Tremblotante, elle avançait discrètement entre les grands piliers du temple de Poséidon. La démesure des lieux la rendait nerveuse et seule sa lyre à sa main droite la réconfortait un peu. Chaque pas semblait lourd. Ses iris opalins allaient et venaient vers les gardes qui étaient en poste à chaque pilier dans une rangée impeccable. Les prêtres du Dieu des Ecumes étaient en train de parler dans le grand hall, en ne faisant même pas attention à la petite femme qui s'avançait dans le silence. Alors qu'elle avait l'esprit ailleurs, un serviteur la bouscula en lui décochant un regard aussi hautain que féroce. Par un simple hochement de tête, elle s'excusait de son étourderie et était interdite devant la violence de cette personne, il leva alors le menton et continuait son chemin en maugréant dans sa barbe. Elle crut alors entendre "paysanne" dans son dos. Son regard gagna subitement en intensité et elle s'apprêtait à se retourner pour jouer une de ses gammes, quand elle se rappela où elle se trouvait. Levant les yeux vers une représentation de Poséidon sur une mosaïque murale, elle le pria de pardonner son impertinence. Après tout, le silence - même s'il était contraint par la nature - était la meilleure arme contre les idiots. Elle s'humecta un instant les lèvres et se remit en marche.

Arrivant à la fin du Grand Hall, une lourde porte à double battants était fermée face à elle. Les reliefs du trident d'orichalque gravés sur les deux battants montraient l'importance du lieu qui se trouvait derrière, la salle du Trône de Poséidon en personne. On racontait qu'il n'était pas présent actuellement et que son Légat était sa voix en attendant son retour. A cette seule pensée, elle se calma et se demandait bien comment trouver la salle des armes que Morvac'h lui avait cité. Trop réservée, elle n'avait ps voulu dérangé les serviteurs du Temple pour une question si étrange au premier abord. Fermant les yeux, elle se laissa à augmenter la chaleur de son cosmos d'un bleu cendré sans y prendre garde. Quelque chose communiquait avec lui et elle se demandait quel était ce mystère, ses prunelles observèrent tout autour, personne ne se cachait a priori derrière une colonne. Personne. Ses sens ne la trompaient pas pourtant, il y avait une fragrance chaude et iodée qui se mélangeait avec son cosmos depuis qu'elle était arrivée devant les portes closes de la salle du Trône. Tournant lentement la tête à sa droite, elle ressentit l'espace d'un instant un onde musicale qui ne pouvait être ressenti que par son audition affûtée.

Dans un dédale de couloirs, une ombre s'arrêtait enfin derrière une colonne. Deux marinas étaient de garde devant une porte de belle apparence. Elle comprit que la source de ce parfum chaud et délicat venait de derrière la porte mais comment y pénétrer. Elle n'était rien pour ces hommes et ils avaient la garde d'un trésor ancestral. Perdue dans ses pensées, elle s'adossa dans l'ombre de la colonne. Ses yeux se levèrent dans l'obscurité en pensant à son Père et à ses amis de la Cour de la cité d'Ys. Tout cela lui manquait en cet instant d'hésitation, elle connaissait la raison de l'entraînement de son vieux mentor. Mais même lui était retourné dans les abysses pour servir Poséidon pour une mission inconnue d'elle. Elle n'était pas larmoyante habituellement, les sarcasmes et les quolibets sur son handicap ne l'atteignaient plus depuis des années, mais la peur de mal faire ou de ne pas réaliser les espoirs du Maître des tremblements la saisissait sans qu'elle ne sache pourquoi. Bien du chemin avait été fait pour venir ici et personne ne l'avait importuné lors de son voyage. Que faire ? Demander aux gardes de la laisser passer ? Elle hésitait dans le moment le plus important de sa vie. Sa Foi envers Poséidon était totale mais la crainte de ne pas lui satisfaire l'effrayait.

Prenant une grande bouffée de cet air marin, elle sortit de l'ombre. Les gardes, dans un premier temps interloqués, pointèrent brusquement leurs tridents vers elle. Leurs expressions étaient à la fois de la colère contre aux mêmes et aussi pour cette étrangère qui était parvenue à déjouer leur vigilance. La jeune femme souriait alors d'un air forcé. Un frisson lui parcourait l'échine et elle allait devoir se justifier de sa présence à des gardes passablement agacés.


" Qui êtes vous ? présentez vous au nom de Poséidon ? Sinon vous ne continuerez pas votre chemin avec votre tête ! "

Ferme et clair, sans ambages d'aucune sorte, ils avaient posé la question qu'elle redoutait depuis son arrivée dans le monde marin. Sa main serra alors machinalement son instrument de musique, c'était sa seule manière de parler et de de s'exprimer... Mais est-ce que ces gardes pouvaient comprendre la beauté de cette musique ? Comprendre qui elle était en somme. Fermant les yeux, elle ne répondit pas, l'aurait-elle pu elle l'aurait fait, mais c'était impossible. S'adossant à la colonne, les doigts de son autre main effleurèrent les cordes de la lyre et le son qui en sortit était limpide comme une source qui venait de sortir de la Terre. Les gardes maugréèrent à nouveau. La main d'Ahès se levait de nouveau pour jouer quelques notes plus précises...

Citation :

Théodora

C'était un fait rare, mais il arrivait que Théodora quitte son domaine. Mais en effet, c'était quelque chose de rare : la Générale préférait méditer ou bien se reposer dans son jardin aquatique plutôt que de parcourir le Sanctuaire sous-marin, c'était peut-être égoïste mais elle ne rendait visite à ses homologues qu'en de très rares occasions, préférant les recevoir. Mais la jeune femme se rendait de façon hebdomadaire au Temple de Poséidon, ne fut-ce que pour lui rendre hommage et observer le flux des écailles.

Une fois, elle était venue accueillir une jeune marina mais cela c'était plutôt mal passé. Théodora avait compris alors que sa douceur n'avait d'égal que son intransigeance. Cela la peinait quelque peu mais cela faisait partie d'elle. Après tout, sa vie avait été marquée par de rudes épreuves et l'Hippocampe ne saurait tolérer le manque d'effort. C'est ce qui construit un chevalier, un être digne de porter son écaille ou non.

Alors que ses pas se dirigèrent tranquillement vers les grandes portes gardées, elle entendit un semblant d'action du coté du temple. Discrètement, elle épia la scène : les gardes ne ressentaient pas l'appel évident d'une écaille. C'était malheureux mais après tout, on ne leur demandait pas vraiment plus : la jeune femme était liée, appelée. En tant que Générale, c'était son devoir de laisser à Llyr la possibilité d'offrir son don. Par contre, ces gardes purent ressentir un puissant cosmos les imprégner : chaud et doux. Théodora se décala dans l'allée principale et marcha en direction d'Ahès, levant son bras délicatement, comme un impérial signe d'autorité.

- Que se passe t-il ici, gardes !?

Ils pointèrent nerveusement la jeune muette de leur trident. Doucement Théodora vint se poser derrière elle, la main gauche sur sa tête et la droite sur son épaule, avenante. Bien sûr, elle ne la voyait pas ainsi positionnée mais elle pouvait ressentir son puissant cosmos et sa chaleur, mieux que quiconque en ce moment.

Ce geste était aussi solidaire que protecteur : à cet instant, Ahès disposait de l'une des plus puissantes protections qui séjournait en ce monde marin. À l'époque, perdue et sans écaille, Théodora était bien aise de trouver réconfort et protection auprès de son maître. Décidément, quoiqu'elle fasse, son maître revenait toujours la guider. Et il lui semblait évident qu'Ahès recherchait réconfort. Pour une raison qui lui était encore inconnue, Ahès paressait fort renfermée, voir esseulée. En ce monde dur et assez froid, la main de l'Hippocampe se devait d'être tendue.

- Pourquoi faire halte ainsi à ma chère disciple, elle est sous ma tutelle et elle vient chercher son écaille, rien de moins. Vous insultez la volonté de Poséidon en l'arrêtant ainsi. Maintenant, laissez nous passer.

Théodora dépassa alors Ahès, sa cape la suivant en voletant légèrement. Les deux gardes furent foudroyés de honte, genoux au sol, tête basse, ils n'osèrent plus regarder les deux femmes. Délicatement, Théodora poussa les lourdes portes. Et la magie qu'est l'union entre une écaille et un homme put s'opérer ...

Ce moment qui fut un jour sien, Théodora s'en rappellerait toute sa vie : elle avait été acceptée à ce poste et toute la volonté de son maître, encore latente autours de l'écaille, vint l'imprégner. Lui donnant force et courage pour les difficultés futures mais également espoirs dans des moments de paix comme celui qui arrivait.

Fermant les yeux, elle effleura les cordes de sa lyre avec une tendresse si nostalgique. Ces hommes ne pouvaient appréhender les sentiments confus qui avaient fait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui. Pourtant, chaque note pouvait être mortelle et elle ne voulait pas porter atteinte à leur vie. Poséidon était bon envers chaque être vivant si on prenait garde de ne pas salir son environnement par des pensées impures, c'était cela le dogme de ses pensées en cet instant de doute. Alors que ses doigts se contractaient pour pincer la corde avec plus de délicatesse, une énergie douce et chaleureuse emplissait soudainement le grand couloir menant aux portes sacrées de la salle des armes. A ce cosmos, une voix mêlant autorité naturelle et douceur interrompit ce affrontement exprimant le regard de l'incompréhension.

Une main se posa sur sa tête, puis une autre sur son épaule, cette chaleur humaine lui redonnait du courage et ses doutes se volatilisèrent sous cette marque amicale et maternelle. Ses muscles se libérèrent de toute nervosité et la jeune fille d'Ys se laissait guider par cette voix si douce. Cette dernière portait une écaille dorée et cela avivait la curiosité d'Ahès, mais aucune question ne vint. Pénétrant lentement dans la salle des armes, elle fût subjuguée par la beauté des Ecailles qui trônaient autour de leur Empereur. D'un simple regard, ses prunelles observèrent que sept grands socles de granit étaient vides de leurs Ecailles. Tous les Généraux de Poséidon étaient donc réveillés et son mentor sourit quand le cosmos de la jeune celte éclata au firmament. Un peu à l'écart, en hauteur, une Ecaille vibrait dans l'obscurité, sept magnifiques escarboucles de rubis brillaient avec une rare intensité. Une d'entre elles se libéra du front de l'Ecaille pour se poser sur celui de son hôte. L'Ecaille suivit alors la pierre pour se poser sur les points vitaux de la jeune femme. Les six autres escarboucles posées sur les épaulettes émettaient des ondes cosmiques qui entrèrent en résonance avec la Lyre de Morvac'h. D'ailleurs, des entrelacs spiralés symbolisant l’écume de la mer étaient gravés sur ses gantelets. A cela s’ajoutait une cape blanche faisant office de manteau quand elle en aurait besoin. Elle portait alors aussi un diadème serti de deux ambres qui symbolisaient les yeux ophidiens de l'armure. Elle était enfin parée de son Arme pour défendre les valeurs de Llyr, le Maître des Océans et protecteur des Marins.

Avec une certaine appréhension, elle se retourna vers sa protectrice. Ses yeux étaient plein de remerciement pour le Général de Poséidon qui lui avait ouvert le passage. Pliant le genou, elle fit une révérence à Poséidon. Puis, elle posa le creux de sa paume sur le coeur pour saluer et remercier la Dame. Quelque chose lui plaisait en elle. La fragilité apparente de la gardienne du Pacifique Nord lui montrait que l'on se doit de dépasser les faiblesses humaines pour se transcender. Elle ressemblait à ces fleurs prêtes à s'envoler dans le firmament pour porter les coups les plus efficaces. L'Hippocampe était le cheval des mers et voilà que Morvac'h avait conduit à elle sa représentation dans ce monde. Coïncidence ? Ahès ne savait pas vraiment quoi penser... Mais le fait de voir ressentir toute la beauté de ce cosmos chaleureux lui rendit un peu confiance. Ce n'était pas son point fort il est vrai, elle qui préférait toujours se mettre en arrière des conflits et évitait comme la peste les joutes viriles des Hommes. Oui, elle était d'un Monde plus policée et elle allait devoir apprendre, à l'instar de la belle Théodora, à faire preuve d'autorité pour aller de l'avant.



Après ce léger moment de flottement, Ahès baissa la tête pour ressentir les Ondes et elle leva sa main pour jouer dans l'air iodé. Chacun de ses doigts dansaient avec élégance avec les sérénades de son monde si silencieux. Elle prit alors la main de la Dame pour laisser filer son cosmos dans les plis de sa peau. Une chaleur douce remonta le bras du Général en quelques secondes et une voix résonna faiblement dans son esprit. Comme un son à peine audible et chanté, cette voix semblait inspirer des mots dans les pensées de la jeune Théodora. Elle ne comprenait pas pourquoi mais la Salamandre lui parlait avec l'aide de la sororité des Ecailles.


" Je serai à la hauteur de cette confiance,
Je dépasserai le commun des mortels,
Pour répondre au plus beau des appels,
J'espère que vous accepterez cette confidence,

J'ai été si seule que j'ai fui,
Prisonnière d'une assommante harmonie,
J'espère renaître pour être à la hauteur,
En veillant à ne plus mettre la toge de la peur.

Aujourd'hui, il est temps de connaître l'essentiel,
Pour ne pas aller vers les voix du blasphème,
C'est un chemin si simple et si personnel,
Mais, je frissonne que mon Ecaille soit Blême. "

Chaque vers était une note dans les tympans de l'Hippocampe. Elle entendait pour la première fois le monde de la Salamandre, un monde de musique et d'harmonie. La voix de la nouvelle Marinas était limpide et claire comme le ruissellement de l'eau sur les roches des plages. Fugacement, l'éphémère de la voix s'éteignit. Ahès avait posé la main sur la poitrine de son Ecaille pour l'écouter, pour entendre la douleur qu'elle avait connu avec son ancienne protectrice. D'un geste plein de tendresse, elle réconforta son arme pour la réconforter, oui, elle ne l'abandonnerait pas. Levant les yeux, elle attendit les réponses de son Mentor.

Adossée à un pan du temple, Théodora est témoin muette de ce lien qui perdurera jusqu'à la mort. Bien que présente, l'Hippocampe ne violait en rien l'intimité d'Ahès, ce qu'il se passait n'était pas perceptible par la vue ou quelconque autre sens, cette union transcendait l'aspect physique. L'instant fut bref mais cela avait du être intense pour elle, elle fit révérence à Llyr et se retourna afin de contempler celle qui lui avait permise l'accès au Temple aux multiples écailles. Ainsi c'était la salamandre, l'écaille souillée. Intéressant, elle devrait être forte pour polir l'écaille.

La douce Générale entrouvrit la bouche lorsqu'une mélopée envahit son esprit. C'était suffisamment étonnant pour laisser la jeune femme s'exprimer sans l'interrompre. Ainsi c'était une élégante poésie qui construisait ses pensées ? Intéressant. Mais au-delà de la forme, c'était le fond qui importait, un fond sans détour : elle se dévoilait comme une fleure à l'arrivée du printemps. Cette pensée fit sourire l'Hippocampe se rappelant qu'elle devait la vie à une fleure capable de percer la neige. Doucement, Théodora s'approcha d'Ahès. Une fois à sa hauteur, elle leva le bras tout en captant son regard, s'assurant que ce geste ne vêtisse pas la nouvelle Salamandre de la "toge de la peur". Tout aussi gracieusement, la Gardienne du Pacifique Nord fit retomber son bras pour déposer à nouveau sa main sur la tête de son interlocutrice.

- Je l'accepte. Ici tu es l'une des nôtres, ton rôle est de protéger Llyr. Ce dernier a déclaré la guerre à Athéna donc tu l'aideras dans sa quête guerrière. Mais je doute que ta volonté réside en le sang et la souffrance. Tu es comme moi, tu es une pacifiste convaincue, n'est-ce pas ? L'autre rôle des Marinas est bien plus grand et transcende les générations : la défense des Sept Piliers. Je suis donc l'Hippocampe mon rôle est de protéger le Pilier du Pacifique Nord. Ma vie n'a que peu d'importance par rapport à lui, je la céderai volontiers pour sa protection. Si nous venions à être attaqué, je devrai prendre les armes même si cela ne m'enchante guère. Tu dois aussi t'y résoudre. J'aimerais dans un premier temps que tu puisses observer tout les Piliers et leur Gardien. Après quoi, j'aimerais que tu reviennes me voir car je suis convaincue que c'est au coté de l'Hippocampe que la Salamandre renaîtra.

La main descendit sur son épaule, toujours présente et réconfortante. C'était un devoir de montrer à Ahès que sa présence ici était désirée. Mais elle ne pouvait ignorer le funeste destin de la Salamandre, Théodora devait lui annoncer ce qui avait été fait bien que l'écaille lui aurait sûrement déjà confiée. De sa main libre, Théodora désigna son propre cœur, le fait qu'il soit meurtrit n'avait pas d'importance en ce jour.

- La Salamandre a été pourfendue ici, au niveau du cœur, un coup net et mortel. Cela peut arriver à tout chevalier, j'en conviens mais ce qui s'est passé ne devrait plus jamais à avoir lieu. Cependant je ne réfute pas le choix du Légat. En effet, la personne ayant terrassée l'ancienne Salamandre est Orphéus.

Ahès avait bien sûr ressentit cela, couvrant son cœur comme si la douleur d'antan était sienne. Lorsque Théodora avait récupéré l'Hippocampe, l'effet avait été similaire, à ceci près que la personne affligée était connue. En ce jour, Ahès soufrait pour l'armure, pas pour Côme. Laver l'honneur de la Salamandre serait long et douloureux, essentiellement aux yeux des Généraux. La nouvelle génération n'avait simplement pas eu vent de ce qui c'était passé.

Mais certains de ces mêmes généraux étaient plus ouverts que d'autres et l'écaille ne peut être réellement purifiée, crées par la Sainte volonté de Llyr, seuls l'éphémère porteur pouvait porter le poids de ses actes et en ce jour nouveau, Ahès ne portait aucun fardeau et Théodora comptait bien l'aider à faire comprendre à tous que la Salamandre était plus resplendissante que jamais.