Ses coups successifs avaient eu l'effet escompté : réduire le Spectre de Deep au silence. Vomir un tissu de mensonge semblait être une marque de fabrique chez les siens, mais on ne pouvait lui donner tort sur un point. Quelle que soit la manière dont on les exécutait, ils finiraient inexorablement par refaire surface. En le mettant à mort, il ne faisait que s'accorder un peu de répit, même si ce serait amplement suffisant – du moins l'espérait-il de tout son coeur. L'avoir retenu à cet endroit était déjà un succès en soi. Peu importe s'il n'arrivait pas à destination, l'important était qu'au moins l'un d'entre eux fasse route jusqu'au magnolier pour en cueillir les fruits. Déployer tant d'effort pour ces vivres aurait paru inepte sans en connaître la raison, et à la vérité il doutait même que les Spectres en soient informés. Sans cela, nul doute que le barrage n'aurait pas été si aisé à franchir. Encore qu'il eut été en peine d'avancer qu'il leur avait été facile de forcer le passage. C'était d'ailleurs étonnant d'avoir rencontré une telle résistance alors qu'ils étaient censés être au maximum de leurs capacités. Et à en croire la faiblesse de leur cosmo-énergie, Kallas et Alpharius n'avaient pas été accueillis avec moins d'égard. L'espace d'une seconde, Arsiesys pria pour qu'il ne leur soit rien arrivé mais se ressaisit sans plus tarder.
En venant ici, tous savaient qu'ils couraient un grave danger. Cependant, par son arrivée inopinée, Hadès ne leur laissait guère le choix. Faire tout ce chemin n'avait déjà rien d'une sinécure, encore fallait-il s'estimer heureux que l'armée des morts n'ait pas eu vent de leurs intentions... L'homme aux ailes d'or dévisagea le corps sans vie de son antagoniste, étonné qu'il soit mort debout après avoir encaissé tant de fois les tirs croisés de deux Chevaliers d'Or. Dire que ce n'était qu'un sous-fifre. Bien mal leur en aurait pris de les sous-estimer. Si les plus basses strates de la hiérarchie infernale leur donnaient déjà autant de fil à retordre, il n'était guère pressé de devoir s'attaquer à plus forte partie. Les volutes de poisons étaient déjà sur lui avant qu'il ne s'en soit aperçu, les sens brouillés par la pluie d'effets néfastes dont il avait fait l'objet. Les coups en traître étaient pour eux un domaine de prédilection, et le Grand Pope pouvait à présent en répondre. Une aile rude repoussa l'assaut dans sa totalité... Ou presque. Son temps de réaction comportait une lenteur qui, si elle n'avait pas pris fin au moment opportun, aurait pu lui être fatale. La quantité de poison contenue dans son organisme n'était pas suffisante pour mettre fin à ces jours, mais ne résoudrait pas plus son état déplorable – bien au contraire.
Que ce scélérat ait pu mourir sur ses deux pieds le frustrait grandement, car il avait toujours pensé que les morts nobles de cet acabit n'étaient réservés qu'à ceux méritant cette ultime distinction. Or, on ne pouvait point dire de Niobé qu'il en avait l'étoffe... À plus forte raison que lui-même, bien que toujours vif, manquait de stabilité. Son état de santé laissait également à désirer, mais le plus important était d'avoir remporté la victoire, quand bien même elle n'était guère éclatante. Le souffle lourd, Arsiesys examina longuement le corps sans vie de Niobé avant de s'en désintéresser. Son volte-face lui fut pénible tant sa faiblesse était accablante, et ses jambes faillirent céder sous son poids. Serrer les dents lui permit toutefois de rétablir cet équilibre compromis et de marcher dans les pas de Narcisse, qui devait déjà être loin. Peut-être même avait-il déjà commencé la confection du collier. Faire vite était un impératif, car même une fois le rituel complété il leur faudrait revenir sur leurs pas. Ce qu'ils avaient derrière la tête ne serait alors plus un secret pour personne, et les hautes autorités auraient tôt fait de sonner l'alarme. La vitesse d'exécution était maître-mot à partir de maintenant.