Vous convient-il que je vous raconte, en quelle manière, de quelle sorte m'est avenue ma rencontre avec Nova ? N'en déplaise à Monsieur, mais j'ai toujours considéré les tortues comme l'un des animaux, sinon le premier, des plus ridicules. Et son hôte ne rattrape pas leur notoriété. Quand le Légat m'a intimé, après m'avoir recruté, de trouver assistance auprès du porteur de l'écaille de la tortue, ô combien me suis-je dit que ceci ne présentait que piètre intérêt, que je m'enlisais indubitablement dans un gouffre d'amertume, à la seule idée que je doive demeurer des heures durant devant une écaille sourde et muette, dont il faudrait percer à jour les mystères afin qu'un quelconque signe de vie ne surgisse, sous l'égide d'une ganache négligée, comme un visage d'air maussade se déterrant d'un abîme de morne sommeil, pour m'enseigner deux conneries de mauvais pédagogue. Tandis que l'élu de Poséidon me quittait, me laissant seul, cruel et sans scrupule qu'il était (un vrai connard oui ! non mais quel accueil !), j'imaginais déjà le sombre avenir que me réservait notre sanctuaire sous-marin. A peine arrivais-je que j'avais toutes les bonnes raisons de me plaindre, à la faveur de quoi je me découvrais inopinément une tendance à l'immobilisme exacerbé.

Je ne voulais pas le voir, ce Marinas. Qu'est-ce que j'en avais à faire, moi, de ce grotesque personnage ? Je dirais même plus : qu'est-ce que je m'en battais les noises de Poséidon ? Désormais, puisque j'avais des pouvoirs, j'étais heureux, et j'avais toutes les bonnes raisons de me contenter de satisfaire mon propre et seul plaisir ! Je n'avais plus qu'à m'en retourner parmi ces insectes d'humains, à mettre à feu et à sang quelque village reculé, à violer leur filles et massacrer leurs vieux pour jouir de mes fantasmes ! Ca, c'est du futur grandiose ! Quel destin, quel pied !
Demeurait un problème : durant tout le trajet vers les fins fonds de l'océan, omnibulé par une peur viscérale de l'eau, j'ai du clore mes yeux. Tant et si bien que je n'avais aucune idée des itinéraires pour voyager hors du Sanctuaire. Ca, c'était bien embêtant. En l'absence non pas de moyens mais de méthodes pour déguerpir de là, je dus me résoudre à y résider pour un moment. Autant faire la rencontre, donc, de la métaphore animale de la pistache (n'est-il pas ? pas certain au reste que la pistache soit connue à cette époque mais je m'en balance !). D'ailleurs, je me posais la question de savoir si la tortue était bonne une fois sa carapace brisée (et puis, je doute que ce soit aussi dur que de déguster une pistache...).

Je m'en allais donc, brave, fier, sans savoir où me diriger, mais avec la ferme intention d'aboutir quelque part, où que ce fusse, tant que je trouvais quelque chose. Et c'est ainsi que, vous devinez...

Le cas du « Grand Balthazar » était disons…épineux. Irritant pour en dire le moins. Rapidement, le jeune homme avait porté sur les nerfs du colosse à l’époque. Nova regardait le jeune arrivé tout recouvert de son armure alors que lui-même, supervisant des mouvements de troupe se trouvait resplendissant dans son armure verte au sommet de la colline. Sentant approcher l’inconnu, il lui jeta un coup d’œil curieux quelques instants avant qu’il ne déguerpisse aussi vite de son esprit. Bras croisé, visage fermé, il était aussi durs d’apparence que la carapace de son animal tutélaire. Malheureusement, le jeune homme ne semblait pas décider à partir malgré son ennui ferme dont son visage laissait dévoiler les sentiments. Sans se retourner, ses yeux toujours aussi braqué sur ses élèves militaires, il prit la parole le premier.

-Perdu marina ?

« Balthazar premier du nom » comme se plaisait à dires les mauvaises langues derrières son dos. Assez fier de lui, surfait disait d’autres. Qu’en était-il vraiment, peu le savait. Pour Nova, le jeune homme devint vite une épine dans le pied. Le genre qui donne envie de passer à des leçons d’éducation drastique. Le genre à coups de poings dans le nez. Le colosse saurait plus tard qu’Orpheus envoyait lui-même le marina de la raie manta. Cadeau sympa du légat mais logique au vue du récent recrutement du jeune homme brun, il était à Nova de lui donner les bases ou au moins jugé s’ils les avaient ou non. Le marina de la tortue le regarda d’un air plus critique de haut en bas et inversement. Peu était les gens venant le chercher durant les heures d’entrainements des armées de Poséidon. Des amis, ils en avaient peu et connaissait le caractère du colosse, le laissant seul à ses manœuvres dans ses cas-là. Les autres étaient soit trop occupé pour venir taper la discussion soit en train de faire les dit-manœuvre. Le petit bonhomme était donc une énigme pour l’instant.

-Et quel est ton nom ?

Tourné d’un quart vers le visiteur, Nova n’avait pas décroisé ses bras. Jambes solidement planté dans le sol, il était le roc dans la marée, durs, intraitable, résistant aux assauts et depuis quelques semaines, instructeur des armées de Poséidon. Plus bas, un barouf d’enfer empêchait de comprendre un seul mot distinct même soufflé aux creux de l’oreille. Sur la colline, un silence presque complet, laissait les deux personnes libre de discuter comme bon leur voudrait. Le colosse en armure se présenta sans délaisser son regard sévère sur le jeune homme.

-Je suis Nova de la Tortue, marina de Poséidon et instructeur de ses soldats. Quelle est la raison de ta venue marina ?

Spoiler:

Nova resta de marbre aux première paroles du marina à ses côtés, aux secondes un petit sourire pointa difficilement sur ses lèvres. Il hésitait entre courage et stupidité quand à cet individu mais aucun doutes qu’il aimait vivre dangereusement Haussant la voix sans pour autant monter sur des grands airs, pas besoin de crier, ni de se faire entendre des jeunes gens plus bas, il prit de nouveau la parole comme s’il parlait de la pluie et du beau temps.

-En voilà une entrée en matière particulière. On cherche à se punir soi-même ?

Visiblement Balthazar aimait se faire lyncher ou peut-être était-il un autre fou avide de sang. Des gens difficilement fréquentable mais des chiens malheureusement efficaces aux combats. Pour autant, au vu de sa jeunesse, seul un esprit rebelle, n’ayant que peu connu l’horreur de la guerre devait probablement s’appliquer à sa mentalité affichée. D’un coup de menton proéminent, le colosse désigna les soldats en formation dont un bon quart s’était arrêté suite aux paroles de la raie manta.

-Tu as la langue bien pendue et ces hommes se feront un plaisir de te l’arracher si tu continues comme ça. Ho, je ne laisserais pas les choses dégénéré trop loin, juste assez pour calmer leurs honneurs bafoués.

Nova continuait de son ton calme. Ces mots n’étaient en rien une menace juste une simple énonciation des faits qui arriverait incessamment sous peu. Il décroisa les bras pour pointer un autre colosse dans les rangs. Celui-ci faisait partie d’un bataillon s’entrainant aux combats rapprochés. Il mettait une hargne toute particulière à terrasser ses adversaires.

-Tu ne sembles pas être un grand partisan d’Orpheus. Tu n’es pas le seul d’ailleurs. Je te conseille le grand brun là-bas si un jour tu aimerais faire rouler cette tête que tu estimes absente au légat. Enfin… si Ménostéas ne meurt pas avant.

Le grand brun venait de se faire sécher par un de ses compagnons d’entrainement. Il simple coup à la gorge qui lui avait coupé la respiration avant qu’un genou de vienne briser son nez. Nova avait le regard fixé sur l’affrontement tout en discutant avec le jeune homme à ses côtés. Il n’en détourna la tête que pour regarder, sourire supérieur sur les lèvres l’individu qui semblait si confiant.

-Surtout ne te méprend pas. Tu es libre d’aller faire valoir tes opinions aux légats par le point comme par la parole. N’hésites pas à le critiquez sur ses plans sans queue ni tête. Il se pourrait même que tu ne meurs pas à la fin de ton discours. Je ne te le garantis pas par contre pour cette dernière partie.

Les yeux du colosse évaluaient le jeune homme, essayant de saisir le moindre indice gestuelle trahissant ses pensées. D’un vague geste de la main il indiqua aux hommes plus bas de continuer leurs manœuvres sous la direction de plusieurs lieutenant.

-Saches que tu es tombé sur la mauvaise personne pour ta langue agile. Je ne suis ni manœuvrable par les flatteries, ni par les insultes. Tout ce qui m’intéresse, ce sont les capacités militaires pour servir Neptune. Physique comme mental. Maintenant dis-moi, quels seraient tes « grandes idées » pour remplacer celle d’Orpheus…

Si l’intonation de la voix laissait transparaitre le peu d‘espoir qu’une grande gueule comme le tatoué demi-portion propose de réelles avancés, Nova c’était laissé tenter à lui donner au moins une chance. Après-tout, les plus intéressantes des grandes gueules sont celle qui peuvent assurer derrière.

Vraisemblablement, Nova désirait mettre un point d'honneur à afficher sa ferveur envers le Légat dont il sollicitait chez ses élèves l'assiduité la plus parfaite d'une dévotion démesurée. Sans même faire un pas de travers mais en sachant mal déguiser sa personnalité, l'autre fut passé à tabac sans qu'aucun vice de procédure ne soit admis. Une punition simple et expéditive de ce travers persistant, qui ne déclencha pas même une grimace sur le faciès du porteur de la scale de la tortue. Le marina demeurait grave, austère, tolérant sans ciller le sacrifice de cet homme dont l'attitude invoquait une sentence sans appel, une justice arbitraire et irrévocable. Nous n'étions donc pas en notre plein droit de contestation : bien qu'imbriqués dans le corps d'armée de Poséidon, il n'était nullement permis de vouloir manifester une quelconque hardiesse caractérielle en le dénigrant, car ceci inspirait une réponse immédiate et très clairement hostile, voire impitoyable. Telle était la politique de Nova : un régime despotique bien loin de la république idéale de Platon.

Pauvre fut son sort, tout autre serait le mien. Ayant d'ores et déjà été élu par ma scale, et possédant par ce favoritisme (certes injuste mais plutôt cool) un droit d'entrer vers les sommets de la hiérarchie militaire via une haie d'honneur, je considérais que la piètre perte d'un soldat de cet acabit n'était en rien comparable au vide probable que laisserait mon absence. Je m'affirmais ceci comme une manière de mettre en exergue mon importance, mais je me gardais cependant de faire valoir ma pensée après avoir provoqué un courroux si intempestif. Profitant de l'évacuation funèbre de ce triste Ménostéas, dont le nom me soutenait dans l'idée selon laquelle les grecs trouvent leurs appellations élégantes en fonction de ce que leur articulation est imprononçable, je réfléchissais à ce que je pourrais rétorquer à Nova. A vrai dire, je n'avais pas préparé de discours au préalable, et je n'aurais su trouver quoi corriger dans la gestion des marinas, puisqu'en fait je n'y connaissais rien. Seulement, plutôt que de rester coi devant ce ténor, je m'évertuais à trouver le défaut adéquat, simplement par plaisir de controverse. Simplement pour lui casser les couilles.

Eh bien... si Monseigneur le Légat d'ô grandiose Messire Poséidon s'occupait déjà lui-même de la formation de ses hommes plutôt que de laisser cette tâche à l'un de ses sous-fifres, j'ose croire que nous ferions une belle avancée dans cette politique de confiance qui semble tant remise en cause par vos hommes. Cependant, il semblerait qu'il soit trop occupé à jouer du pipeau. Croyez-vous qu'il s'intéresse à vous, simples pions sur l'échiquier ? Pensez-vous que votre piètre importance soit à la mesure de l'intérêt qu'il porte au solfège ?

Moi-même je n'en savais rien, pour aveu. Mais il s'agissait de la seule accusation qui me fusse venue à l'esprit.