Le sable d'Egypte crissait sous mes pieds tandis que je prenais la direction des auras que m'avait indiqué de suivre Frozia de la Famine. Être laissé sur le carreau en ce qui concernait l'attaque des Saints en faveur du babysitting des Marinas n'était pas pour me plaire, mais je faisais contre mauvaise fortune bon cœur : si mes comparses ne réussissaient pas à les arrêter, je m'occuperais de leurs restes. C'était sur cette pensée que j'avais fait voile vers les hommes de Poséidon. Leur énergie, puissante, annonçait un groupe conséquent, dans la forme comme dans le fond. J'avais conscience qu'ils étaient mes alliés, par la volonté de nos dirigeants respectifs, mais j'étais loin de penser qu'une telle alliance serait éternelle. Deux factions dominantes ne pouvaient avoir toujours les mêmes idéaux, et il était illusoire de penser que l'un céderait à l'autre ses intérêts pour maintenir une paix fragile. Dans ces conditions, me donner un avant-goût de mes futurs ennemis ne serait qu'un bonus pour la suite.

Jusqu'ici, tout allait bien... Alors pourquoi chacun de mes pas, pourtant orienté sans équivoque vers les Marinas, me semblait être exécuté dans la mauvaise direction. Ma raison était intacte, mais mes tripes ne l'étaient pas. Dans mon estomac, un nœud se formait qui ne cessait de me répéter, encore et encore « demi-tour ». Avec un haussement d'épaules, je me fis la réflexion qu'il devait s'agir de l'appel du combat. En effet, jusqu'à ce jour, je n'avais jamais tourné le dos à un combat à venir. Savoir qu'à quelques lieues de moi allait se jouer une partie qui creuserait profondément l'animosité entre les Saints et les Berserker, et aller dans la direction opposée... Cela m'était sans doute insupportable, au-delà de mes appréhensions. Mais je pouvais me contenir, comme on contient une mauvaise habitude, comme on s'empêche de gratter une plaie. Je continuais à marcher vers l'aura encore lointaine des Marinas. Quelques heures seraient suffisantes pour les rejoindre. Sous le soleil implacable d'Egypte, dans le désert aride, je braquai mon esprit et mes pas sur ces guerriers aqueux.

Ce ne fut que deux heures plus tard que je pris conscience que quelque chose n'allait pas. Mon cap avait dévié. Pis, il avait été tout bonnement inversé. Les énergies Marinas provenaient de derrière moi. Comment était-ce possible ? Dans ce désert sans repère, j'avais lentement fait demi-tour, et sans doute ne m'en serais-je pas rendu compte si devant moi, une explosion de cosmos n'avait pas excité ma curiosité. Un cosmos qui était celui de la Cardinale. Mes pas m'avaient inconsciemment rappelés au combat qui se déroulait au loin, là où les Saints rencontraient la puissante Famine et ses subordonnés. Mon corps se tétanisa, et une sueur froide coula le long de ma colonne vertébrale. Que mes pulsions m'appellent là-bas était une chose. Que mon corps ne m'obéisse plus dans l'optique de les satisfaire en était une autre. J'avais la désagréable impression que quelque chose de plus grand que moi se jouait ici. D'un seul coup, le désert me parut menaçant, le soleil dangereux, et ma gorge s'assécha. Je portai ma gourde à mes lèvres, et en engloutis une gorgée, qui n'eut pas l'effet escompté.

Dans un mouvement qui me coûta, je fis volte-face, et repris la direction qui m'avait été attribuée. Il me faudrait forcer l'allure, si je voulais rejoindre les Marinas avant qu'ils ne trouvent la manifestation divine que nous étions venus chercher. Et je ne pouvais pas me permettre d'être en retard. S'il s'avérait que le corps d'Arès était en Egypte, je ne serais pas tranquille tant que je ne le saurais pas entre les mains d'un Berserk. Après tout, tel était peut-être l'occasion qu'attendaient les Marinas pour rompre notre alliance. Posséder un réceptacle de Dieu me semblait être une monnaie d'échange et de pressions éloquente. Ma gourde subit une fois de plus la ponction de mes lèvres, et ce fut en courant que je repris le chemin qui me mènerait aux Marinas. A l'exception que cette fois, mon attention ne quitterait pas un seul instant ma destination. On ne m'y reprendrait plus.