Oréstis repoussa encore une fois avec vigueur la main du marin qui glissait insidieusement sur sa cuisse. Mieux ne valait pas que sa couverture soit découverte…
Pour fuir le camp d’entraînement des futurs Chevaliers d’Athéna, le jeune joueur de lyre avait élaboré un plan des plus compliqués, persuadé qu’avec cela, il pourrait échapper pendant longtemps à l’autorité de ses maîtres. Au détour de l’agora, Oréstis avait su trouver quelques vêtements amples de femme, à l’aspect plutôt solennel – malgré quelques fantaisies, mais bien moins apparentes que sur les vêtements que le jeune homme avait l’habitude de porter.

Ces vêtements passés, le jeune homme s’était fait passer avec succès pour une jeune prétendante à la suite d’Athéna, envoyée par sa famille afin de tisser le Péplos jusqu’aux prochaines Panathénées. Un destin bien peu intéressant en vérité, mais le joueur de Lyre ne comptait pas passer sa vie dans ce petit temple d’Athéna perdu au milieu des Cyclades, dans un monde rempli de femmes. Il profiterait du calme ambiant quelques temps, mais s’enfuirait bien vite. Il le savait : si prendre l’apparence d’une femme lui était déjà difficile, les fréquenter le serait mille fois plus. Elles étaient toutes si inintéressantes, à ses yeux…

Une fois arrivé à bon port, le jeune homme – ou plutôt, à présent, la jeune femme – n’eut pas de mal à localiser le temple vers lequel il se rendait : situé en hauteur, il dominait l’île. Un soupir lui échappa : il avait aussi fui le camp pour échapper aux innombrables efforts physiques imposés… et voici qu’il était contraint à en produire un nouveau. Douce ironie.

Courageux, j’avais entrepris l’ascension d’un sentier de montagne rocailleux qui, en toute vraisemblance, menait au temple perché. Mais rapidement, la soif et la faim m’avaient pris. Je n’avais rien mangé depuis le début du voyage… et à vue de nez, il me faudrait encore une heure avant d’atteindre le temple. Regardant autour de moi à la recherche d’une éventuelle source de nourriture, j’avisai la vigne qui se trouvait là et en détachai une belle grappe de raisin. Bientôt, je dégustais les délicieux fruits, sans même avoir conscience que j’agissais peut-être mal pour une future servante d’Athéna. A vrai dire, je n’avais pas vraiment pris de précautions : j’étais persuadé que les jeunes femmes devaient rester cloîtrées jour et nuit dans leur temple, et le village était à plusieurs kilomètres de là… qui aurait pu me voir ?

Mes yeux se fermèrent alors que je savourais les délicieuses baies. Uns à uns, les grains fermes éclataient sous mes dents, répandant leur délicieux contenu sucré dans ma bouche. Ils étaient si exquis qu’un gémissement de contentement m’échappa. Cet endroit était parfait… je pourrais y passer le restant de mes jours à me gaver de ce merveilleux raisin, cultivé avec amour sur cette île méditerranéenne, loin de tous les problèmes des élus d’Athéna, loin de tous les combats. Je serais tranquille, serein ! Oui, après tout, pourquoi p…

Ce moment de douceur et de rêverie fut brutalement interrompu par le cri strident d’une pucelle effarouchée. Surpris et un brin paniqué, je déglutis brutalement, et de nombreuses baies sacrées se bloquèrent dans ma gorge alors que j’ouvrais les yeux, contrarié, pour voir qui était la sans-gêne qui venait de briser mon petit instant de plaisir. Mais si mes yeux s’écarquillèrent alors qu’ils se posaient sur la jeune fille blonde, ce n’était pas parce que je l’avais déjà vu auparavant, que je la trouvais jolie, ou quelque chose de ce genre… je m’étouffais, tout simplement. Me mettant à tousser, je m’efforçai de déloger les importuns qui s’étaient coincés dans mon gosier, à grand renfort de coups de poing plus ou moins appuyés sur ma poitrine. Ils ne tardèrent fort heureusement pas à se débloquer, et je pus les avaler goulûment – désobéissant par-là à l’ordre que la jeune fille venait de me donner. Mais en même temps… elle m’avait demandé de cracher. Cracher sur un sol béni par Athéna était-il réellement mieux que de consommer ses raisins personnels ? J’en doutais.

Ayant repris contenance, je répondis à la jeune blonde :

- Excus-

Je m’interrompis immédiatement. Le petit incident qui venait de m’arriver avait rétablis mon timbre de voix originel. Pas incroyablement grave, ça non, mais suffisamment pour laisser deviner l’éventualité d’une supercherie. Je m’éclaircis la gorge avant de reprendre avec une voix bien plus fluette :

- Excusez-moi, ma sœur, je ne le savais pas. Je suis si confuse ! A dire vrai, je n’ai pas vraiment su quoi faire lorsque vous m’avez interpellée. Valait-t-il mieux cracher et souiller le sol de notre chère Déesse ou bien continuer le méfait que j’étais en train d’accomplir ?

Le moment était sans doute adapté à un peu de comédie. J’aimais beaucoup l’art et le théâtre ; malheureusement, la plupart des brutes qui se trouvaient au camp d’entraînement d’où je m’étais enfui étaient complètement hermétiques à cet art – tout comme ils l’étaient à la douce mélopée sortant d’une lyre. Mais ici, j’allais pouvoir laisser libre cours à mon talent ! Feignant de fondre en larmes, je me jetai soudain dans les bras de la jeune fille, comme une pauvre enfant éplorée et perdue, lui disant tout en sanglotant :

- Oh, ma sœur, je suis tellement désolée ! Que puis-je faire ? Que vais-je faire ? Moi qui étais venue pour devenir une servante d’Athéna, voilà que je commets le pire des crimes en consommant ses raisins sacrés ! Notre déesse me le pardonnera-t-elle ? J’avais si faim, ma sœur ! Oh, s’il vous plaît, s’il existe une chance de me racheter auprès de Pallas, dites-moi de quoi il s’agit ! Je ferai n’importe quoi !

A présent, j’étais à genoux devant elle, essuyant mes larmes de crocodiles dans les pans de sa tenue. J’étais plutôt satisfait de ma mise en scène. D’autant qu’au vu de l’autorité plutôt risible qu’elle avait tenté d’exposer en m’apostrophant, elle ne saurait sûrement pas comment réagir face à ce genre de comportement…