de se saisir de sa lyre. Bientôt, ses doigts couraient sur l’instrument tandis qu’un air doux, empreint de sensualité, s’élevait. Faisant à nouveau face au Saint d’Andromède, le musicien décida finalement de mettre fin à son petit jeu.

- Pour ne rien vous cacher, je ne pouvais vraiment pas m’empêcher de constater à quel point vous pouvez ressembler à une femme, coiffé de la sorte ! Je dois reconnaître que c’est assez… troublant.

L’explication que le jeune homme avait trouvée pour justifier son allure androgyne me semblait quelque peu tirée par les cheveux, car j’imaginais difficilement comment une armure pouvait avoir une influence sur la physiologie de son porteur. Au contraire, j’imaginais plutôt que l’armure devait être malléable et s’adapter à celui ou celle qu’Athéna lui aurait désigné. Cela dit, je décidai de le croire, ou du moins de le feindre, et je sautai sur l’occasion pour repartir à la charge :

- Andromède… donnée en pâture à Cetus car sa mère avait commis l’affront de la comparer à une Néréide.

Mon sourire se fit plus mystérieux tandis que l’allure à laquelle mes doigts pinçaient les cordes de mon instrument gagnait en intensité, instaurant une légère tension dans l’air.

- Et je ne suis pas le Saint de Persée, qui, dans la légende, vint sauver la belle ! Je ne suis que l’humble Saint de la Lyre. J’espère que cela sera suffisant ! Car il est vrai qu’en l’état, flottant sur les eaux de la Méditerranée, l’on pourrait vous confondre avec une Néréide…

Ce disant, j’adressai un imperceptible clin d’œil au Saint d’Andromède, tandis que ma mélodie revenait peu à peu vers quelque chose de plus calme et empreint de volupté. Je me refusais à me l’avouer, mais le compliment du jeune homme concernant ma dextérité au maniement de la lyre m’avait touché ; j’avais néanmoins pu déceler une pointe de jalousie dans ses paroles. Et cela s’était bien vite expliqué, lorsqu’il m’avait exposé sa passion, inassouvie, pour le dessin.

- Je vous remercie du compliment. A vrai dire, il me semble avoir passé mon existence entière avec une lyre dans mes mains, ce qui pourrait expliquer mon affinité si particulière avec cet instrument. Mais permettez-moi de vous demander une chose : pourquoi ne vous adonnez-vous pas au dessin, maintenant ? Il n’est jamais trop tard pour apprendre ! Je ne sais quelles sont les raisons qui vous ont empêché de pratiquer cet art jusqu’ici, mais il serait trop bête de gâcher une telle passion.

C’est cette fois un sourire facétieux qui se dessina sur le visage du joueur de lyre.

- Et puis j’aimerais vraiment voir l’une de vos œuvres ! J’espère cette chance me sera bientôt donnée…

Si Oréstis n'avait répondu que partiellement à la question du Bronze Saint concernant son identité, cela était tout à fait intentionnel. Rusé, il souhaitait voir si le jeune Saint aurait l'audace de renouveler son interrogation, ou s'il se satisferait de sa réponse fragmentaire.

S’ébattant lascivement dans l’eau, le jeune homme semblait se laisser bercer par mes paroles et ma musique. Et par la même occasion, gagnait visiblement peu à peu de l’assurance : son sourire ne le quittait plus à présent, et la première question qu’il me posa ne manquait pas de culot pour quelqu’un semblant être aussi réservé que lui. Et pourtant, ma réponse allait peut-être le décevoir, mais la façon dont sa question était posée ne me laissait pas vraiment le choix. D’un ton légèrement sec, je déclarai :

- Non. Si il y a bien une Armure avec laquelle je peux vivre en harmonie parfaite, c’est bien celle de la Lyre. Cela dit, dans le cas présent, les Hommes que nous sommes seront peut-être plus forts que les simples enseignements d’une légende.

Je m’interrompis quelques secondes, stoppant même mes doigts qui jusque-là avaient continué à voler follement, sans discontinuer, sur les cordes de mon instrument. Pendant ces quelques instants, l’on ne pouvait entendre que le bruit du ressac, et la rupture brutale avec mon air précédent instaura une atmosphère de malaise. Mais bientôt, je repris :

- Et puis je n’aurais pas supporté de vivre dans l’ombre d’une légende. Cela doit être si… oppressant.

Nouveau silence ponctué du bruit des vagues. Puis finalement :

- Je préfère écrire ma propre histoire… et la tourner de la façon qui me plaît.

Puis ses dires vinrent montrer le manque de confiances qu’il avait en ses talents d’artiste. Il fallait dire qu’en tant que Saint, il n’avait pas eu beaucoup de temps à consacrer à sa passion, comme tant d’autres élus d’Athéna, contraints de guerroyer dès leur plus jeune âge pour servir leur déesse. A dire vrai, mon parcours devait faire figure d’exception chez les Saints. Je devais m’estimer heureux : il semblait que, finalement, j’aie toujours obtenu ce que je souhaitais. Et cela n’allait apparemment pas s’arrêter de sitôt, vu la tournure que prenait la discussion que j’avais avec le jeune homme.

- Eh bien, surprenez-moi. Ne comptez pas sur moi pour vous imposer un carcan quant à votre création : en tant qu’artiste, je ne sais que trop bien combien cela peut être contraignant, et à quel point c’est vain. Alors laissez votre talent s’exprimer librement.

Alors que sa phrase se terminait, Oréstis se baissa pour ramasser son hanfu pourpre qui traînait à ses pieds, et le passa négligemment, puis il commença à marcher lentement, s’éloignant peu à peu du rivage en tournant le dos à la mer. Cet acte ne faisait que souligner son besoin d’indépendant et de liberté ; néanmoins, il ne put résister à l’envie de lancer ces derniers mots au Saint d’Andromède :

- Mais ne tardez pas trop…

Et, sans un au revoir, il continua à s’éloigner. Le jeune Saint oserait-il le retenir ?