Haldor nous avait donc laissé dans un piteux état au sein même de notre propre volcan. Est-ce qu'il estimait être parvenu à nous donner une leçon ainsi ? Ah, il ignorait que nous n'en avions jamais assez... Mais sans doute que lui, pour sa part, avait pu voir à quel point nous pouvions être redoutables nous aussi. En tout cas nous nous étions efforcés de frapper fort pour ne pas laisser de doutes sur ce sujet. Toujours est-il que la finalité n'était pas super réjouissante pour nous, alors que nous en étions rendu à baver la gueule ouverte parmi les débris provoqués par le combat, notre Godrobe aussi amochée que nous. C'est d'ailleurs dans cette posture que nous nous rendormions, exactement ce que nous étions en train de faire lorsque le lézard à trois têtes était venu nous déranger...

Dès lors que nous étions parvenus à nous reprendre, nous nous étions assuré que le garde-manger que nous nous étions gardé de côté était toujours intacte. Ce serait en effet dommage de perdre les provisions que nous nous étions... "procurées". Heureusement, aucun dommage de ce côté là ! Saisissant donc une bouteille d'hydromel, nous la débouchions avec les dents avant d'en engloutir quelques gorgées. Parfaitement de quoi nous retaper ! De quoi récupérer une bonne dose d'énergie en apaisant un peu les quelques courbatures que nous pouvions ressentir. Et nous allions en avoir besoin, car la journée n'allait pas être de tout repos. Lorsque l'on voulait être un beau gosse à toute épreuve afin de charmer la Grande Prêtresse, lorsque l'on voulait assurer un standing minimum afin de pouvoir se présenter en tant que "Magnifique", l'on ne pouvait décemment pas s'afficher avec une armure en sale état. Mais comme nous l'avions dit devant Haldor - qui avait d'ailleurs montré son intérêt sur ce point - ce n'était pas un problème pour nous.

Nous retrouvions donc notre marteau et notre burin, vestige de l'époque où nous apprenions à nous servir du cosmos auprès de notre Maître dans les froides montagnes du Tibet. Jamir semblait si loin derrière... Mais pourtant, les gestes étaient toujours intactes. Nous nous mettions à l'oeuvre sans préparatif nécessaire, rien d'autre que nos outils et notre cosmo-énergie. Toujours un moment particulier, même pour nous... Sans doute l'une des rares actions que nous ne prenions pas à la légère. Car il ne s'agissait pas que de ré-insuffler un peu de vie dans une armure. C'était une espèce de communion où nous pouvions en quelques instants nous replonger dans les "vies antérieures" de la Godrobe. Des visions de ses précédents porteurs, de la manière dont ils avaient perdu la vie... Un échange en quelque sorte, où on lui donnait de notre temps et de notre force et où en échange nous recevions l'expérience des anciens. Ce que nous avons appris alors, il n'est pas nécessaire de le citer dans ce conte, en dehors du fait que nous possédions désormais de plus précises informations sur l'emplacement du temple de Bêta, ou du moins ce qu'il en reste. Dès lors que nous aurions le temps et l'envie de nous en occuper, nous nous mettrons alors à sa recherche.

C'est ainsi que nous avions trouvé de quoi nous occuper le lendemain. Une quête qui avait porté ses fruits, dans le sens où nous sommes parvenus à retrouver l'endroit. Mais ce qu'il en restait ne nous était plus d'aucune utilité. Ou du moins cela demanderait pas mal d'efforts et de travaux. Ah, lorsqu'on aurait le temps, lorsqu'on aurait le temps... Car déjà alors le soir était en train de tomber, et nous avions encore une autre recherche à faire. C'était le moment parfait pour faire connaissance avec l'Eta, l'un de ceux qui avaient été désignés pour rester à Asgard protéger la terre d'Odin. L'on ne peut pas dire que ça s'était parfaitement passé, comme à chaque fois que nous rencontrions l'un de nos pairs, mais au moins ça avait eu le mérite de nous détendre un peu.


L'on en arrive enfin au noeud principal de cette part de récit. Les Ases étaient partis pour défier les armées de Poséidon et "récupérer l'honneur" du Zeta. Enfin, son saphir surtout... Tout ça pour ça, franchement ! Enfin, cette décision n'était pas de notre ressort de toute manière, et donc nous n'avions tout simplement pas à nous en préoccuper. À vrai dire, nous avions beaucoup mieux pour l'instant là ! Passer un peu de temps seul à seul avec l'amour, avec le soleil de nos nuits... Syn... Mais à vrai dire, ça ne s'était pas exactement déroulé comme nous l'avions imaginé, jusque là. Elle s'était montrée assez froide avec nous, nous plantant directement seul dans le Temple. Elle avait à faire et réclamait de nous que nous restions là à l'attendre, que l'on garde cet endroit qui était le dernier rempart avant de pouvoir la trouver. Et cette tâche était tout simplement d'un ennui mortel... Quelques heures plus tard, nous ne pouvions qu'accuser le coup lorsqu'elle nous retrouva allongé au sol, la tête reposant dans une paume parsemée de picotis.

Est-ce ainsi que tu comptes assurer ma sécurité ? Je ne pense pas que c'est en dormant que tu obtiendras ma confiance...
POOOOOOOY !

Sur le champ nous nous relevions sur nos jambes, nous tenant bien droit, au garde à vous. C'est qu'elle n'avait pas tout à fait tort la prêtresse, il allait falloir que nous nous justifions pour le coup, déjà qu'elle ne semblait pas nous accorder un immense crédit...

Au contraire, Reine de mon Coeur ! Si j'faisais le piquet comme un vulgaire planton, j'me fatigu'rais les jambes pour rien tsé ! Par contre là, il est au taquet l'Yzak, ça pour sûr ! Prêt à passer à l'offensive au moindre bruiss'ment tsé ! L'esprit et l'corps reposés, redoutable et fougueux ! Et ouais, c'est tout moi ça ! Héhéhé !

Nous faisions glisser notre index sous nos narines dans un geste simulant une certaine gêne que nous ne ressentions pas réellement. Notre justification nous semblait parfaite, mais ce n'était visiblement pas son cas, en considérant la moue qu'elle réalisa alors. Toutefois elle n'en fit aucun commentaire...

J'aimerais prendre un peu l'air. Une balade... Vas-tu poursuivre ta sieste ou consentir à te fatiguer un peu en restant à ma suite ?

Glaciale... Nous l'adorions de plus en plus... Levant le poing en l'air, nous montrâmes alors un enthousiasme démesuré par rapport à la situation.

J'te suis ma belle, oh ça ouais !

Un enthousiasme qui retomba bien vite. Elle ne nous parlait pas... Même pire, ne tolérait pas que nous nous permettions de prendre la parole. Et Odin savait à quel point c'était difficile pour nous que de garder le silence bien longtemps ! Toutefois, puisque nous ne désirions rien faire pour la contrarier, nous nous y tenions alors, bon gré mal gré. Jusqu'à un point où elle sembla même oublier notre présence, pourtant rien qu'à quelques pas derrière elle. Oui, un peu de distance... La différence de rang nous y tenait, mais de toute manière il était évident que nous préférions la vue de cet endroit... Surtout lorsque l’ensorcelante brunette s'amusait à se pencher et de cueillir l'une des rares variétés de fleurs résistant à ce climat. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, les paysages ici n'étaient pas fait que de neige et de glace, les nappes de laves en sous-sol permettant même de trouver quelques clairières plus ou moins fleuries comme celle en laquelle nous nous promenions à ses côtés pour l'instant. Enfin, devrait-on plutôt dire "où elle se baladait, et que nous, on suivait". Non pas que le rôle du chien-chien lui déplaise dans l'absolu, si ça pouvait porter ses fruits. Mais par contre, l'ennui pour lui était tout simplement terrible ! Ce qui se fit d'ailleurs remarquer lorsque nous poussions un soupire qui fût - malheureusement pour nous - trop peu discret.

Ne t'ai-je pas dit de tenir le silence ?
Mais-
Il n'y a pas de "mais" ! Tu as été mis à mon service, aussi convient-il que tu t'y plies et que tu fasses ce que j'exige !
Ouais... Faut croire que j'dois pas être le seul à t'considérer comme une Reine pour qu'tu finisses par en être toi-même convaincue tsé ! J'suis un guerrier moi, pas un animal de compagnie ! Y en a pas mal qu'ont essayé d'm'en faire baver tsé, mais j'me suis jamais laissé faire ! Tu dis qu't'as du mal à m'faire confiance, mais j'me couperais un bras sans hésiter pour ta pomme ! Et blabla reste derrière moi, et blabla tu t'la boucles. Woh, c'est bon maintenant, Madame la Grande Prêtresse. Et bein, tsé quoi ? Ton titre, y vaut rien pour moi ! Et si j'accepte d'm'plier à tes ordres, c'est rien qu'parce que j'm'intéresse à toi, tout court. Alors le "han, mais je suis la Grande Prêtresse, je suis celle qui s'adresse directement à Odin, ohohoh, ployez l'échine devant moi, misérable", et bein ça prend pas avec moi et puis c'est tout !

Encore une fois, nous n'étions pas parvenus à nous retenir de dire ce que nous pensions, et ce malgré les sentiments que nous pouvions ressentir pour elle. Mais là, il était à parier qu'elle ne voudrait même plus nous revoir, après une déclaration pareille... Surtout le passage où nous nous étions amusés à prendre la pose "de la haute" en adoptant une voix haut perchée comme pour l'imiter. En effet, pas sûr qu'elle apprécie... Mais on était comme ça : nous n'avions jamais donné la permission à personne de nous piétiner, ce n'était pas maintenant que ça allait débuter ! En conclusion nous lui avions tourné le dos les bras croisés, boudant en faisant taper le bout de notre pied au sol sur un rythme régulier. Nous nous attendions à une répartie colérique et bien sentie, mais ce n'était pas là ce à quoi nous eûmes droit finalement. Elle vint se poster devant nous, le regard énigmatique. Difficile de dire ce qu'elle pouvait bien en penser.

Qu'est-ce que tu essayes de me dire, là ? Que tu m'es fidèle pour moi, et pas pour mon rôle ? Qu'est-ce que je suis censée y comprendre ?
Ouais, c'est ça qu'j'dis ! J'dis même bien plus en fait ! Qu'la Prêtresse, j'm'en tape le steak à de l'écorce de frêne tsé ! Autant Syn j'la trouve vach'ment mignonne, autant la pimbêche qu'tu montres à sa place elle me tape sur le système ! P't'être que j'me suis trompé tsé, et qu'au final, tu m'mérites pas, tout simplement !

Alors que nous relevions un peu plus la tête pour la snober, elle ne nous en laissa pas totalement l'occasion. Sa main vint toucher notre visage, mais d'une manière bien moins douce que nous ne l'aurions aimé. La gifle s'était collée contre notre joue scarifiée, indiquant clairement que nous avions été trop loin.

Mouais, normal, j'l'ai pas volé j'suppose. N'empêche que j'pense tout c'que j'ai dit, Votre Excellence ! Ca m'rappelle quand j'vivais dans l'désert... Quand presque mort de soif, tu vois au loin une source d'eau tsé. Mais qu'au final, quand t'arrives, tu t'rends compte qu'y avait rien d'bon. Que du sable et encore du sable. À l'oeil ça a l'air agréable tsé, mais une fois qu't'en as vu un peu plus que c'que t'avais envie d'voir, tu réalises et tu t'dis "et merde, comment j'ai pu m'planter à c'point" !

Nous aussi nous maîtrisions très bien le jeu de la forte tête... Houleuse relation que celle qui s'annonçait ici, bien différente que ce qu'il désirait secrètement depuis... avant même que nous la rencontrions en fait. Mais à notre petite histoire, il n'y eut pas de réaction immédiate. Du coin de l'oeil nous l'observions, tentant de prévenir la prochaine claque qui partirait. Au lieu de ça, lorsque ses yeux croisèrent les nôtres, elle semblait être plutôt apaisée... Sa main se leva pourtant une fois de plus vers notre visage, mais ce ne fut que pour y déposer le bout des doigts à l'endroit même où elle avait frappé un instant plus tôt.

Désolée... Je dois être un peu trop tendue par ce qui se déroule pour le moment, tu comprends ? Il est possible que ceux qui sont partis ne reviennent pas... Et du coup j'arrive à me montrer insupportable avec ceux qui sont encore ici... Acceptes-tu de me pardonner, Yzak de Bêta ?

Surpris - et cela devait se voir clairement sur notre attitude faciale - nous hochions lentement du chef. Un changement d'attitude... Chez nous, ça pouvait vouloir dire beaucoup de choses...

Que t'est-il arrivé, Yzak ? Quelle sorte de vie a pu faire de toi ce que tu es à présent ? Quel terrible accident a pu ainsi te marquer à vie ? J'aimerais que tu me le racontes, si tu l'acceptes...

Elle qui s'adresse à Yzak, sera-t-elle déçue de se rendre compte que ce n'était déjà plus lui qui était aux commandes ? Il n'y avait qu'en répondant que nous pourrons nous en rendre compte...

Le temps d'arrêt que nous marquions paraissait se prolonger. Une légère lutte intestine pour savoir qui resterait sur le trône de notre conscience. Pas une bataille de puissance ou d'arguments, juste question de volonté. Et finalement, ce ne fut pas Yzak qui l'emporta, pour une fois... Notre visage se faisait froid et sévère. Et juste un calme profond en nos prunelles... La réponse se fit dans la même veine, tout à fait à l'image de celui qui la proférait. Havard était à l’œuvre...

La justice ! Il ne m'est rien arrivé d'autre que justice, jeune prêtresse ! Non sans raison les mortels sont châtiés et chacun mérite sa peine par ses actes passés ou futurs... Et moi, ce que j'en ai récolté c'est... ça !

Appuyant ce dernier mot, nous soulevions de même notre main pour venir toucher notre visage scarifié non sans frôler les doigts de la jeune femme. Après quoi nous nous permettions même effrontément de saisir sa main dans la nôtre et ainsi de l'écarter de notre joue. Elle ne pourrait certainement pas manquer notre changement brutal d'attitude, notre façon de parler était désormais radicalement différente. Relâchant sa main dès qu'elle fut écartée, nous ne nous contentions pas de rester devant elle mais nous nous éloignions, marchant lentement dans la direction vers où nous nous dirigions précédemment. Mais ce ne dura qu'un instant cependant, car après quelques pas nous nous arrêtions pour nous retourner vers elle.

Mais sauf votre respect, madame, nous ne sommes pas là pour vous plonger dans l'ennui d'évoquer mon passé. Ce serait trop long à conter et bien trop inintéressant à vos yeux je l'estime. J'ai bien conscience de vous devoir respect et de vous être entièrement dévoué, mais je ne vous ai sans doute que trop importuné déjà. Il ne serait pas juste que je me permette d'ainsi gâcher votre balade !

D'un mouvement du bras nous l'invitions à poursuivre sa promenade, comme si nous pouvions réellement nous permettre de l'enjoindre à faire ce que nous souhaitions et non pas simplement ce qu'elle elle désirait. Nous pûmes cependant la voir froncer les sourcils avant de venir se poster devant nous à nouveau. Les bras croisés, les yeux inquisiteurs, il ne fallait pas être en expert en comportement humain pour comprendre que nous l'intriguions réellement à présent. Plutôt que de noyer le poisson nous n'avions fait que l'inciter à s'interroger plus encore...

Nous poursuivrons lorsque je l'aurais décidé. Et tu n'as pas de crainte à avoir : c'est moi qui te demande de me parler de toi, aussi il n'y a pas de risque que j'en sois ennuyée ! Te feras-tu prier... Yzak ?

Cette question était double bien évidemment. La manière qu'elle avait eu d'insister sur la prononciation de notre nom ne pouvait qu'évoquer une seconde interrogation qu'il fallait deviner entre les lignes : est-ce que c'était bien à Yzak qu'elle parlait ? Il aurait en effet été insultant pour son intelligence de croire qu'elle ne ferait pas la différence, qu'elle ne se douterait de rien. D'autant que Wÿrd et Haldor, ses deux plus fidèles serviteurs, avaient pu assister à nos divers revirements de personnalité, et sans doute qu'elle en avait été tenue au courant. Cela ne serait que logique étant donné qu'ils étaient partis en la laissant à notre garde, seul un inconscient laisserait ce précieux joyaux sous notre protection sans lui faire part de notre état divergent. Nous haussions alors les épaules, comme pour rendre les armes.

Très bien. Il est juste que vous soyez seule juge de ce que vous avez à faire de votre temps. De quoi voulez-vous que je vous parle, exactement ?
On peut commencer par comment "ça" t'est arrivé, par exemple.
C'est très simple...

Nous tendions notre main gauche, paume ouverte vers le ciel. Une petite impulsion de cosmos et une boule de feu enveloppa nos doigts...

Lorsque l'on joue avec le feu...

Nous fermions alors notre main, éteignant les flammes et laissant également voir par là notre peau rougie, brûlée par l'effet de notre propre cosmo-énergie.

...l'on finit forcément par se brûler ! C'est ainsi...

Effectivement... Rares étaient ceux capables de manipuler les flammes sans se blesser soi-même, et nous n'en faisions pas partie... Toujours était-il que Syn n'avait toujours pas reçu de réponse claire à la question qu'elle s'efforçait de nous poser. Et elle n'en aurait sans doute pas, il était toujours difficile de nous tirer les vers du nez lorsque nous n'avions pas décidé de parler de notre propre chef. Et même si nous aimions effectivement à parler, nous n'avions pas particulièrement l'envie d'évoquer ce souvenir douloureux, là, tout de suite. Heureusement, notre main roussie fut une source de diversion satisfaisante... Elle nous saisit alors la main endommagée tout en s'exprimant sur un ton de reproche.

Mais pourquoi avez-vous fait ça ?
C'est vous qui m'avez demandé de vous expliquer...
Oui ! Je souhaitais savoir comment cela vous était arrivé ! Mais je n'avais aucunement besoin d'une phrase toute faite accompagnée d'une démonstration futile ! Venez !

Elle nous saisit alors le poignet pour nous enjoindre à la suivre. Nous n'avions pas manqué de remarquer qu'elle s'était mise à nous vouvoyer, comme si elle avait pleinement réalisé désormais qu'elle était devant une toute autre personne. C'était un peu le cas, en fin de compte... La destination après une centaine de pas fut atteinte, et elle nous fit asseoir sur le rebord de la fontaine auprès de laquelle elle venait de nous mener. Elle plongea alors ses mains dans l'eau qui devait être bien froide sans être gelée, et là elle parvint à nous étonner en faisant utilisation de son cosmos... Celle qui est capable de s'adresser et d'entendre le Dieu suprême de ces contrées pouvait bien évidemment en faire usage, à y réfléchir ce n'était pas une surprise, mais nous ne nous y attendions pas, voilà tout. L'eau engloba alors ses mains en une fine couche luisante qu'elle vint ensuite apposer sur notre blessure.

Voilà qui devrait vous apaiser. Ne bougez pas et laissez moi faire. Vous ne devriez pas en tirer de cicatrices...

Elle se pinça les lèvres d'une façon que nous trouvâmes bien mignonne, comme si elle venait de commettre une bourde. En effet, que pouvions-nous avoir affaire de nouvelles brûlures, lorsque l'on connaissait l'état de notre visage, de notre torse et d'une partie de notre bras gauche ?

Un peu plus ou un peu moins... Il m'aurait été utile d'apprendre pareille arcane il y a une décennie sans doute, mais que cela peut-il bien changer à présent ?
À moins souffrir, voilà ce que cela pourrait changer. Je pourrais même vous l'apprendre si vous le désirez. Il me ferait plaisir de savoir que vous prenez soin de vous, Yzak...
Havard. Je m'appelle Havard...
D'accord... Havard... Alors ? Puis-je tenter de vous l'enseigner, et que vous me juriez ensuite d'en faire usage si d'aventure vous veniez à vous... "embraser" à nouveau ? J'y tiens...
Si vous y tenez...

D'un petit reniflement nous détournions la tête. Elle se tenait proche de nous, ses doigts frôlant parfois les nôtres tout comme elle nous soignait. Cela ajouté au fait qu'elle nous fixait franchement parvenait à nous gêner... Enfin, Havard surtout, mais comme il était aux commandes cela revenait peu ou prou au même.

J'ai une dernière question ! Répondez-y et je ne vous embêterai plus... Yzak, Havard... combien y en a-t-il d'autres ?

Silence... Puis nous prenions une profonde inspiration.

Nous n'étions que des enfants. Abandonnés, livrés à nous-même. Et il faisait froid, si froid dans cette petite bicoque à moitié délabrée. L'un ne pense plus qu'à lui-même, et s'étend de tout son long devant la cheminée, ne laissant pas les autres s'approcher du réconfort autant que lui-même. L'égoïsme est un lourd péché et le vent fut l'instrument vengeur de la volonté divine. Et en un retour de flammes le méchant petit garçon était châtié... Justice !

Vieille technique usée jusqu'à la corde que de se défaire d'une question embarrassante en répondant à une autre posée plus tôt et qui l'était peut-être un peu moins. Nous avions bien sûr tous conscience de notre état. Chacun de nous savait... Mais aucun ne l'avouait jamais de vive-voix, c'était une règle que nous nous étions fixée !

Regarde-moi ! Regarde-moi te dis-je ! C'est comme cela que ça s'est réellement passé ? Et tu crois l'avoir mérité, juste pour ça ? Notre Dieu sait être rigoureux avec ses enfants, mais jamais il ne se montre juge si cruel ! Il est un père et non un bourreau...

Tout comme nous tournions la tête vers elle, comme elle l'avait demandé, nous pûmes apercevoir un lueur d'humidité en ses yeux, témoignant d'une émotivité que nous ne lui soupçonnions pas. De même, elle s'était remise à nous tutoyer, comme si à présent elle était devenue intime avec un second d'entre nous. Mais nous gardions pour notre part notre visage fermé, et toujours ce regard intransigeant de l'épris de justice.

Rien n'arrive pour rien. S'il en est ainsi, c'est que ça devait être, voilà tout. Il n'y a rien de plus à en dire, madame.

Elle secoua la tête tout en ôtant ses mains, et nous pûmes en effet constater ses talents en observant qu'il n'y avait plus aucune trace là où elle avait appliqué son savoir.

D'accord, je n'insiste pas sur ce point. Mais tu n'as toujours pas répondu à ma dernière question... Et il n'est pas juste que tu me tiennes à l'écart du secret... Alors, combien êtes-vous ?

Maligne... Invoquer la justice, c'était très bien joué... De plus, nous pensions que nous venions de comprendre un point qui nous paraissait nébuleux jusque là. Elle ne vouvoyait pas juste une de nos personnalités. Ce n'était pas du respect, non... Elle usait avec aisance du "tu" lorsqu'elle souhaitait toucher l'un de nous en particulier, mais passait au "vous" lorsqu'elle souhaitait s'adresser à l'ensemble de ce que nous sommes. Oh oui, vraiment, très maligne...

Sa stratégie aurait sans doute parfaitement fonctionné... si seulement Havard était resté en place ! Mais elle n'eut pas cette chance, Yzak forçant le passage pour s'imposer à nouveau, afin de ne pas laisser cette information filtrer. Reconnaître de manière verbale que nous étions des personnalités différentes ne ferait que nous nuire. Bien sûr, nous ne pouvions pas éviter que les gens qui avaient affaire à nous s'en rendent compte. Mais entre les laisser deviner et l'avouer de vive-voix, il y avait un fossé, voir même une véritable faille ! Nous ne l'avions jamais fait, et ne comptions pas débuter maintenant ! Cependant, nous n'ignorions pas non plus que sans aucune réponse de notre part, elle ne nous lâcherait pas... Il faudrait donc quoi qu'il arrive prendre la peine de dire quelque chose, même si ce n'était pas réellement crédible ou convainquant !

Bah, y a moi tsé ! J'suis Yzak et puis c'est tout ! Bizarre que tu m'demandes ça, ça m'rappelle ce mec dans un aut' trou paumé et glacé qu'celui-ci, loin dans l'est. Vivait seul dans une cabane au milieu d'la forêt. L'était tellement timbré qu'il parlait aux ours tsé ! Et bah c'type, il était tell'ment atteint qu'y causait avec plein d'voix différentes... Mais vraiment différentes hein ! Là une voix d'nana qui jouait la prude, là une voix d'bucheron qui s'croirait capable d'couper un sapin avec les dents, quand c'était pas une voix de gnome qui s'pisserait d'ssus rien qu'en voyant son ombre tsé... Lui, il était vraiment ravagé, ça ouais ! Heureus'ment pour lui, il a fini par s'faire bouffer par les ours tsé. Des sales bêtes ces trucs là, tu crois qu'tu peux leur faire des calins et krâk ! plus d'bras tsé !
Sinon... on t'a jamais dit qu't'étais trop mignonne avec les sourcils froncés ? Héhé !

C'est en effet, c'est ainsi qu'elle nous regardait présentement. Une mine ennuyée, ce que l'on pourrait prendre pour un brin de colère également. Elle ne devait sans doute pas apprécier que nous changions de sujet à nouveau, mais nous n'allions pas nous faire tirer les vers du nez aussi simplement ! Syn ne devait pas être particulièrement habituée à ce que des gens lui tiennent tête, surtout des énergumènes tels que nous, mais ça, qu'y pouvions-nous ? Mais devant notre grand sourire et notre attitude qui signalaient très bien qu'elle n'aurait pas de réponse à ce questionnement, que pouvait-elle bien y faire, elle ? Elle dû forcément se rendre à l'évidence lorsqu'elle secoua la tête de gauche à droite dans un soupir.

Elle fit alors la seule chose de censée, et passa à autre chose en nous expliquant la manière dont elle insufflait son cosmos en cette eau glacée pour lui prêter quelques propriétés curatives. Nous connaissions une technique similaire, apprise auprès de notre vieux maître de Jamir, mais qui agissait dans les faits de manière différente. Ce que la Prêtresse souhaitait nous instruire fonctionnait plus lentement, mais agissait plus en profondeur également. Si bien que même si moins efficace, elle permettait de ne pas laisser de traces, comme s'il n'y avait jamais eu de blessure. Nous écoutions ce qu'elle avait à dire, mais ne pouvions pas nous empêcher d'être dissipés... Mais entre de multiples compliments sur sa beauté, quelques petites avances à peine dissimulées et des mains qui se voulaient baladeuses mais qui étaient très rapidement et brutalement repoussées, nous parvenions tout de même à reproduire la technique de la Prêtresse, même si dans une moindre mesure que ce qu'elle était capable de faire. Nous apprenions vite, même s'il fallait nous expliquer longtemps...

C'est très bien Yzak ! Maintenant tu pourras-
Merciiiiii !

Lui coupant sèchement la parole, nous ne la remercions pas que par les mots... Très rapidement, nous avions placé nos mains sur ses joues afin qu'elle ne puisse esquiver le signe plus évident de notre gratitude : un baiser ! Ce n'était clairement pas de son goût, et nous le savions ! À peine le contact entre les lèvres établis que nous nous étions retirés à la hâte, esquivant ainsi de justesse la main qui souhaitait ardemment nous gifler. Nous levant alors d'un bond nous nous étions mis à courir autour de la fontaine.

J'ai eu un bisou, ouais, j'ai eu un bisou, ahah, un bisou tsé, j'en ai eu un, héhéhé !

Elle ne s'était pas mise à nous courir après, comme nous l'avions pensé, si bien que nous nous contentions d'aller et venir du côté opposé de la fontaine afin de ne pas la recroiser. Elle restait là, nous fixant d'un regard noir, les poings serrés contre ses hanches, prête à prendre sa revanche dès que nous lui en laisserions l'occasion. Nous portâmes alors nos mains à nos lèvres et, tournant notre visage vers le ciel, nous mimâmes aussi bien par le geste que par le bruit une trompette victorieuse. L'espace d'une demi-seconde seulement, elle sourit mais se ravisa bien vite, espérant sans doute que nous ne l'aurions pas remarqué. Cela pouvait se comprendre, si nos pitreries arrivaient à la faire flancher, elle perdrait un peu la face... Nous fîmes alors semblant de n'avoir rien repéré, poursuivant notre petit numéro. Elle se retourna alors et s'éloigna peu à peu de l'endroit, nous mettant également en garde.

J'ai été trop gentille et me suis laissée prendre, c'est de ma faute. Je suppose que je peux te pardonner pour cette fois, mais que ça ne se reproduise plus ! Si tu devais encore une fois me manquer de respect de la sorte, je me verrais contrainte à t'enchaîner vivant à ton volcan jusqu'à ce que la lave finisse par te faire cuire de l'intérieur ! Compris ?
Oh oui ma douce maîtresse, attachez-moi je vous en prie ! C'est plus que je n'en demandais tsé !

Notre nouvelle impertinence n'attira pas de nouvelle remarque. Nous restâmes tout de même quelques mètres derrière elle tout en la suivant, n'allant pas plus loin dans la provocation mais ne pouvant pas nous empêcher de sourire très largement...

Citation :

Fin un peu raide, mais il en fallait bien une...