Le rythme lancinant de la mélodie la rendait particulièrement belle, ce soir.

Depuis son arrivée en Asgard, Volsung n'avait que peu trouvé la motivation de composer. Celle-ci était en train de lui revenir, encore fragile et vacillante. Les événements qui l'avaient rendu à sa solitude avaient fini par lui faire croire que persévérer dans cette voie n'était pas une si bonne idée. Que cette musique n'apporterait que le malheur à ceux qui l'entendraient. Que c'était par sa faute que cette folie avait été semée dans son sillage, et avait ensuite fait germer les fleurs du mal... Et pour fini, il avait choisi de l'ignorer. Si c'est par sa main que la souffrance devait être répandue, il n'avait aucune raison de s'y opposer. Car alors, cela voudrait dire que c'était le rôle qui avait été décidé pour lui, lui seul. Il était l'Ange. Il ne devait rien à la misère humaine. Si on l'avait désigné pour leur infliger d'ignobles tortures, il l'accepterait sans broncher. Ainsi, les fils d'argent de sa crinière s'élevaient au gré de ce vent d'hiver perpétuel, domptées par les cordes de sa lyre et les notes émises.

En jouer avec tant de facilité aurait fait mourir de jalousie nombre de barde des environs. Là où tous pinçaient les cordes pour en tirer un résultat fructueux, lui n'avait qu'à les effleurer, la force du cosmos guidant ses doigts... Et il pouvait alors en tirer ce troublant récital. Au milieu de ce champ de ruines, il était en sa demeure. Autrefois, ce lieu était un temple à la gloire de Fafnir, effondré lors du terrible Ragnarök qui avait secoué la blancheur irréelle de ces paysages. Depuis, personne ne s'était donné la peine de le remettre en état, et il s'en contentait parfaitement. Ces pans de murs avaient été témoin d'une histoire datant des temps mythologiques, et en s'y répercutant sa rhapsodie lui en narrait les contes et légendes. Une preuve de la décadence des hommes. Il était au-dessus de tout cela. Et c'est pourquoi on l'en avait éloigné en lui conférant un fragment d'essence divine.

Ce n'était qu'une petite parcelle du véritable pouvoir d'un dieu, une infinité de celui qui coulait dans les veines d'Odin et les siens. Mais c'était plus qu'il n'en faut pour légitimer son point de vue et les airs hautains qu'il n'avait de cesse de se donner. Le visage peint d'une tristesse presque poétique, Volsung s'obstinait à faire aller crescendo la musique émanant de ses blanches mains. Mais pas autant que sa tenue, qui lui permettait de se fondre dans ce décor où le froid régnait en maître et imposait à la terre sa domination. Puis soudain, le silence se fit, alors qu'il n'en avait pas terminé avec ce morceau pourtant de toute beauté. Ce domaine était son domaine, mais le périmètre qui le délimitait n'était à l'évidence pas une interdiction suffisante pour les importuns. Alors que tous s'en étaient tenus à l'écart pour respecter son voeu de solitude, voilà qu'un intrus était venu à l'enfreindre.

Que viens-tu faire ici ? Je n'ai pas souvenir de t'y avoir invité.

Yahahahaha ! T'es un marrant p'tit gars ! *nous tapâmes du poing sur notre torse avant de nous présenter* Je suis Jormund ! Dis, c'est normal que ta maison elle est toute pétée comme ça ? Toi aussi Haldor est venu te présenter sa famille ? Tu verrais le merdier qu'il a foutu dans mon volcan... Note, ça fait plus spacieux maintenant, mais quand même !

T'aurais pas un peu d'hydromel qu'on fasse un peu connaissance comme de vrais nordiques, hein ? Yahahaha !

Beta. Déjà peu amènes, les traits de Volsung se durcirent. Pour le peu qu'il avait pu en voir - et en entendre - en espionnant la récente réunion, il venait de faire l'une des rencontres qu'il aurait préféré éviter. Même s'il n'avait pas souvenir que sa voix ait été aussi rocailleuse à cette occasion, il n'y avait pas de doute à avoir. Ce n'est pas tous les jours qu'on croise un homme dont la moitié de la face a été brûlée. Sans doute un vis-à-vis qui n'aura pas supporté son humour peu commun, conclut-il en le voyant approcher. Sa chevelure n'était pas non plus des plus discrètes, mais il n'avait pas son mot à dire là-dessus, ayant vu le jour sous cette crinière d'opale qui le caractérisait encore ce jour. Haldor... Il connaissait ce nom pour l'avoir entendu au conseil, celui de l'Alpha s'il ne s'y trompait pas. Mais si en effet l'homme ne lui avait pas semblé des plus tendres, il doutait fort qu'il ait pour passe-temps de ravager les lieux dont ses confrères avaient la garde. En résumé, les propos de Sleipnir manquaient cruellement de cohérence, si bien qu'il cessa rapidement de chercher à en comprendre le sens. Il n'y en avait pas. Et ce sans se douter que son interlocuteur pouvait faire bien pire en la matière...

Je suis Volsung d'Eta et tu es ici chez moi. Je te demanderai d'éviter d'y entrer sans mon autorisation à l'avenir. En sus, ne connais pas ce Haldor. J'ai laissé cet endroit dans l'état où je l'ai trouvé. Et il restera ainsi jusqu'à ce que j'en décide autrement.

Soit jamais. Il n'avait aucun intérêt à vouloir reconstruire ce temple. S'il avait été détruit, ce devait être pour une bonne raison. Il lui convenait en l'état, offrant un abri bien suffisant. Et puis, son délabrement le rendait peu engageant et décourageait le tout-venant d'y mettre les pieds. Il restait encore bien des pans de murs susceptibles de s'effondrer, et un accident est si vite arrivé... Hélas, cela ne peut pas marcher à tous les coups, preuve en était faite avec l'intrusion de son homologue. Retombé dans le silence, il reprit son récital, sans se soucier de ce que son « invité » pouvait en penser. Et dire qu'en l'absence de la majorité des forces armées du royaume, c'était cet énergumène qui en avait les gardes. Il ne connaissait du Seer et de l'Alpha que ce qu'il en avait entendu après son arrivée tardive, c'était un fait.

Mais il avait peine à croire qu'on puisse confier une tâche aussi cruciale à un individu de ce calibre. Une raison de plus de ne pas vouloir se mêler à eux, constata-t-il en son for intérieur. À plus forte raison qu'il ne semblait pas être honteux de ses mensonges, étant allé jusqu'à se présenter sous un faux nom. Car si l'Ange avait omis celui grâce auquel on s'était adressé à lui lors de ce sommet, il aurait pu jurer que ce n'était pas Jormund. Peu recommandable. Et en plus, il avait l'audace de réclamer de la boisson. Le musicien l'aurait foudroyé sur place du regard s'il l'avait vu, mais préféra fermer les yeux au propre comme au figuré. Mieux valait le laisser se désintéresser de lui que de susciter un conflit. D'une main leste, il attrapa la flasque qui trônait à ses côtés. Cependant...

Je n'ai que de l'eau claire. Sers-toi si tel est ton désir, mais ne m'en demande pas plus. L'alcool est le vice des hommes, je suis au-dessus de tout ça. Et qu'est-ce que cette histoire de volcan ?

Le volume de la mélodie s'éleva d'un cran.

POOOOOOOOOOOY !

Une permission pour y rentrer, hein ? Héhé, permission pour rentrer dans quoi ? Y a qu'des trucs en pièces ici tsé ! Genre, j'suis sûr que si j'm'appuyais là...

Bah voilà, qu'est-ce que j'disais ! Tu t'es fait arnaquer sur la marchandise mon gars, ta baraque c'est la misère tsé ! Et pendant qu'toi t'en chies ici, bah l'Haldor qu'tu connais pas, y s'pavane dans un putain d'temple, genre la classe internationale s'tu vois c'que j'veux dire ! Tsé, on s'fout d'toi, c'est clair, tu d'vrais aller t'plaindre et fissa ! Déjà qu'on s'les gèle dans l'coin, alors vivre dans c'truc... 'fin c'toi qui voit, c'ta vie et chacun sa misère tsé, mais si tu fais rien c'sûr qu'ça va pas s'améliorer. C'comme un pêcheur que j'ai bien connu dans l'Ouest de la Gaule, y s'plaignait d'rien ram'ner d'ses pêches tsé, mais le gars y s'cassait même pas la tête à y aller tous les jours ou même à s'chercher d'meilleurs moyens d'se ramener d'la poiscaille ! Non, juste là à s'laisser vivre comme un clampin... Tsé, j'crois bien qu'il est mort depuis, et pourtant l'avait l'air bien plus robuste que toi ! Et toi pendant c'temps là tu t'bousilles les doigts sur ton machin là, à force de la frotter tu vas t'raper la main jusqu'à l'os tsé ! Et même pas un peu d'picole pour te réchauffer... Tu m'fais d'la peine, ouais, vraiment d'la peine tsé !

Et c't'histoire de volcan... C'est là où j'vis mon gars ! Même pas une petite bicoque, rien, c'est comme ça tsé ! Toi et moi, on est dans la même galère mon pote, on s'fout d'nous on nous r'filant les restes alors que d'autres vivent dans l'luxe. Alors levons-nous mon frère, allons scander notre rage de vivre dans cette injustice constante tsé ! Oui mon frère, levons l'poing pour faire flancher le népotisme infecte qui ravage ces contrées !

Bon, par contre, me d'mande pas c'que ça veut dire hein, j'ai entendu ça une fois d'un type qui gueulait dans les rues tsé, j'trouvais juste qu'ça sonnait bien, héhéhé !

Je me moque de quel temple cet individu peut bien habiter. Ce ne sont pas mes affaires. Ce lieu me convient parfaitement, au risque de te décevoir. Je préfère ça que de risquer de tomber dans la lave pour peu que je m'agite un peu trop dans mon sommeil. M'est avis que ce ne serait pas une grande perte, mais ce n'est que mon avis.

Je n'ai cure de tes histoires à dormir debout. Ceci est ma demeure et s'il me plait de t'en refuser l'accès, tu seras tenu d'y obéir. Et sache pour ta gouverne que je n'ai eu de cesse de pratiquer la musique sous toutes ses formes depuis ma plus tendre enfance. C'est grâce à elle que je suis ici aujourd'hui, et comme tu peux le voir mes mains sont toujours intactes. C'est bien aimable à toi de t'en soucier, mais je te serai gré de ne pas te mêler de ce qui dépasse ta capacité de compréhension. Je n'irai pas jusqu'à dire que je la trouve limitée, mais m'est avis que ce ne doit pas en être très éloigné.

Je vais être clair. Qu'a vu en toi le seigneur Odin pour faire de toi l'un des nôtres ?

Shishishishishi ! Ce qu'il a vu en moi ? Simplement ce que j'ai et que tu n'as pas !
Certains l'ont, d'autres pas, c'est ça ton problème. Et certainement nous ne venons pas de la même...

Tu ne trouves pas, n'est-ce pas ? C'est la classe mon ignorant ami, la classe ! Shishishi !

Mais je gage que cela ne te suffit point, n'est-il pas ? C'est sûr, il faut plusieurs coups de marteau pour faire rentrer un clou dans une tête de bois telle que la tienne, shishishi ! Je vais donc te donner dans ma grande amabilité un deuxième élément qui a fait tourner le regard d'Odin vers mon humble personne !

Il y a une autre raison dont il vaut mieux te méfier... Je suis un redoutable enfoiré !

Shishishi ! J'en ai une autre !
Personne ne m'aime et je le rend bien. Mais cela est justifié et me parler ne mène à rien.
Perdu dans mes ruines je me cache, et à qui me tendrait la main je montre les dents et crache.
Bien futile être je suis pourtant, mon intérêt s'approchant du néant...
Glissant des doigts sur une rappe mal accordée, mon arrogance me fera finir en steak grillé...
Qui suis-je ? Shishishishishi !

Le changement de voix attira l'attention de Volsung. Suspendant son geste, il se figea sur place, à l'affût du plus petit détail qui puisse le mettre sur la piste. Sa condition voulait qu'il ait l'oreille fine, aussi remarquait-il immédiatement le moindre changement dans les sonorités alentours. Et celui que venait d'opérer le timbre de son vis-à-vis n'était guère naturel, trop abrupt pour avoir été planifié. S'il pensait bien que Yzak devait avoir quelques carences mentales, il n'imaginait pas encore à quel point. Sa manière de s'exprimer avait changé radicalement d'une seconde à l'autre, si bien qu'on aurait cru une toute autre personne. Se sentirait-il obligé de mener une sorte de jeu de rôle ? Pensait-il faire croire qu'il n'était plus le même en changeant de caractère ? Si c'était un stratagème visant à se faire adopter, il était pour le moins déstabilisant. Fallait-il donc être sot pour croire que ces enfantillages feraient toute la différence.

Mais à l'évidence, il n'y avait là nulle volonté de sa part de se faire accepter – ou en tout cas, c'était peu probable dans la mesure où il venait d'attenter à sa vie. Repoussant son bras du sien, Eta n'eut droit qu'à une vilaine éraflure au niveau du visage. Son sang si précieux venait de couler, et cela équivalait de son point de vue à une déclaration de guerre. L'avis de tempête se déclara dans ses pupilles d'azur, dont il foudroyait Beta avec acharnement. Puisque ce dangereux malade tenait tant que cela à le mettre en colère, il allait lui donner satisfaction. Aussi ne pourrait-il pas venir se plaindre après avoir été déchiré par ses mélodies funèbres. Mesurant l'importance du flot en s'épongeant la joue d'un revers de la main, il ragea de voir le pourpre souiller la blancheur de sa tunique.

Tu ne manques pas de culot pour venir me défier sur mon propre territoire. Puisque tu as fait couler mon sang, j'obtiens le droit de te rendre la pareille. Que ce soit bien clair, tu ne repartiras pas d'ici avant que j'aie obtenu réparation... En garde, chevalier. Vends chèrement ta vie si tu y tiens, car je serai sans pitié.

Refusant de se mêler aux autres depuis le jour de son arrivée, Volsung n'avait souhaité entrer en conflit avec qui que ce soit. Mais l'opportunité de faire en sorte que l'actuel porteur de Sleipnir soit de l'histoire ancienne était trop alléchante pour qu'il s'en dispense. En ouvrant le bal, Yzak lui donnait un prétexte tout trouvé au cas où on lui reprocherait de lui avoir réglé son compte. Si cette entaille était le prix à payer pour avoir le droit de l'expulser de sa propriété, il l'arborerait fièrement. Ses doigts glissèrent sur les cordes avec une prestesse rare et le son qui s'en dégagea fut réverbéré par chaque pan de mur qu'abritait ce sanctuaire en ruines. Dans les airs se forma une boule noire, ténébreuse, gorgée du cosmos pourtant immaculé qui irradiait désormais de la silhouette de l'androgyne.

La cosmo-énergie était pour elle le plus faste des repas et elle s'en sustenterait à n'en plus pouvoir. Mue par cet appétit insolite, elle s'éleva plus haut pour absorber toutes les puissances passant à sa portée, sans distinction. Puis, une fois chargée en suffisance, des branches noires comme la nuit en jailliraient dans toutes les directions pour converger vers la source d'énergie hostile la plus proche. Or, il n'y avait qu'eux ici, et Volsung pouvait diriger à sa guise l'orientation de ces ramures d'une simple note de musique. Inutile de dire que leur cible était déjà connue. Dans le même temps, une volée de fils d'argent surgirent de sa lyre pour venir enlacer les membres du « cheval à huit pattes » - ou en tout cas essayer – afin de le tenir en place, pour ainsi pouvoir le donner en pâture à cette masse ombrageuse.

Je n'aime pas les devinettes. Aussi, la seule réponse que j'aie à te soumettre est une autre question : préfères-tu mourir ici et maintenant ou que je te précipite dans la lave de ton volcan bien-aimé ? Je n'aimerais pas m'encombrer de ton cadavre. Dépêche-toi de me répondre, ou je serai forcé de choisir à ta place.

Tu t'poses trop d'questions. Tsé, à force de causer dans l'vide, tu vas finir par crever d'soif... Et c'est là qu'tu regretteras d'pas avoir de quoi recevoir tes invités ! Un peu d'hydromel, ça serait juste nickel pour adoucir ton venin tsé ! Héhéhé !

Semblable à une éclipse, la sphère noire masquait l'aura luminescente qui émanait de Volsung. Seules en dépassaient ses ailes, à côté desquelles la clarté de l'aube aurait fait pâle figure. D'une blancheur immaculée, elles paraissaient n'être qu'un agrégat de pureté, une forme concrète de l'innocence. En plus de ses propriétés spécifiques, un autre avantage de cette attaque était sans conteste qu'elle soit lente à se désagréger. Son envergure en faisait dès lors un parfait bouclier tant optique qu'énergétique. En plus de pouvoir se dissimuler derrière son impénétrable couleur noir d'encre, n'importe quelle projection cosmique serait absorbée sans distinction. Une note suraiguë ordonna le déplacement de la balle d'ombre qui aussitôt se mit en travers de la trajectoire des épieux de glace.

Tous sans exception disparurent dans son enceinte pour ne plus en ressortir, réduisant à néant l'assaut d'Yzak. Aussi vain que ses paroles. À mesure que la sphère se dissipait, son cosmos prit de l'ampleur, toujours plus blanc et pur. Ses ailes luisaient à présent d'un éclat irréel, presque onirique, lui donnant tout de l'ange qu'il prétendait incarner. Dès avant l'anéantissement de la porte, il pinçait déjà les cordes de son instrument, préparant un funeste récital à son béotien d'adversaire. Pour en avoir fait l'expérience, Beta devait commencer à comprendre le fonctionnement de ses attaques. Sa lyre y était intimement liée. Même sans connaître au préalable le style propre à Eta, il était aisé de s'en faire une idée dès les premiers instants. Afin de préparer le terrain en vue de sa prochaine attaque, il avait interprété un autre morceau en toute discrétion. Yzak saurait-il le déceler ? Rien n'était moins sûr. Death Trip Serenade et sa douce torpeur devaient déjà être à l'œuvre.

Tu es bien mal placé pour en juger, toi qui ne fais que te répandre en propos inutiles depuis tout à l'heure. Avant de te soucier des autres, balayer devant ta porte te ferait le plus grand bien, fût-elle au coeur de la poche magmatique de ton satané volcan. Mais n'aie crainte, je vais bientôt te faire ravaler toutes ces belles paroles. Puisque tu refuses de garder le silence, je vais t'y obliger. Stringer Requiem !

Sans aucun doute son arcane-phare. Celle qui était la plus intimement liée à sa GodRobe. Sans que ne s'interrompe la triste mélodie, une salve de cordes jaillirent de son instrument. Yzak fut aussitôt déclaré comme cible à abattre par le rythme lancinant qu'il s'obstinait à émettre, avec méthode. Volsung n'avait pas menti en disant que sa vie dans son intégralité avait été consacrée aux arts et plus particulièrement à la musique. Son don pour les instruments à corde n'en était que le pinacle. Rares étaient les mesures de sécurité à ne pouvoir être déjouées par une technique de combat si peu ordinaire. On ne s'attend que rarement à devoir redouter les fils de ce qui n'est au premier regard qu'un simple accessoire. Et c'est en jouant sur cet effet de surprise qu'il pensait prendre Sleipnir à revers. Le regard du musicien n'avait pas de perçant que sa couleur, et s'était bien rendu compte que les copeaux de glace couvrant encore les bras de son vis-à-vis n'étaient pas anodins. Quelle qu'en soit l'utilité, du cosmos y circulait encore en quantité. Mieux valait les briser dès maintenant plutôt que de recevoir une seconde salve.

En une poignée de secondes à peine, Yzak venait de faire de nets progrès : il avait appris à se taire. Et à n'en pas douter, c'était un précieux enseignement après avoir vu le flot incohérent de stupidités qu'il pouvait débiter en moins d'une minute. À la vérité, c'était un tel soulagement pour Volsung qu'il ne parvint pas à y croire dans un premier temps. Une chance inespérée, pour sûr. Si bien qu'il ne chercha pas même à éviter l'attaque qui venait droit sur lui. Il pouvait bien lui offrir cela en échange de ce silence – qui pour une fois, comme le veut l'adage, valait véritablement de l'or. Avoir réussi à faire taire un tel moulin à paroles tenait de l'exploit, et Eta espéra juste que ses évidents troubles mentaux ne lui feraient pas oublier cette résolution. Mais c'était sans doute placer trop de confiance en ce dégénéré qui, pour en arriver là, n'avait sans doute pas eu une enfance facile. Pour avoir dispensé sa musique à un maître que tous connurent sous le sobriquet de « Roi Fou », animé les banquets de maints et maints seigneurs, il avait connu bien des cas de pathologies mentales, mais jamais aussi éminents.

Nul doute que les nobles se le disputeraient pour étudier son cas, les monstres de foire sont souvent très prisés sur les marchés aux esclaves de certaines contrées. Loin de lui l'idée d'en tirer un quelconque profit, cependant. Non seulement parce qu'il ne pouvait aller contre la volonté d'Odin, qui l'avait nommé à ce poste, mais aussi parce qu'il n'avait nul besoin d'argent. Et en définitive, devoir quoi que ce soit à Beta, même si c'était en partie à son détriment, était une perspective suffisamment dissuasive. La simple idée de lui être redevable, peu importe la mesure, était inconcevable. Piégé par la glace, le musicien ne cilla pas plus : à quoi bon restreindre ses mouvements, alors qu'il en effectuait déjà si peu ? Tant que ses mains pouvaient bouger, il n'avait pas besoin de plus. Ses doigts étaient certes gelés, mais toujours en mesure d'enchaîner les accords avec la même minutie.

Il était musicien avant d'être Guerrier Divin, et toutes les affres d'un combat ne pourraient jamais l'empêcher d'émettre cette douce mélodie. Bien évidemment, ce barbare dépourvu d'éducation n'avait pas l'oreille musicale et ne pourrait donc pas en savourer toute la beauté, il jouait donc plus pour lui-même que pour son public – bien qu'il se refusât à considérer Sleipnir comme tel en toutes occasions. À mesure que ses doigts dansaient sur les cordes, les notes qu'il faisait retentir au travers de ce vaste champ de ruines apparaissaient sous forme de lumière, d'une blancheur éclatante elle-même entourée d'une délicate aura d'azur. Voyant le jour les unes après les autres en un instant à peine, elles se disposèrent en cercle, à la manière d'un cadran d'horloge dont les nombres auraient été supplantés par cette partition stylisée. Dès qu'elles furent au complet, une sphère aussi blanche que l'étaient ces sons rendus concrets fit son apparition et relâcha un large faisceau d'énergie dans la direction d'Yzak. Un point final pour le moins radical alors que tout dans la préparation de cette technique inspirait l'élégance et la délicatesse.

Quelle idée que de gâcher vos talents artistiques à faire couler le sang et les larmes ? Mon cher ami, vous ratez une incroyable vocation ! Vos dons musicaux devraient être savamment utilisés pour bercer les oreilles des Dieux eux-mêmes, et non pas meurtrir les hommes...

Pourquoi ne pas ranger les armes mon ami, et tenter de reprendre nos relations sur une base plus saine et sensée ? Laissons les batailles aux barbares, et complaisons-nous juste de plaisirs plus raffinés, voulez-vous ?

Je suis certes entré en votre domaine sans y être invité, poussé par ma curiosité, et je vous en présente mes plus sincères excuses ! Mon côté roturier a parfois tendance à ressortir plus que je ne le voudrais, ce n'est malheureusement pas quelque chose dont j'ai un parfait contrôle, vous avez dû vous en rendre compte ! En lieu et place d'une bataille sans intérêt qui nous déchire, laissez-moi plutôt vous proposer de... hum...

...de vous déchirer seul et sans attendre, oui ! Fufufufufu !