Depuis la réunion, Kyara n'avait plus bougé de son pilier. Elle n'en avait pas besoin. Orpheus avait perdu sa place, tout ce qu'elle aurait à en retenir. Son armure était désormais portée par un successeur choisit par la réincarnation de Poséidon en personne. Quelqu'un de qui nous n'avions jamais entendu parler. Morokeï et son jumeau dont la jeune femme ne s'était pas donnée la peine de chercher à apprendre le nom. Scylla n'avait pas porté une immense attention à toute cette mascarade. Si elle avait un temps apprécié Orpheus, elle ne l'avait plus porté en son cœur depuis leur escarmouche aux portes du sanctuaire d'Athéna.
Ses doutes s'étaient multipliés depuis. Elle n'était toujours pas convaincue que cette vie que Poséidon leur avait offerte n'était au final pas forcément une bonne chose. La mort aurait peut-être été plus clémente que la servitude... Et pour quel sort, lorsque même le plus représentatif parmi eux tous, un Légat, pouvait du jour au lendemain passer d'une victoire dans une bataille capitale à... ça ! Ce qu'elle avait vu ce jour là l'incitait même de plus en plus à se désolidariser des autres...
Y avait-il des chances pour qu'elle redevienne un jour un bon et loyal soldat ? De plus en plus improbable. Il n'en restait pas moins qu'à ce jour, elle ne comptait pas cesser tout bonnement ses activités. Le strict nécessaire pour que sa place soit assurée, mais elle ne prendrait pas d'initiative. C'était un peu sa résolution du moment. Et compte tenu de ce qu'il se passait, valait mieux se mettre un peu à l'abri n'est-il pas ? L'exécrable Kraken que Kyara avait croisée à la porte d'orichalque avait perdu la vie, tout comme l'Hippocampe. Deux personnes que la générale du Pacifique Sud n'appréciait pas. Elle ne pleurerait donc pas ces pertes. Mais voilà de nouveau deux généraux de moins. Il ne faisait pas bon prendre trop de risques...
De risques, il ne devrait pas y en avoir avec la visite qu'elle recevait. Du moins, c'était ce qu'elle en estimait. La Murène n'était pas classée dans la manne profonde des êtres sur qui Kyara ne vouerait aucune attention. Elle souhaitait toujours veiller sur son jeune frère. Elle ne souhaitait pas abandonner son élève, ayant développé une certaine affection pour Nymphéa. En dehors de cela, très peu de gens ici pourraient se prévaloir de la sympathie de la porteuse de Scylla. Ekydena était l'une de ces rares personnes. Même si une seule et unique rencontre ne pouvait pas faire une profonde amitié, il n'en restait pas moins que ses intentions étaient bonnes en ce qui concernait celle qui s'approchait de son pilier.
Assise en tailleur contre ce dernier, elle se releva d'un mouvement élégant pour l'accueillir.

Sois la bienvenue ici, Ekydena. Il est certes dommage que je n'aie pas pu te recevoir plus tôt, mais quoi de plus normal alors que nous sommes tous tellement occupés dernièrement ? L'important est que tu ne m'aies pas oublié !

Elle lui accorda un sourire, tout en pensant en elle-même qu'elle n'en avait certainement pas fait autant qu'elle le prétendait ces derniers temps. Ce serait même plutôt le contraire, elle n'avait pas cherché à faire grand chose... Aucune intervention lors des deux conflits opposant Poséidon à Odin. Aucun vrai combat depuis un bon moment. L'on ne pouvait pas prendre en considération l'opposition qu'elle avait eu avec Théodora. Rien de plus qu'une perte de temps face à une personne qu'elle n'appréciait pas. Mais cette personne était précisément le mentor de la Murène. Si sa perte devait attrister quelqu'un, ce devait être elle, expliquant pourquoi une certaine nostalgie prenait place sur son visage. Elle devait sans doute avoir besoin d'en parler. Pour autant, Kyara n'amènerait pas le sujet d'elle-même...

Dois-je prendre cette visite comme de simple courtoisie ? Ou bien peut-être que je puis quelque chose pour toi... N'hésite pas à m'en faire part si c'est le cas...

Citation :

Repos (Full PV)

La réponse d'Ekydena lui fit plaisir. Après tout, cela restait important de garder et nouer des liens avec d'autres personnes. Cela lui permettrait de ne pas totalement se détacher de la réalité, ce qui la pousserait inexorablement à commettre de graves erreurs. Ce qu'elle ne pouvait bien entendu pas se permettre. Elle s'approcha alors de la Murène qui venait de s'asseoir, mais n'en fit pas de même. La jeune calabraise se contenta de rester à ses côtés, l'oreille attentive et prête à l'écouter. Et ce fut une bonne chose qu'elle ne s'installe pas, car Ekydena se releva d'un bond avant de lui parler. Ce qui vint l'étonna alors. Elle lui fit l'aveu de rechercher auprès d'elle un peu de réconfort, suite à ce qu'il lui était arrivé récemment. Et si elle comprenait que la perte de son mentor - même si elle-même ne portait pas Théodora dans son coeur - puisse l'affecter à ce point, elle ne comprenait pas réellement en quoi le fait que sa scale soit devenue d'un rang plus élevé pouvait lui causer du tort. Elle lui posa alors une main sur l'épaule. Laissa quelques secondes de silence passer le temps de choisir ses mots. Un maigre sourire avant de lui donner sa réponse.

Et bien... je me dois d'être franche avec toi ! Je te le dois bien, après que tu sois parvenue à te livrer ainsi à moi. Je dois t'avouer que je n'appréciais pas particulièrement Théodora. Cependant, comme tu le sais, je comprends ce que représente ce genre de perte. Mon mentor a disparu également, me laissant la scale que je porte désormais. Et je pense qu'il est fier de moi... tout comme Théodora doit être fière, là où elle se trouve, que son élève ait pu progresser assez à son contact que pour bénéficier d'une promotion.

Son sourire se traça plus clairement. Son regard rose se faisait parfaitement compatissant.

C'est sous cet angle là qu'il faut le voir ! Nombreux sont ceux qui ont disparu depuis que j'ai intégré l'armée de Poséidon. Nous sommes au beau milieu d'une guerre après tout... Il faut juste... tâcher d'oublier ceux dont le souvenir ne nous apporte rien. Et garder en notre coeur les bons aspects... Que ces gens qui ont été important pour nous puissent nous prêter leur force dans les moments difficiles. Rire des bons souvenirs et non simplement pleurer leur perte... C'est ce qu'ils préféreraient. C'est ce que Théodora voudrait, j'en suis certaine !
Et autre chose... ne t'avise plus jamais de prétendre que tu puisses me déranger ! Si tu as besoin de moi, je serai toujours là pour toi... Compris ?

Enfin... si toutefois elle ne subissait pas le sort de tant d'autres avant elle. La mort les guettait tous, et plus encore celle qui ne désirait plus servir Poséidon... Mais tant qu'elle serait en vie, Ekydena pourrait compter sur elle.

Il y a une chose que je ne comprends pas cependant. Pourquoi cette promotion sème-t-elle le trouble en toi ? Tu devrais être fière que Poséidon reconnaisse ton talent et fasse de toi quelqu'un de plus puissant encore... non ?

Ah, oui... cette fierté, elle avait pu la ressentir lorsque Scylla l'avait recouverte. Depuis, cette sensation était bien loin... Depuis, elle assimilait à situation à celle d'une esclave, devant suivre les ordres ou mourir. Est-ce qu'elle aussi souhaitait retrouver plus de liberté ? Cela expliquerait peut-être pourquoi Ekydena se sentait troublée. Pourtant, elle n'y croyait pas réellement... Enfin, la seule manière de la savoir serait d'écouter ce que la Murène aurait à répondre...

Oui, je comprends... c'est en effet ainsi qu'elle était. Aussi droite qu'entêtée...

Et particulièrement sévère également, de ce que Kyara avait pu en voir. Théodora était ce genre de personne. Dommage que la Scylla ait été si perturbée lors de leur première rencontre, sinon elles auraient peut-être pu s'entendre. Mais... avec des si... Il n'était cependant plus nécessaire d'y repenser. Ce qui était fait ne pouvait être défait, surtout lorsque la mort était venue s'en charger. La question n'avait donc même plus lieu de se poser, voilà tout. La Générale s'assit alors aux côtés de la Murène, le regard oscillant entre ses yeux et ses lèvres tout comme elle évoquait ses sentiments suite à sa promotion, expliquant ce pourquoi elle s'était sentie troublée. Et en effet, désormais elle comprenait mieux. Elle venait d'acquérir de nouveaux pouvoirs et devait seule apprendre à les maîtriser. Le décès de son mentor tombait au plus mauvais moment, précisément là où Ekydena aurait eu grand besoin d'elle. Kyara se trouvait tout de même heureuse que ce soit vers elle qu'elle se soit tourné : cela indiquait clairement une marque de confiance qui lui faisait chaud au coeur.
Puis... quelque chose se passa. Quoi exactement, elle ne parvint pas à réellement mettre le doigt dessus. Les yeux dans les yeux, deux ou trois secondes de flottement s'étaient alors placées, sans aucune des deux jeunes femmes ne cherche à briser le silence. Puis Ekydena secoua la tête, les replongeant toutes deux dans la réalité. Ce regard intense qu'elles venaient de se lancer n'était sans doute pas parfaitement innocent... Était-ce parce qu'elles avaient le coeur troublé et qu'elles voyaient ainsi en l'autre un reflet de ce qu'elles pouvaient ressentir ? Cela peut sans doute créer des sentiments forts...
Sans chercher plus loin à élucider ce qu'elle venait de ressentir, Kyara poussa un court soupir pour se ressaisir parfaitement à son tour. Puis même poussa jusqu'à se redresser sur ses jambes et s'écarter, casser un peu cette intimité dans laquelle elles s'étaient plongées.

Je pense que je peux t'aider, oui... La meilleure méthode pour appréhender ses capacités a toujours été la pratique. Cela fait longtemps que je ne me suis plus exercée, cela tombe donc magnifiquement bien.
Alors... allons-y ! Je te laisse l'honneur et l'avantage de la première charge !

Ses pas l'avaient éloigné de quelques mètres, où elle venait de prendre sa position de combat sur cette dernière phrase. Plus que le simple désir de l'entraîner, elle savait aussi que cela lui permettrait de se changer les idées. De ne plus penser à la disparition de Théodora et à son trouble. Une manière de se concentrer sur autre chose qui serait peut-être salutaire.

Ekydena ne se fit pas prier plus longtemps. Après s'être mise en position, elle avait donné l'assaut. Cependant Kyara l'attendait de pied ferme et comptait bien ne pas se faire toucher. Elle s'était toujours vantée d'être la plus rapide des Généraux de Poséidon, et même en l'occasion d'un simple entraînement, un test à l'attention de la Murène, la calabraise comptait bien prouver que cette réputation n'était pas usurpée. Ses esquives étaient rapides, faisant presque paraître l'échange entre les deux femmes pour une espèce de ballet, une danse gracieuse dans laquelle elles ne se frôlaient même pas. Et la première chose qu'elle vint à se dire, c'était que la jeune femme qui lui faisait face n'y était pas totalement. Ses gestes manquaient de précision, ses coups n'atteignaient pas le contrôle qu'ils auraient dû. Effectivement, elle avait encore besoin de se jauger, de se tester, d'expérimenter ses pouvoirs. Et cela, la Murène en avait pleinement conscience apparemment, d'après les quelques mots dont elle lui faisait part.
Puis il y eut cette petite provocation, dans le geste de sa main l'intimant à approcher. Sans quitter sa posture de combat qu'elle venait d'adopter derechef après l'assaut, elle esquissa un léger sourire.

Tu veux que j'approche, hein ? Ne t'inquiète pas...

Son déplacement fut alors réalisé à une vitesse ahurissante. Un instant elle était là et... l'instant d'après elle se trouvait dans le dos d'Ekydena. Mais le coup ne survint pas immédiatement... Juste le temps de terminer sa phrase...

...je suis déjà là !

Elle frappa alors du pied droit, visant l'arrière de la tête de son opposante. Comme elle le lui avait réclamé, Kyara ne s'était pas montrée trop dure. Un simple coup de pied, en ayant pris le temps de prévenir qu'elle se trouvait là. Dans un réel combat, elle aurait frappé immédiatement, de ses plus puissantes arcanes. Blesser Ekydena n'était pas au programme, elle ne souhaitait en aucun cas lui faire de mal. La réciproque devait sans doute être vraie... Elle avait certes rapidement accordé sa confiance à la Murène, mais ne pensait pas devoir s'en mordre les doigts dans l'immédiat.

Le nouvel échange de coups ne fut pas de tout repos, contrairement au premier assaut. Ekydena semblait, comme elle le prétendait, apprendre vite. À croire qu'il lui fallait juste faire le premier pas, se dérouiller un petit peu pour apprivoiser ses nouveaux pouvoirs. Même si elle parvint à en esquiver la plupart, elle dû utiliser ses mains pour parer une bonne partie, et quelques coups étaient même parvenus à la toucher. Si elle avait acquis plus de pouvoir, c'était aussi parce qu'elle les méritait, parce qu'elle en était capable. Et elle le prouvait assez facilement. En vérité, Kyara n'estima même pas devoir lui apprendre quoi que ce soit. Elle n'aurait qu'à expérimenter ses pouvoirs plus avant pour en découvrir l'étendue. La déclaration de la Murène sonna même pour la générale de Scylla comme le moment parfait pour une pause, voir même l'arrêt de cet affrontement amical.
S'étant écartée pour parer le dernier coup d'Ekydena, Kyara s'en approchait maintenant lentement, se refaisant souriante. Elle n'avait plus envie de garder son masque. Elle souhaitait pouvoir dire à quelqu'un ce qu'elle avait sur le coeur, au lieu de simplement hocher du chef pour marquer son accord alors qu'elle-même souhaitait se soustraire à l'influence de Poséidon. Lorsqu'elle fut arrivée devant elle, sans le moindre signe d'agressivité, elle l'a pris alors dans ses bras. Sa main droite alla se poser à l'arrière du crâne de la jeune femme pour l'attirer à elle, et pouvoir lui murmurer ce qu'elle désirait lui dire à l'oreille.

Il y a des choses que je ne peux pas laisser dire plus longtemps... Poséidon ne nous aime pas ! Pourquoi aurait-il laissé mourir tant d'entre nous alors ? Si sa puissance est si colossale, pourquoi tant d'entre nous devons-nous mourir sans qu'il ne bouge jamais le petit doigt ? C'est moi qui ai trouvé son incarnation, moi qui l'ai ramené ici... Et je n'ai pourtant vu aucun changement ! Qu'attend-il ? Que nous périssions tous sous son commandement lointain ?
Ekydena... je ne veux plus me soumettre à son bon vouloir. Nous ne sommes pas des serviteurs, mais juste des esclaves ! Je vais partir... Je vais récupérer ma liberté ! Je veux pouvoir revivre avec le soleil au dessus de nos têtes au lieu de toute cette eau. Être une femme et non un soldat, fonder une famille au lieu de me destiner à mourir dans un combat qui nous dépasse tous...

Pourquoi se livrait-elle avec autant de franchise ? Elle devait avoir réellement besoin de s'épancher. Ekydena était donc la seule et unique personne avec qui elle avait pu en parler. Elle n'avait pas désiré mêler son frère à cela, ce qui ne pourrait que lui nuire.
Elle poursuivit encore, lui racontant où elle souhaitait aller, et comment Ekydena pourrait la revoir si elle le désirait. Ce petit village de Calabre, dans lequel on l'avait sans doute oublié. Vivre là où son père reposait, simplement. Quelque part au fond d'elle, elle espérait sans doute qu'elle la rejoindrait. Qu'Ekydena viendrait avec elle, ne la laisserait pas tomber. Mais elle savait que ce n'était qu'un vain espoir. Que ses doutes quant à son service auprès de leur Dieu ne devaient pas être partagés sans doute, vu l'avis qu'elles venaient d'en donner à tour de rôle. Puis l'étreinte s'arrêta alors. En la libérant de ses bras, Kyara lui déposa un baiser sur la joue en guise d'au revoir. Elle ne souhaitait pas que ce soit un adieu. La pâle sourire qu'elle lui adressa alors voulait dire tant de choses... Qu'elle était désolée de l'avoir mêlée à ça en lui avouant ses plans. Qu'elle était désolée de la laisser alors qu'elle lui avait juré d'être toujours là pour elle. Elle le pensait toujours cependant. Ce n'était pas pour rien qu'elle lui avait dit où elle pourrait la trouver.
Puis elle s'éloigna, tournant le dos à contre-coeur. Elle ne voulait pas encaisser la réponse qui pourrait venir. Elle ne voulait pas voir en ses yeux ce qu'elle en pensait. C'était déjà assez difficile ainsi...