Cela faisait trois jours à présent que j’étais arrivé à Constantinople par voie maritime. Trois jours que j’arpentais les rues de La Magnifique, qui avait vu naître le beau Narcisse. Car telle était la raison qui m’avait poussé à venir jusqu’ici : le fait que feu mon maître – et amour impossible – soit né dans cette ville. En vérité, j’avais rapidement découvert que l’ancienne Byzance faisait un berceau idéal, parfait pour Narcisse. Elle était à la fois si belle, sage et en même temps si mystérieuse et inaccessible !

Ce soir-là, comme les deux soirs précédents, j’avais choisi d’aller faire profiter au peuple – dont la culture n’avait rien à envier à celle des Athéniens – de mes talents, et en me présentant comme un artiste itinérant - ce qui n’était pas vraiment un mensonge, j’animai la soirée de quelques braves gens, jouant de mon instrument divin au sein d’une petite auberge. Naturellement, mes airs étaient tristes, et tous, d’une façon ou d’une autre, évoquaient le beau Narcisse. D’ailleurs, tout en ma tenue attestait de mon deuil : j’avais choisi, pour ce voyage, de revêtir une tenue très similaire à celles que mon maître aux cheveux d’émeraude avait portée lorsqu’il était en deuil. Une tenue faite de la plus sombre des soies, et finement brodée d’or. Encore une façon de rappeler à ceux qui pouvaient comprendre la signification de ma tenue à quel point je pouvais tenir à Narcisse…

Même si, généralement, les soudards qui fréquentent les auberges ne sont pas du genre à apprécier la musique, et encore moins les airs mélancolique desquels je les abreuvais depuis le début de la soirée, le caractère quasi-divin de ma musique avait su les conquérir sans mal – après tout, en plus de mon immense talent avec cet instrument, la Lyre que j’utilisais était celle qui appartenait à l’armure de la Lyre – que je portais, au cas où, dissimulée sous mes vêtements – et qui, en ce monde, produisait assurément le plus pur des sons.

Pour le dernier air que j’allais jouer, je choisis d’offrir à mon auditoire un petit aperçu de mes talents de chanteur également. Ils n’avaient rien, ou presque, à envier à mes dons de musicien. Juste avant, surtout pour moi-même, je déclarai solennellement :

- Puisse le fier et beau Narcisse entendre mon chant depuis l’au-delà…

Lorsque la chanson prit fin, mon visage était transformé. La trace laissée par les larmes qui avaient coulé pendant une bonne partie de ma chanson était bien visible sur mes joues, mais je m’aperçus bientôt que je n’avais pas été le seul à pleurer. Mon chant avait pris aux tripes nombre des individus qui se trouvaient là. Ils pleuraient, sans même savoir pourquoi… Etait-ce là la force d’un vrai artiste ? Difficile à déterminer. Quoiqu’il en soit, j’en avais terminé pour ce soir.

- Je vous remercie…

Et, sans plus de cérémonie, je m’éclipsai discrètement, prenant le chemin des portes de la ville, que j’eus tôt fait d’atteindre. Les gardes me jetèrent un regard suspicieux, mais pourquoi m’empêcher de sortir ? Je pus passer sans encombre et m’éloigner quelque peu de la ville. De là, j’improvisai un petit champ en friche, dont l’herbe n’était encore pas bien haute, et me laissai tomber sur le dos pour regarder la voûte céleste. Il ne me fallut pas très longtemps pour retrouver la constellation du Capricorne, sur laquelle je fixai mon regard.

- Narcisse, merci de m’avoir permis de continuer à vivre… je t’honorerai toute ma vie, et ma mort ne sera pas un obstacle à la transmission de ta légende, j’en fais le serment.

J’étais là depuis une bonne dizaine de minutes - ou était-ce plus ? – et des larmes commençaient encore une fois à perler sur mes joues lorsqu’il me sembla percevoir une présence cosmique non loin de moi. Ce fut fugace, trop peut-être, et je plaçai cela sur le compte de mon terrible état émotionnel. Je devais délirer, voilà tout…

Malheureusement, j’eus tôt fait de découvrir qu’il ne s’agissait pas d’une impression trompeuse. Quelques minutes après seulement, alors que je venais encore d’adresser une prière à Narcisse, une jeune femme fit son apparition, qui en guise de salut, se moqua de moi ouvertement et fort méchamment. Qui était-elle donc ? De quoi se mêlait-elle ? Elle semblait être une sorte de monstre prenant un malin et vicieux plaisir à remuer le couteau dans la plaie qui béait dans mon cœur depuis que Narcisse était tombé. La voix tremblante, je lui répondis :

- Cela… cela ne vous regarde pas !

J’étais encore sur le point de fondre en larmes. Pourquoi diable venait-elle m’importuner ? Malheureusement piur moi, je découvris bientôt la réponse, lorsqu’elle dégaina un poignard pour m’en menacer et me promettre à une mort prochaine. C’est alors que je commençai à sentir l’aura cosmique qui l’environnait, signe que, d’une façon ou d’une autre, elle possédait un cosmos conséquent. La touche de bestialité qui ressortait de son aura me fit penser à celle du borgne qui, lors de l’attaque du Sanctuaire, n’avait que peu apprécié la subtile manipulation que je lui avais infligée. Se pouvait-il qu’elle soit à la solde d’Arès ?

- Non, je –

Je n’eus même pas le temps de terminer ma phrase qu’elle fondait déjà sur moi, et son allure était à présent celle d’un prédateur prêt à tout pour venir à bout de sa proie. J’étais cette proie… Et je ne voulais définitivement pas le battre ! Mais il semblait que le choix ne m’était pas laissé.

Au moment où elle s’élança, un grand fracas retentit, et, le temps que j’en détermine l’origine, elle était déjà sur moi. Son poignard fendit l’air et le bond en arrière que je fis ne me permit pas d’échapper totalement à son assaut. Ma tunique de deuil fut partiellement déchirée au niveau de mon torse, et une estafilade sanglante fut tracée par la lame de l’arme sur mon abdomen. Un pan du tissu de mon vêtement, ayant perdu une partie de ses attaches, pendait à présent mollement, dévoilant les reflets argentés de mon armure. Si elle avait soupçonné que je puisse être un élu divin, désormais, elle pourrait en être sûre.

Je ne voulais pas me battre, mais je refusais de me laisser abattre par une créature de sons espère sans rien dire. D’après ses dires, elle combattait aux côtés de la Panthère – encore une similitude avec ce Tigre. Ma main se porta donc à mon instrument, et ma dextre se mit alors à en pincer les cordes avec virtuosité. Au bout de quelques secondes, mon aura cosmique violacée si caractéristique m’enveloppait, referment lentement mes blessures, tandis qu’Euterpe, la muse de la musique, ma favorite parmi toutes, apparaissait à mes côtés – et bien qu’elle ne soit en réalité qu’une image créée par mon cosmos, cela ne l’empêcha pas de me jeter un regard triste avant de commencer à pincer les cordes de son propre instrument.

Son air, associé au mien, saurait perturber durablement l’esprit de la femme vraisemblablement folle qui se tenait face à moi – peut-être suffisamment pour la dissuader de combattre.

- Vous pouvez m’appeler Oréstis, si vous le désirez. Mais par pitié, cessez cela… ce combat n’a pas le moindre sens !

C’est alors que se produisit quelque chose de totalement inattendu. Dans les cieux, un éclat doré attira mon attention. N’était-ce pas un œil du Capricorne que je venais de voir luire ? Levant les yeux au ciel, je fus surpris de constater que la constellation du Capricorne semblait luire d’un éclat largement supérieur à toutes ses voisines. Délirais-je, ou était-ce réel ? Difficile à déterminer. Mais bientôt, l’éclat doré que j’avais aperçu sembla se renforcer, et gagner en taille. Ce n’était pas l’œil du Capricorne, en fin de compte, on aurait plutôt dit qu’une étoile s’était détachée – littéralement – de la constellation, et qu’elle fondait à présent droit sur la terre. Droit sur l’endroit où je me trouvais, plus précisément. Que cela signifiait-il ?

L’étoile à l’aura dorée semblait grossir et se rapprocher à vue d’œil, se rapprochant toujours plus de ma position – et de celle de la Panthère, située non loin de moi. Et bientôt, elle s’écrasa au sol avec fracas, libérant une puissante onde de choc qui me propulsa violemment au sol. Mes yeux s’étaient alors fermés, comme pour me permettre de mieux encaisser la violence du choc. Et je fus abasourdi lorsque je les ouvris à nouveau. Une intense lueur dorée m’éblouit tout d’abord pendant de longues secondes, puis je pus progressivement distinguer une silhouette… une silhouette que je connaissais bien. Devant moi, le Capricorne se dressait, fièrement, étincelant, et nimbé d’une puissante aura dorée. Mais qui pouvait bien le porter ? La lueur dorée que la Gold Cloth émettait était bien trop intense pour que je puisse le déterminer. Mais au fond de moi, je savais qui se tenait face à moi.

M’approchant timidement de l’armure, subjugué, mais sans pour autant oublier la présence toujours menaçante de la Panthère non loin de là, je ne tardai pas à n’être plus qu’à quelques pas de l’armure mythique. Sur mes joues, de grosses larmes roulaient. Tendant timidement ma main vers l’endroit où aurait dû se trouver le visage du porteur de l’armure, je mimai l’action de le caresser doucement tout en murmurant :

- Narcisse…

Toujours ébloui et dans l’incompréhension face à l’étrange spectacle de l’armure d’or de feu mon maître se présentant à moi, je fus brusquement ramené à la réalité par la folle qui avait l’air d’avoir très envie de me couper en tranches, et qui, vociférant à mon encontre, fit éclater la bulle de cet instant si étrange et magique, hors du temps.

Mais dans l’état de trouble dans lequel je me trouvais avait altéré mes perceptions. Ainsi, quand je croyais que la Panthère venait de s’adresser à moi, cela faisait en réalité plusieurs longues secondes qu’elle l’avait fait. Et le temps que je me retourne pour lui faire face à nouveau, écartant à regret mon regard de cette armure d’Or tant chérie, elle était déjà sur moi. Je ne pus qu’écarquiller les yeux tandis que cette terrible scène se présentait à moi. Je pouvais voir l’étincelle de folie dans les yeux de la femme ; je pouvais voir son désir de tuer ; je pouvais voir sa pleine conscience de mon impuissance. C’était terminé, en toute vraisemblance. En désespoir de cause, je levai mollement mes bras pour les placer en croix devant mon visage, tout en sachant bien que cet acte serait vain. Et puis la lame s’abattit, et je n’eus que le temps de voir une silhouette de flammes en jaillir – non, pas des flammes, pas encore… je ne voulais pas vivre encore une fois ce que l’immonde Cardinale m’avait fait subir ! Narcisse, oh, Narcisse, aide-moi, je t’en conjure !

Il semble que l’on délire profondément lorsque l’on voit sa mort approcher, inéluctablement. Cela est probablement encore plus vrai lorsque l’on est déjà au fond du gouffre, moralement parlant, à ce moment-là. Mais mon destin n’était pas de mourir ici, et j’allais le découvrir dans un instant…



Une puissante onde de choc me projeta au sol, balayant sans peine mes jambes flageolantes et vides de toute énergie. Mais je n’avais subi aucune brûlure ni blessure, j’avais simplement été soufflé par le contrecoup de l’assaut. Comme si quelqu’un, quelque chose, l’avait arrêté. Toujours plein d’angoisse et de peur, j’ouvris les yeux craintivement, me demandant s’il ne s’agissait pas là d’un stratagème particulièrement vicieux de la Panthère qui, souhaitant s’amuser encore un peu avec sa proie, voudrait me laisser croire que j’avais encore une chance d’en réchapper.

La vérité était toute autre. Car la Gold Cloth se tenait à présent fièrement entre la femme et moi, luisant toujours de la même aura dorée et presque aveuglante. C’était grâce à elle que j’étais encore en vie : elle venait d’encaisser sans grand mal l’assaut combiné de la Panthère et de Vitany, me permettant de m’en sortir indemne. Mais qu’est-ce que ça signifiait ? Se pouvait-il que ma prière n’ait pas été vaine ? Que Narcisse m’ait véritablement sauvé en cet instant ? Si c’était le cas, je ne pouvais décemment pas rester simplement à terre et attendre que cette folle vienne prendre ma tête.

Empli d’une énergie et d’une volonté nouvelles, je me relevai prestement, et, portant aussitôt les doigts à mon instrument, entamai un nouvel air tandis que je répondais – enfin – à Vitany.

- Tu as raison… tu ne me laisses pas le choix. Je vais donc devoir me battre.

J’interrompis un instant mon air tandis qu’une image cosmique d’Erato apparaissait non loin de Vitany et se dirigeait vers elle le plus lascivement du monde. Pointant mon doigt en direction de l’armure d’or, j’expliquai à mon adversaire :

- Toutes ces choses dépassent peut-être ton entendement… mais vois. Narcisse en personne est venu me sauver. Il veut que je me batte, et il a raison. Il n’est pas écrit que ma vie doit se terminer aujourd’hui !

Erato n’était à présent plus qu’à quelques mètres de la jeune femme. Saurait-elle résister à la douce et sensuelle étreinte de ma muse ? Saurait-elle échapper au terrible baiser qui lui aspirerait implacablement cosmos et odorat, la handicapant durablement pour la suite des événements ? Rien n’était moins sûr.

Mais c’est à ce moment précis qu’un nouvel événement des plus inattendus survint –encore un ! Brusquement, sans que j’en comprenne la raison, mon armure de la Lyre se détacha lentement de mon corps. D’abord les épaulières, le plastron, les jambières… et enfin, on instrument chéri s’échappa de mes mains pour aller achever le totem de mon armure d’argent. Eperdu, je cherchais un sens à ce spectacle mais n’en trouvais aucun. Pourquoi Athéna me privait-elle de mon armure, quand un armure d’or venait de sauver ma vie et que j’étais au beau milieu d’un affrontement contre une servante de l’un de ses ennemis ?

J’étais sur le point de succomber de nouveau au désespoir lorsque l’aura d’or du Capricorne redoubla brusquement d’intensité, avant que celle-ci ne se scinde en ses multiples parties… qui convergèrent soudain vers moi, et se fixèrent une à une sur mon corps.

Alors, je tombai à genoux, mon esprit ne pouvait en toute vraisemblance pas supporter l’intense pression cosmique exercée par la Gold Cloth. J’étais incapable de réfléchir, de penser même. En moi affluaient tant de sentiments incompréhensibles, tant de pensées qui m’étaient étrangères. Et puis cette lumière… une lumière intense semblait déchirer mon être et mon esprit, gagnant sans cesse en force jusqu’à ce que ce soit trop pur moi. Alors je crois que je tombai dans les affres de l’inconscience…

Je me réveillai brutalement, pour à nouveau subir de plein fouet l’intense lumière spirituelle qui semblait se déverser en moi, et qui me terrassa à nouveau – quoiqu’elle me semblât légèrement plus supportable qu’elle ne l’avait été juste après que l’armure m’ait recouverte. Puis une intense douleur au niveau du bras me ramena très fugacement à la réalité. La folle s’en prenait toujours à moi, et venait de m’enfoncer son poignard dans le bras…

Lorsque je vis cela, j’aurais voulu ressentir du dépit, voire de la tristesse, mais j’étais toujours trop affaibli, et mon esprit toujours trop écrasé par l’aura de l’armure pour qu’une telle pensée puisse me parvenir. Au lieu de cela, je ressentis une intense colère qui semblait provenir de l’armure du Capricorne. De toute évidence, les actes de la femme étaient loin de ravir la Gold Cloth. Guidé par sa volonté, je me relevai, comme une marionnette malhabile. Pour l’heure, incapable d’exprimer la moindre volonté et de faire le moindre geste, je n’étais qu’un simple pantin intégralement contrôlé par l’armure. Bien que je tente toujours tant bien que mal de retrouver mon intégrité spirituelle.

Il me sembla que la colère du Capricorne augmentait encore d’un cran, puis son aura – mon aura – dorée explosa, gagnant en intensité, et réduisant du même coup à néant les particules toxiques que la femme assoiffée de sang avait instillées dans mon sang. Et, comme un écho à cette explosion, ce fut cette fois mon propre cosmos qui explosa, atteignant des sommets avant de se mettre à fluctuer d’une façon totalement erratique, incontrôlée. Je ressentais de la panique, mais étais incapable de pousser mes pensées plus avant…

Alors, je crus voir les cordes du totem constitué par les fragments réunis de l’armure d’argent de la Lyre vibrer, pour libérer à nouveau une douce mélodie – une mélodie que je reconnaissais ! malgré l’état lamentable dans lequel se trouvait mon esprit, je la savais porteuse d’espoir – pour moi et mes alliés, tout au moins. Car bientôt, tout autour de moi, apparurent mes muses, qui m’avaient bien servi lorsque je portais l’armure de la Lyre. Et lorsqu’elles furent toutes là, elles entonnèrent leur chant funeste…

Dès que le chant parvint à mes oreilles, il me sembla que la pression spirituelle exercée par la Gold Cloth baissa subitement, me laissant enfin la possibilité de réfléchir – encore de manière toute relative, mais c’était mieux que rien. Les secondes passèrent, le chant paru toujours plus puissant, et je sus que d’ici quelques instants, le cosmos de la jeune femme allait s’échapper violemment de son corps, tandis qu’un autre de ses sens lui serait inéluctablement subtilisé. Il fallait qu’elle se rende à l’évidence : elle avait choisi une mauvaise proie à chasser. Car l’apparition de l’armure du Capricorne à mes côtés avait été l’événement déterminant dans ce combat.

Retrouvant finalement à peu près ma capacité de réflexion tandis que je m’habituais au rayonnement conjoint de mon armure et de mon âme, je pris alors conscience de ce qui venait vraiment de se passer.

Le Capricorne m’avait choisi.

Puis de ce que cela impliquait. J’étais destiné à être le successeur de Narcisse. Je serais le nouveau chevalier du Capricorne… non ! Je l’étais déjà ! Je repensai alors à une légende antique, que l’on m’avait contée lors de mon entraînement pour devenir Saint. Il était dit que lorsque le porteur d’une armure venait à mourir, son âme y restait à tout jamais accrochée. Etait-il possible qu’alors mon âme soit désormais plus proche que jamais de celle de Narcisse ? Qu’en revêtissant cette armure, j’aie retrouvé feu mon maître ?

Je voulais croire en cette histoire, et surtout la vérifier. Mais pour cela, il fallait que je jouisse du calme le plus grand, afin de pouvoir méditer pour entrer réellement en condition avec ma nouvelle Cloth. Et avec cette hystérique qui voulait à tout prix me trancher la gorge, cela s’annonçait difficile.

A nouveau, je crus ressentir une bouffée de violence provenant de l’armure d’Or, m’invitant à l’attaquer sauvagement pour la mettre à terre. Mais ne voulais pas m’y résoudre – et ignorais même si, dans mon état, j’en étais encore capable. Et puis je voulais accorder une chance à cette femme, malgré tout ce qu’elle pouvait être. Peut-être avait-elle maintenant réalisé l’erreur qu’elle avait commise en m’attaquant… c’est haletant que je m’exprimai, toujours sous le choc de la pression physique et mentale que m’imposait le Capricorne.

- Le vois-tu, désormais ? Tu t’es attaquée à quelque chose de trop gros pour toi, aujourd’hui… Pars. Ne te retourne pas. Je ne te poursuivrai pas.

Même si je m’étais attendu à la réponse négative de la jeune femme à mon invitation à décamper, j’avais tout de même entretenu l’espoir qu’elle retrouve – au moins de manière fugace – la raison, afin que je puisse communier tranquillement avec mon armure sans être dérangé. De toute évidence, les dieux avaient d’autres choix pour nous. Le message était des plus clairs : si je désirais obtenir la tranquillité que je briguais tant, je devrais forcer mon adversaire à mettre le genou à terre.

Et en réalité, c’était presque déjà fait. Les attaques de la Lyre avaient épuisé les ressources de la jeune femme, je le savais. Que pourrait-elle faire quand tout son cosmos se serait échappé de son corps ? Rien, assurément. Elle serait condamnée à subir mes coups jusqu’à céder. Et même si mon armure avait changé, je répugnais toujours autant à lever la main de manière directe sur quelqu’un, même si il s’agissait de mon ennemi. Et pourtant, je le sentais, c’était ce que désirait le Capricorne. Ce que désirait Narcisse…

C’est la surprise qui me frappa lorsque la Panthère revint à la charge. Ainsi, je m’étais trompé : il lui restait encore des ressources – infimes, je le sentais – mais suffisantes pour se battre. Ou du moins pour se donner l’illusion qu’elle était encore capable de faire quelque chose contre moi. Car tout ceci était vain. J’étais vêtu d’or, désormais.

A nouveau donc, le tonnerre retentit, détournant mon attention une infime seconde. Ce fut le temps qu’il lui fallut pour être sur moi, et si je pus éviter les coups de poings qu’elle me lança, son coup d’épée, elle, transperça douloureusement mon bras, y créant une nouvelle entaille sanguinolente. Elle m’avait blessé, oui… mais déjà, l’aura dorée du Capricorne refermait mes blessures.

A ses propos et son attitude, j’avais bien compris que Vitany tirait un plaisir malsain de notre affrontement. Ainsi, malgré moi, je jouais son jeu ? C’était regrettable. Et pourtant, je n’avais pas vraiment le choix. Mais comment trouverais-je la force de lever la main sur elle ?

Ce fut le Capricorne qui m’apporta la réponse. Soudain, il me sembla devenir – redevenir – la marionnette de mon armure. Mon corps bougeait indépendamment de ma volonté… et à une vitesse surréaliste. En une fraction de seconde à peine, je fus sur elle, et mon bras, lancé, la main bien à plat, dans l’abdomen de la jeune femme, devait avoir un pouvoir pénétrant largement supérieur à celui d’une épée. Je fermai les yeux au moment de l’impact, incapable de supporter ce que j’allais faire – même si c’était malgré moi.

Puis, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le Capricorne, dans un nouvel éclair de lumière dorée, me remit hors de portée de la jeune femme, et il me sembla que je recouvrais l’usage de mes membres. Alors, d’un air triste, je déclarai :

- Ce n’est pas le but… me battre avec toi ici – te battre – ne rime à rien. Tu n’es qu’une pauvre jeune femme perdue, qui cherche à noyer ses douleurs passées dans le sang, c’est bien ça ? Tu crois réellement que de cette façon, tu pourras résoudre tes problèmes ? à moins que ce ne soit qu’un moyen de les dissimuler...

Je vrillai alors mon regard dans le sien, tandis que la pression de mon aura cosmique se faisait largement plus intense, et que je réitérais ma proposition :

- Ce que j’ai dit tient toujours. Va-t’en ! Fuis moi, fuis les monstres qui te tiennent lieu de maîtres. Installe-toi dans un village, trouve un mari digne et fonde une famille. Cela vaudra mieux pour tout le monde.

Mon regard s’assombrit lorsque la jeune femme s’exprima à nouveau. J’avais voulu lui laisser une chance, encore une fois. J’avais voulu lui faire prendre conscience qu’il ne tenait qu’à elle d’échapper à l’horrible vie qui semblait être la sienne. Mais maintenant, il fallait bien que je me rende à l’évidence : à l’image de l’odieuse Cardinale qui m’avait infligé tant de blessures, elle n’était qu’un horrible monstre assoiffé de sang, et même Athéna ne pourrait peut-être pas faire quelque chose pour elle. Un cas désespéré ; une aberration de la nature, un être dénué de sentiments et ne vivant que pour le meurtre. Le genre d’individus que les Saints exécraient, la gangrène de ce monde. Et désormais, plus que jamais, je devais être de ceux qui purifieraient ce monde de cette engeance. Je prenais enfin conscience que leur laisser la moindre chance était totalement vain, tant ces êtres immondes étaient corrompus.

Tandis que ces pensées – étaient-elles uniquement miennes, ou m’étaient-elles insufflées, sans même que j’en aie conscience, par le Capricorne ? – affluaient en mon esprit, mon âme fut à nouveau déchirée par un éclat lumineux d’une intensité sans pareille et, encore une fois, je me retrouvai projeté au sol, à genoux et complètement sonné et aveuglé. Que cela signifiait-il ? L’armure d’Or me rejetait-elle pour avoir eu de telles pensées haineuses à l’égard de la jeune femme ? Ou était-ce simplement un contrecoup dû au fait que je ne portais cette armure que depuis quelques minutes ? Ce n’était pas impossible. Après tout, au vu de l’intense pression que j’avais ressentie de prime abord, lorsque l’armure m’avait recouvert, j’aurais bien dû me douter que tout ne se passerait pas pour le mieux, qu’il me faudrait un certain temps d’adaptation. A présent, j’en faisais les frais…

Et c’est ce moment que la jeune femme choisit pour attaquer. Car si j’avais efficacement bridé son cosmos, ses capacités physiques n’étaient pas en reste. Complètement aveuglé et incapable de la sentir arriver, je pris son solide coup de plein fouet, et fus projeté au sol – sur le dos, cette fois -, faisant une douloureuse glissade de quelques secondes dans la poussière. Tandis que l’éclat qui vrillait mon âme se résorbait peu à peu, me laissant reprendre pleinement contrôle de mon corps, je réalisai alors que malgré tous les soins prodigués par l’armure du Capricorne, j’avais été bien plus blessé au cours de cet affrontement que ce que j’aurais cru. Tout mon corps était parcouru d’élancements douloureux ; les blessures que la lame de la Panthère avait ouvertes en différents endroits de mon corps, quoique légèrement refermées, saignaient toujours abondamment. Ma posture était fâcheuse, en vérité. Mais c’était sans compter sur l’armure d’Or que je portais désormais…

Sans crier gare, le Capricorne déchaîna sa puissance – ma puissance. Mon cosmos s’échappait de mon corps, fluctuant de manière totalement imprévisible et semblant altérer toute chose autour de moi. Je ne savais pas ce qui se passait, mais l’immonde servante d’Arès ne trouverait certainement pas ça à son goût. Essoufflé par ce déchaînement qui, s’il employait mon énergie, n’était pas réellement de mon fait, je pris malgré tout la parole :

- Le plus sauvage, brutal et haineux, sûrement. Mais comment peux-tu le qualifier de plus puissant lorsque seule une poignée d’hommes a commis l’erreur de l’adorer ? Athéna a largement plus de fidèles, et c’est pour une bonne raison. Elle ne condamne pas ses hommes à sombrer dans la violence : elle veut leur offrir le savoir et la paix. Et je suis l’un de ses bras, désormais, et je peux le voir : si Pallas peut accorder le pardon, elle n’en sait pas moins quand tout espoir de sauver un individu a disparu…

En vérité, malgré mon discours enflammé, je n’en menais pas large. Peut-être que cette immonde femme aurait raison de moi, en ces lieux. Quelle ironie ! A peine sacré chevalier d’Or par la force des choses, je pourrais trouver l’échec, voir la mort ? Alors que, quelques minutes avant, j’avais émis le désir de voir la mort m’emporter, j’étais désormais animé d’un profond désir de vivre. Cela ne pouvait pas se terminer ainsi.

Quelles que soient les sombres convictions auxquelles la jeune femme s’accroche, elle devait bien avoir compris que c’était terminé pour elle. J’avais eu tort de craindre la défaite, finalement. Le Capricorne était à mes côtés, et il avait beau me mettre à l’épreuve en éprouvant ma résistance mentale, il ne m’en laisserait pas moins mettre le genou à terre face à une servante de l’immonde Arès.

Finalement, les fluctuations erratiques du cosmos d’Oréstis cessèrent et il l’entoura bientôt, formant une intense aura dorée autour de lui, qui éclipsait complètement, en cette nuit étoilée, la faible clarté de la lune. La majesté du jeune hmme était alors impressionnante, mais naturellement, digne de son nouveau statut de Chevalier d’Or. Si la tristesse marquait toujours ses traits, sa grande beauté semblait comme rehaussée par le port de l’armure. Si elle était le reflet de la beauté de son âme, alors celle-ci était quasiment parfaite…

Oréstis ne bougea pas lorsque, animée par un nouveau sursaut de sauvagerie, la femme assoiffée de sang fondit sur lui, non sans avoir au préalable vociféré comme une diablesse. L’acte était totalement vain aux yeux du nouveau Capricorne, mais cela ne l’étonnait guère, venant d’un individu tel que la jeune femme qui avait eu le tort de vouloir faire de lui sa proie. Son pied fut lancé, mais la puissance du coup était moindre. Evidemment. Elle faisait les frais du travail de sape auquel le jeune homme s’était attelé – bon gré, mal gré – depuis le début de cet affrontement. Elle qui avait perdu l’usage de son cosmos, voilà qu’elle était aussi au bord de la rupture, physiquement.

Sans mal, j’interceptai le coup qui visait mon ventre, interposant mes brassards d’or. Le métal tinta tandis que le gros du choc était absorbé par l’armure d’or. Puis je plantai mon regard triste dans celui de la guerrière d’Arès.

- Athéna aime ses serviteurs et ne vit que pour offrir un meilleur futur aux hommes, quels qu’ils soient. Cela serait peut-être déjà arrivé, s’il n’y avait des êtres tels que toi qui ne rêvaient que de guerre et de sang, s’empressant de croire aux promesses apocalyptiques d’un dieu aux idéaux tourmentés et indignes de son rang…

Dans un éclair d’or, je disparus pour me retrouver dans le dos de la jeune femme.

- Et puis ce n’est pas par les armes que tu prouveras au peuple que ton dieu vaut mieux que les autres. Apporte-lui paix, feu, pain et boisson, et tu verras qu’il t’adorera bien plus que si tu lui apportes guerre et armes.

La main vêtue d’Or du musicien s’éleva droit vers les cieux, comme s’il désignait la voûte céleste, invectivant directement les seigneurs de ce monde. Alors qu’il s’apprêtait à frapper, une vague de peur le reprit, qu’il éclipsa bien vite au profit d’une sollicitude mal placée compte tenu de la situation.

- Je ne prendrai pas ta vie, Vitany de la Panthère. Car il faut que tu vives. Que tu médites ces paroles. Et, quand le moment sera venu, que tu comprennes enfin qu’agir pour la paix est la seule chose à faire pour nous autres, élus divins.

Le Gold Saint ferma les yeux tandis que son bras s’abattait sur la jeune femme à une vitesse défiant l’imagination.

Malgré la vitesse et la précision du coup qu’Oréstis assena à la jeune femme, c’était trop peu pour la mettre hors-jeu. Hélas. Abhorrant la violence, le jeune homme semblait malheureusement condamné à rouer de coups la servante d’Arès qui, incapable de se défendre réellement, ne se dressait pas moins toujours debout face à lui, une lueur de défi dans l’œil, et continuant à déblatérer ses absurdités, comme pour justifier l’immonde soif de sang qui l’habitait. Mais aux yeux du musicien, de tels propos n’avaient pas la moindre valeur. Il en vint même à regretter – fugacement – que la Lyre l’ait quitté : avec son aide, il aurait pu empêcher cette idiote de parler. Cela lui aurait permis d’éviter tout ce qu’elle disait et avait encore à dire…

- Crois ce que tu veux, monstre.

Encore une fois, un éclair de lumière l’emporta, et en moins de temps qu’il n’en fait pour le dire, le Gold Saint réapparut sur un côté de la jeune femme.

- Raconte-toi donc des histoires stupides pour te justifier ta haine des autres. Elles ne sont que la preuve de ma victoire sur toi. La preuve que quelque chose en toi rejette ce que tu es devenue. La preuve qu’il reste une trace – fût-elle infime – de lumière en toi !

A nouveau, la main gantée d’Or s’abattit telle une épée sur la jeune femme. L’épée de la Justice, aux yeux d’Oréstis ; on racontait d’ailleurs que la légendaire épée Excalibur résidait dans l’armure du Capricorne. Mais le musicien n’en sentait pas la moindre trace. Se pouvait-il qu’elle ait disparu avec Narcisse dans les enfers ? Le jeune homme espérait que non, mais ce ne serait de toute façon pas ça qui ferait la différence dans l’affrontement présent.

Tant de lassitude, d’ennui. Un combat paraissant interminable entre deux guerriers prêts à défendre bec et ongles leurs intérêts et surtout ceux de leurs dieux respectifs. De nombreux mots envoyés. Et pourtant, comme l’avait bien dit la guerrière aux cheveux noir d’ébène, tout cela devenait futile. Chacun des deux savait où ça les mènerait : la servante de la guerre tomberait ; le serviteur d’Athéna, bras armé de la Justice désormais, remporterait la victoire. Tout aurait été tellement plus simple pour Oréstis si la femme avait simplement reconnu sa défaite…

Toujours une lueur triste dans les yeux, il les posa une dernière fois sur Vitany. Qu’est-ce qui pouvait bien la motiver à combattre – ou plutôt à rester là, subissant les coups du Capricorne comme un vulgaire sac de frappe ? SI c’était un quelconque honneur ou une obscure volonté guerrière qui l’animait, alors c’était vraiment futile. Et ridicule. Mais le musicien n’y pouvait rien. Un souffle quitta sa bouche :

- Abandonne…

Puis un éclair de lumière le rapprocha de la jeune femme. Et à nouveau, son bras s’abattit, implacable malgré ses réticences.

La jeune femme semblait toujours convaincue que sa défaite était un coup du sort, et qu’en d’autres circonstances, elle aurait balayé le chevalier d’Athéna. Il était vrai qu’il s’était vu offrir une armure d’Or au cours de l’affrontement, ce qui probablement largement influencé l’issue du combat dans le sens d’une victoire. Mais tout de même… maintenant qu’Oréstis était un chevalier d’Or, quelles étaient les chances de la jeune femme de l’emporter si d’aventure elle se retrouvait à nouveau face au musicien ? Bien faibles, évidemment. Malgré ce qu’elle semblait croire.

- Je n’ai pas besoin de tes promesses. Je n’ai pas besoin que tu te « rattrapes ». De toute façon, cela n’arrivera pas. Si nous nous rencontrons à nouveau, la Justice l’emportera. Encore une fois.

Inutile d’en dire plus. Pour la dernière fois, Oréstis disparut, rapide comme la lumière, pour réapparaître en un clin d’œil vers Vitany. Devant elle, cette fois-ci. Et, pour la dernière fois, son bras ganté d’or s’abattit sur la jeune femme.

- Souviens-toi de ce que je t’ai dit. Les valeurs de ton dieu son corrompues…

Balivernes sur balivernes, Vitany n'y croyait pas, en son Dieu de miséricorde. Mais elle respectait son dévouement, tout comme elle à des idées qu'elle savait justes. Justes pour chacun d'eux, quand bien même elles étaient différentes. Elle accueillie alors l'ultime coup comme elle se le devait. Aucune garde, aucune défense, elle lui ouvrit tout simplement ses bras. Ce combat avait sans doute été le plus long de toute sa vie, et elle avait appris que la force pure n'était pas toujours la meilleure solution, mais elle ne doutait pas pour autant de ses capacités, elle savait que son Dieu ne l'avait pas choisis pour rien. Elle avait juste encore à apprendre. Elle n'était qu'une novice après tout. Avant qu'Orestis ne la touche, elle lui murmura simplement;

_ Merci.

Grâce à ce combat, elle avait appris des choses, elle avait mine de rien acquis aussi de l'expérience, et pour cela, même si elle ne soutenait pas ses paroles, elle se devait de le remercier. Le jour ou Ares aura prit les pleins pouvoirs, elle saura se montrer clémente avec lui. Elle ne doutait clairement pas en ces capacités là, fière comme un coq. Enfin, ses deux genoux trouvèrent le sol, ainsi que son corps tout entier. Elle était épuisée, très épuisée, mais elle souriait. C'était sa façon à elle de vivre. Vivre ou mourir, tel était son adage.

Citation :

Merci pour ce combat. Franch'ment je suis contente qu'il ai duré aussi longtemps dans un sens, combat épic. Mais j'avoue qu'à la longue. Si un jour t'es partant pour un autre - KO -