Des jours que la Bête ruminait, errant dans le dédale de cavernes humides et gelées creusé à même la montagne, au cœur du Valhalla, qu’il était l’un des seuls à connaître. Le guerrier de Delta avait publiquement manqué de respect à Máni devant l’assemblée des Guerriers Divins, et si le colosse avait tant bien que mal, et avec l’aide de son fidèle compagnon canin, réussi à se contrôler afin de ne pas souiller le Temple d’Odin, il était à présent hanté par un seul et unique désir : celui de se venger de l’affront qui lui avait été fait, ainsi qu’au Seer. La discipline devait être enseignée à ce guerrier de Mégrez, et si le Seer choisissait de le ménager en ne sévissant pas, la Bête, elle, ne pouvait pas faire preuve de tant de patience.

Je ne peux plus attendre ! L’heure est venue ; il va payer pour l’humiliation qu’il m’a fait subir. Il va voir ce qu’il en coûte de prendre la Bête du Valhalla de haut.

Alors allons-y, mon frère, mais restons sur nos gardes. S’il n’avait pas l’air bien puissant, ce Guerrier dégageait une aura de perversion telle que tous, au temple, ont dû la percevoir. Je pense qu’il ne reculerait devant aucun coup bas pour arriver à ses fins. Surtout, ne relâchons pas notre attention une seule seconde.

Mon armure de Zeta Prime revêtue, et dissimulée, à l’exception du casque, sous mon long manteau ivoire, je m’oriente vers l’une des sorties du dédale de tunnels dans lequel j’évolue comme un poisson dans l’eau, Hati sur les talons. Bientôt, nous sortons de l’une des galeries pour arriver à proximité du domaine de Delta, la Forêt, lieu supposé être sous l’égide du vermisseau ? L’endroit est malsain, et l’on dirait, malgré la présence des arbres, que toute vie en est absente. Ironiquement, je me dis que la Forêt est à l’image de son gardien, perfide et fourbe, et elle doit sans aucun doute receler mille et un pièges sournois. Mais ce n’est pas cela qui va m’arrêter dans ma quête de vengeance.

Alors que le colosse et le chien ont pénétré relativement profondément dans la Forêt, l’homme cesse soudain sa marche pour lancer un cri sauvage, qui semble immédiatement étouffé par la forêt, comme absorbé.

- Delta ! Sors de ta cachette, lâche, et réponds de tes actes ! L’heure est venue pour toi de payer les affronts faits à ton Seer et à la Bête !

Quelque chose vient troubler le silence et l’apathie de la forêt. Un os, visiblement lancé dans ma direction, vient s’écraser devant mes pieds. Et comme par magie, quelques secondes plus tard, la vermine qui porte l’Armure de Mégrez fait son apparition, et commence à fanfaronner, décuplant d’emblée ma colère. Une chose est sûre, je ne serai pas capable de réprimer ma rancœur bien longtemps. Même les efforts de Hati semblent vains, mon esprit devenant pratiquement hermétique au sien, comme cloisonné par la rage qui m’envahit.

Vois le bon côté des choses, mon frère. Il n’aura pas été si difficile à débusquer que ce à quoi nous nous attendions. Plutôt étonnant d’ailleurs pour un individu aussi misérable de ne pas se terrer dans une cachette pour y rester à l’abri et ainsi échapper à notre colère !

Visiblement inconscient du danger qu’il encourt en provoquant directement le Guerrier de Zeta Prime, malgré la faible distance le séparant de lui, le porteur de l’armure de Mégrez continue à lancer ses piques, et commence déjà à s’éloigner. Mais bientôt, la colère de la Bête est telle qu’elle ne peut plus être contenue plus longtemps par le colosse, dont l’impulsivité et la bestialité viennent de prendre le dessus sur son humanité. Dans un dernier effort de modération, il se baisse et ramasse l’os précédemment envoyé par son homologue. L’objet ne tient pas longtemps avant de voler en éclats, victime de la poigne de fer de la Bête, qui, les lèvres retroussées, crache au guerrier de Delta :

- Je n’ai pas besoin de ton autorisation pour te briser comme cet os… ici, Odin fermera les yeux sur mes actes. Et le Seer saura les comprendre...
Mais tu ne réalises peut-être pas l’ampleur… de ce que tu as éveillé.

Cela dit, je cesse tous mes efforts pour me contenir. Je laisse éclater l’ensemble de ma colère, laisse ma haine envers cet individu misérable me submerger. Un grognement sourd s’élève de ma gorge, et trouve un écho dans celle de mon fidèle compagnon. Puis, sans crier gare, je fonds sur la vermine. Une charge bestiale, empreinte d’une redoutable frénésie. Le but est clair : de mes griffes, je compte bien l’égorger. Le voir se vider de son sang est la seule chose capable, à présent, d’apaiser ma colère.

L'os ne tint pas le coup. En même temps, ce n'était pas prévu qu'il puisse résister à une pression de ce monstre. J'avais simplement espéré qu'il apprécie mon cadeau. Ce qui, évidemment, n'était pas le cas. La tristesse pouvait presque se lire sur mon visage tandis que j'observais les miettes de l'objet. J'avais eu tellement de mal à en trouver un aussi beau... Cet idiot n'appréciait vraiment pas la valeur des choses. Il était véritablement nécessaire que je commence à le dresser de façon efficace. Qui sait. Peut être qu'un jour accepterait-il de donner la patte. Oui, c'était beau de rêver. Mais après tout, pourquoi pas ?

Sauf que le fourbe n'eut pas réellement de temps de continuer à se question puisque le l'Ombre de Zeta fonçait sur lui. Une charge directe. Sans aucune stratégie. Digne de lui. Foncer droit sur sa cible et l'écraser sous sa force. En ouverture, ce n'était pas très utile. Du moins pas contre quelqu'un de la trempe de Svein. Sa réaction fut immédiate. Il se décala de plusieurs pas, évitant l'attaque de son opposant. Car il était désormais possible de l'appeler opposant, étant donné qu'il était fort possible que le calmer relève de l'utopie. Pourtant...
Le plus petit des deux Asgardiens n'était pas du genre à abandonner aussi facilement. Il ne voulait réellement pas se lancer dans un combat perdu d'avance. Faire un duel contre le colosse serait d'une telle idiotie. A n'en pas douter, le moindre de ses coups pourrait se révéler excessivement douloureux pour un gabarit comme le sien.

- Odin ? Les principes d'Odin font de toi une ombre, et non une bannière. Contrairement à ce rôle que veut te faire jouer le Seer. Je doute donc que notre Seigneur approuve tes actions. Wÿrd, lui, c'est une autre histoire.

D'un mouvement des plus souples, le Delta sauta sur une branche d'un arbre, se mettant en hauteur. Ce qui collait bien plus à la situation étant donné qu'il ne doutait pas un instant être supérieur au blond lui faisait face. De nouveau il croisait les bras sur sa poitrine, observant. Il était évident qu'il n'allait pas falloir très longtemps à la brute qu'il était pour se remettre en mouvement, et tenter d'égorger le jeune God Warrior. Ou toute autre action d'un style similaire et non moins douloureuse. Sauf s'il montrait qu'il possédait, finalement, une once d'intelligence dans ce crâne et qu'il ouvre les yeux aux paroles.

- Ceci dit, je ne comprends pas ta façon de voir les choses. Où est l'affront dans mes paroles ? Le fait que je dise que tu es sensé rester dans l'ombre ? Mais ce n'est pas un mal. Au contraire ! Agir dans l'ombre est la meilleure façon de l'emporter.
De toutes façons, si tu te décris toi-même comme une bête, pourquoi chercher l'honneur à ce point ? A part en étant le genre à vouloir atteindre l'inaccessible, je ne vois pas ce qui peut te motiver. Car une Bête se contente de massacrer sa cible sans poser de question.

Tel était le rôle que devait posséder Máni aux yeux de Svein. Celui-là et nul autre. Il n'était pas un avatar, symbolisant la colère sur les ennemis d'Odin. Ce n'était que de belles paroles pour dompter cet être. Et, même s'il s'agissait également du but du Mégrez dans un sens, jamais il n'aurait utilisé cette voix qui était un affront à ses yeux.

- Alors ? Acceptes-tu ce que tu es ? La Bête surgissant de l'ombre pour éliminer une cible, avant de retourner sous le couvert des ténèbres ?

Il ne me reste que quelques mètres à parcourir avant d’en finir. Avant d’égorger ce vermisseau qui a eu le tort de me provoquer et d’afficher clairement son mépris envers le Seer, pourtant représentant de notre Dieu. Mais il se dérobe, et je le manque. Et cela ne fait qu’attiser un peu plus ma colère. Alors que je me retourne, les lèvres retroussées, je le vois qui s’enfuit, se mettant à l’abri – pour bien peu de temps – en hauteur, sur la branche d’un arbre. Et, n’ayant vraiment pas conscience de la situation, il enfonce le clou. A présent, mes paroles relèvent du rugissement :

- Qui crois-tu être, vermine, pour t’élever contre la voix du représentant de notre Seigneur ? Contre la voix même du Tout-Puissant ?

Le bras du colosse va frapper violemment l’arbre dans lequel s’abrite le Guerrier roux, et un profond cratère se forme dans l’écorce. Et ses griffes lacèrent le bois alors qu’il reprend, toujours avec le même ton empli de haine et de colère :

- Tous les Guerriers d’Odin ne sont pas des vermisseaux agissant dans l’ombre pour arriver à leurs fins. Je suis la Bête d’Odin et je le revendique…

Nouveau coup dans l’arbre, plus puissant. Un frémissement parcourt toutes ses feuilles alors que le cratère créé par le coup précédent s’agrandit.

- Mais je n’agis pas dans l’ombre ! Je suis le fier Avatar de la Vengeance de mon Seigneur…

A nouveau, l’écorce explose et vole sous l’impact du poing du féroce Guerrier de Zeta Prime.

- Et je ne saurais tolérer que l’on remette en cause ma légitimité en tant que Guerrier d’Odin, pas plus que celle de notre Seer !

Le tronc est assez affaibli, à présent. Ma jambe puissante s’élève et va le frapper avec force. S’ensuit un craquement sonore, avant que le tronc ne se mette en branle, entamant sa chute. Sans perdre un instant, je bondis sur le Guerrier de Mégrez, et lance un violent coup de griffes une fois que je suis arrivé à son niveau. Mais mon élan m’emporte plus loin, et cela est intentionnel : à peine mon pied touche la terre que je suis déjà reparti dans l’autre sens, relançant un nouvel assaut sur le maître des lieux. Mais cet assaut sera bien plus dévastateur que le précédent. Toutes griffes dehors, j’ai entamé une puissante rotation sur moi-même et gagne à chaque seconde en vitesse, alors que ma rotation s’accélère encore. Si le Guerrier de Delta est touché par mon assaut, je ne donne pas cher de sa peau !

Hati, pour l’instant, n’est pas intervenu. Méfiant, le puissant canidé préfère rester à distance, analysant la situation et prêt à se lancer dans la bataille pour soutenir son frère si le besoin s’en fait sentir. Mais le molosse est en proie au doute : Odin aurait-il vraiment voulu un combat à mort entre deux de ses guerriers ?

- C'est là que tu te trompes... Ton armure t'empêche d'être ce que tu veux être.

Jusqu'au bout Svein était resté sur son perchoir, attendant que le guerrier tout de blanc vêtu le réduise en miettes. Jusqu'au bout il avait continué à le regarder de haut. Et lorsque celui étant maintenant son opposant se rua sur lui, il ne réagit pas. Le coup porta avec force. Car de la force, il était clair que cet être en possédait suffisamment pour que le moindre de ses coups fasse souffrir son frêle adversaire. Mais il s'agissait du meilleur moyen à ses yeux de jauger son adversaire et donc de pouvoir le contrer. Savoir quelle était sa force.
Le pire ? Cela fonctionnait totalement. Lorsqu'il revint à l'assaut, Svein était prêt. De nouveau il fut touché par les premiers coups de l'enchaînement, mais cela ne dura qu'un instant. Car, pour les suivants, il bougeait en rythme avec son adversaire. En apparence il esquivait de justesse les attaques alors qu'il se contentait d'avoir exactement le bon timing pour s'en échapper. Et c'était son grand avantage sur son adversaire du jour. Il prenait le temps de réfléchir.

J'arrêtai le dernier coup porté par l'imbécile en opposant ma propre main. Son enchaînement avait perdu en puissance, car tout finissait par s'essouffler, et j'étais maintenant à même de le bloquer. Peut être serait-il énerver de voir quelqu'un de ma faible carrure bloquer le poing simplement du bout des doigts. Pourtant, ce n'était pas vraiment difficile, il suffisait de doser suffisamment les points de pressions. Et cela me fit sourire. En presque tous cas le cerveau avait l'avantage sur les muscles. Mais je craignais quand même de manquer de pions pour pouvoir le mettre véritablement en oeuvre, ma puissance n'était peut être pas suffisante.

- S'il y a une bête devant s'élever en un quelconque Avatar, il s'agit du Zeta, et non de son ombre. Obnubilé par cette idée, tu pars totalement à côté. Au final, tu n'es qu'un gentil chien.

J'enlevais alors mon bras qui m'avait défendu, préparant l'autre à frapper. Ce qu'il fit l'instant d'après. Un seul et unique coup. Ne possédait certainement pas autant de force que celui du colosse. Mais frappant avec vélocité et précision. Ce qui, bien souvent, permettait de compenser la faiblesse. A condition qu'il le subisse, évidemment. Au moins, cela me donnait le temps de m'éloigner quelque peu du blond. Je n'allais tout de même pas faire l'erreur de rester proche d'une telle brute.

- Réfléchis un peu ! Une God Robe inconnue apparaît et se proclame notre chef, tu fonces tête baissé ? Simplement car ils te donnent un rôle qui n'est pas celui qu'Odin a voulu pour ton armure ? Il est si facile de d'appâter...
Comment peux-tu faire confiance à un homme portant une armure que le Père des Dieux ne nous a jamais montré et qui se prétend notre chef ? Cela pourrait être une ruse d'un de ses ennemis dont nous ne serions que les pions !

Ce discours, Svein l'avait fait avec passion. Mais il savait qu'il ne pouvait se contenter de parler. Il ne pouvait trop traîner. Mais, quitte à le faire, autant le faire avec prudence.

- Evidemment, je ne dis pas que c'est forcément le cas. Je te demande simplement d'ouvrir les yeux et de ne pas te fier qu'aux apparences. A partir de là, tu comprendras peut être ma méfiance.
Je ne demande que ça car je suis persuadé que nous pourrions faire une bonne équipe ! Tout ce que je demande, c'est que tu acceptes l'Ombre que tu es.

Le Cosmos du Guerrier Divin s'était concentré dans sa main droite pendant ses derniers mots. Et, une fois achevés, il l'utilisa pour lancer son attaque. L'Amethyst Sealed. Une volée de cristaux d'améthystes cherchant à se coller sur leur cible, absorbant ainsi ses forces. Une technique à l'image de son utilisateur, non pas basée sur la force mais sur le contrôle de la situation.
Technique qui lui donna suffisamment de temps pour s'enfoncer dans l'ombre des arbres, disparaissant à la vue de son adversaire.

- De toutes façons, si tu veux réellement me combattre, il te faudra pénétrer l'ombre. Oseras-tu le faire malgré le risque de ne plus en sortir ?

Brusquement, ma rotation s’arrêta. Le guerrier de Mégrez avait apparemment réussi à comprendre la façon de fonctionner de ma technique, trouvant ainsi la façon d s’en prémunir. De la stopper net comme il venait de le faire. A présent, la stupéfaction pouvait se lire sur mon visage. Ce vermisseau était plus habile qu’il ne le paraissait…

D’un violent revers du bras, la Bête s’arracha à l’étreinte de son adversaire, qui continuait à débiter ses absurdités. Pour Máni, tout ce que le roux pouvait dire était dénué de sens. Et pour cause : par ses propos, il s’opposait directement à ceux du Seer et de la Prêtresse.

- Je donnerai volontiers mon rôle d’Avatar à ce Zeta lorsqu’il m’aura fait ses preuves. Lorsqu’il m’aura montré qu’il est capable de défendre fièrement les valeurs de son dieu autrement qu’avec quelques belles paroles.

Mais en serai-je vraiment capable ? Le doute m’assaillit un instant. Pourrais-je renoncer aux honneurs que mon Dieu m’a accordés, dans l’intérêt commun ? Maintenant que la question était soulevée, je me le demandais. Mais Hati, fidèle à lui-même, choisit cet instant pour me faire part de sa sagesse :

C’est un faux problème, mon frère. Envisages-tu réellement que le freluquet que nous avons aperçu lorsque le Seer nous a convoqués pourrait surpasser notre puissance ?

Fugacement, son image s’imposa à moi. Et je réalisai à quel point les propos du molosse étaient sensés. La seule aura de bestialité et de puissance que le guerrier de Zeta possédait provenait de son armure. Lui-même ne valait pas grand-chose. Commun, voilà ce qu’il était. Tout juste bon à exécuter des missions diplomatiques pour le compte du Seer.

Tu as raison, mon frère. Merci.

Ce petit moment d’égarement avait déconnecté un court instant Máni de la réalité. Résultat : le coup, faible mais bien porté, atteint le colosse à la poitrine, laissant une faille nette dans l’armure immaculée. Et pour couronner le tout, le guerrier de Mégrez n’avait pas terminé avec ses propos venimeux. La soif de sang de la Bête n’en fut que davantage attisée, tout comme elle l’avait été par le coup ridicule qu’il venait de recevoir.

- Je… ne… suis pas… qu’une Ombre ! Qui es-tu pour mettre en doute la parole de la prêtresse de notre Dieu, seule personne en ce monde à laquelle il daigne s’adresser ?

Cela ne faisait aucun doute pour moi : le Seer était légitime. La parole de la prêtresse faisait foi à elle seule. Mais les propos du roux n’en avaient pas moins planté une minuscule graine de corruption en mon esprit. Un germe de doute. Et si les représentants de notre dieu eux-mêmes étaient corrompus ? S’ils étaient des imposteurs, au service des Usurpateurs ?

A nouveau perdu dans ses pensées, le colosse ne faillit pas voir arriver le prochain assaut vicieux de son adversaire. Mais il se reprit au dernier moment, et, à l’aide de son bras, il brisa net le flux de cristaux qui filait vers lui. Plusieurs entailles se formèrent sur son membre, mais cela le fit sourire. Tous comme les mots qu’avaient lancés le rouquin avant de disparaître dans l’ombre de la forêt. D’un cri puissant, la Bête déclara :

- Dans l’ombre ? Et à qui crois-tu t’adresser ? Ne cesses-tu pas de me dire que je ne suis qu’une Ombre ? Crois-tu vraiment que tu pourras m’échapper ?

Sans perdre une minute, avec une agilité surprenante pour un individu de mon gabarit, je sautai sur la branche la plus basse d’un arbre non loin, et m’élevai progressivement sous le couvert des arbres, suivant grâce à mon odorat la trace de mon adversaire. Hati, dont l’agilité était également exemplaire, nous suivait de loin, toujours incertain quant à la pertinence de cet affrontement. Puis, brusquement, ma course à travers les branches s’interrompit. Je l’avais senti, j’étais à présent juste au-dessus de ma cible. Et, tel un oiseau de proie, je fondais sur lui, toutes griffes dehors, prêt à le rendre méconnaissable. Son sang n’avait pour l’instant pas assez coulé pour que je sois rassasié…

- Je t’échapperai si tu rejettes ta nature...

La voix semblait sortir de nulle part. Svein observait son opposant. Cet endroit, il le connaissait. Bien que cela ne faisait pas longtemps qu'il s'y était installé, il avait l'impression d'y avoir toujours vécu. La mémoire de sa God Robe certains diraient. Ou alors une familiarité entre ce lieu impie et sa propre âme. Des concepts échappant au commun des mortels en tous cas, lui y compris. Il savait simplement qu'il avait l'avantage du lieu. Et en combinant ça avec son cerveau, il avait peut être des chances de victoire finalement. Pour son plus grand plaisir, il fallait bien le dire.

Puis l'assaut vint. Du ciel. Le Zeta Prime n'était pas des plus discret et j'avais pu l'entendre arriver. L'effet de surprise n'était donc pas présent dans l'attaque ennemie. Au contraire de la force. Encore une fois, il faisait fort. Sa méthode de combat semblait réellement être le harcèlement. Ne pas laisser le moindre répit à sa cible. Et cela me faisait sourire. Surgir de l'ombre, lacérer sa cible, y retourner, recommencer. En acceptant cette pensée, il serait capable de vaincre n'importe qui. Si quelqu'un devait réellement dompter le blond, il fallait que ce soit moi. Il ne pouvait en être autrement.

Quant à l'attaque... Les dons d'analyses du fourbe n'étaient pas suffisants pour s'en sortir sans dommages face à un tel déchaînement. Cette fois, il n'était plus question d'esquiver au dernier moment. Utilisant son Cosmos, le combattant tentait de dévier les coups qui lui parvenaient.Ce qui fut, en partie, un succès. Pour le reste, des traces de lacérations firent leur apparition sur les parties non protégées par l'armure de son corps. Puis, quand vint la fin, il reprit quelque peu ses distances. Il se fixa à quelques mètres et laissa s'échapper un soupir, comme pour démontrer la difficulté.

- Je ne doute pas de la Prêtresse en elle-même. Mais si celle-ci était sous l'influence d'un ennemi de notre Dieu, le même que celui ayant envoyé ce Seer, tout s'expliquerait.

Petite pause dans cet affrontement. Se tenant droit face à un adversaire aussi enragé, Svein pouvait sembler fou car toute garde était absente de sa posture. Faire avancer la discussion autant que le combat était d'une grande importance. Même s'il serait certainement plus aisé de discuter une fois l'un des deux combattant à terre.

- Je ne dis pas que c'est forcément le cas, mais il y a des choses trop étranges en Asgard pour l'ignorer. Je ne pourrai accorder ma confiance en ce soi-disant Seer que si j'ai la preuve que mes doutes ne sont pas fondés. En attendant, je préfère rester sur mes gardes.
Et c'est ce que je te conseille de faire. Au lieu de les croire sans conditions, réfléchis à tout ça. A la situation de nos terres, mais aussi à ta propre situation. Ton assaut était bon, mais cela se voit que tu n'acceptes pas encore vraiment d'être dans l'ombre. Pourtant, regarde un exemple. AMETHYST VENOM !

Attaque similaire à l'Amethyst Sealed. Sauf que cette fois, les cristaux n'affaiblissaient pas la puissance destructrice de leur cible. Les cristaux ont pour but de répandre un poison dans le corps de leur victime, entamant donc leur vitalité directement.
Mais pourtant, cette attaque ne restait qu'une distraction au final. Car, à l'instant même où elle fut lancée, son utilisateur retourna dans l'ombre. Mais pas bien longtemps puisque, dans la plus grande discrétion possible, il se déplaça dans un autre angle. Et à ce moment là il lança un assaut rapide en fonçant sur Máni avant de retourner dans le couvert de l'obscurité. Et de nouveau il changea de position pour relancer un assaut. Il s'agissait donc tout simplement de cette technique de harcèlement, meilleure stratégie dans de telles conditions à ses yeux.

C’est amusant. Le vermisseau semble penser qu’il va s’en sortir. Mieux : il a de toute évidence l’impression qu’il a le contrôle sur la situation. Qu’il a ses chances face à moi. Il n’a vraisemblablement pas compris à quel point Zeta Prime est dangereux. La preuve : sa défense, pathétique. De toute évidence, il pensait que déployer son cosmos serait suffisant à me faire courber l’échine, et pourrait détourner mes assauts. Mais c’était une erreur, bien entendu. Et mes griffes eurent tôt fait de lacérer sa chair, une fois encore, me procurant une sensation de plaisir inouïe. Mais ce n’était apparemment toujours pas suffisant pour que le fou prenne ses jambes à son cou et s’enfuie. Au lieu de ça, il se remit à parler.

Lorsque le Guerrier de Delta prit la parole, étrangement, Máni l’écouta, sagement. La Bête jouait avec sa proie. Le colosse savait que de toute façon, l’autre ne pouvait plus lui échapper. Mais lui laisser croire qu’il maîtrisait la situation était si jouissif… sa rage s’était presque envolée à présent, pour laisser place à une sorte de sérénité morbide, comme la conviction que son ennemi baignerait bientôt dans son propre sang. Mais la soif de sang de la Bête était toujours bien présente. Inextinguible. Delta n’était pas le premier auquel il ôterait la vie, et sûrement pas le dernier…

Contrôle-toi, mon frère. Tu peux le punir et le ramener à la raison sans pour autant l’éliminer. C’est un crime qu’Odin et le Seer n’admettraient sûrement pas…

Certes. Mais quand bien même… le moment venu, je n’étais pas sûr de pouvoir m’arrêter. Je souhaite tellement la mort de cet homme que mon instinct animal risque de ne pas me laisser le choix, cette fois-ci. Et paradoxalement, c’est un animal qui me raisonne. Comme toujours. Et bien que j’apprécie les conseils de mon frère, parfois je préférerais ne pas les entendre. Agir comme bon me semble, me laisser aller. Tout serait tellement plus simple… mais il y a Odin. Pour mon Dieu, je dois me contrôler. Il faut que je me contrôle.

Sitôt pensé… sitôt oublié. Car le Guerrier de Mégrez vient de lancer un assaut qui réveille la soif de sang de la Bête, fugacement endormie par la sagesse de Hati. Un sourire morbide aux lèvres, le colosse baisse lentement les yeux vers l’amas de cristaux améthyste qui parsème à présent son torse et ses bras puissants. Et d’un geste habile, il brise l’ensemble de ces petites armes, comme autant d’armes pour enfants. Il en faudrait bien plus pour atteindre le colosse. A présent, ce dernier éclate d’un rire sombre, qui est interrompu par un nouvel assaut du roux.

Je sens son coup pénétrer mon armure. Dans mon dos, cette fois-ci. La douleur est intense, mais cela ne fait qu’entretenir ma soif de sang, la rendant encore plus forte. Et je tiens bon. Son coup m’a forcé à m’avancer d’un pas pour ne pas chuter, mais c’est tout. Et maintenant, l’heure de la contre-attaque est venue. A nouveau, je souris. Il croit toujours pouvoir m’échapper. Il croit toujours que, dissimulé dans sa sombre forêt, il est à l’abri. Mais il a tout faux. Et je vais lui montrer, maintenant.

- Cache-toi donc, si ça te chante. Tu ne pourras pas m’échapper, de toute façon. Contrairement à toi, je n’ai pas besoin de faire usage de la fourberie pour venir à bout de mes proies.

Mon frère, je vais avoir besoin de toi sur ce coup.

Pas de réponse. Mais je sais qu’il marchera avec moi, même si ce que je me prépare à faire lui déplaît. Car je vais frapper fort. Très fort. Mon odorat me permet de localiser Mégrez. Tant mieux. Mon assaut n’en sera que plus efficace. Et pourtant, sa puissance destructrice est telle que, même sans cible précise, il pourrait venir à bout d’à peu près n’importe quoi.

Zeta Prime ne bouge plus, concentrant son cosmos autant qu’il le peut. Et bientôt, celui-ci atteint son paroxysme, alors qu’une aura immaculée semble s’agiter autour du colosse… et du chien. Car pour cet assaut, Máni ne sera pas seul…

Ça y est. Mon cosmos s’enflamme, comme celui de mon frère. Nous sommes prêts à laisser éclater le courroux de Zeta Prime sur Delta…

Et puis, brusquement, l’assaut est lancé. Les deux compères se mettent à tourbillonner à une vitesse folle, véritable tempête de crocs et de griffes, et filent à travers la forêt, laissant d’innombrables traces sur les arbres. Ils se lancent dans la direction de Delta, mais bien vite, leurs assauts incessants deviennent erratiques. De toute façon, ils savent qu’ils n’ont pas besoin de chercher Delta pour le blesser. L’ampleur de l’assaut est telle qu’à un moment où à un autre, il le subira. Et ses chances d’en réchapper sont bien minces…

- Oh, mais je ne me cache pas. J'attends simplement que tu viennes me chercher.

Ce qui, de toutes évidences, n'allait pas tarder à arriver. Ce chien fou était si facilement manipulable. Un peu de provocation et il accourait. L'attirer dans ma toile était d'une telle aisance que je pourrai le faire les yeux fermés. Cette forêt serait la source de sa chute. Nul à part le porteur de cette GodRobe ne pouvait sortir indemne de ce lieu. Aussi puissant soit-il. Au contraire même. Les guerriers comme le colosse étaient les premiers à succomber à ce lieu maudit. J'étais véritablement curieux. Curieux de voir ce qui allait ressortir de tout ceci une fois terminé.

- Viens ! Cours aussi vite que tu le peux ! Laisse toi entourer par cette ombre ! Abandonne toi totalement à elle et laisse toi bercer en son sein !

Et, en effet, il accourrait. Avec force. Il n'était pas du genre à courir droit sur sa cible sans rien faire. Si le moindre de mes déplacements était calculé, les siens n'avaient également qu'une raison d'être. L'attaque. Il n'était pas comme la majorité des combattants. Le moindre de ses mouvements était un assaut en lui-même. Et celui dont il faisait preuve en cet instant était véritablement impressionnant. Peut être le plus dangereux qu'il m'eut été donné de voir durant cet affrontement. Et le pire dans tout ça ? C'était que, plus le temps passait, plus je voulais faire de cet homme mon allié.
Il était tout simplement mon complément parfait.

Le sombre labyrinthe d'arbre démontrait en cet instant qu'il était plus qu'une simple forêt. Malgré la destruction de ses composants, elle gagnait à peine en luminosité. Car le Zeta Prime détruisait tout sur son passage. Et, bientôt, il arriverait au Delta. Sauf que ce dernier l'attendait de pied ferme. Sa protection était déjà en place. Un véritable mur d'améthyste avait été érigé par son Cosmos. Serait ce suffisant pour contenir la Bête ? Il en doutait. Il était même persuadé que non. Mais cela suffirait-il à affaiblir son assaut ? Là, le doute n'avait plus sa place. Rien au monde n'était capable de briser cette défense sans y laisser de la puissance. Même les Dieux.
Et ce pari, Svein l'avait en effet emporté. Alors que l'origine de la destruction approchait, il pu se rendre compte que son intensité allait en décroissant. L'Amethyst Protection avait encore une fois fait preuve de son efficacité. Pour le reste, il lui suffisait d'agir. Et son oeil était suffisant pour cela. En un instant il fut capable de trouver la faille qui lui permettrait de s'en sortir sauf. Ses capacités physiques seules n'étaient pas suffisante, mais utilisant son Cosmos pour faire preuve de plus de vélocité, il pu esquiver. Du moins le pensait-il.

Ce qu'il n'avait pas prévu, c'était le fait que l'animal accompagnant son adversaire n'était pas uniquement là pour l'accompagner. Il était capable de se battre à ses côtés. Et cela, il s'en rendit compte lorsqu'il se prit l'assaut de ce dernier de plein fouet, par derrière. Le choc fut rude. Réellement. Projeté à terre, le Mégrez eut l'occasion de goûter le sol de son domaine. Ce qui était une véritable humiliation à ses yeux.
Mais, ne pouvait perdre de temps étendu contre la terre, il se redressa, attendant la suite de l'assaut. Suite qui ne vint pas. Toute l'énergie qu'il avait mise dans son attaque était-elle terminé ? C'était ce que les apparences disaient. Et cela fit sourire le Delta.

- Toute cette force. Elle est sublime ! Máni, tu es réellement un grand guerrier. Mais imagine seulement ce que cela pourrait être si tu arrêtais de lutter contre toi-même. Si tu devenais ce que tu es réellement. Tu serais tout simplement invincible ! Il n'y a pas d'autre mot pour décrire ce que ce serait !

Cela serait véritablement possible s'il acceptait d'allier cette force à mon cerveau. A nous deux nous serions invincibles. Même les Dieux tomberaient devant nous. J'en étais persuadé. Mais, si le faire douter de Wÿrd était possible, tout comme l'attirer dans l'ombre, le convaincre d'oublier sa haine envers moi et de m'accorder un minimum sa confiance serait une autre paire de manches. Les mots étaient inutiles pour cela. Il fallait que mes actes réussissent à le convaincre. Car il était typiquement le genre d'hommes à respecter les actes plus que les paroles.

- Ceci dit, tu sembles considérer ma façon de combattre comme forcément mauvaise, et à éviter. Pourtant, chacun mise sur ses forces. Et en l'absence de ton physique, j'utilise mon cerveau pour me battre.
Mais si tu insistes, je peux te faire une petite démonstration de force. J'espère simplement que tu m'excuseras de ne pas être aussi spectaculaire que toi ! Eternal Hunger !

Cette technique était la plus puissante en ma possession. Mais, évidemment, il ne s'agissait pas de force brute comme lui. Mon Cosmos se "contentait" de donner formes aux pires créatures qui pouvaient exister. Démons, cadavres, créatures indéfinissables. Toutes avaient un point commun, en plus de leur allure des plus macabres. La faim qui les dévorait. La faim éternelle qui les poussait à se jeter sur mon adversaire afin de le lacérer, de se nourrir de sa chair, de son âme. Tout ce dont elles pouvaient se nourrir. Et rapidement il allait se trouver submerger.
Quant à moi, j'attendais. J'attendais qu'elles en aient fini avec leur festin. Et qu'elles retournent au sein de mon Cosmos, partageant leur repas afin que je puisse moi aussi en bénéficier. Car, tout comme elles, une faim éternelle m'habitait. Au final, ces monstres n'étaient peut être que l'expression de mon âme. Et cela me convenait entièrement.

Cet enfoiré a du potentiel. J’ai du mal à le reconnaître, mais c’est un fait : il a pu affaiblir suffisamment ma technique la plus dévastatrice et gagner suffisamment de temps pour s’y soustraire. Fort heureusement, mon assaut n’a pas été un échec complet. Grâce à la présence de mon frère. Mais tout de même… ce Guerrier est bien plus dangereux qu’il ne le paraît. Il est bien plus qu’une simple vermine. Il est également puissant. Bien plus que ce misérable Guerrier d’Alioth, faible sans valeur que j’ai terrassé sans effort.

Légèrement désorienté par l’assaut qu’il vient de lancer, le colosse titube alors que les paroles du Guerrier de Mégrez parviennent à ses oreilles. Et un sourire se déformant rapidement en grimace se forme sur son visage. Voilà qu’à présent, l’autre essaye de le caresser dans le sens du poil ? Le colosse sait pertinemment qu’il est puissant. Et ce n’est pas les propos mielleux d’une vermine comme l’homme qui se tient en face de lui qui vont l’émouvoir.

- Et que suis-je réellement, pour toi ? Une ombre ?

C’est comme si une grande partie de ma rage s’était évaporée lors de mon précédent assaut, après le tour de force réalisé par le Guerrier de Delta. Forcé de reconnaître sa puissance, j’accorde à présent un peu d’attention à ses paroles. Et, malgré moi, je suis d’accord avec lui. Une ombre, l’Ombre de Zeta… ne serait-ce pas ce que je suis ? C’est en tout cas le rôle auquel me prédestinait mon armure. Cependant, la Prêtresse me voit plutôt comme un avatar de la vengeance d’Odin. Mais ces rôles ne sont-ils pas complémentaires ? La bête, traquant silencieusement sa proie et surgissant des ténèbres pour la déchiqueter avant de repartir sous le couvert des ombres… respectée par ses alliés, redoutée par ses ennemis.

Finalement, cet enfoiré a raison.

Néanmoins, Máni n’a pas vraiment le temps d’exprimer le revirement de son point de vue, car voilà que des monstres de cristal s’éveillent à présent tout autour du colosse, et s’approchent lentement, l’encerclant bientôt avant de l’attaquer. Et il se défend courageusement, brisant une par une chacune des créatures. Mais leur nombre est important. Et il subit de nombreux assauts, de toutes parts, lui causant de nombreuses nouvelles blessures. A présent son manteau ivoire, en lambeaux, tend vers le pourpre tant il est maculé de sang. Il en va de même pour son plastron.

Et à mesure que je me bats, je commence à ressentir des douleurs dans mes muscles. Ce vermisseau m’a bien plus usé que je ne le croyais…

Mais Máni refuse d’envisager la défaite. Pas face à quelqu’un comme le guerrier de Mégrez…

Je pulvérise la dernière ce ces putains de bestioles violettes, et pose mon regard froid sur le guerrier de Delta, tandis que j’essuie le filet de sang qui dégouline le long de ma mâchoire. Et puis, souriant, je lui lance :

- Après tout, tu as peut-être raison. Je suis peut-être une ombre. Mais cela ne m’empêche pas de faire valoir la volonté de notre Dieu, en restant l’avatar de sa vengeance.

Le sourire du Guerrier ne disparut pas de son visage, malgré ses trop nombreuses blessures. Il allait à présent montrer à Svein qu’il avait peut-être éveillé quelque chose de plus dangereux encore que la colère du colosse.

Depuis quelques instants, mon frère a disparu de la zone de forêt dans laquelle nous nous trouvons. Il est hors de vue, pour le moment. Le moment est parfait pour lancer un nouvel assaut…

Maintenant, mon frère.

Galopant à toute allure, le molosse surgit soudain de l’ombre du bois, et se précipite sur le roux. Lancé à cette vitesse, il ne fait pas de doute que son simple assaut causera des dégâts s’il touche sa cible. Idéalement, il projettera le guerrier de Delta à terre, l’offrant, vulnérable, au prochain assaut du colosse. Et au pire, la charge de Hati l’aurait simplement distrait, permettant à la Bête de préparer son prochain assaut. Car au moment où le gros chien s’est révélé, l’homme s’est retiré, disparaissant à son tour dans les ombres de la forêt.

A présent, Svein ne peut pas réellement prévoir l’origine de l’attaque du colosse. De quel côté pourra-t-elle venir ?

Les airs. C’est ce que j’ai choisi. Tel un rapace, depuis les arbres, je fondrai sur ma cible pour la lacérer avec mes griffes… avant de me retirer à nouveau dans l’ombre, prêt pour un nouvel assaut.

- Bien. Il y a du progrès ! Ce n'est pas encore tout à fait ça mais c'est un début.

Svein accompagna ses paroles d'un bref applaudissement. A ses yeux, c'était mérité. Rien que le fait que la brute accepte légèrement sa véritable nature était une victoire en soi. En fait, d'un certains point de vue, le sien, il n'y avait pas besoin d'aller plus loin. Tout cet affrontement n'était pour lui qu'une façon de faire fléchir ce monstre de puissance. Et il n'était pas convaincu de pouvoir faire plus pour le moment. Pourquoi ne pas tout arrêter alors ?
Car son opposant ne le permettrait pas. Il était un véritable combattant. Et ce qu'il voulait en cet instant précis semblait être d'écraser le Delta. Il ne faisait pas les choses à moitié en vérité. Il était venu pour lui faire payer un quelconque affront et, même si en apparence la raison initiale de cette rencontre semblait bien lointaine, l'ivresse d'un tel affrontement devait être difficile à contenir pour la Bête. Seule la défaite d'un des deux adversaires pourrait mettre un terme à cet violence. Et même s'il n'était pas persuadé de pouvoir faire en sorte que ce ne soit pas la sienne qui survienne, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l'emporter.

En premier lieu cela fut mit en oeuvre par le contre de l'attaque du canidé qui se battait aux côtés de l'homme en armure blanche. Ce molosse semblait être lié à Máni d'une façon que Svein ne pouvait imaginer. Si bien qu'il se retrouvait à deux contre un. Mais les capacités de l'animal étaient largement moins élevées que celles de son maître. Sans grande peine, le Mégrez esquiva l'assaut. Sans répliquer. Il ne voyait pas d'intérêt à dépenser son énergie pour mettre à terre un animal. A la place, il attendait la suite. Car il était persuadé qu'il y en aurait une.

Je me rendis compte de l'assaut peut être un peu tard en vérité. Il avait assimilé un léger élément tactique. Sa cacher dans l'ombre pour porter une attaque était efficace. Et attaquer par les airs était un des meilleurs angles possibles en vérité. Combiné à sa force, il ne s'agissait pas de quelque chose que je pouvais contrer avec aisance. Et j'en acquis rapidement la preuve. En elle-même, mon esquive était bonne. J'avais légèrement récupéré des forces grâce à mon Eternal Hunger pour me le permettre. Mais je n'en étais pas sorti indemne et mes blessures commençaient à être réellement inquiète.
Allais-je perdre ? Possible, mais je doutais que lui-même soit en très bonne état. Et je n'avais pas encore donné tout ce que j'avais. Même si, à partir de maintenant, il me serait nécessaire de jouer encore plus sur la défensive qu'avant.

- De suite, tu me parais plus dangereux. Maintenant, retiens juste que l'idée d'Avatar suppose d'être à la vue de tout le monde. Chose que tu dois oublier.

Je n'avais plus véritablement d'intérêt à jouer avec les ombres et la surprise. Je n'en étais plus véritablement capable également, et j'avais eu la preuve qu'il savait évoluer en un tel milieu, même s'il le rejetais. Je reste donc face à lui, le pointant de mon index droit.

- Wicked Link !

Je ne possédais pas de technique plus faible que celle-ci. Un simple rayon violet se dirigeant sur mon adversaire. Un simple rayon capable de créer un léger lien entre ma cible et moi, me permettant de faire mienne sa vitalité. Mais même les techniques les plus faibles pouvaient être redoutables si elles étaient correctement utilisées. Et c'était justement mon point fort de jouer sur ce genre détails. Après, il restait à en constater l'efficacité.

Ce vermisseau est décidément coriace… et je m’affaiblis de plus en plus à chaque seconde. Est-il possible que je- ? Non. Je ne pourrais vivre avec une défaite face à un individu de cette trempe sur la conscience. C'est tout bonnement impossible. Au pire, je l’emporterai dans ma chute. Mais rien que cela, ce serait si humiliant…

Máni était à présent vraiment en difficulté face à Svein, bien qu’il peine encore à l’admettre. Peut-être était-ce le fait de combattre sur le terrain d’un autre ? Ou bien était-ce Odin lui-même qui souhaitait empêcher le colosse d’ôter la vie au roux ? En tous cas, la Bête n’en menait pas large. Sa retraite dans les ombres après son dernier assaut avait lamentablement échoué, car une douleur fulgurante l’avait soudain saisie, et l’avait contraint de restreindre ses mouvements. Titubant, il n’avait alors que pu s’éloigner du guerrier de Mégrez en titubant. Et à présent, celui-ci l’attaquait encore une fois, et le colosse subit à nouveau l’attaque de point fouet. Et si elle ne le blessa pas vraiment, il put sentir une partie de sa force vitale s’envoler. Voilà qu’à présent, le guerrier de Delta se mettait à le vampiriser. Quelle humiliation…

Mais je n’étais pas encore à terre. Haletant, je pris la parole afin de contredire le guerrier de Mégrez. Malgré ses petits airs d’intellectuel, il semblait négliger un point.

- Être un Avatar… ne suppose pas d’être à la vue de tous. Simplement, tous nos adversaires sauront que dans l’ombre, l’outil de la vengeance d’Odin œuvre à briser tous ceux qui se sont attirés sa colère.

Puis, sans crier gare, je passai à l’attaque. Fort heureusement, la distance entre moi et mon adversaire n’était pas très grande : cela me laissait donc une chance de le surprendre. Car si mes performances n’étaient plus que l’ombre de ce qu’elles avaient pu être au début de l’affrontement, j’avais bon espoir qu’il en aille de même pour le guerrier de Mégrez. Car j’espérais bien pouvoir le trancher une fois encore avec mes griffes… et le faire tomber, avant que je ne tombe moi-même.

- Mais tu n'es pas sensé être connu de tous justement. Mais admettons. Montre moi donc les dernières réserves de l'Avatar de la vengeance.

Evidemment, même sans cette incitation, il l'aurait fait. Il n'avait pas abandonné jusque là, il aurait été étonnant qu'il le fasse maintenant. Et ce même si ses forces le quittaient de plus. Mais n'était ce pas mon cas également ? J'avais beau me nourrir de l'énergie qui nous entourait, récupérant ainsi en permanence mes forces, j'avais peine à suivre son rythme. Il était donc nécessaire que je calcule le moindre de mes mouvements avec encore plus d'attention qu'auparavant. C'était la seule et unique chose qui pourrait me permettre de rester debout alors que lui était au bord de l'épuisement le plus total.
Et, pour se faire, deux options se présentaient à moi. Et toutes deux débutaient de la même façon.

Le Delta ne quittait pas du regard son adversaire, analysant le moindre de ses mouvements. A partir de là, il lui suivait de laisser son corps agir selon les informations acquises. Ce qui était justement le problème en cet instant. Son corps avait grand mal à suivre le rythme. Et s'il arrivait en général à esquiver de peu l'attaque qui lui était portée, il finissait presque forcément par se prendre un coup à l'instant d'après. Et c'était là la différence entre ces deux hommes. Tous deux étaient au bord de l'épuisement le plus totale, mais le colosse arrivait malgré tout à trouver suffisamment de force pour continuer ses assauts furieux, tandis que Svein avait de plus en plus de difficultés à s'en protéger.
Il n'y avait pas de meilleure façon de prouver que l'un était un véritable guerrier, tandis que l'autre n'était pas fait pour être placé en première ligne. Et c'était exactement le genre de détails qui jouaient en sa défaveur dans un duel de ce genre. Pourtant, il continuait de sourire. Ce qui pouvait se passer maintenant, il s'en moquait après tout. Du moment qu'il n'en mourrait pas.

Puis vint le moment que le Mégrez craignait de ne jamais voir. La fin de l'assaut furieux du blond. Le moment où il lui fallait souffler un peu. Et celui qui pouvait fournir une ouverture à son adversaire. Avec les quelques forces qui lui restait, celui-ci tenta de porter un coup de poing au visage de l'Ombre de Zeta. Un coup qui n'avait pas pour but de vaincre sa cible, il était persuadé que le lien impie qu'il avait créé entre eux pourrait suffire. Non, il s'agissait plus d'une diversion pour lui laisser le temps de s'éloignant. Avec quelques difficultés certes, mais il était de nouveau à distance. Et là, nouvelle interrogation. Continuer d'attaquer ou bien observer si le guerrier était encore capable de continuer l'assaut. Sa décision fut prise pour la seconde option. Bien plus sage dans une situation où économiser ses forces devenait important.

- C'est tout ? J'ai pourtant attisé ta colère, mais tu sembles incapable de me briser. Tu n'as donc même pas la force nécessaire pour devenir ce que tu souhaites être on dirait...

Je parlais d'un ton désinvolte, sourire aux lèvres. Mais il ne s'agissait que d'apparence. Faire croire que je possédais encore des réserves et que je n'étais pas en position de faiblesse. Il m'était interdit de présenter la moindre faille en ce genre de situation. Pourtant, il était évident qu'en cet instant, j'en possédait de nombreuses.

Peu à peu, mes forces me quittaient. Je le sentais plus que jamais : j’avais été vaincu par la fourberie de Mégrez. Mais cela m’était insupportable. Et il paraissait encore en si grande forme… mais je refusais qu’il s’en tire à si bon compte. Ce serait trop facile. Non, je le lacérerais une dernière fois, laissant dans sa chair une trace indélébile de notre affrontement. Qu’il sache que l’on n’affronte pas impunément la Bête du Valhalla, et qu’il ne retire pas trop de bonheur de sa pseudo-victoire. Mais, bien que j’aie beaucoup de mal à le reconnaître, je ne pouvais y parvenir seul. Le soutien de mon frère dans cet assaut me serait absolument nécessaire.

Je serai à tes côtés. Mais prend garde, mon frère. Affaibli comme tu l’es, il est possible que même à nous deux, nous ne puissions pas briser ce Guerrier…

Je n’apportai pas de réponse à Hati, car il s’agissait là d’un scénario que je me refusais à envisager. Je ne pouvais reconnaître que je risquais de tomber face à Svein sans même l’emporter dans ma chute. Surtout après la provocation qu’il venait de m’adresser. Commençant à rassembler mes dernières forces, je levai une dernière fois la tête vers lui, en lui aboyant, secoué d’un rire nerveux :

- Tu me crois incapable de te briser ? Ne te surestime pas, Mégrez. Le courroux de la Bête te détruira… en pleine Lumière.

Ou peu s’en fallait. La forêt n’était définitivement pas un endroit lumineux, mais je n’allais pas retourner dans l’ombre avant de lancer mon ultime assaut. Ça aurait été lui accorder la victoire sur tous les plans…

Conscient que si je n’agissais pas maintenant, je risquais de m’écrouler, je m’élançai. Fonçant aussi vite que mes capacités altérées me le permettaient, je lançai un premier assaut de griffes sur Mégrez. Et mon coup était à peine terminé que mon frère arrivait sur son côté, lui décochant un violent coup de patte. Puis ce fut mon tour. Et le sien. Le mien. Le sien.

Comme un mécanisme merveilleusement huilé, nous attaquions de concert, ne laissant absolument aucun répit au guerrier de Mégrez. Mais cela ne pouvait pas durer éternellement. Mes blessures eurent finalement raison de moi et après un ultime assaut, je m’effondrai, perdant connaissance.

Au moment où Máni chuta, Hati alla se placer à proximité de son corps, entre lui et Svein, au cas où ce dernier serait encore capable de se tenir debout après leur assaut. Mais si c’était le cas, il savait que le puissant guerrier aurait beaucoup de mal à l’accepter…

Je prenais le temps de souffler. Je savais que l'état dans lequel j'étais ne jouais pas en ma faveur. Même je savais aussi que, plus cela durait, plus j'avais des chances de tenir. Il ne fallait pas me laisser le temps de me nourrir suffisamment de la vie qui m'entourait, que ce soit celle de mon opposant ou non. Et, justement, c'était l'erreur que faisait le colosse. Pour mon plus grand avantage. Il y a quelques instants, j'étais courbé, respirant avec difficulté. Maintenant, je me tenais à peu près droit et possédait un souffle plus régulier. Quand à l'Ombre de Zeta... Si je ne me trompais pas, il était au bord de l'effondrement le plus total. La victoire était mienne.

Mais il ne fallait pas oublier que le blond était une bête. Une bête qui ne lâchait jamais sa proie, sauf si celle-ci était morte. A moins que ce ne soit lui qui perde la vie, évidemment. Sur le moment, cela voulait donc dire qu'il se dirigeait droit sur Svein, dans un ultime sursaut afin de porter un coup fatal au Delta. Coup qui, s'il était porté, serait fatal. Il était donc nécessaire qu'il s'esquive de la trajectoire de cet assaut, chose qu'il fit sans grande difficulté. Mais, encore une fois, il avait oublié qu'il n'était pas face à un adversaire, mais deux. Ce fut donc ainsi qu'il se prit de plein fouet le chien qui l'accompagnait.
Réprimant un juron, il engagea alors une valse consistant à parer un coup d'un de ses opposants, puis de s'en prendre un autre dans la foulée. Et ainsi de suite jusqu'à ce que l'enchaînement se termine. Et, au final, il était toujours debout. Pas forcément en parfait état, mais debout. Au contraire de son opposant qui s'écroula sitôt son baroud d'honneur terminé. Et cela marqua ainsi la victoire inattendue du Mégrez, qui ne put retenir un sourire.

Fier de ma victoire, j'esquissais un pas en direction du vaillant guerrier à terre devant moi. Mais, entre nous, vint se placer le chier. Il se dressait là afin de défendre son maître. M'empêcher de l'achever, ou tout autre idée qui aurait pu passer par sa tête. Pourtant, un simple animal pourrait-il me vaincre ? Dans mon état, et même si cette bête était entraînée, j'en doutais fortement. De nous deux, j'étais persuadé d'emporter la victoire. Mais cela ne présentait aucun intérêt.

- Je te rassure, je ne vais rien lui faire. Je ne connais certes pas le lien qui vous unit, mais il me semble fort. Si tu en es capable, transmets donc une chose à Máni. Un guerrier comme lui ne devrait pas perdre face à moi en duel. Si cela est arrivé, c'est que quelque chose cloche en lui. Qu'il réfléchisse à ça...

Et il fit alors demi-tour, s'enfonçant dans les ténèbres de sa forêt. Il était temps pour lui de se reposer afin de récupérer de ce combat qui avait, malgré tout, été bien difficile.